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La planification d’un texte: pourquoi, comment?

La planification d’un texte: pourquoi, comment?

« AS-TU FAIT UN PLAN? » Voilà ce que mon père me demandait quand il lisait l’un de mes travaux et percevait que mon texte était mal structuré. Plus tard, comme enseignante de français langue première au secondaire, j’ai à mon tour posé la question à certains élèves. Devant leurs interrogations et les miennes au sujet de l’utilité d’un plan écrit, force me fut de constater que le sujet méritait qu’on l’étudie en profondeur, ce que j’ai entrepris dans le cadre d’une recherche de maitrise[1] en didactique du français. Je résumerai ici les principaux constats de travaux concernant l’intérêt de la planification, son emploi chez les novices et les experts, et ses limites – certes utile, le plan ne fait pas de miracles non plus. Souhaitons que ces connaissances pourront orienter les interventions des enseignants.

Qu’est-ce que planifier, en fait?

La planification d’un texte consiste à d’abord rechercher des idées, puis à les organiser en fonction des exigences de la situation de communication et du genre de texte à produire. On entend par situation de communication le destinataire du texte, son auteur – qui il est et à quel titre il s’exprime dans son texte : élève, fils, athlète, citoyen… –, le but poursuivi, ainsi que le moment et le lieu de sa diffusion. Quand il planifie, le scripteur évalue les connaissances de son lecteur présumé afin de lui donner suffisamment d’informations pour être compréhensible sans être ennuyeux[2].

La planification doit aussi se faire en fonction du genre de texte. Ainsi, pour une lettre ouverte, l’auteur choisit d’entrée de jeu s’il sera présent dans son texte au moyen du je – par exemple, s’il est un spécialiste du sujet traité et peut en appeler à son autorité – ou du nous – s’il désire s’exprimer au nom d’un groupe de citoyens, des membres d’une organisation, ou employer le nous de modestie – , ou encore, s’il s’effacera pour donner une impression d’objectivité. Ce choix ne se présente pas s’il rédige une lettre de motivation à joindre à son curriculum vitæ, où seul le je sera employé. Le scripteur expert connait ces distinctions génériques et en tient compte dans la planification. Toutefois, c’est à l’enseignant de les présenter aux élèves ou, mieux, de les leur faire découvrir par la lecture de textes modèles du genre.

Faire ou ne pas faire de plan

La planification est utile pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle permet une mise à distance des idées: le scripteur peut les formuler, les critiquer, les comparer avec des sources et les ordonner sans être empêtré dans le matériau que sont les paragraphes, les phrases et les mots. Le mot texte est de la même famille étymologique que tisser; à l’étape de la rédaction proprement dite, construire un texte implique d’établir nombre de liens par des reprises pronominales, l’emploi d’organisateurs textuels, etc. Ces liens sont difficiles à défaire sans reprendre l’ensemble du texte, ce qui peut décourager les novices – voire les experts – de modifier l’ordre des idées. Construire un texte cohérent ressemble à bâtir une maison : les architectes savent qu’il vaut mieux concevoir un projet dans un matériau léger, peu coûteux – un plan sur papier – puisque, une fois la construction commencée, il est difficile de reculer.

Par ailleurs, la mise par écrit des idées premières en crée parfois de nouvelles (Fayol, 1996) : de fait, des idées se retrouvent placées côte à côte, amenant le scripteur à voir de nouvelles possibilités, à comparer leur valeur et à produire des connaissances. Ainsi, un élève qui placerait dans son plan des extraits portant sur un personnage du roman à analyser pourrait constater qu’un champ lexical lié à un animal est constamment employé par l’auteur chaque fois qu’il est question de ce personnage. Si l’élève n’avait pas mis ces citations l’une à la suite de l’autre sur papier, il n’aurait pu en arriver à cette conclusion, ces passages étant disséminés dans le roman. Voilà un exemple où rédiger un plan engendre des connaissances.

