À la découverte de la phrase autonome
Une fois posé le principe de base selon lequel c’est le rapport de l’étudiant à sa propre écriture, à son propre texte qu’il faut modifier, nous devons élaborer des approches pédagogiques pour atteindre notre objectif. La nouvelle grammaire est alors un outil extrêmement précieux. En effet, une de ses innovations fondamentales est d’aller du général au particulier, de la phrase au mot. Elle permet ainsi de bâtir une stratégie structurante. D’un point de vue pédagogique, qu’est-ce que cela change, de commencer par la phrase ?
Avant tout, cela nous oblige à mettre au point de nouvelles définitions de la phrase et, surtout, à changer de regard. En effet, nous ne pouvons pas décider de modifier l’ordre d’apprentissage des différentes unités grammaticales du langage tout en continuant à les décrire de la même façon. Si nous commençons nos observations par celle de la phrase, nous ne pouvons plus la définir comme un ensemble composé d’un sujet, d’un prédicat et, éventuellement, de compléments de phrase, puisque l’étude de ces notions est reportée à plus tard. Il nous faut alors faire de la phrase syntaxique autonome notre premier objet d’étude et la présenter comme un ensemble de mots construit autour d’un verbe et pouvant être délimité par des points.
Cette façon d’observer la phrase est déstabilisante pour nous qui sommes habitués à la définir par son contenu. En effet, dorénavant, il s’agit de la décrire par ses limites et ses enchaînements. Concrètement, cela signifie qu’il y a autant de phrases qu’il y a de verbes conjugués, mais que le nombre de phrases autonomes correspond au nombre de verbes moins le nombre de subordonnants. Pourquoi ? Tout simplement parce que les subordonnants n’ont pas la même valeur (à la fois syntaxique et sémantique) que les coordonnants. Cette différence devient alors très intéressante à observer : certaines phrases entretiennent un rapport de sens plus étroit que d’autres, et ce rapport se concrétise dans le lien – ou l’absence de lien – syntaxique (signe de ponctuation, coordonnant ou subordonnant).
Les applications pédagogiques de cette notion sont extrêmement riches. Comme toujours avec la nouvelle grammaire, il faut commencer par observer des textes (rien de tel qu’une petite nouvelle rédigée dans un niveau de langue neutre et dans laquelle on sélectionne soigneusement des passages à observer). L’observation comprendra plusieurs étapes : reconnaissance des verbes conjugués (encadrement par « ne » et « pas » et modification de temps) ; repérage des signes de ponctuation et des mots-liens ; parmi ces derniers, repérage des coordonnants et des subordonnants ; calcul du nombre de phrases syntaxiques autonomes et, finalement, leur découpage. Il est crucial, à ce stade de l’observation, de se limiter à ce niveau d’analyse, de ne découper que les phrases autonomes et de ne pas se perdre dans l’analyse des phrases subordonnées. Une fois cette analyse effectuée, il peut être très fécond d’observer la façon dont les phrases s’enchaînent (le choix des mots-liens). C’est également le moment de revoir les règles de ponctuation entre les phrases et d’observer leur application.
Cette étape d’observation doit permettre à l’étudiant de bien comprendre comment se structure tout discours écrit et donc d’en structurer un. C’est alors à son tour de produire un texte qu’il pourra découper en phrases autonomes. On peut même lui imposer un certain nombre de mots et de phrases, voire de coordonnants, de façon à éviter la succession de petites phrases juxtaposées et à le forcer à retravailler son texte. Les difficultés soulevées par l’exercice ouvrent la voie à de nombreuses découvertes. Où sont les phrases autonomes dans mon texte ? Que faire quand j’ai autant de subordonnants que de verbes conjugués dans une phrase ? Comment transformer deux phrases autonomes en une seule ? À tel endroit, dois-je utiliser un coordonnant ou un subordonnant ? Qu’est-ce que cela change, du point de vue syntaxique et du point de vue sémantique ? Où dois-je mettre les virgules ? En bout de ligne, le bénéfice est immense : l’étudiant commence à regarder son texte comme une suite de phrases autonomes – dont certaines ont déjà été corrigées par le décompte des verbes conjugués et des subordonnants – qu’il peut retravailler de toutes sortes de façons.
Cette nouvelle attitude face à son écriture lui permettra tout au fil de la session de prendre progressivement conscience des grands principes dont il ne doit pas déroger et de les appliquer au fur et à mesure qu’il les comprend. Elle a aussi l’avantage de ne pas reposer sur un rabâchage frustrant de notions déjà apprises par cœur et souvent considérées comme stériles. Il suffit ensuite d’étendre ce point de vue à l’analyse plus pointue des différents constituants de la phrase.
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