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Quelques pistes pour enseigner aux allophones

Quelques pistes pour enseigner aux allophones

De plus en plus d’élèves allophones, c’est-à-dire d’élèves ayant une langue maternelle autre que le français, fréquentent les cégeps du Québec, surtout ceux de la région métropolitaine. Qu’ils suivent un cours de mise à niveau en français écrit ou non, plusieurs de ces élèves à profil particulier présentent des difficultés d’apprentissage reliées au fait que le français est leur deuxième, voire leur troisième ou quatrième langue parlée et écrite. De nombreux professeurs se sentent démunis devant ces élèves souvent pleins de bonne volonté, mais en butte aux échecs à répétition causés par de multiples difficultés en lecture et en écriture. Les méthodes d’aide traditionnelles, bien qu’elles contribuent grandement à l’amélioration de la qualité du français chez ces étudiants, ne suffisent pas à combler les lacunes qui les handicapent tout au long de leur parcours collégial, et ce, tant dans leur domaine de formation spécifique que dans les cours relevant de la formation générale. La fréquentation d’adultes allophones nouvellement arrivés au Québec[1] et d’élèves allophones fréquentant le cégep m’a menée à réfléchir à la nature des difficultés propres à ces élèves. Quelles stratégies pourraient faciliter la tâche du professeur ou du tuteur chargé d’assister ces étudiants dans leur perfectionnement, ou carrément leur apprentissage, du français ? Les propositions qui suivent ne sont applicables, pour la plupart, que dans un contexte de relation d’aide individuelle, par exemple au CAF.

Être attentif au parcours de l’élève allophone

Une personne qui a été scolarisée en français dès l’école primaire n’aura certes pas les mêmes compétences linguistiques qu’un nouvel arrivant n’ayant suivi que le programme de francisation du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC). Cependant, beaucoup d’autres facteurs influent sur le développement de la maîtrise de la langue seconde. Le niveau de scolarisation dans la langue maternelle, lorsqu’il s’agit d’étudiants adultes, semble un des facteurs déterminants dans l’acquisition du français. Ainsi, la personne possédant déjà un diplôme technique ou universitaire dans son pays d’origine apprendra sans doute avec plus de facilité à manier sa langue seconde avec dextérité puisqu’il a déjà acquis, dans sa langue maternelle, des notions d’analyse syntaxique et grammaticale lui permettant de saisir le fonctionnement du système linguistique.

Dans le même ordre d’idées, une personne exposée de façon continue à la langue française en dehors du cégep assimilera beaucoup plus rapidement les structures propres au français et acquerra un vocabulaire suffisamment varié et précis pour pouvoir comprendre les nuances d’un texte de difficulté moyenne ou un cours faisant appel à un vocabulaire spécifique. Si, au contraire, l’élève (adulte ou non) a fréquenté les écoles francophones du Québec depuis son entrée au primaire, mais qu’il est le meilleur locuteur francophone de sa famille, et ce, depuis le début de son cheminement scolaire, il risque fort, malgré une parfaite compréhension du français à l’oral, de présenter des lacunes importantes et typiques des allophones en français écrit. Nombre d’élèves sont aussi issus de communautés dans lesquelles le français occupe une place prépondérante, mais où il demeure une langue seconde ou administrative sans être la langue maternelle. Pensons, par exemple, aux étudiants haïtiens mélangeant créole et français ou aux étudiants libanais ou maghrébins ayant fréquenté avant leur arrivée au Québec des écoles où la langue d’enseignement était le français, mais qui demeurent des personnes dont la langue première est l’arabe ou le berbère.

Dans le cadre des cours obligatoires de français, il est bien sûr impossible de prendre en considération chacun de ces facteurs lorsqu’il s’agit de venir en aide à un élève en difficulté. Cependant, si ce dernier se trouve dans un cours de mise à niveau en français écrit ou s’il est régulièrement encadré par un tuteur au CAF, il peut être intéressant de vérifier son parcours avant d’entamer une démarche d’aide avec lui. Connaître l’histoire et le milieu de l’apprenant permet ainsi de mieux cibler ses besoins particuliers, qui se répartiront différemment selon la scolarisation antérieure de l’élève, son exposition au français en dehors de l’école et sa langue maternelle.

