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Réflexion à la suite d’une double expérimentation du cours «Mise à niveau» au cégep Beauce-Appalaches

Réflexion à la suite d’une double expérimentation du cours «Mise à niveau» au cégep Beauce-Appalaches

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epuis l’automne 2002, le cégep Beauce-Appalaches offre aux étudiants qui éprouvent des difficultés en français le cours Mise à niveau, mieux connu chez nous sous l’appellation Ateliers de grammaire. En tant que professeure au Département de français, j’ai donné ces ateliers à deux reprises, soit à l’hiver 2003 et à l’automne 2005 : un même cours et pourtant, deux réalités tout à fait différentes. En effet, l’expérience de l’hiver 2003 avait connu un succès inattendu, alors que celle de l’automne 2005 fut plutôt décevante. Comment, avec un même professeur et une approche pédagogique semblable, les résultats peuvent-ils différer autant ? Dans le présent article, je voudrais démontrer que le succès d’une intervention d’aide auprès d’étudiants en difficulté dépend de variables allant au-delà du simple facteur pédagogique. Parmi ces variables, nous retiendrons le type de clientèle selon la session à laquelle a lieu l’intervention, ainsi que le lien entre le professeur et ses étudiants. Mais avant tout, je tiens à préciser que ce qui suit est le fruit d’une réflexion personnelle, avec toute la subjectivité inhérente, et non pas le résultat d’une recherche.

Le type de clientèle

Au départ, les ateliers de grammaire sont offerts aux étudiants ayant obtenu un résultat inférieur à 70 % en français au secondaire, ou à ceux ayant connu des difficultés ou des échecs en français. Les élèves ciblés reçoivent une lettre qui les invite à se prévaloir de cette mesure d’aide, et l’inscription se fait toujours sur une base volontaire. Les ateliers ont lieu chaque semaine à raison de deux périodes consécutives de 50 minutes, soit le jeudi de 11 h à 13 h. Cette plage horaire est exempte de cours réguliers afin de permettre aux étudiants de participer à diverses activités. Enfin, mentionnons que ce cours n’est assorti d’aucune unité et que le résultat obtenu à la fin de la session est le même que celui apparaissant sur le relevé de notes pour le cours de français propre au programme[1].

La clientèle qui composait le groupe de l’hiver 2003 différait de celle du groupe de l’automne 2005. En effet, le premier réunissait des étudiants « hors séquence » qui en étaient au moins à leur deuxième session. Ils avaient eu le temps de s’adapter au collégial et avaient, pour la plupart, connu l’échec en français et parfois dans d’autres matières en raison de leurs faiblesses dans la maîtrise de la langue. De ce fait, ils étaient davantage convaincus de la nécessité de bien maîtriser les bases de la grammaire pour réussir leur DEC. S’ajoutaient à ces étudiants des adultes qui regagnaient les bancs d’école après un temps d’arrêt. Ces personnes avaient souvent connu des échecs en français dans le passé et se caractérisaient par une grande insécurité devant le retour aux études. Dans les deux cas, les étudiants étaient plus matures et présentaient un bon degré de motivation. Le fait d’avoir dans le groupe des adultes (20 % du groupe, soit 5 étudiants sur 19 inscrits) contribuait positivement à l’atmosphère de la classe. Le taux d’absentéisme était également très bas.

Le groupe de l’automne 2005, quant à lui, était composé presque exclusivement d’étudiants provenant du secondaire et inscrits à leur première session au collégial. Tout était nouveau pour eux et ils en étaient surtout à « goûter » la fameuse « liberté du cégep ». Ces étudiants en processus d’adaptation n’avaient pas encore expérimenté les cours de français au collégial. De plus, quelques membres de l’équipe de football étaient tenus d’assister aux ateliers de grammaire, à défaut de quoi ils pouvaient se voir interdire de jouer durant la saison en cours. Cette nouvelle mesure visait à augmenter le taux de réussite et le rendement au sein de cette clientèle.

