Une méthode d’apprentissage de la grammaire
Àpartir de 1986, nous avons mis sur pied, au Département de linguistique de l’UQAM, une série de cours destinés aux étudiants francophones (que le français soit leur langue maternelle ou seconde) désireux d’améliorer la qualité de leurs textes et leur connaissance de la grammaire. Le matériel pédagogique que nous avons conçu pour le cours de premier niveau a été publié en 1989 ; depuis, il a été utilisé par environ 40 000 étudiants – surtout à l’UQAM, mais aussi dans d’autres universités et plusieurs cégeps. Nous vous présentons le fruit de cette longue expérience d’enseignement de la grammaire aux adultes : la seconde édition, complètement refondue, de Apprentissage de la grammaire du français écrit. Méthode pratique. Module 1[1].
Cette méthode vise à doter les étudiants de bases solides en analyse linguistique, à leur rendre familière la terminologie en usage dans les ouvrages de référence les plus utiles et à les rendre aptes à appliquer les règles fondamentales de la grammaire. Elle leur fournit tous les instruments dont ils ont besoin pour découvrir les règles par eux-mêmes et acquérir la capacité d’analyse permettant de les appliquer, pour les mettre en pratique et développer des automatismes. Elle convient donc aussi bien aux autodidactes qu’aux personnes qui préfèrent bénéficier de l’encadrement d’un professeur.
Tout en tenant compte des transformations que l’enseignement de la grammaire au secondaire a subies ces dernières années, la deuxième édition de notre méthode profite des suggestions et commentaires des utilisateurs de la première. Elle tire aussi avantage du travail que nous avons investi dans la conception d’une version multimédia de cet ouvrage ; bien que celle-ci ne soit encore qu’à l’état de prototype, son élaboration nous a amenées à renouveler entièrement la présentation de la version papier, et à la rendre aussi interactive et visuellement agréable que le permet ce support.
1. Le contenu et son ordre de présentation
Le Module 1 de notre méthode traite principalement de la conjugaison, des règles de base d’accord et de ponctuation, des fonctions syntaxiques, de la structure de la phrase et des unités syntaxiques, de la construction des compléments régis par le verbe, de l’emploi des prépositions et des pronoms relatifs. Choisie après une analyse des erreurs que nous avons relevées dans un corpus de plusieurs centaines de rédactions[2], cette matière est présentée selon un ordre qui assure aux étudiants un apprentissage progressif en leur fournissant au fur et à mesure les outils d’analyse et les connaissances théoriques nécessaires. On trouve dans les 22 chapitres de cet ouvrage un contenu répondant aux besoins réels de ses utilisateurs, et non la reproduction du contenu des ouvrages de référence.
Par exemple, la première règle de grammaire sur laquelle nous faisons travailler les étudiants est la règle générale de l’accord du verbe. Cette règle en apparence si simple, sur laquelle les ouvrages de référence passent si rapidement, est pourtant l’occasion d’un très grand nombre d’erreurs : ou bien les étudiants ont mal compris les concepts fondamentaux qui la sous-tendent, ou bien ils n’ont pas fait le lien entre ces concepts et leur application pratique. Pour accorder le verbe correctement, y compris lorsque son donneur d’accord en est éloigné ou lui est postposé, il faut reconnaître l’unité syntaxique qui exerce la fonction de sujet, déterminer sa catégorie – syntagme (« groupe ») nominal ou proposition – et, s’il s’agit d’un syntagme, trouver son noyau. En s’attaquant au problème concret qu’est l’accord du verbe dans des phrases aux constructions diverses, les étudiants se trouvent à assimiler les notions de syntagme et de noyau, de proposition, de fonction syntaxique, notions qu’ils réinvestiront et approfondiront ensuite dans d’autres situations tout aussi concrètes.
2. Le matériel
Le matériel du Module 1 est constitué d’un Manuel de référence en couleur (368 p.) et de trois cahiers en noir et blanc : Cahier d’observation (360 p.), Cahier d’exercices (112 p.), Corrigé du cahier d’observation et des exercices (174 p.).
