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L’épreuve uniforme de français: des rappels et quelques observations

L’épreuve uniforme de français: des rappels et quelques observations

Depuis décembre 2000, le taux de réussite des élèves à l’épreuve uniforme de français chute progressivement. Pour l’année 2000-2001, on prévoit une baisse de ce taux de plus de 4 points de pourcentage. Comment expliquer ces résultats ? Après avoir rappelé les caractéristiques de cet examen et l’évolution des résultats obtenus depuis janvier 1998, Jean-Denis Moffet nous livre sa réflexion sur les causes de cette baisse.

Le 19 décembre prochain aura lieu la dix-neuvième session de l’épreuve de français. Nous n’en sommes donc plus à une étape de rodage ni à une étape d’expérimentations et de découvertes, mais à une époque de consolidation des éléments mis en place. Dans le présent article, j’aimerais rappeler quelques traits de cette épreuve, car, après un certain temps, la mémoire a tendance à les oublier ou à les perdre de vue. De plus, je ferai une brève synthèse des résultats obtenus depuis les débuts afin de dégager quelques caractéristiques et, enfin, je ferai part de certaines observations faites au cours de la dernière année scolaire.

La forme actuelle de l’épreuve provient d’expérimentations successives et de consultations du milieu, qui se sont déroulées de 1994 à 1997. Le modèle qui a été retenu est celui de faire écrire une dissertation critique à partir de textes littéraires et d’évaluer la performance des élèves à l’aide de trois principaux critères, lesquels se subdivisent en huit sous-critères. Les critères concernent la compréhension des textes et la qualité de l’argumentation, la structure du texte et la maîtrise de la langue. Depuis décembre 1997, les résultats sont transmis en cote pour chacun des critères et l’élève reçoit un verdict de réussite ou d’échec pour l’ensemble de l’épreuve ; il n’y a plus de note sur cent. Dans un premier temps, j’aimerais rappeler les raisons qui ont prévalu pour choisir ce genre d’épreuve et, dans un deuxième temps, préciser ce à quoi on peut s’attendre de cette épreuve et ce qu’elle n’est pas et ne peut pas être.

De certains critères à l’origine de l’épreuve

Le choix d’une forme d’épreuve est lié au but fixé par l’imposition de cette épreuve. Le but de l’épreuve de français est de vérifier que les élèves possèdent, au terme de leur formation générale commune en langue d’enseignement et littérature, les compétences suffisantes en lecture et en écriture pour comprendre des textes et pour énoncer un point de vue critique pertinent, cohérent et écrit dans une langue correcte. On peut donc dégager de ce but ce qui est objet d’évaluation : la compréhension de textes, un point de vue critique pertinent et cohérent, et une langue correcte. On reconnaît là les trois principaux critères de l’épreuve ainsi que les trois composantes de la compétence langagière : les compétences discursive, textuelle et linguistique.

Cependant, pour évaluer ces trois compétences, on aurait pu choisir un autre modèle d’épreuve et faire, comme il existe ailleurs dans le monde, une épreuve en plusieurs parties ou à plusieurs questions : l’une portant sur la lecture, l’autre sur la rédaction et l’autre sur la langue. Nous avons choisi un modèle qui intègre ces trois compétences pour une question de validité. Validité par rapport à l’enseignement reçu et validité de contexte, c’est-à-dire que la compétence langagière d’un individu se vérifie dans une tâche authentique complète où l’élève doit comprendre, analyser des textes, élaborer un point de vue, rédiger et réviser sa copie. On aurait pu choisir une épreuve de langue « décontextualisée » où on vérifie uniquement les connaissances linguistiques. Ce choix n’a pas été fait, car il nous semble que la maîtrise de la langue se vérifie in vivo dans le texte de l’élève. De plus, les sous-critères de la maîtrise de la langue permettent de tenir compte des connaissances linguistiques en évaluant la qualité du vocabulaire et le respect des règles de la syntaxe et de la ponctuation ainsi que celles de l’orthographe d’usage et de l’orthographe grammaticale.

On critique parfois ce type d’épreuve en disant que les élèves utilisent des phrases simples, qu’ils emploient un vocabulaire pauvre et qu’on ne vérifie pas certaines connaissances linguistiques comme les anglicismes ou l’accord des verbes pronominaux. Effectivement, cela n’est pas directement évalué, mais les critères tiennent compte de ces aspects. L’objectif n’est pas de vérifier des connaissances mais l’utilisation d’un savoir-faire. Un examen objectif a le désavantage de ne pas placer l’élève dans une situation de production où les idées se bousculent et où on doit savoir éliminer ce qui n’est pas pertinent et rédiger tout en respectant les règles de la langue. Repérer des erreurs dans une phrase qui est donnée est un exercice partiel : la phrase et le sens sont produits par quelqu’un d’autre et l’élève n’a qu’à vérifier si la forme est correcte.

