Les mesures d’aide en français et leurs effets: y a-t-il une recette gagnante?
Dans un précédent article, nous avons commencé à faire état des résultats d’une recherche[1] sur les effets de mesures d’aide en français écrit mises sur pied dans des collèges et des universités francophones de la région montréalaise. Dans ce premier article, nous avons décrit les perceptions qu’ont les enseignants et les étudiants de l’efficacité de ces mesures et avons mis en relation ces perceptions avec les performances réelles de ces étudiants. Dans le présent texte, nous aurons comme objectifs de décrire les performances des étudiants quant à la composante linguistique de leur compétence à écrire, puis de faire ressortir les caractéristiques des mesures qui contribuent davantage à l’amélioration de leurs performances. Mais, d’abord, nous rappellerons les grandes lignes de la méthodologie qui a déjà été exposée et nous en soulignerons les principales limites, limites dont il faudra tenir compte dans l’interprétation des résultats.
Rappel méthodologique
Au collégial et à l’université, neuf mesures de trois types ont été suivies :
- dans le type ateliers, des ateliers thématiques offerts à l’université ;
- dans le type aide individuelle, le tutorat par les pairs offert dans un collège et le centre d’aide en français d’une université ;
- dans le type cours, au collégial, un cours de mise à niveau régulière, un de mise à niveau pour allophones, un de mise à niveau jumelée et un de mise à niveau jumelée avec lecture publique, et, à l’université, un cours de français écrit et un de grammaire.
Un groupe de contrôle constitué d’étudiants du collégial ne recevant pas d’aide particulière a également été suivi.
Nous avons administré deux épreuves aux étudiants participants au début et à la fin de la session durant laquelle ils ont été aidés. Ces épreuves étaient un questionnaire évaluant les connaissances linguistiques (en orthographe lexicale et grammaticale, en syntaxe et en lexique) et une production écrite de 250 mots réalisée à l’aide d’ouvrages de référence. Les étudiants ont été divisés selon leur sexe et leur profil linguistique (francophones, francophones+, néofrancophones, allophones).
Insistons sur le fait que les étudiants qui ont été suivis dans le cadre de cette recherche ne sont pas nécessairement représentatifs des étudiants québécois de leur âge : d’abord, ils avaient des difficultés en français écrit, puisqu’ils étaient inscrits à des mesures d’aide ; ensuite, la sélection des participants reposait sur le volontariat des enseignants responsables des mesures, puis des étudiants qui y étaient inscrits. Conséquemment, nous n’avons pu contrôler le nombre d’étudiants dans chacun des groupes et des profils linguistiques.
Tendances dans les performances des étudiants
Sur l’ensemble des épreuves
Sur l’ensemble du questionnaire, les étudiants obtiennent en moyenne 62,33 % au prétest et 66,88 % au post-test, ce qui représente un progrès significatif[2] de 4,55 %. Pour l’ensemble de la production écrite, ils commettent 23,68 erreurs sur 250 mots au prétest et 18,65 au post-test, ce qui représente un progrès significatif de 5,03 erreurs. Les mesures d’aide ont donc fait en sorte que les étudiants améliorent leur performance dans les deux épreuves. Ils ont ainsi, d’une part, acquis des connaissances sur la langue qu’ils ont su utiliser dans une épreuve décontextualisée et, d’autre part, réussi à mobiliser davantage leurs connaissances en production écrite.
Cependant, le progrès réalisé dans les deux épreuves par les étudiants qui ont reçu de l’aide n’est pas significativement différent de celui du groupe de contrôle. On pourrait être tenté de croire que les mesures n’ont rien apporté de plus aux élèves que leur programme d’études régulier et qu’ils auraient progressé de la même façon s’ils avaient simplement suivi ce programme. Nos données ne nous permettent pas de confirmer cette hypothèse : les étudiants qui suivent des mesures d’aide éprouvent, au départ, des difficultés en français (il y a d’ailleurs une différence significative entre leur performance et celle du groupe de contrôle au prétest comme au post-test). Rien ne nous permet de penser que ces étudiants plus faibles progresseraient autant que les plus forts s’ils n’avaient pas de soutien particulier.