C’est dans le Cahier d’observation qu’on aborde l’étude de chaque chapitre : ce cahier est le laboratoire où l’on effectue son cheminement inductif. On y observe des exemples illustrant une règle ou une généralisation linguistique, on pose des hypothèses, on les vérifie, on formule un principe qui rend compte de toutes les données et on le met immédiatement en pratique. Pour s’assurer de la validité de ses observations, de ses raisonnements et de ses réponses, on consulte la première partie du Corrigé.
Après avoir terminé le travail demandé dans la dernière section d’un chapitre du Cahier d’observation, on passe au Manuel de référence. Ce manuel est beaucoup plus qu’un répertoire des règles ou généralisations qu’on a soi-même découvertes. On y trouve des conseils pratiques, des mises en garde contre des erreurs courantes, des synthèses, des notes historiques et autres informations supplémentaires, dont certaines sont destinées aux « mordus » de la grammaire ; celles-ci ne sont jamais nécessaires pour comprendre la substance d’un chapitre, mais elles font le bonheur des curieux et des curieuses ! L’emploi des couleurs dans ce manuel n’a pas pour seul but d’en égayer la présentation : elles servent aussi à illustrer les catégories de groupes de mots et leurs fonctions. Par exemple, un syntagme nominal est représenté sur fond jaune, un syntagme adverbial sur fond vert, un sujet est encadré de beige, un prédicat de rouge.
La troisième étape de l’étude d’un chapitre consiste à mettre à l’épreuve, dans le Cahier d’exercices, les habiletés d’analyse et les connaissances que l’on vient d’acquérir. Chaque chapitre de ce cahier se termine par un test permettant de vérifier si on a suffisamment assimilé la matière de ce chapitre pour passer au suivant. Le Corrigé fournit des explications en plus des réponses.
3. L’approche pédagogique
Notre approche pédagogique a fait ses preuves au cours des années. Elle exige des étudiants un travail assidu, mais, en retour, elle leur assure une compréhension intelligente des phénomènes linguistiques, et l’acquisition de connaissances et d’habiletés qui feront d’eux des scripteurs compétents. S’appuyant sur une démarche inductive, elle part des problèmes concrets des usagers, et amène ceux-ci à tabler sur leurs connaissances intuitives pour s’approprier et mettre en pratique un modèle d’analyse performant.
L’induction
Il n’est pas toujours facile de convaincre les étudiants des bienfaits de la démarche inductive : croyant ainsi économiser du temps, beaucoup préfèrent aller immédiatement lire la « bonne » formulation de la règle. C’est pourquoi nous avons maximisé le caractère interactif du Cahier d’observation. Les étudiants sont appelés à manipuler de façon concrète les données linguistiques qu’ils ont à observer : ils doivent les classer selon tel critère, leur faire subir telle transformation, encadrer le groupe de mots qui exerce telle fonction, en relier un autre par une flèche au mot qui le régit, etc. Comme le cheminement inductif leur est présenté sous forme d’une activité pratique où ils sont guidés pas à pas, les étudiants s’y prêtent plus volontiers… et en récoltent les fruits.
Des problèmes concrets au modèle d’analyse
Plutôt que de commencer par essayer de faire absorber aux étudiants un appareillage théorique qui devrait les habiliter à dériver toute phrase d’un modèle de base, à représenter graphiquement sa structure et à étiqueter correctement tous ses noeuds, puis de leur montrer que cet appareillage est fort utile pour comprendre les règles de grammaire, nous adoptons la démarche inverse : nous partons des difficultés réelles qu’éprouvent les scripteurs et mettons à leur disposition les outils nécessaires pour les régler.
