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Pourquoi des cours de français en Techniques d’éducation à l’enfance?

Pourquoi des cours de français en Techniques d’éducation à l’enfance?

Échos de recherche
Menée par l’auteure du présent article, la recherche intitulée Sens et utilité du français et de la philosophie pour les élèves en Techniques d’éducation à l’enfance est subventionnée par le Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA) du ministère de l’Éducation du Québec. En 1999-2000, Hélène Houle, actuellement conseillère pédagogique au cégep de Sainte-Foy, y a collaboré. Pour 2000-2001, Richard Gervais, professeur de philosophie et Suzanne Côté, professeure en Techniques d’éducation à l’enfance au campus Notre-Dame-de-Foy, y participent. Margot Kaszap, de l’Université Laval, y collabore également.

Notre recherche consiste en une collecte des représentations du français et de la philosophie que se font les élèves en Techniques d’éducation à l’enfance (TEE[1]) dans leur formation collégiale au campus Notre-Dame-de-Foy. Elle a un triple but : connaître les perceptions de ces élèves quant au sens et à l’utilité de ces disciplines ; connaître les obstacles auxquels elles font face et faire part des solutions qu’elles proposent. Étant donné l’état actuel de nos travaux, nous ne pouvons présenter de résultats. Toutefois, dans le présent article, nous voudrions répondre à deux questions qu’on nous a souvent posées depuis le début de notre recherche : pourquoi une professeure du secteur technique s’intéresse-t-elle à la problématique de la réussite des cours de français au collégial ? Pourquoi veut-elle la comprendre à partir des représentations des élèves ?

Une diplomation alarmante des élèves en TEE

Selon le Conseil supérieur de l’éducation (1995[2]), un peu plus du quart des élèves des programmes techniques obtiennent leur DEC. Les élèves en TEE ont un des plus bas taux de diplomation (CSE, 1997[3]). À notre collège, nous constatons qu’en 1999, 34 p.100 des élèves en TEE ont réussi leur DEC en trois ans (CNDF, 2000[4]). Les échecs ou les abandons se retrouvent, entre autres, à l’état endémique dans les cours de français, véritable pierre d’achoppement pour ces élèves. Pourquoi ? Selon la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (1996[5]), les facteurs en cause seraient les antécédents scolaires des élèves, l’orientation et les changements de programme, l’effet de la formation générale et l’attrait du marché du travail. Le Conseil supérieur de l’éducation (1997[6]), quant à lui, ajoute le fait que les élèves tendent à reporter à plus tard les cours de formation générale étant donné la charge de travail dans les cours de spécialisation, la durée des études et la possibilité d’obtenir sans DEC un emploi en service de garde. Pourtant le diplôme d’études collégiales en TEE, ou l’équivalent, se veut, en termes d’exigence de formation, la condition d’accès à l’emploi .

Une dépréciation de la formation générale

Le contexte de notre problématique est complexe. La dévaluation du diplôme d’études collégiales semble attribuable à des facteurs sociétaux, institutionnels ou propres aux cégépiens eux-mêmes. Du côté du marché du travail en services de garde, l’élève a cette possibilité d’emploi sans détention du DEC et, dans ce milieu, le rôle et la place d’une formation générale n’y semblent pas compris. Du côté institutionnel, le désintérêt des élèves envers la formation générale est souvent associé à leurs besoins, qualifiés d’utilitaristes, d’où cette impression que les élèves abandonnent en premier ces cours ; il y a aussi le fait que la diplomation, depuis la réforme de l’enseignement collégial, requière le double passage obligé de l’épreuve synthèse de programme et de l’épreuve uniforme de français. À ces facteurs s’ajoute le manque de motivation plus ou moins avoué de ces élèves pour les cours de formation générale, qui s’exprime dans cette boutade à la Deschamps : « Qu’ossa ça donne ? »