La motivation du groupe de l’automne 2005 semblait plus fragile, et le taux croissant d’absentéisme au fur et à mesure que la session avançait est venu confirmer cette impression. Sur un total de 21 étudiants inscrits, à peine la moitié a suivi les ateliers avec assiduité. L’ambiance de la classe était plus pénible également. Les étudiants participaient peu et plusieurs donnaient souvent l’impression d’être davantage en punition qu’en train de profiter d’une mesure visant à les aider. Ajoutons que plusieurs activités d’accueil avaient lieu au début de la session de l’automne aux périodes pendant lesquelles se tenaient les ateliers, ce qui nuisait à la motivation de certains étudiants qui se sentaient un peu mis à part : ils pouvaient percevoir le devoir de se présenter aux ateliers au lieu de participer aux activités plus récréatives comme un obstacle dans leur intégration à la vie parascolaire collégiale.

Bref, la session durant laquelle les ateliers de grammaire ont lieu – soit la première ou la deuxième, c’est-à-dire lorsque le parcours collégial est déjà entamé – tout comme le type de clientèle que cela implique semblent jouer pour beaucoup dans la motivation des étudiants. Ces deux facteurs affectent également le taux d’absentéisme et, par conséquent, l’ambiance de la classe, qui peut devenir plus ou moins propice à l’apprentissage.

Lien professeur-étudiants

Le lien existant entre le professeur et ses étudiants, par ailleurs, est une variable qui contribue grandement à la réussite d’une mesure d’aide. Lors de l’expérimentation de l’hiver 2003, les élèves qui formaient le groupe de Mise à niveau faisaient aussi partie de mes groupes du cours Écriture et communication (601-AWU-04)[2], soit le cours obligatoire de français propre au programme. Ce dernier cours s’adresse aux étudiants qui ne suivent pas la séquence habituelle des cours obligatoires de français.

Je rencontrais six heures par semaine les étudiants inscrits aux ateliers de grammaire. Par conséquent, je connaissais bien les forces et les lacunes de chacun, ainsi que leur cheminement en grammaire. De plus, ma façon d’aborder les notions grammaticales dans les cours réguliers et les ateliers était la même. Il en découlait des interventions beaucoup plus ciblées et plus efficaces, puisque mes élèves n’avaient pas à s’adapter à un nouvel enseignant. Je pouvais aussi m’autoriser une plus grande créativité ; j’ai organisé, par exemple, divers laboratoires Internet ainsi que des « olympiades grammaticales[3] » à la fin de la session. Pour toutes ces raisons, assister aux ateliers de grammaire semblait davantage perçu comme un privilège et non pas comme une obligation imposée aux étudiants peu doués.

Ajoutons à cela un plus grand lien de confiance entre les étudiants et moi. J’étais devenue pour plusieurs la référence en grammaire et ils ne se gênaient pas pour demander mon aide pour la rédaction de travaux exigés dans d’autres cours. Il est intéressant de noter que cette relation de confiance persiste aujourd’hui. En effet, certains de mes anciens étudiants du groupe, maintenant inscrits à l’université, continuent, à l’occasion, de me consulter !

À l’automne 2005, la réalité était tout autre. Je ne connaissais que très peu mes étudiants, puisque je ne les rencontrais pas en dehors des ateliers de grammaire. Je ne les voyais que deux périodes par semaine. J’avais même peine à retenir leur nom. De plus, ils relevaient de professeurs différents ayant chacun un rythme, une approche, des exigences et un discours particuliers. Par exemple, j’avais décidé de prendre en considération les nouvelles rectifications de l’orthographe, ce que ne faisaient pas systématiquement tous mes collègues. Ainsi, les élèves devenaient parfois plus confus qu’autre chose. Aussi, étant donné que le cheminement en grammaire ne se fait pas au même rythme chez tous les professeurs, les étudiants étaient loin d’être rendus au même point lorsque j’abordais une notion grammaticale : certains l’avaient vue en classe, d’autres non. Enfin, mon approche de la grammaire ainsi que les termes utilisés dans les explications différaient parfois de ceux de mes collègues, ce qui contribuait à mêler les étudiants plus qu’à les aider. Je devais sans cesse faire preuve de prudence dans mes interventions. De plus, le haut taux d’absentéisme ne me permettait pas de réaliser des activités aussi variées que lors de l’expérimentation de l’hiver 2003.