À mesure qu’ils progressent dans la résolution de problèmes concrets d’orthographe grammaticale, de construction des propositions relatives, etc., les étudiants s’approprient un à un tous les éléments d’un modèle d’analyse cohérent. En travaillant sur l’accord du verbe, ils comprennent à quoi servent les notions de syntagme et de noyau ; en travaillant sur le choix des pronoms relatifs, ils saisissent l’utilité des notions de pronom, d’antécédent, de transformation (d’une phrase de base en proposition relative) ; etc. Ils n’ont alors pas l’impression de « faire de la grammaire pour de la grammaire » ; ils constatent plutôt une amélioration immédiate de leur capacité à appliquer une règle, et cette amélioration les convainc de la nécessité de se doter de bons instruments d’analyse. Lorsqu’ils arrivent au chapitre 12, La structure de la phrase, ils savent déjà repérer différentes catégories d’unités syntaxiques, analyser leur organisation interne et identifier leur fonction. Ils ont déjà assimilé en grande partie le modèle théorique qu’on leur présente et expérimenté son efficacité.
Le recours aux connaissances intuitives
Tous les étudiants possèdent des connaissances intuitives sur le fonctionnement de leur langue ; ils ne savent cependant pas toujours en tirer parti. Ainsi, pourquoi confondent-ils si souvent dans leurs écrits le participe passé et l’infinitif des verbes du premier groupe ? Ces erreurs ne manifestent pas quelque incompétence syntaxique de leur part, puisqu’ils ne s’y trompent jamais lorsque le verbe appartient à un autre groupe. Le moyen le plus simple d’éviter ces erreurs est donc de remplacer le verbe « suspect » par un verbe d’un autre groupe : Ces travaux, je les croyais terminés (finis). Ce test de substitution est efficace parce que tous les locuteurs francophones savent dans quels contextes participes et infinitifs doivent respectivement apparaître.
À l’aide de manipulations linguistiques (substitutions, déplacements, effacements…), nous faisons prendre conscience aux étudiants des connaissances intuitives dont ils peuvent se servir pour résoudre beaucoup de problèmes de grammaire (dont tous les cas d’homophonie) et approfondir leur compréhension de la syntaxe. Par exemple, bien que peu d’entre eux soient en mesure de reconnaître à première vue la différence de structure entre On m’a informée que tu avais été élu et On m’a appris que tu avais été élu, la plupart sont capables de remplacer par les pronoms personnels adéquats les subordonnées que ces phrases contiennent : On m’en a informée. On me l’a appris. Cette simple manipulation leur démontre qu’ils ont la compétence pour distinguer les types de compléments de verbe et peuvent tabler sur cette compétence à tout moment de leurs activités d’écriture.
La mise en pratique
Les exercices que nous proposons sont conçus de façon qu’on ne puisse les réussir sans avoir compris la matière sur laquelle ils portent.
Par exemple, on ne peut accorder correctement les verbes des phrases ci-dessous en se fondant uniquement sur le sens, encore moins sur l’ordre des mots ; il faut savoir repérer un sujet, distinguer une proposition d’un syntagme et reconnaître le noyau d’un syntagme.
Qu’il y ait tant de souris dans le grenier nous empêche de dormir.
Rien d’autre que de vulgaires papiers sans valeur ne se trouvait dans le coffre.
Nous nous servirons des outils que nous prêteront nos amis.
Les étudiants transfèrent-ils dans leurs propres textes les compétences qu’ils mettent en pratique dans de tels exercices ? Il semble bien que oui, puisque beaucoup nous ont affirmé avoir vu s’améliorer leurs notes dans toutes les matières : ils ne perdaient presque plus de points pour la qualité du français…
4. Le modèle d’analyse
Notre modèle d’analyse en est un de « nouvelle[3] » grammaire si on entend par là un modèle qui assure une intelligence de la structure de la phrase et des unités syntaxiques qui la constituent, des propriétés de ces unités et des relations qu’elles entretiennent, des fondements syntaxiques des règles de grammaire. Il s’écarte toutefois sur certains points[4] de celui que préconise le ministère de l’Éducation, afin de rendre accessibles aux étudiants les ouvrages de référence indispensables qui ont cours dans toute la francophonie[5].