L’enseignement collégial se caractérise par une formation générale commune et donc par la cohabitation des formations techniques et préuniversitaires[7]. Poser la question du sens et de l’utilité du français pour les élèves inscrites en TEE pourrait sembler découler de notre volonté d’amorcer un débat sociopédagogique puisque ce débat existe actuellement au sein du réseau des services de garde[8]. Telle n’est pas notre intention. Les élèves de la filière collégiale technique sont intéressés de façon manifeste par une spécialisation. Poser notre question pourrait laisser sous-entendre que l’on pourrait outiller les élèves quant à la qualité de la langue, dans les cours de formation spécifique. Ce n’est pas non plus notre intention. L’apprentissage et la maîtrise du savoir-parler et du savoir-écrire demeurent essentiels puisqu’ils font référence au patrimoine culturel et à sa préservation (ministère de l’Éducation, 1997[9]). Cependant, nous ne pouvons ignorer la conjoncture qui prévaut dans le réseau des services de garde et dans le régime collégial. Les élèves en TEE sont en panne ou en quête du sens et de l’utilité du français dans leur formation collégiale et elles manquent de persévérance pour ce qui est de terminer avec succès et satisfaction ces cours.

Précisions sur notre position

Tout le monde le sait : l’élève n’arrive pas « vide » aux cours de formation générale puisqu’elle a une histoire scolaire et qu’elle a eu à lire et à écrire pour obtenir son diplôme du secondaire, condition d’accès au collégial. Pour poursuivre ses études, elle doit savoir lire et savoir écrire (Perrenoud 1992[10]). La supposition, souvent entendue, que les élèves en TEE n’aiment pas lire, ne savent ni lire ni écrire ne nous satisfait pas. La supposition, souvent faite aussi, qu’elles seraient incapables de suivre les cours de français, pour x raisons, ne nous convient guère davantage. Ces deux suppositions nous apparaissent erronées a priori.

Selon nous, le problème du sens et de l’utilité, chez tout élève du secteur technique, s’inscrit dans son rapport à la formation, y compris celui qu’elle ou il a avec le français, une des disciplines-mères de la formation générale. Or, le sens et l’utilité d’une discipline modulent tout autant les actes de l’enseignement que ceux de l’apprentissage parce que l’un ne va pas sans l’autre. Les enseignants et enseignantes du réseau collégial prennent de plus en plus conscience de la nécessité d’intervenir pour améliorer la compétence langagière des élèves. Notre position est liée à cette nécessité d’intervention.

Le point de vue des élèves : un point de départ et un point d’arrivée

Les points de vue de divers chercheurs[11] font ressortir à nos yeux l’importance de tenir compte de la signification que l’élève en TEE accorde au savoir pour vérifier si elle étudie « sans savoir » ce qu’elle apprend ou si elle sait pourquoi elle abandonne ou rate les cours de français. Une bonne partie d’une formation scolaire, selon les travaux de Sallaberry (1996[12]), tient aux représentations que les élèves élaborent sur la pertinence même de ce qui leur est proposé. D’où notre choix méthodologique.

Nos présupposés sur la formation générale

S’interroger sur la problématique du sens et de l’utilité du français au collégial devient un peu casse-cou quand la chercheuse détient sa compétence non du secteur de la formation générale, mais du secteur technique. Il est clair que nous ne voulons pas juger de la valeur de la discipline du français dans sa construction pédagogique et sa place institutionnelle. Mais revenons alors à la question de départ : pourquoi relever les représentations des élèves concernant la formation générale si notre compétence est de l’ordre de la formation spécifique ? Dans notre recherche, nous avons eu justement à faire face à l’angoisse de jeter un regard sur la formation générale, tout en sachant que ce monde est différent du nôtre, que les outils pédagogiques et didactiques sont différents, que les exigences tant sur le plan de la transmission des contenus que sur celui des balises ministérielles y sont également différentes. Nous avons donc relevé les présupposés de notre engagement dans une telle problématique de recherche, et nous les présentons ici.