Selon les aspects de la langue
Au prétest comme au post-test, l’orthographe lexicale est la section la moins réussie du questionnaire (57,86 % et 61,71 % respectivement), suivie du lexique (61,50 % et 63,33 %), de l’orthographe grammaticale (61,85 % et 67,15 %) et de la syntaxe (64,90 % et 70,29 %). Le progrès est significatif dans les deux dernières sections.
En production écrite, les erreurs d’orthographe grammaticale constituent environ 30 % des erreurs totales (7,29 erreurs au prétest et 5,19 au post-test). Lorsqu’on leur additionne les erreurs d’orthographe lexicale (3,88 et 2,59 erreurs), on constate qu’environ 45 % des erreurs dans les textes relèvent de l’orthographe. La syntaxe (4,17 et 3,41 erreurs) et la ponctuation (3,83 et 3,12 erreurs) représentent environ 35 % des erreurs. Les 20 % restants concernent la cohérence (2,68 et 2,49 erreurs) et le lexique (1,83 et 1,85 erreurs). Le progrès est significatif en orthographe lexicale, en syntaxe et en ponctuation.
Alors que l’orthographe grammaticale et la syntaxe sont les deux aspects de la langue où les étudiants réussissent le mieux et les seuls où ils progressent significativement au questionnaire, ce sont les principaux types d’erreurs en production écrite, malgré un progrès significatif en syntaxe. Or, dans les mesures, l’orthographe grammaticale et la syntaxe occupaient généralement une plus grande part des contenus abordés que l’orthographe lexicale et le lexique. Si le lexique est l’une des sections les moins réussies du questionnaire tout en correspondant au type d’erreurs le moins fréquent en production, c’est peut-être parce que les étudiants évitent, lorsqu’ils peuvent choisir leurs mots, ceux dont ils ne maîtrisent pas tout à fait l’usage, ce qu’ils ne peuvent pas faire dans un questionnaire.
Selon le sexe et le profil linguistique
Dans les deux épreuves, le progrès n’est pas différent selon le sexe : les mesures ont eu le même effet chez les garçons que chez les filles. Par ailleurs, au questionnaire, le progrès est significativement plus grand chez les néofrancophones et les allophones (5,95 % et 4,89 % respectivement) que chez les francophones et les francophones+ (4,40 % et 2,90 %). Cette avance des néofrancophones est également significative en syntaxe au questionnaire. En production écrite, le progrès n’est pas différent selon le profil linguistique. On constate donc que le fait d’avoir commencé à apprendre le français tardivement n’est pas un obstacle à la performance et au progrès relatifs aux connaissances décontextualisées sur la langue. Mais ces étudiants n’ayant pas appris le français à la maison ne transfèrent pas plus que les autres leurs connaissances sur la langue lorsqu’ils produisent un texte.
Caractéristiques des mesures qui conduisent au plus grand progrès
Comparons maintenant le progrès des étudiants selon la mesure d’aide à laquelle ils ont participé. Pour l’ensemble du questionnaire et de la production écrite, ceux-ci ont progressé de la même manière, quelle que soit la mesure d’aide qu’ils ont reçue (il n’y a pas de différence significative quant au progrès entre les groupes). Lorsqu’on s’attarde à des sections du questionnaire ou à des types d’erreurs en production écrite, des différences significatives apparaissent. En syntaxe au questionnaire, ce sont les étudiants de la mise à niveau jumelée qui progressent le plus. Soulignons que l’enseignante de ce cours devait accorder de l’importance à la syntaxe, puisqu’elle est la seule à avoir simultanément souligné un problème de syntaxe chez ses étudiants et à s’être fixé un objectif du même ordre. Dans la section lexique, ce sont les garçons francophones inscrits à la mise à niveau avec lecture publique qui progressent le plus. On peut croire que le fait de devoir préparer un texte littéraire pour ensuite le lire en public a pu stimuler l’acquisition d’un nouveau vocabulaire chez les étudiants et que cette stimulation a été particulièrement importante chez les garçons francophones.
