Test de lecture et dépistage d’élèves en difficulté
Les habiletés en lecture affectent les résultats scolaires. Du moins, c’est ce que nous dicte notre intuition d’intervenant auprès des jeunes. Alors, pourquoi ne pas chercher à développer un outil de dépistage d’habiletés en lecture ? Cet outil permettrait d’abord de vérifier s’il est statistiquement possible de lier lecture et réussite scolaire. Dans l’affirmative, il nous aiderait ensuite à prédire quels étudiants seraient à risque d’échouer à certains cours en première session – en français ou en philosophie, par exemple. Si l’on utilisait un tel outil dès l’entrée au collège, les résultats obtenus pourraient servir à diriger les élèves dépistés vers les mesures de soutien appropriées (centres d’aide, cours de mise à niveau), et ce, dès le début de la session. Mieux encore, cet outil permettrait également d’établir un diagnostic détaillé, fournissant pour chaque élève un relevé des difficultés de lecture qu’il ou elle parvient mal à surmonter. Ce relevé aiderait, d’une part, le tuteur ou la tutrice du centre d’aide en français ou en philosophie à mieux cibler leur intervention, et d’autre part, les professeurs du cours de mise à niveau en français, qui pourraient tracer un portrait des difficultés de lecture pour l’ensemble de leur classe. Si un tel outil existait, il permettrait donc non seulement de prédire de façon précoce les risques d’échec et d’intervenir tôt auprès des élèves, mais aussi de le faire avec beaucoup plus de précision.
Mise au point d’un test de dépistage de difficultés en lecture
Un tel outil existe. Il a été mis au point par notre équipe de chercheurs dans le cadre d’un projet subventionné par le Programme d’aide à la recherche dans les établissements privés (PREP)[3]. Ce projet, d’une durée d’un an et demi, a consisté à sélectionner un ensemble d’extraits de textes et à concevoir une série de questions et de choix de réponses portant sur chacun d’eux. Le choix des extraits a été guidé par notre souhait d’inclure tous les types de textes que l’élève du collégial est susceptible d’avoir à lire et à comprendre : narratif, descriptif, explicatif, injonctif, argumentatif, poétique, dialogal. La conception des questions et des choix de réponses s’est faite à partir d’un relevé de difficultés de lecture présentes dans les textes, relevé que nous avons établi à partir de la classification suivante : difficultés d’ordre linguistique (énonciation ; organisation, progression et cohésion du texte ; construction de la phrase ; lexique), difficultés liées au raisonnement (structure logique, type de raisonnement, quantificateurs, présupposés) et difficultés liées aux connaissances du monde (connaissances qui permettent au lecteur d’établir si ce qu’il lit est « plausible »).
Une première version du test (la version expérimentale) a été conçue et mise à l’essai auprès de 243 élèves de première année du collège Jean-de-Brébeuf à l’hiver 2005. Une deuxième version (la version révisée), élaborée au printemps 2005 à la suite de l’analyse des résultats obtenus avec la version expérimentale, a été mise à l’essai à l’automne 2005 auprès de 712 élèves de première année provenant, cette fois, de cinq collèges (Jean-de-Brébeuf, André-Grasset, Laflèche, Mérici et O’Sullivan). Les résultats de cette seconde passation ont permis de sélectionner les textes, les questions et les choix de réponses permettant le mieux de prédire les résultats scolaires et de développer la version finale du test, qui compte 30 questions à cinq choix de réponse.