Cela nous atteint dans notre propre goût pour la lecture de voir les élèves en TEE y éprouver des difficultés…

  • parce que, pour nous, la lecture fait partie des conditions d’accès à l’autonomie personnelle et professionnelle de tout individu ;
  • parce que la lecture est un tête-à-tête avec notre monde intérieur, offrant mille et un soubresauts par ses interférences avec lui ;
  • parce que la lecture met à portée de mains une panoplie d’informations, l’oeil y glanant des mots, des détails, des images ;
  • parce que savoir-lire, pour une éducatrice, devrait se faire avec aisance.

Cela nous atteint dans notre propre goût pour l’écriture de voir les élèves en TEE y éprouver des difficultés…

  • parce que, pour nous, l’écriture sert de dialogue entre l’oeil qui lit ce qui s’écrit et la main qui trace au fur et à mesure la pensée qui se forme ;
  • parce que l’écriture est une mise à distance immédiate de nos préoccupations et de nos argumentations, représentations individuelles à partager et à joindre à la pluralité de points de vue ;
  • parce que savoir-écrire, pour une éducatrice, devrait se faire avec aisance.

Cela nous atteint dans notre propre besoin de nous approprier les subtilités du sens de voir les élèves en TEE se dire aux prises avec des non-sens dans leur formation générale…

  • parce que, pour nous, le sens de chaque chose semble sans limite dans sa découverte et dans son ressort existentiel ;
  • parce que la recherche de sens interrogée et secouée par les vicissitudes du quotidien aide à nous centrer sur notre propre finitude ;
  • parce que l’accès au sens des choses, grâce à des heures dites de formation générale, ouvre à des dimensions du savoir et, du même coup, à nos propres dimensions ;

  • parce qu’une éducatrice doit développer une pensée personnelle, autant celle qui permet de trouver ses propres « nourritures terrestres[13] » que celle qui permet d’être un reflet de son cheminement, miroir dans lequel le tout jeune enfant peut choisir de trouver un modèle à suivre ou à contester.

Cela nous atteint dans la valeur que nous conférons nous-même à la formation générale en langue et en littérature de voir les élèves en TEE n’y trouver qu’un sens et une utilité mitigés…

  • parce que la formation générale est un moyen d’entrer en contact avec des littéraires (poètes, écrivains, essayistes) qui ont inscrit à travers leurs mots l’essence de la vie humaine ;
  • parce que cette formation est dite générale justement en raison de cet exercice de reconnaissance de nos racines d’humains, inscrites dans l’histoire de la pensée et dans celle des grands courants littéraires qu’elle contient et promeut ;
  • parce que la formation générale est un moyen de ne pas enfermer l’élève dans une formation technique pointue car les cégépiens sont, selon nous, à l’âge d’une appropriation de leur pensée au contact de la pensée des autres.

Cela nous atteint tout particulièrement dans notre propre conception de la littérature d’entendre les élèves en TEE trouver ces cours « plates »…

  • parce que, pour nous, la littérature correspond à cette double attitude fondamentale d’un imaginaire constamment à imaginer et d’une mise à distance de la réalité à l’aide des situations décrites dans les romans, les poèmes, les essais ;
  • parce que la littérature, par son savoir-exprimer, est un contact direct avec la langue constamment construite et reconstruite par l’alchimie des vingt-six lettres de l’alphabet ;
  • parce que la littérature nous place face à ce qu’est, en partie, une éducatrice : à la fois une narratrice, une conteuse, une poète, une inventeuse d’histoires et de réel, une créatrice de sens par les mots qu’elle utilise, aidant l’enfant à former les siens.

Un avant-goût de nos résultats

Notre recherche, par ses objectifs, rejoint le triple questionnement du Conseil supérieur de l’éducation (1997 : 45).

Conseil supérieur de l’éducationNos objectifs
La clarification et la reconnaissance des finalités de la formation généraleLa recherche des points de vue des élèves sur le sens et l’utilité de la formation générale
L’arrimage comme réponse à la recherche du sens de la formation généraleLa recherche des points de vue des élèves sur leurs capacités et leurs obstacles dans ces cours
Les leviers possibles de mise en oeuvre de l’arrimageLa recherche des points de vue des élèves sur les solutions pour réussir ces cours
De notre réflexion quant à la place et au rôle de la formation générale dans les programmes techniques, en particulier le nôtre, nous osons déjà espérer tirer des pistes concrètes de solution pour la réussite des élèves. Sans diminuer le contenu des cours ou les exigences du DEC, une collecte d’informations provenant directement des élèves sera sûrement utile à promouvoir la qualité de la langue, pièce maîtresse de l’éducation à la citoyenneté.