Planifier permet enfin de diminuer le cout cognitif de la rédaction. Ainsi, gérer les connaissances et leur enchainement hors de la mise en texte libère de l’espace cognitif lors de la rédaction, espace qui pourra servir à choisir le vocabulaire, à effectuer les accords, etc. La rédaction sera d’ailleurs d’autant plus aisée que le sujet est maitrisé par le scripteur, certains chercheurs (Olive et Piolat, 2005; Fayol, 1996) affirmant même que la connaissance du sujet prime celle de la langue pour déterminer la qualité finale du texte. En outre, des chercheurs (Roussey et Piolat, 2005) ont observé que les scripteurs experts planifiaient davantage lorsqu’ils devaient traiter d’un sujet moins connu, les débutants se rabattant plutôt sur une révision en fin de course. Cet aspect mériterait d’être souligné aux élèves, ceux-ci croyant à tort qu’on leur impose un plan écrit parce qu’ils sont jugés peu compétents. Pour la classe de français langue première, un travail en profondeur sur le sujet fera en sorte que des lacunes sur le plan du contenu ne viendront pas altérer la performance de l’élève sur le plan rédactionnel. Une autre possibilité pour pallier ce risque est de travailler en interdisciplinarité, c’est-à-dire de demander à l’élève d’écrire un texte sur un sujet qu’il étudie dans un autre cours. Bien sûr, prévoir des projets d’écriture interdisciplinaires est plus aisé au primaire: l’enseignant de français étant aussi celui de sciences, il peut faire rédiger sur une notion scientifique qu’il sait connue de ses élèves. Or une collaboration entre enseignants du secondaire ou du collégial permet de construire de telles situations d’apprentissage. Au cégep, la production d’écrits en lien avec un programme technique faciliterait la rédaction, puisque les élèves seraient à l’aise avec le contenu. Cela augmenterait aussi leur motivation, car ils verraient la pertinence de produire des textes de genres nécessaires à leur futur métier, tels que des rapports de laboratoire, des communiqués de presse, etc.

Comment les novices planifient-ils? Et les experts?

Au cours de leur apprentissage de l’écriture, les scripteurs développent différentes stratégies de planification; elles seront présentées ici de la moins experte à la plus experte. De façon générale, la stratégie des connaissances rapportées est employée au primaire; celle par analogie, au secondaire; quant à celle par abstraction, elle se développe tout au long de la scolarité postsecondaire et même après. Ces balises ne sont données qu’à titre indicatif: tout enseignant de français sait que les aptitudes se développent de façon variable d’un élève à un autre. Notons enfin que les experts cumulent les stratégies et choisissent laquelle employer selon les besoins spécifiques du texte à produire.

Les rédacteurs débutants emploient la stratégie des connaissances rapportées, c’est-à-dire qu’ils rédigent les informations au fur et à mesure qu’elles sont récupérées en mémoire à long terme. Ils ne tiennent pas compte de la situation de communication et construisent leur texte pas à pas (Chanquoy et Alamargot, 2003; Alamargot et Chanquoy, 2002). Ils alternent la mise en texte et la planification. Chez les experts, la planification en cours de rédaction sert surtout à évaluer le plan à un certain point de la rédaction soit pour le modifier, soit pour retravailler le texte déjà produit (Hayes et Nash, 1996). En d’autres mots, les experts ne planifient pas uniquement avant la mise en texte : ils reconsidèrent leur plan au besoin en fonction du texte existant.

Pour la rédaction du plan, les scripteurs d’une certaine expérience recourent quant à eux à la stratégie par analogie (Hayes et Nash, 1996). Économique cognitivement, celle-ci consiste à reprendre un plan déjà connu et à y insérer ses idées. C’est généralement l’approche enseignée au secondaire, à l’aide du schéma narratif pour le récit ou de formules telles que Dans l’introduction, il faut d’abord le sujet amené, suivi du sujet posé et du sujet divisé. La stratégie par analogie a sa pertinence didactique, puisqu’elle limite les possibles et facilite l’organisation des idées, ce qui convient à certains genres purement scolaires comme la dissertation. Toutefois, pour la production de textes de genres sociaux (critique de film, lettre de motivation, etc.), les consignes d’écriture devraient épouser les caractéristiques génériques réelles. Les plans classiques devraient conséquemment être revus et adaptés (Schneuwly, 2008). Par exemple, les lettres envoyées par les lecteurs dans les journaux sont généralement très brèves (moins de 200 mots) et leur introduction ne correspond pas à la forme scolaire mentionnée plus haut. Elles commencent plutôt par une mise en contexte en lien avec l’actualité, qui permet de mieux saisir le point de vue exprimé. En 5e secondaire, l’épreuve ministérielle exige néanmoins des élèves la production d’une lettre ouverte de 500 mots et les enseignants leur recommandent d’y inclure une introduction et une conclusion de la forme de celle de la dissertation, ce qui ne convient pas à ce genre. Lorsqu’on l’enseigne sans l’adapter, le plan classique amène donc les élèves à développer des connaissances textuelles qui ne correspondent pas à celles requises dans la vie du citoyen.

