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Français en forme

Français en forme

Décafcomanies

 

À l’intercaf du 30 mars 2001, Richard Crépeau nous présentait une formule d’encadrement des élèves faibles qui s’applique en complémentarité avec les services offerts au centre d’aide en français du collège Montmorency. Plus que l’amélioration prévue de la compétence linguistique, cette formule a donné des résultats positifs inattendus, comme en témoigne l’article qui suit.

Rares sont les départements de français où, dans les dernières années, on n’ait implanté aucune mesure d’aide à la réussite. Ici et là émergent sans cesse de nouvelles expériences destinées à venir à bout des difficultés en français des élèves. Le texte qui suit rend compte de l’une de ces expériences, Français en forme, que nous menons depuis un peu plus de deux ans au collège Montmorency.

Le programme

Le projet Français en forme, tel que conçu à l’origine, visait à instaurer un programme de tutorat : des élèves, sélectionnés en fonction de leurs difficultés en français, auraient l’occasion de rencontrer à quelques reprises un enseignant-tuteur au cours de leur première session au cégep. L’assemblée départementale de français a décidé, à la toute fin de la session de l’hiver 1999, d’aller de l’avant avec ce programme et, dès l’automne suivant, désigna un coordonnateur et des tuteurs.

Pourquoi un tel programme ? Le Département, depuis la réforme des programmes, constatait que le premier cours du cursus de français était affecté du plus haut taux d’échec. Il avait donc décidé (comme d’autres départements d’ailleurs) de déplacer ce qui avait été jusque-là le dernier cours de la séquence, en tête des trois autres pour en faire un cours d’introduction. Français en forme s’inscrivait dans le sillage de ce nouveau cours (rebaptisé 601-ESB) et se voulait également un appendice au CAF.

Nous disposions pour nous guider de l’expérience du Département de philosophie[1]. Il apparut assez rapidement que, pour que le programme soit viable, l’ensemble des enseignants du cours ESB (y compris les tuteurs) devaient s’entendre sur un fonctionnement général commun. Nos discussions nous ont permis de déterminer que l’objet du programme devait être uniquement le français écrit, à l’exclusion de la compréhension de texte. De plus, tous les enseignants du cours ESB devraient faire passer un test de dépistage (à leur choix) à la troisième semaine de la session, afin de savoir quels élèves suivraient le programme. Seuls les élèves manifestant des faiblesses importantes au test seraient renvoyés à un tuteur, et celui-ci n’accepterait personne d’autre. L’élève sélectionné serait tenu de prendre rendez-vous avec le tuteur dans les deux semaines suivant le test et d’entreprendre avec lui un travail de perfectionnement en français écrit. Par la suite, si son travail se révélait satisfaisant, l’élève pourrait récupérer jusqu’à 60 p. 100 de la note accordée au français écrit (maximum de douze points sur cent, puisque le nombre maximal de points accordé au français écrit est de 20 pour le cours ESB). Cette formule nous apparaissait à la fois raisonnablement généreuse et motivante pour l’élève. Ajoutons qu’au départ le programme ne disposait pas d’un local particulier, mais qu’à la seconde session un local lui a été réservé à l’intérieur du CAF. C’est donc sur cette base et dans ce cadre que le programme a été entrepris. Progressivement, les rencontres entre élèves et tuteurs ont commencé et, deux ans plus tard, aucun problème majeur n’a encore surgi.

Le fonctionnement

Dès le départ, le Département[2] s’est entendu avec l’administration sur l’allocation allouée au programme : il y aurait un tuteur pour chaque lot de sept groupes de ESB, et chaque tuteur serait dégrevé d’un groupe pour ce travail d’encadrement. À Montmorency, il y a en moyenne 42 groupes de ESB l’automne et 20 l’hiver, ce qui signifie que, bon an mal an, il y a six tuteurs l’automne, et trois l’hiver[3]. Les tuteurs, qui sont volontaires, sont donc en charge de sept groupes, c’est-à-dire les leurs de même que ceux d’un autre enseignant de ESB auquel ils sont jumelés. Cela peut sembler beaucoup, et les faits ont montré que c’était le cas : les tuteurs doivent souvent, faute de temps, refuser des élèves.