En orthographe grammaticale dans la production écrite, ce sont les étudiants de la mise à niveau régulière et ceux du cours de français écrit qui progressent le plus. En ponctuation, ce sont les étudiants de la mise à niveau avec lecture publique et ceux du cours de français écrit. En lexique, ce sont les néofrancophones de la mise à niveau pour allophones et les francophones du cours de grammaire. Les enseignants responsables de ces mesures ne se distinguent toutefois pas des autres quant à leurs objectifs ou à leur vision des problèmes des étudiants pour les aspects de la langue où ces derniers ont progressé davantage. Par ailleurs, si le cours de français écrit ressort comme étant celui qui conduit au plus grand progrès dans deux aspects de la langue en production écrite, c’est peut-être parce que le tiers de son contenu était axé sur le développement de stratégies de révision de textes, ce qui a pu favoriser le transfert en production écrite. Ce transfert a également pu être favorisé par le fait que le cours s’étale sur six mois plutôt que trois, ce qui donnerait aux étudiants plus de temps pour intégrer les contenus. Il faut néanmoins demeurer conscients de la difficulté à comparer des mesures pour lesquelles le temps consacré par les étudiants et l’investissement des établissements, notamment, varient beaucoup.
Et les types de mesures ?
Il reste à comparer les progrès des étudiants en fonction du type de mesure (ateliers, aide individuelle, cours) auquel ils sont inscrits. Les cours présentent un contenu déterminé par l’enseignant en fonction des problèmes perçus pour l’ensemble des étudiants, et structuré systématiquement. Les apprentissages réalisés dans les cours sont évalués formellement et des apprentissages insuffisants sont sanctionnés par des conséquences négatives, soit l’échec au cours et, bien souvent, l’obligation de le reprendre. Les étudiants inscrits à des cours ne le font pas souvent par choix, mais bien parce que leur établissement les oblige à le faire. L’aide individuelle, au contraire, présente un contenu choisi en fonction des difficultés des étudiants suivis, donc mieux ajusté à ces élèves, et structuré d’une manière plus souple, de manière à respecter le rythme d’apprentissage de chacun. Les apprentissages réalisés ne sont pas évalués directement (ils le sont par l’épreuve uniforme de français au collégial) et les apprentissages insuffisants ne sont pas sanctionnés. Les étudiants inscrits à l’aide individuelle l’ont souvent choisi, ce qui devrait stimuler leur motivation à s’améliorer. Les ateliers, quant à eux, sont à mi-chemin entre les cours et l’aide individuelle : ils présentent des contenus choisis a priori par des enseignants et structurés systématiquement pour un groupe d’étudiants, mais les apprentissages ne sont pas évalués et il n’y a pas de conséquences négatives à des apprentissages insuffisants ; les étudiants ont choisi eux-mêmes de s’y inscrire. Les cours sont de loin le type de mesure échelonné sur le plus grand nombre d’heures.
On pouvait croire au départ que l’aide individuelle, mieux adaptée aux besoins de chaque étudiant et offerte aux plus motivés, aurait fait davantage progresser les étudiants. On pouvait aussi croire que les cours, de par leur durée, leur aspect systématique et à cause des conséquences négatives qu’entraînent des apprentissages insuffisants, auraient amené les étudiants à progresser davantage. Qu’en est-il dans les faits ?