Des difficultés particulières aux allophones

La maîtrise d’une langue exige, surtout lorsqu’il s’agit d’une langue seconde, qu’on en comprenne les mécanismes et les singularités. Les élèves allophones présentent des difficultés spécifiques en ce qui a trait à la syntaxe, au vocabulaire et à l’orthographe d’usage, difficultés que j’ai recensées de manière non exhaustive.

Syntaxe

Parmi les problèmes récurrents se trouve celui de l’emploi de la préposition après le verbe. Il n’est pas aisé, en effet, de mémoriser la liste interminable des variations dans l’utilisation des prépositions. Par exemple, saisir la distinction entre jouer à quelque chose et jouer de quelque chose peut se révéler ardu pour un allophone, sans parler du sens complètement différent que prend le verbe lorsqu’il est employé à la forme pronominale : se jouer de quelqu’un ou de quelque chose. Ainsi, ces élèves comprennent difficilement qu’on joue de la flûte, mais qu’on joue à la flûte un air de Mozart, tout en se jouant des difficultés présentées par le morceau. Ces problèmes entraînent des erreurs non seulement dans la rédaction, mais aussi dans la compréhension des textes puisque la pronominalisation de certaines parties du discours est souvent reliée à l’emploi des prépositions. Ainsi, dans l’exemple suivant, un élève allophone (ou francophone…) pourrait mal interpréter le texte en raison de son incapacité à relier les pronoms de remplacement les, lui et en à leur antécédent :

Léonid a l’impression d’avoir trahi à la fois ses sœurs et sa patrie en quittant illégalement la Biélorussie. Il lui faudra plus de trente ans avant de les revoir. Il a vécu ces retrouvailles avec intensité et en parle encore avec émotion.

Si l’élève ne relie pas correctement les pronoms à ce qu’ils remplacent, il pourra comprendre, par exemple, que Léonid parle encore de ses sœurs ou alors que dans la phrase, le pronom en remplace plutôt de ces retrouvailles.

L’ordre des pronoms de remplacement dans la phrase donne aussi du fil à retordre aux élèves, surtout s’ils cherchent à systématiser la position des pronoms d’après leur fonction (complément direct ou indirect) puisque me, te, se, nous et vous peuvent occuper indifféremment la place du complément direct ou indirect. À titre indicatif, voici un tableau[2] qui permet de classer les pronoms selon la place qu’ils occupent les uns par rapport aux autres dans la phrase :

Ainsi, dans les phrases suivantes, les pronoms de remplacement la et lui devront suivre un ordre particulier pour que la phrase soit correcte :

Pierre ne connaissait pas la vérité, mais Sophie la (complément direct) lui (complément indirect) a apprise.

Le pronom complément direct, dans ce cas, se place devant le pronom complément indirect. Cependant, dans cette autre phrase, le pronom complément indirect se placera devant le pronom complément direct :

Nous ne connaissions pas la vérité, mais Sophie nous (complément indirect) l’(complément direct) a apprise.

Ce tableau met en lumière que l’ordre des pronoms n’est pas déterminé par leur fonction dans la phrase, mais bien par le pronom lui-même. L’emploi des pronoms relatifs découle de la même logique et pose, par conséquent, le même degré de difficulté.