Au début, nous avions établi que chaque tuteur et tutrice devait consacrer au programme quatre périodes de disponibilité par semaine durant toute la session, soit un total prévu de 60 périodes. La logique derrière ce chiffre ? Quatre périodes par semaine étalées sur toute la session représentaient 60 périodes, soit l’équivalent d’un groupe cours. Nous nous sommes toutefois assez rapidement rendu compte que cette logique comptable ne fonctionnait guère ! En effet, comme les chiffres de la première année nous le montrent, la fréquentation du programme peut être illustrée par une cloche ayant pour sommet le troisième mois de la session, avec une très faible fréquentation pour les trois ou quatre premières semaines et pour la dernière semaine de la session. L’horaire de disponibilité des tuteurs a donc été revu pour tenir compte de ces caractéristiques. Ainsi, à partir de la seconde année du programme, la disponibilité est passée à six périodes par semaine de la quatrième à la quatorzième semaine de la session, ce qui totalise 66 périodes, auxquelles s’ajoutent le temps de préparation et le temps consacré au relevé des statistiques[4].

L’horaire des tuteurs est établi pour toute la session en fonction de leurs préférences et de la disponibilité des plages horaires. Pour l’essentiel, ils doivent prendre des rendez-vous avec les élèves de manière à combler leurs périodes de disponibilité et à effectuer un suivi auprès de ceux qui en ont besoin d’une semaine à l’autre. En moyenne, on fixe environ 110 rendez-vous par session ; il s’agit de rencontres individuelles d’environ 30 minutes[5]. Un tuteur verra ainsi durant sa session une vingtaine d’élèves qu’il rencontrera environ cinq fois. Il s’agit là d’une moyenne ; dans les faits, certains élèves auront eu une seule rencontre alors que d’autres en auront eu jusqu’à douze. Il n’en reste pas moins qu’en moyenne chaque élève aura disposé de 2,5 heures de rencontre. Pour la session d’automne (où généralement il y a six tuteurs), cela représente quelque 120 élèves ; l’hiver, on en dénombre la moitié moins. Donc, au total, environ 180 élèves par année bénéficient du programme.

Quelques constatations

La décision d’axer le programme sur le français écrit, et dans la forme adoptée par l’ensemble des enseignants de ESB, est sans aucun doute justifiée, mais elle fait aussi que Français en forme est aux prises avec des problèmes tout particuliers.

En effet, l’influence directe du travail des tuteurs sur la note finale des élèves ne touche qu’une proportion très réduite de cette note. On ne parle pas ici de reprises de travaux (comme dans certains autres programmes d’aide), mais bien d’une aide ou influence qui, dans le meilleur des cas, porte sur 20 p. de la note finale[6]. Cette constatation quelque peu déprimante est toutefois en partie contrebalancée par le fait qu’il s’agit de la portion de la note pour laquelle les élèves montrent souvent les plus grandes faiblesses.

Nous avons mentionné plus haut qu’en participant à Français en forme, les élèves pouvaient espérer récupérer des points. Or on s’est vite rendu compte que les points récupérés ne faisaient pas nécessairement la différence entre le passage ou l’échec[7]. De plus, l’expérience a montré que l’obtention de points supplémentaires ne suscite que très faiblement la participation des élèves à ce programme. C’est plutôt l’importance accordée au français écrit et, plus encore, la perspective de l’examen du Ministère qui semblent motiver plus d’un élève à entreprendre activement de s’améliorer.