Pour les étudiants qui auront reçu un enseignement cohérent de la « nouvelle » grammaire, l’adaptation à la terminologie et au modèle d’analyse que nous utilisons se fera sans douleur. Quant à ceux qui auront été ballottés entre différentes approches, ils trouveront dans notre méthode des justifications claires pour tous les éléments de notre modèle d’analyse.
- ASSELIN, Claire et Anne MCLAUGHLIN, Apprentissage de la grammaire du français écrit. Méthode pratique. Module 1 (2e éd.), Montréal, Éditions Grammatix inc., 2003. En vente chez l’éditeur, au (514) 278-4034 (courriel : info@grammatix.ca). Retour
- Nous avons obtenu ce corpus en donnant un cours de rédaction à une soixantaine d’étudiants, qui devaient produire 14 textes d’environ 200 mots. Nous avons inventorié et analysé les erreurs de tout ordre que ces rédactions contenaient, du point de vue tant de la grammaire textuelle que de celle de la phrase, du code orthographique, de la conjugaison, du choix de mots, de la ponctuation, de la typographie. La quantité et la diversité de ces erreurs nous ont conduites à créer non pas un, mais trois cours offrant un enseignement systématique de la grammaire, et à rédiger les Modules 1, 2 et 3 de notre méthode. Une partie des résultats de notre analyse a été publiée dans la Revue de l’Association canadienne de linguistique appliquée, « Les erreurs linguistiques rencontrées dans les écrits des étudiants universitaires : analyse et conséquences », vol. 14, no 1, 1992, p. 13-30. Retour
- Les modèles linguistiques auxquels la grammaire dite « nouvelle » emprunte certains éléments ne sont pas particulièrement récents : l’analyse en constituants immédiats remonte à Language (Bloomfield, 1933) ; le modèle distributionnel à Methods in Structural Linguistics (Harris, 1951) ; le modèle transformationnel à Syntactic Structures (Chomsky, 1957), voire à The Philosophy of Grammar (Jespersen, 1924). Par ailleurs, si on peut reprocher à une certaine grammaire scolaire de s’être tenue à l’écart de l’évolution de la linguistique, d’avoir restreint son domaine au code orthographique, d’avoir formulé ses définitions en termes uniquement sémantiques, etc., on ne peut légitimement étendre ces reproches à toute la grammaire antérieure aux années 90. Retour
- Un de ces points de divergence est la répartition des « compléments de verbe », que le modèle du Ministère définit comme essentiels et non mobiles, et des « compléments de phrase », qu’il définit comme facultatifs et mobiles. Ce modèle gomme des distinctions pertinentes en rangeant dans une même catégorie, celle des « compléments directs », tous les compléments de verbe introduits directement : certains peuvent être remplacés par le, la, les ou devenir les sujets de verbes passifs (J’ai perdu ma journée, Nous avons célébré le jour des Rois, Jules m’a prêté cinquante dollars) ; d’autres ne présentent pas ces propriétés et commutent avec des adverbes (La vie des éphémères dure une journée, Nous sommes le 6 janvier, Ce livre coûte cinquante dollars). De plus, ce modèle ne reconnaît pas l’existence des compléments à la fois facultatifs et non mobiles (Nous avons coupé la tarte en deux. Je me suis blessé au genou. Cet homme mourra sans descendance. J’ai payé ce livre cinquante dollars). Retour
- Par exemple : les dictionnaires Robert et Larousse ; le Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, de Hanse et Blampain ; le correcteur Antidote ; la Nouvelle grammaire française, de Grevisse et Goosse ; Le bon usage refondu par Goosse. Ces ouvrages distinguent les compléments d’objet direct des compléments qui équivalent à des adverbes (ainsi les dictionnaires rangent-ils perdre, célébrer, prêter parmi les verbes transitifs, et durer, être, coûter parmi les intransitifs) ; leur classification, fondée sur d’autres critères que la mobilité, peut en outre rendre compte des compléments facultatifs et non mobiles. Retour
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