À chaque étape du processus d’analyse et de révision, ce qui a guidé notre décision de conserver ou de rejeter telle ou telle question, tel ou tel choix de réponses est principalement la corrélation entre le résultat obtenu pour cette question ou pour ce choix de réponses et les résultats scolaires (la cote de rendement collégial moyenne ou CRC moyenne). Cette analyse des données, qui nous a conduits à ne conserver que les questions et les choix de réponses les mieux corrélés[4], nous a permis de mettre au point un test dont la corrélation avec les résultats scolaires est de 52 %. L’analyse nous a aussi permis d’observer que les choix de réponses qui constituent de meilleurs prédicteurs de résultats scolaires sont ceux qui sont vrais (et non faux) et ceux dont le niveau de difficulté est facile ou moyen[5] (et non très facile). Quant aux types de difficulté de lecture sur lesquels s’appuient ces choix de réponses, c’est la piste du lexique et de la construction de la phrase qui nous a semblé la plus prometteuse pour prédire les résultats tant en philosophie qu’en français, mais nous n’avons pu dégager une tendance constante en ce sens.
Nous avons par la suite préparé un prédicteur combiné, constitué d’un ensemble de mesures évaluatives ; celles-ci incluent notre test, mais aussi les notes de 5e secondaire en français et en mathématiques ainsi que les résultats obtenus au test IAP[6] (aspects Préparation aux examens, Anticipation de l’échec, Aspirations scolaires, Croyance à la facilité). La combinaison de ces divers éléments a mené à l’établissement d’un coefficient de corrélation de 82 % avec la CRC moyenne à la fin de la première session au collégial.
Un aperçu du test
Nous avons abrégé la version finale du test pour réduire à 30 minutes son temps de passation. Cette version abrégée ne comporte que 20 questions[7]. Chacune est toujours suivie de cinq choix de réponses. La plupart du temps, plus d’un choix est vrai. Chaque choix de réponses porte sur au moins une difficulté de lecture particulière. Voici deux exemples de textes et de questions. Essayez de trouver quels choix de réponses sont vrais (les bonnes réponses sont données à la fin de l’article).
Texte 1
« La progression du sida de 1983 à 1993 a été fulgurante et puisque la science n’a pas réussi à trouver le moyen de le guérir, les efforts collectifs et individuels doivent porter sur la prévention de sa transmission. Il s’agit d’une maladie pernicieuse puisque la période entre l’infection et la déclaration de la maladie peut être de 10 ans et que la personne infectée peut ne pas devenir sidatique, mais peut transmettre l’infection. »
(JEAN LUC LACHANCE, « Les voyageurs et le sida », Au fil des événements, vol. XXXVIII, no 31)
Question
Selon l’extrait, le sida est une maladie pernicieuse parce que…
Choix de réponses
1) C’est une maladie qui peut se déclarer 10 ans après l’infection.
2) C’est une maladie que l’on peut attraper d’une personne qui n’est pas sidatique.
3) C’est une maladie dont on ne voit pas les symptômes au début.
4) Sa progression a été fulgurante.
5) La science n’a pas trouvé le moyen de le guérir.
Texte 2
« […] Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient. »
(JOACHIM DU BELLAY, Les Regrets)
Question
Parmi les énoncés suivants, lequel ou lesquels sont exprimés ou sous-entendus dans l’extrait ?
Choix de réponses
1) Les Muses s’enfuient du poète.
2) Les Muses sont étrangères au poète.
3) Le poète n’a plus d’inspiration.
4) Les Muses trouvent le poète étrange.
5) Le poète fait fuir les gens.
Sans doute avez-vous remarqué que tous les choix de réponses portant sur le premier texte visent à déterminer ce qui peut définir le terme « pernicieuse ». Par cette question portant sur une difficulté d’ordre linguistique (lexique), nous cherchions à savoir si le lecteur pouvait parvenir à saisir le sens du mot en s’aidant du contexte, ce qui suppose qu’il doive réussir, entre autres, à interpréter correctement le sens du marqueur « puisque » et le lien que ce marqueur établit entre les phrases (construction de la phrase). Cela suppose aussi qu’il n’essaie pas de répondre à la question en ne s’appuyant que sur ses connaissances du monde, c’est-à-dire sur ce qu’il connaît déjà sur le sida.