Par ailleurs, comme il s’agit du premier cours du cursus de français, la session d’hiver représente pour Français en forme des défis particuliers. En effet, alors qu’à l’automne un peu plus de 60 p. 100 des élèves participant au programme en sont à leur première session, à l’hiver, cette proportion chute à moins de 15 p. 100. On a donc affaire dans ce dernier cas à des élèves qui, d’une façon ou d’une autre, ont une relation particulière avec le français : soit qu’ils proviennent du cours de mise à niveau, soit qu’ils reprennent le premier cours (pour la énième fois). Comme ils ont déjà subi un échec et n’ont pas le loisir d’espérer améliorer leur sort sans efforts supplémentaires, ils sont plus nombreux à vouloir profiter de Français en forme, et les ressources ne permettent pas de tous les accueillir. Cette clientèle se caractérise globalement par une motivation plus faible et par un taux d’abandon plus élevé.

Il faut souligner aussi une tendance marquée, depuis le début du programme, à une augmentation générale du nombre de rencontres par élève et, par conséquent, à une diminution du nombre d’élèves rencontrés. Ainsi, les tuteurs ont vu les mêmes élèves un plus grand nombre de fois et pour une durée légèrement supérieure à ce qu’elle avait été à la session précédente et ce, de façon continue depuis l’automne 1999. Cette tendance s’explique en partie par l’inexpérience du début. Il est assez vite apparu que rencontrer un élève pendant 2,5 heures durant une session, même s’il s’agissait de rencontres individuelles, c’était bien peu. En fait, la moyenne des rencontres par élève tourne maintenant autour de quatre heures ; c’est dire que certains élèves sont vus, dans le meilleur des cas, six heures. Ce n’est certes pas mirobolant, considérant qu’il s’agit de modifier chez les élèves des habitudes que onze années préalables d’études ne sont pas parvenues à renverser, mais c’est certainement mieux !

Ajoutons qu’à la lumière de cette donnée, la décision de ne s’intéresser qu’au français écrit trouve en partie sa justification. En effet, l’intervention des tuteurs doit être ciblée de façon à avoir, en fonction du temps qui lui est alloué, une influence réelle sur le rapport que l’élève entretient avec le français écrit. Toutefois, une question demeure : est-ce que cet effet sur l’attitude de l’élève se traduira par un effet sur la réussite ? C’est ce que l’on va tenter de découvrir.

Est-ce que ça marche ?

Nous voudrions avoir trouvé la recette miracle, mais il semble que, comme à tous ceux qui nous ont précédés sur cette voie, elle nous échappe aussi. Ce qui ne signifie pas néanmoins que notre intervention soit sans effet.

Il est certain que le fait de se limiter à la correction de la langue, critère qui n’affecte qu’une partie de la note finale de l’élève, rendra toujours moins séduisants et efficaces des projets comme Français en forme sur le plan de la réussite des élèves. En effet, un programme d’aide qui permet aux élèves d’obtenir la note de passage pour un ou deux travaux importants durant la session aura toujours de ce point de vue plus de succès. Il faut se souvenir aussi que la situation des cours de français diffère de celle de toutes les autres matières au collégial. En arrivant au cégep, les élèves n’abordent pas le français comme une nouvelle matière : ils y « font face » d’une manière ou d’une autre depuis qu’ils sont entrés à l’école. Et cela est encore plus évident pour les élèves qui ont éprouvé des difficultés en français durant toutes leurs études : leur attitude à leur arrivée au collégial varie de la vague agressivité à la plus noire résignation en passant par tous les tons intermédiaires. Et pour beaucoup, le français est un monstre qui les a d’ores et déjà terrassés et contre lequel ils ne peuvent rien. Que peut-on espérer faire alors dans un programme de tutorat comme Français en forme ?

L’ensemble des tuteurs constatent qu’il ne suffit pas de simplement tenter d’inculquer aux élèves des règles qu’ils connaissent souvent déjà, mais qu’ils ont de la difficulté à mettre en pratique. Il faut aussi modifier leur rapport au français, en faisant preuve de souplesse, en abordant une question à la fois, en tentant de leur redonner confiance progressivement, en leur montrant que le problème n’est pas insoluble et que, par conséquent, ils peuvent parvenir à maîtriser les difficultés du français s’ils y mettent le temps et les efforts nécessaires.