Vocabulaire

La variété et la précision du vocabulaire d’un élève allophone dépendent en grande partie, je crois, des efforts consentis à son enrichissement en dehors des heures de cours et du nombre d’années passées en milieu francophone. Cependant, la vitesse d’acquisition et de développement des habiletés linguistiques peut être accélérée par quelques exercices permettant à l’élève de créer des liens entre des ensembles de mots qui lui paraissent a priori très différents. Étudier, par exemple, le système des préfixes et des suffixes permet à l’élève de déduire, d’après le contexte, la signification d’un mot formé sur le même modèle qu’un autre mot : s’il a appris que le suffixe –âtre indique souvent une nuance péjorative (comme dans marâtre ou bellâtre), il déduira rapidement que le teint blanchâtre de l’héroïne d’un roman indique sa faiblesse plutôt que sa pureté. Dans le même ordre d’idées, proposer des exercices de dérivation à partir d’un mot permet à l’élève de créer des réseaux lexicaux faciles à mémoriser. Il est possible, par exemple, à partir du mot patrie (lat. patria « pays du père »), de lui faire dresser une liste des mots de la même famille : patrimoine, patriote, patriotique, patriotisme, puis d’étendre cet ensemble en lui adjoignant les mots de la même famille que père, soit patriarcat, patriarcal, patriarche, parricide.

Orthographe d’usage et grammaticale

Une des faiblesses majeures auxquelles font face le plus souvent les élèves allophones en ce qui a trait à l’orthographe d’usage et grammaticale provient sans doute de leur incapacité à entendre correctement les phonèmes de la langue française. Il suffit de penser aux élèves hispanophones qui sont incapables de faire la différence entre le son produit par les différentes conjugaisons des verbes du troisième groupe pour comprendre le problème : les formes je mange, j’ai mangé, je mangeais sont identiques pour plusieurs d’entre eux parce que dans leur langue maternelle, les sons (comme dans premier ou levier) et (comme dans lait ou mais) n’existent pas. Par conséquent, ils n’arrivent pas à les distinguer du son [e] (comme dans blé ou aller). Des exercices de prononciation et d’écoute aideront certains élèves à différencier les sons, notamment en ce qui concerne le système verbal, et à mieux saisir le sens d’un discours oral, celui d’un professeur notamment. Il peut aussi être intéressant de réviser les nombreuses graphies possibles pour un même phonème, ne serait-ce que dans le but de faciliter la recherche dans le dictionnaire. En effet, comment découvrir le sens ou l’orthographe d’un mot comme austère si l’on ne sait pas que le son [o] se traduit aussi bien par la voyelle o que par ho, au ou eau  ?

Plusieurs argueront que la francisation ne fait pas partie des tâches d’un professeur de littérature ; j’en conviens. Cependant, force est de constater que dans de nombreux cégeps, la proportion d’élèves allophones croît sans cesse. Comme il est impossible pour les nouveaux arrivants n’ayant suivi que la formation dispensée par le MICC de répondre aux exigences du collégial en ce qui concerne le français, quelques cégeps proposent des formations adaptées qui visent l’intégration de ces élèves. Des partenariats[3] se développent aussi entre certains collèges et le Ministère. Cependant, ces initiatives locales demeurent des exceptions et il incombe, dans l’immédiat, aux professeurs de français et aux coordinations de CAF de répondre aux demandes souvent pressantes de ces élèves. D’ici à ce que des mesures plus solides soient mises en place, des outils linguistiques tels que le logiciel Antidote ou le manuel Mise en pratique peuvent être d’un secours appréciable.

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  1. L’auteure de cet article a travaillé à titre de professeure en francisation dans différentes écoles de langue privées et au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles avant d’enseigner au cégep. Retour
  2. Ce tableau est inspiré de celui qu’on trouve dans le manuel Mise en pratique, rédigé par Alain FAVROD et Louise MORRISON (Toronto, Addison Wesley Longman, 2001, page 209). Chaque chapitre de ce manuel très complet propose des articles à lire, une section « vocabulaire » reliée à la thématique des articles, une section grammaticale et des exercices d’écriture. Les auteurs présentent chacune des notions théoriques de manière approfondie en s’attardant particulièrement aux difficultés rencontrées par les apprenants de langue maternelle autre que le français. Retour
  3. Dans la région métropolitaine, les cégeps Marie-Victorin, André-Laurendeau, du Vieux Montréal et de Saint-Laurent, entre autres, travaillent en collaboration avec le MICC pour offrir des formations en francisation. Le collège de Rosemont, pour sa part, a mis sur pied un cours de mise à niveau en français écrit destiné aux élèves allophones seulement. Retour

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