Enfin, le résultat devant apparaître sur le relevé de notes pour les ateliers de grammaire est le même que celui obtenu pour le cours de français propre au programme Langue et rédaction (601-AWV-04), réservé aux étudiants inscrits à un programme de technique, ou pour le cours Langue et expression (601-AWT-04), réunissant les étudiants des programmes pré-universitaires. Ainsi, les étudiants faisaient davantage confiance à leur professeur « régulier », puisque c’est ce dernier qui notait leurs résultats. Tous ces facteurs affectaient la qualité de mes interventions ainsi que l’atmosphère de la classe.

Ces observations ont été confirmées par les étudiants eux-mêmes à l’occasion de l’évaluation du cours en fin de session. La plupart ont mentionné l’importance d’avoir le même professeur pour le cours régulier et les ateliers. Ils se sentent plus en confiance et l’apprentissage s’en trouve facilité. Ainsi, le fait de donner les ateliers de grammaire à nos propres étudiants affecte positivement toute la dynamique des interventions. Ces dernières sont plus efficaces et l’ambiance de la classe ainsi que le lien affectif entre le professeur et les élèves s’en trouvent grandement favorisés, ce qui ne semble pas être le cas lorsque les étudiants proviennent de groupes à qui enseignent différents professeurs.

Conclusion

Les ateliers de grammaire demeurent grandement profitables aux étudiants qui participent activement à cette activité, peu importe la formule retenue. Tous ont admis avoir progressé en français et plusieurs ont même manifesté le souhait d’avoir une deuxième session pour parfaire leurs connaissances.

Cette double expérimentation permet toutefois de constater que le succès de l’application d’une mesure d’aide pour étudiants en difficulté relève d’un processus complexe. Une multitude de variables allant au-delà de la pédagogie proprement dite, et souvent hors de contrôle du professeur, forment une dynamique qui peut faire toute la différence entre une intervention réussie ou une autre décevante.

La « formule gagnante » ? Selon moi, il faudrait continuer à offrir les ateliers de grammaire aux deux sessions, en veillant à ce que ce soit un même professeur qui dispense à la fois le cours de français régulier et celui de mise à niveau. Cette formule aurait l’avantage de réunir tous les éléments contribuant à la réussite des élèves, laquelle reste la principale préoccupation de l’ensemble des intervenants.

  1. Cette décision prise par le Collège vise à dégager les professeurs du cours Mise à niveau de la responsabilité d’évaluer les étudiants et à faire de cette activité un soutien direct pour la réussite des cours réguliers de français. Nous bénéficions ainsi de plus de temps pour la réalisation en classe d’activités de renforcement en grammaire. Retour
  2. Précisons qu’au Cégep Beauce-Appalaches, le cours de français propre au programme se donne à la première session du parcours collégial, soit à l’automne, et porte le code 601-AWV-04 pour les étudiants inscrits à un programme pré-universitaire, et 601-AWT-04 pour les étudiants inscrits à un programme technique. Lorsqu’il est donné à la session d’hiver, le cours de français propre au programme prend alors le code 601-AWU-04. Il regroupe des étudiants dits « hors séquence » qui appartiennent à des programmes tant pré-universitaires que techniques. Dans tous les cas, la grammaire y occupe une place importante et 20 % des points y sont attribués. Retour
  3. Il s’agissait en fait d’une compétition amicale entre des équipes formées de trois étudiants. Chaque équipe devait subir une série d’épreuves : conjugaison de verbes, courtes dictées, recherche d’erreurs dans une phrase, accord d’un mot à l’écrit ou à l’oral, etc. La réussite de ces épreuves permettait d’accumuler des points, et les membres de l’équipe gagnante recevaient chacun une médaille ! Retour

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