Les limites de l’épreuve

Ce qui précède permet donc, il me semble, de bien délimiter le territoire de l’épreuve : on évalue la compétence de l’élève à utiliser ses connaissances linguistiques pour comprendre des textes, rédiger un texte structuré et respecter les règles de la langue. On ne peut donc affirmer à la suite de l’évaluation que l’élève connaît et maîtrise toutes les règles ainsi que certaines exceptions, comme on ne peut affirmer qu’il possède les connaissances littéraires historiques essentielles (lesquelles le sont ?) ni qu’il sait écrire sans faute, surtout lorsqu’on observe que la moyenne de fautes aux épreuves des dernières années se situe à 20 pour un texte de 900 mots. Cependant, pour évaluer à sa juste mesure la performance des élèves, il faut tenir compte du contexte et se rappeler qu’ils ont quatre heures trente minutes pour prendre connaissance des textes qui leur sont proposés, pour planifier leur texte, le rédiger et le réviser, ce qui n’est pas une mince tâche. Tout le monde sait par ailleurs que pouvoir prendre une distance par rapport au texte que l’on vient d’écrire permet de mieux le corriger, ce qui est difficile dans le temps qui est accordé aux élèves et qui peut expliquer le nombre moyen d’erreurs assez élevé.

On entend souvent dire aussi que la réussite de l’épreuve de français devrait être la garantie que les élèves maîtrisent la langue à la fin des études collégiales. On doit cependant se poser la question à savoir s’il ne restera pas toujours une place pour l’amélioration de la qualité de la langue, car la compétence langagière d’un individu évolue constamment en fonction de ses besoins langagiers. Il est peut-être faux de penser que la qualité de la langue s’acquiert une fois pour toutes à la fin d’un cycle scolaire. Les recherches récentes en didactique du français, particulièrement les recherches sur le processus d’écriture, ont révélé qu’écrire et lire sont des activités complexes et que, pour bien réussir, un individu doit posséder plusieurs connaissances et doit être capable de les contrôler en même temps, ce qui n’est pas nécessairement facile. Un élève du collégial qui arrive à l’université et à qui on demande de faire un résumé critique de textes en anglais sur les théories de l’apprentissage aura assurément de la difficulté s’il ne connaît pas le sujet, si sa connaissance de l’anglais est élémentaire et si c’est la première fois qu’il doit traduire un texte. Lorsqu’il écrira son résumé, il aura peut-être de la difficulté à tenir compte au même moment des règles du code linguistique : ce n’est pas nécessairement parce qu’il ne les connaît pas, mais plutôt parce qu’il a beaucoup d’opérations à faire simultanément et qu’il n’a peut-être pas développé de stratégies de révision de texte ou de planification qui l’aideraient à faire correctement la tâche qu’on exige de lui. Bref, la maîtrise du français écrit est une qualité qui se construit et qui est en constante évolution pour répondre à des besoins de communication nouveaux et plus complexes.

Des constantes dans les résultats

Depuis le moment où la réussite de l’épreuve est devenue obligatoire pour l’obtention du diplôme d’études collégiales (janvier 1998), le taux de réussite annuel se situe toujours près de 88 p. 100. Il était de 87,3 p. 100 en 1997-1998, de 88,6 p. 100 en 1998-1999 et de 88,1 p. 100 en 1999-2000. C’est-à-dire qu’à chaque année, pour une population totale de 40 000 élèves, il y en a 4800 qui échouent. À toutes les sessions d’épreuve, c’est au critère de la langue que l’on retrouve le plus grand nombre d’échecs ; il se situe généralement autour de 10,5 p. 100, tandis qu’il est de 3 p. 100 à celui de la compréhension et de la qualité de l’argumentation et de 0,5 p. 100 pour la structure du texte. Quand on regarde de plus près le critère de la maîtrise de langue, on constate que les élèves ont des problèmes avec le respect des règles de l’orthographe d’usage et de l’orthographe grammaticale. Plus de 20 p. 100 des élèves font plus de 15 fautes d’orthographe tandis que 12,1 p. 100 font plus de 15 erreurs de syntaxe et de ponctuation. On peut donc affirmer que les élèves ne démontrent qu’une maîtrise suffisante de la langue et qu’il y a encore place à l’amélioration. Pourtant, l’orthographe est un aspect qui est censé être maîtrisé au secondaire. Le manque de temps ou de stratégies de révision efficaces pourrait peut-être expliquer en partie ce phénomène.

Cependant, cette relative stabilité dans les résultats semble avoir disparu l’année dernière alors qu’on a constaté une baisse sensible du taux de réussite aux épreuves de décembre et de mai par rapport à celles de l’année précédente. En décembre 2000, le taux de réussite était de 86,1 p. 100, comparativement à 89,8 p. 100 en décembre 1999 ; en mai 2001, il était de 81,6 p. 100 plutôt que 87,3 p. 100 en mai 2000. On peut donc s’attendre pour l’année scolaire 2000-2001[1] à une baisse du taux de réussite annuel de plus de 4 points de pourcentage, ce qui est assez important.