Les ateliers ne ressortent jamais comme le type de mesure qui contribue au plus grand progrès. L’aide individuelle est celui qui amène au progrès le plus important dans deux aspects de la production écrite : en orthographe lexicale et, pour les francophones+, en lexique. Les connaissances en orthographe lexicale peuvent difficilement être abordées aussi systématiquement que les règles d’orthographe grammaticale ou de syntaxe, et les cours consacrent relativement moins de temps à cet aspect de la langue. C’est sans doute ce qui explique que l’aide individuelle, dans laquelle un tuteur se penche sur les problèmes particuliers des étudiants, entre autres sur leurs erreurs d’orthographe lexicale, soit le type de mesure le plus efficace pour ce genre de problème. Pour ce qui est du lexique, les étudiants qui ont appris plus d’une langue à la maison semblent profiter davantage du fait qu’un tuteur se penche spécifiquement sur leurs difficultés. Les motifs qui expliquent que ce soit ce profil linguistique plutôt qu’un autre qui ait besoin d’une aide individualisée sont toutefois difficiles à préciser.
Les cours constituent le type de mesure qui fait le plus progresser les étudiants dans l’ensemble de la production écrite, peut-être parce qu’ils couvrent systématiquement une grande variété d’aspects. Plus spécifiquement, c’est le type de mesure qui fait le plus progresser les étudiants en syntaxe et en cohérence dans la production écrite, peut-être encore à cause du traitement systématique de ces contenus dans le cadre d’une telle structure. Il en va de même pour le lexique au questionnaire et, pour une majorité de profils linguistiques, dans la production écrite. Bien que le lexique ne soit pas le contenu que les enseignants travaillent en priorité dans les cours, le fait de recevoir un enseignement structuré en groupe semble néanmoins faire augmenter les connaissances lexicales chez les étudiants et leur permettre de les utiliser dans une épreuve de langue décontextualisée et en situation d’écriture.
Conclusion
Les différentes mesures d’aide semblent toutes avoir leurs forces, puisque aucune ne se distingue des autres quant au progrès global des étudiants dans les deux épreuves. Dommage pour ceux ou celles qui recherchaient la recette gagnante… Cependant, les deux mesures qui se démarquent le plus souvent pour avoir fait progresser davantage les étudiants dans un aspect des épreuves en particulier sont la mise à niveau avec lecture publique et le cours de français écrit. Ces deux mesures étaient les seules à inclure, dans le premier cas, une activité où la langue est clairement un outil de communication et d’expression esthétique, et dans le second cas, des activités systématiques sur les stratégies de révision de textes. Ainsi, parmi les cours, on pourrait croire que ce sont les formules qui insistent particulièrement sur les dimensions fonctionnelles de la langue qui se révèlent les plus susceptibles de faire progresser les étudiants.
On ne sait pas ce qui, précisément, fait des cours le type de mesure conduisant au plus grand progrès : leur durée, le fait qu’ils soient sanctionnés par une évaluation des apprentissages ou d’autres facteurs encore. Il est donc difficile de spécifier quelles caractéristiques des cours devraient être empruntées par les autres types de mesures pour faire en sorte qu’ils aident encore davantage les étudiants.
Il ne faudrait cependant pas condamner les autres types de mesures d’aide et les abandonner d’office. Les étudiants qui ont choisi l’aide individuelle ou les ateliers ne se seraient peut-être pas inscrits à des cours, pour toutes sortes de raisons, et ils auraient ainsi manqué l’occasion de progresser en français, ce qu’ils ont pourtant fait à plusieurs niveaux d’après nos résultats.
Tableau 1 – Synthèse des principaux résultats | |
Les étudiants progressent le plus… | quand ils sont inscrits à… |
en lexique au questionnaire | des cours |
dans l’ensemble de la production | des cours |
en orthographe lexicale dans la production | de l’aide individuelle |
en syntaxe dans la production | des cours |
en cohérence dans la production | des cours |
en lexique dans la production chez les francophones+ | de l’aide individuelle |
en lexique dans la production pour une majorité de profils linguistiques | des cours |
- Cette recherche, intitulée Évaluation de l’efficacité des mesures visant l’amélioration du français écrit du primaire à l’université, a été financée par le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC). Retour
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