Voilà beaucoup de clichés en fort peu de mots, dira-t-on, et avec raison. Il ne faut pas perdre de vue toutefois que la situation des tuteurs est unique : à quand remonte la dernière fois où vous avez eu la chance de consacrer quatre heures de votre temps à un seul élève ? TOUT EST LÀ ! Sur ce point, l’ensemble des tuteurs sont unanimes : les rencontres individuelles permettent d’établir une relation beaucoup plus fructueuse avec les élèves.

Et ce ne sont pas les seules retombées positives du tutorat ! En effet, tous s’entendaient au départ pour dire que l’intervention des tuteurs aurait un effet bénéfique sur le rapport des élèves au français. Personne n’avait cependant prévu que le tutorat modifierait également… le rapport des tuteurs à leurs élèves. Les élèves qui participent au programme Français en forme sont souvent ceux qui « brillent » le moins en classe et qui, autrement, passeraient à peu près inaperçus en raison de leur attitude. Grâce au programme, ils deviennent « quelqu’un » et cela a sans doute une influence à l’heure des corrections. Enfin, autre effet inattendu, cette relation plus directe avec certains élèves a une incidence sur la dynamique de la classe où ces élèves se trouvent, car ceux-ci, plus à l’aise avec l’enseignant, interviennent davantage.

Alors, est-ce que ça marche ? Pour ce qui est de l’effet du programme sur les élèves, nous pouvons sans hésitation dire oui. Pour ce qui est de la réussite, et malgré les raisons que nous avons évoquées plus haut, nous dirons également que oui. Toutefois, pour être bien honnêtes, admettons que, pour l’instant, les paris restent ouverts : 2 ans, c’est bien jeune…

* * *

  1. Au collège Montmorency, le Département de philosophie offre un programme de tutorat, Philo-aide, qui permet aux élèves de reprendre certains travaux du premier cours de philosophie. C’est ce programme qui a inspiré le Département de français à l’origine. Retour
  2. Pour être précis, c’est la responsable du CAF à l’époque, Carole LaGrenade, qui, avec l’assentiment du Département, a porté à bout de bras ce projet, de sa conception jusqu’aux « tractations » avec l’administration pour obtenir les ressources nécessaires. Retour
  3. L’allocation était au départ financée par un programme d’aide à la réussite et n’était donc pas nécessairement récurrente. Depuis l’automne 2001, l’allocation est comprise dans le volet 2 de la tâche du Département de français. Retour
  4. Comme on peut s’en douter, le projet n’aurait pas survécu si l’on n’avait pas justifié sa pertinence. Un système de collecte des statistiques auquel participent tous les tuteurs a donc été mis sur pied dès la première session. Celui-ci nous permet de savoir combien d’élèves ont bénéficié du programme, pendant combien de temps, etc. Retour
  5. Il est bon de garder à l’esprit qu’il s’agit ici de chiffres moyens et que, par conséquent, il peut y avoir des écarts entre les tuteurs en fonction des variables. Ainsi, des rendez-vous plus longs se traduiront par moins de rencontres. Ajoutons par ailleurs qu’un rendez-vous pris avec un élève n’est pas synonyme de rencontre avec ledit élève. À chaque session, de 10 à 15 périodes par tuteur sont « perdues » en raison du fait que les élèves ne se présentent pas à leur rendez-vous. Retour
  6. Rappelons que c’est le pourcentage accordé au français écrit pour le cours ESB. Retour
  7. En effet, si un élève échoue également aux 80 p. 100 qui restent, rien ne dit que quelques points récupérés pour le français écrit vont le tirer d’embarras. Qui plus est, on ne le souhaiterait guère ! Retour

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