* * *

  1. L’appellation Techniques d’éducation en services de garde (TESG) s’est mutée en Techniques d’éducation à l’enfance (TEE). L’ensemble des élèves étant des filles, nous utilisons le féminin. Retour
  2. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION (1995). Des conduites de réussite au collégial. Réflexion à partir de points de vue d’étudiants, Avis au ministre de l’Éducation, Québec, 124 p. Retour
  3. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION (1997). Pour une formation générale bien enracinée dans les études techniques collégiales, Avis à la ministre de l’Éducation, Québec, 88 p. Retour
  4. CAMPUS NOTRE-DAME-DE-FOY (2000). Plan triennal de réussite, version 12 octobre 2000, Saint-Augustin-de-Desmaures, 17 p. Retour
  5. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION (1996). COMMISSION D’ÉVALUATION DE L’ENSEIGNEMENT COLLÉGIAL. Évaluation des programmes de Techniques d’éducation en services de garde, rapport synthèse, Québec, Gouvernement du Québec. Retour
  6. MINISTÈRE DE LA FAMILLE ET DE L’ENFANCE (1997). La formation du personnel de garde, Québec, Gouvernement du Québec ; AEETESG (1998). Formation en Techniques d’éducation en services de garde et règlement sur les centres de la petite enfance : Une question de reconnaissance de la qualité, Document de réflexion et recommandations, L. Besner, octobre, St-Jérôme, Cégep de St-Jérôme ; ASGEMSQ, (1998). « Places à 5 $ et réglementation. Une première au Québec : Une réglementation pour les services de garde en milieu scolaire », B. Guy, Montréal, Gardavue, 13e année, no3, octobre, p.12 ; CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION (1996). Pour un développement intégré des services éducatifs à la petite enfance : de la vision à l’action, Avis à la ministre de l’Éducation, Québec. Retour
  7. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (1996). Les États généraux sur l’éducation 1995-1996, Rénover notre système d’éducation : dix chantiers prioritaires, Rapport final de la Commission des États généraux sur l’éducation, Québec. Retour
  8. « L’idée [que l’AEC devienne] une formation initiale plutôt qu’une formation de perfectionnement du personnel expérimenté inquiète le réseau. » (Regroupement des CPE des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (2000), Avis concernant les débats sur la formation du personnel éducateur, Québec. Retour
  9. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION (1997). Prendre le virage du succès, Plan d’action ministériel pour la réforme de l’éducation, Québec, Gouvernement du Québec. Retour
  10. PERRENOUD, Ph. (1992). « Triple fabrication de l’échec scolaire », in Pierrehumbert, B. (dir.), L’échec scolaire, échec de l’école, Lauzanne, Delachaux et Niestlé, p. 85-102. Retour
  11. DAHLBERG, G., P. MOSS et A. PENCE (1999). Beyond Quality in Early Childhood Education and Care : Postmodern Perspectives, London, Falmer Press.
  12. BETTELHEIM, B. ROSENFELD, A. (1995). Dans les chaussures d’un autre : la psychothérapie : art de l’évidence, Paris, Laffont, 245 p.
  13. BRUNER, J. (1990-1991). … car la culture donne forme à l’esprit. De la révolution cognitive à la psychologie culturelle, Paris, Éditions Eshel, 172 p.
  14. DENIS, M. (1989). Image et cognition, Paris, PUF, 284 p. Retour
  15. SALLABERRY, J.-C. (1996). Dynamique des représentations dans la formation, Paris, L’Harmattan, 196 p. Retour
  16. Puisé à même le titre d’un livre de Gide. Retour

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