Les scripteurs experts ont une dernière corde à leur arc : la stratégie par abstraction (Hayes et Nash, 1996; Alamargot et Chanquoy, 2002), qui consiste à établir d’abord les idées générales, puis à s’intéresser progressivement aux aspects plus particuliers à traiter. De même, on s’assurera d’abord que les buts premiers sont atteints – par exemple, convaincre dans le cas d’une lettre ouverte – avant de considérer des objectifs secondaires, tels que divertir pour maintenir l’intérêt. Chez les experts, les idées sont classées non pas en fonction d’un plan préétabli, mais plutôt en fonction de la situation de communication et des particularités du genre rédigé. Elles sont formulées dans le plan sous la forme de syntagmes courts, faciles à déplacer. Dans un plan pour une analyse littéraire, on pourrait avoir : « description personnage : animal violent » ou « comparaisons péjoratives : extraits p. 12-25 »; pour une lettre ouverte : « Paragr. 1 : histoire vécue »; « Paragr. 2 : réfutation argument basé sur l’autorité ». Ces syntagmes sont autant de clés pour récupérer en mémoire à long terme les connaissances qui y sont rattachées. Ce type de planification est ardu pour des novices, qui peinent à garder simultanément en mémoire de travail tous les aspects de la situation de communication – pour en tenir compte dans l’organisation et la sélection des idées – en plus des idées elles-mêmes.

En outre, les scripteurs débutants ont de la diffi- culté à formuler des phrases à partir des quelques mots généraux employés dans le plan. Ces deux derniers constats expliquent pourquoi ce n’est qu’entre la 1re et la 3e secondaire que les élèves parviennent réellement à employer efficacement un plan écrit – même celui par analogie – pour la rédaction de leurs textes (Chanquoy et Alamargot, 2003). Dans le cas de novices, une planification réalisée oralement, par exemple en formulant les idées en groupe, ou même mentalement, aura le même effet sur la qualité du texte (Hayes, 1995).

La planification : un remède, pas une panacée

Quelques mises en garde s’avèrent nécessaires concernant la planification. D’une part, il ne faudrait pas croire qu’elle doit être complétée dès le début du processus d’écriture, puis maintenue d’un bout à l’autre de l’opération. S’il est vrai que les scripteurs experts planifient davantage au départ – nous avons vu pourquoi –, il reste qu’ils reviennent à leur plan et le modifient aussi par après (Chanquoy et Alamargot, 2003). En fait, la compétence en écriture consiste en cette capacité de passer efficacement d’un sous-processus à l’autre selon les exigences de la tâche. D’autre part, le temps accordé par les scripteurs à la planification est le même qu’elle soit faite au départ ou en cours de route. Cependant, Hayes (1995) a montré que ceux qui planifiaient au début passaient généralement plus de temps au total à travailler leur texte et en produisaient de meilleurs. En d’autres mots, ce ne serait pas le temps de planification même qui importerait, sinon le temps accordé à la tâche de rédaction dans son ensemble. Les scripteurs experts – et ceux qui le deviennent – ne sont pas ceux qui planifient le plus. Ils sont ceux qui font plus de tout : plus de recherche sur le sujet, mais aussi plus de relecture et plus de révision. L’enseignement de la planification ne devrait donc pas prendre le pas sur celui des autres sous-processus de l’écriture ni sur l’étude d’opérations linguistiques telles qu’exemplifier, définir ou paraphraser (Masseron, 2001).