Taux global de réussite à l’épreuve de français

 

 Décembre 1999Décembre 2000Mai 2000Mai 2001
Taux de réussite89,8 %86,1 %87,3 %81,6 %

Lorsqu’on regarde de plus près les résultats de décembre 2000 et de mai 2001, on constate que cette baisse s’explique par une augmentation du taux d’échec de 1,3 point au critère de l’argumentation en décembre et de 3,1 points en mai, ainsi qu’une hausse du taux d’échec au critère de la langue de 3 points en décembre et de 4 points en mai. Comment expliquer cela ? Durant la session de correction de l’hiver 2001, les superviseurs de l’épreuve de français ont analysé de plus près certaines copies dans le but de mieux décrire les faiblesses des élèves. La dernière partie de cet article présente ces conclusions.

Taux d’échec par critère

 

Taux d’échecDécembre 1999Décembre 2000Mai 2000Mai 2001
Critère 12,9 %4,2 %2,5 %5,6 %
Critère 20,4 %0,5 %0,3 %0,8 %
Critère 38,8 %11,8 %11,6 %15,6 %

Certaines observations

L’augmentation du taux d’échec au critère du discours pourrait s’expliquer en partie par le fait que certains élèves utilisent des plans de texte comme solution passe-partout sans respecter la question, ce qui les pénalise aux sous-critères du respect du sujet de rédaction et à celui de la qualité de l’argumentation. On a déjà vu un élève utiliser un plan comparatif avec un seul texte. Faire la liste des ressemblances et des différences sans tenir compte du thème de la question est aussi un autre problème que l’on rencontre et qui peut avoir des effets au premier critère. Il arrive aussi que les élèves énumèrent des caractéristiques formelles des textes en oubliant de les relier à la question. Dire qu’un texte est en vers et l’autre en prose sert peu à la démonstration si l’élève ne relie pas cette affirmation au problème soulevé par la question. Pour ce qui est du sous-critère des connaissances littéraires, beaucoup d’élèves n’intègrent pas encore de connaissances formelles ou historiques dans leur texte, ce qui peut les pénaliser, mais ce n’est pas normalement une cause directe d’échec, sauf si l’élève commet en plus plusieurs erreurs de lecture et d’interprétation des textes. Au cours de la dernière année, ce sont principalement ces erreurs qui ont causé la hausse du taux d’échec au discours.

Pour ce qui est de la maîtrise de la langue, la hausse des échecs s’explique principalement par la hausse du nombre moyen d’erreurs au sous-critère de l’orthographe. Comment expliquer cela ? Une réponse juste n’est pas facile à fournir. Ce phénomène soulève plutôt d’autres interrogations. Comment se fait-il que ces élèves qui ont quasiment terminé leurs cours commettent tant d’erreurs quand on sait qu’on en tient compte habituellement dans toutes les évaluations ? Comment se fait-il que ces élèves n’arrivent pas à corriger leurs erreurs ? Est-ce le manque de temps ou l’absence de stratégies de révision qui soient efficaces ? On pourrait peut-être répondre que ce sont là des raisons valables, mais, pourtant, normalement, ces élèves ont déjà été placés pendant leur scolarité dans des contextes semblables. Serait-ce le stress causé par cet examen ? Cela pourrait aussi constituer un facteur explicatif, mais on devrait avoir acquis des moyens ou des stratégies pour mieux le contrôler et pour être maître de la situation, ce qui, comme on l’a vu par les résultats, n’est pas toujours le cas. Enfin, dernière observation, on a remarqué que les principales erreurs des élèves en syntaxe concernent l’absence de mots ou l’ordre des mots dans la phrase ainsi que l’emploi fautif des prépositions. En ponctuation, comme on peut s’y attendre, c’est l’emploi de la virgule qui cause le plus de problèmes, surtout son utilisation fautive entre les constituants de base de la phrase.

En guise de conclusion, j’aimerais revenir sur le fait que le modèle d’épreuve retenu nous permet de vérifier justement, il me semble, qu’un élève possède à la fin des études collégiales une compétence langagière pour poursuivre des études ou sa vie professionnelle de façon autonome, tout en sachant que certains d’entre eux auront plus de difficultés, car leur niveau de maîtrise n’est pas excellent mais simplement suffisant. À cet effet, les cotes obtenues à l’épreuve constituent des indicateurs valables du niveau de maîtrise des élèves, et je crois qu’il serait pertinent de les regarder de plus près. Cela s’adresse autant aux élèves eux-mêmes qui veulent bien comprendre leurs résultats qu’à toutes les personnes qui veulent interpréter comme il faut les résultats pour pouvoir mieux repérer des élèves qui pourraient éprouver certains problèmes avec leur compétence langagière.

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  1. L’analyse des résultats de l’ensemble de l’année scolaire 2000-2001 n’est pas terminée. Retour

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