Vous aurez aussi remarqué que les choix de réponses portant sur le deuxième texte exploitent les difficultés de lecture liées à la construction de la phrase (choix 1, déplacement d’un complément du verbe : « de moi… s’enfuient ») et au lexique (choix 2 : sens du mot « étranges », mot qui signifiait « étrangères », et choix 3 : sens du mot « Muses », mot qui met sur la piste de la notion d’inspiration).
Des pistes à suivre
Les constats de notre recherche sur le dépistage d’élèves à risque de difficultés scolaires au moyen d’un test de lecture nous permettent de déterminer certaines voies pour poursuivre la réflexion :
1. se servir des diagnostics détaillés obtenus pour chaque élève et pour chaque classe, le cas échéant, pour développer des outils de travail et du matériel didactique adaptés ;
2. se servir des connaissances acquises en développant ce test pour élaborer des tests de dépistage d’habiletés en lecture dans d’autres langues – pour permettre, par exemple, le classement des élèves dans les cours d’anglais ;
3. se servir des facteurs principaux du prédicteur combiné pour raffiner les procédures de dépistage des élèves susceptibles d’éprouver des difficultés scolaires.
Bien que ces voies s’annoncent prometteuses, l’équipe de recherche ne pourra, du moins à court terme, disposer ni du temps ni des ressources nécessaires à la poursuite des travaux. Cependant, dès la session d’automne 2006, des capsules de lecture, conçues à partir des éléments-clés que notre recherche a permis de révéler, seront intégrées au cours de mise à niveau en français sur une base hebdomadaire.
RÉPONSES
Pour le texte 1 et pour le texte 2, les choix de réponses 1, 2 et 3 sont vrais.
- L’équipe de recherche du collège Jean-de-Brébeuf est constituée de deux professeurs de français (Anne Gagnon, responsable du centre de perfectionnement et d’aide en français, et Huguette Maisonneuve, responsable des cours de mise à niveau), d’un professeur de philosophie au collège (Francine Gagnon, responsable du centre d’aide en philosophie) et d’un professeur de physique (Martin Riopel, qui a participé activement, en 2003, aux travaux d’une équipe de recherche qui s’est penchée sur les liens entre les résultats en sciences et les difficultés langagières). Retour
- Martin Riopel est aussi professeur à l’Université du Québec à Montréal. Retour
- Les personnes intéressées à se procurer le rapport de recherche ou le test de dépistage de difficultés de lecture peuvent adresser leur demande à l’une ou l’autre de ces adresses de courriel : huguette.maisonneuve@brebeuf.qc.ca ou riopel.martin@uqam.ca Retour
- Une question ou un choix de réponse est « mieux corrélé » lorsque la corrélation entre le résultat obtenu pour cette question ou ce choix de réponse et les résultats scolaires est « meilleure », c’est-à-dire plus élevée. Par exemple, un choix de réponse ayant une corrélation de 26 % permet mieux de prédire les résultats scolaires qu’un choix de réponse dont la corrélation serait de 4 %. Retour
- Les choix de réponse « faciles » sont ceux qui ont été réussis par 60 % à 79 % des élèves ; les choix de réponse « moyens » sont ceux qui ont été réussis par 40 % à 59 % des élèves. Retour
- Le test IAP (Inventaire d’Acquis Précollégiaux) est utilisé par les aides pédagogiques. Il permet d’évaluer un grand nombre d’aspects non scolaires : Anticipation de l’échec, Réaction d’anxiété, Préparation aux examens, Recours au professeur, Qualité de l’attention, Entraide, Priorité aux études, Croyance dans la facilité, Croyance dans les méthodes, Aspirations scolaires, Clarté des choix d’orientation, Engagement face aux choix, Anxiété sociale, Perception du soutien social, Leadership, Implication sociale, Expérience du secondaire. Retour
- La version finale de 30 questions présente un coefficient de fidélité de 0,94 ; celle de 20 questions, un coefficient de 0,92. Retour
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