Ces constats soulignent la place importante de la motivation : consacrer plus de temps à la rédaction d’un texte amène nécessairement le scripteur à y déceler et à y régler davantage de problèmes. Comme enseignants, peut-être devrions-nous reconsidérer le peu de temps imparti aux élèves pour l’écriture d’un texte? Rappelons enfin que l’enseignement de la planification ne se limite pas à l’enseignement de plans donnant l’ordre dans lequel sont placés les contenus dans les paragraphes. Il faut lire sur le sujet, lire des textes du genre à produire pour en dégager l’organisation et les caractéristiques, et définir les paramètres de la situation de communication.

* * *

  1. Je remercie Hélène Rousseau, enseignante au collège Saint-Charles-Garnier à Québec, et Suzanne-G. Chartrand, didacticienne du français à l’Université Laval, pour leurs commentaires justes et pertinents concernant le présent article. Celui-ci, le premier de quatre sur le processus d’écriture, est un condensé d’une maitrise en didactique du français dirigée par Suzanne-G. Chartrand. Le mémoire fait la synthèse de connaissances sur l’écriture et le processus scriptural, à partir de références éditées entre 1995 et 2010, et d’articles publiés entre 2000 et 2010 dans les revues Pratiques, Le Français aujourd’hui et Repères. Il sera bientôt disponible sur le site de la bibliothèque de l’Université Laval. [Retour]
  2. À cet égard, la dissertation littéraire est un exercice critiquable: l’élève sait que son lecteur – l’enseignant – a lu le livre à analyser. Or, il doit rédiger son texte comme si ce n’était pas le cas. Ce genre d’écrit ne permet donc pas d’apprendre à adapter son texte au niveau de connaissances de son destinataire. [Retour]

POUR APPROFONDIR LE SUJET

ALAMARGOT, D., et L. CHANQUOY (2002). « Les modèles de rédaction de textes », dans FAYOL, M. (éd.). Production du langage, Paris, Hermès Science Publications, Lavoisier, p. 45-65.

CHANQUOY, L., et D. ALAMARGOT. (2003). « Mise en place et développement des traitements rédactionnels : le rôle de la mémoire de travail », Le langage et l’homme, vol. 38, n° 2, p. 171-190.

FAYOL, M. (1996). « La production du langage écrit », dans DAVID J., et S. PLANE (éd.). L’apprentissage de l’écriture de l’école au collège, Paris, Presses universitaires de France, p. 9-36.

HAYES, J. R. (1995). « Un nouveau modèle du processus d’écriture », traduit de l’anglais par G. Fortier, dans BOYER, J.-Y., J.-P. DIONNE et P. RAYMOND (éd.). La production de textes: vers un modèle d’enseignement de l’écriture, Montréal, Les Éditions Logiques, p. 49-72.

HAYES, J. R., et J. G. NASH (1996). « On the Nature of Planning in Writing », dans LEVY, C. M., et S. RANS- DELL (éd.). The Science of Writing: Theories, Methods, Individual Differences, and Applications, Mahwah, Lawrence Erbaum Associates, p. 29-55.

MASSERON, C. (2001). « Du projet de discours à la langue du discours produit: nature et enjeux des
erreurs scripturales », Pratiques, n° 109-110, p. 207-247.

OLIVE, T., et A. PIOLAT (2005). « Le rôle de la mémoire de travail dans la production écrite de textes », Psychologie française, no 50, p. 373-390.

PARADIS, H. (2012). Synthèse des connaissances en didactique du français sur l’écriture et le processus scriptural, Mémoire (M.A.), Université Laval.

ROUSSEY, J.-Y., et A. PIOLAT (2005). « La révision du texte: une activité de contrôle et de réflexion », Psychologie française, n° 50, p. 351-372.

SCHNEUWLY, B. (2008). « Des outils pour écrire », dans SCHNEUWLY, B. (éd.). Vygotski, l’école
et l’écriture
. Genève, Cahier de la section des sciences de l’éducation, p. 117-133.

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