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Et si le langage de l’enseignant faisait une différence…

Et si le langage de l’enseignant faisait une différence…

Échos de recherche

 

Depuis un an maintenant, Lina Sylvain est engagée corps et âme dans une recherche subventionnée par le Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA) du ministère de l’Éducation. Elle livre ici une infime partie de ce qu’elle a commencé à entrevoir en ce qui a trait à L’enseignant comme modèle éthique au collégial.

Dans son avis intitulé Des conditions de réussite au collégial. Réflexion à partir de points de vue étudiants, le Conseil supérieur de l’éducation conclut que, pour la jeunesse, « réussir, c’est d’abord se développer, au regard d’objectifs personnels et ce, dans un univers qui déborde le champ du scolaire[1] ». La perception de la réussite chez la jeunesse est plus large et plus englobante, donc plus extensive que la perception proposée par le système scolaire et ses représentants. Ainsi, la vie amoureuse, la vie en appartement, le travail rémunéré apparaissent comme des domaines porteurs de sens dans la conception de réussite des jeunes. Dans cette vision élargie de la réussite scolaire dont le gain ultime se rapproche davantage de la poursuite d’une réussite personnelle que de l’obtention du diplôme, les relations auprès d’adultes sont déterminantes. Aux dires des élèves, les compétences pédagogiques, voire relationnelles prévalent largement sur les compétences disciplinaires. On ne se surprendra donc pas d’entendre les élèves affirmer que, de tous les éléments de soutien dans leur quête de sens et d’autonomie, la relation maître-élève demeure fondamentale.

Curieuse d’en savoir davantage sur l’importance accordée à cette relation éducative dans la perspective de la réussite, nous nous sommes engagée dans une recherche dont l’objectif est de comprendre l’attribution du sens accordée à cette même relation éducative chez les deux partenaires, soit l’enseignant et l’étudiant. Toutefois, aux fins du présent article, seules certaines données concernant les étudiants sont prises en considération.

D’abord les trois angles d’analyse…

Tenter de comprendre le « sens » d’un phénomène oblige à un détour étymologique. Le Dictionnaire historique de la langue française[2] indique que le terme « sens » comprend trois volets : la signification (senefiance), le mouvement (sinno) et les sensations (sensus) procurées. Notre recherche s’inscrit dans ces trois angles d’analyse de la relation éducative.

Sous l’angle d’analyse de la signification de la relation éducative

Nous cherchons à comprendre l’importance accordée à deux variables, l’âge et le sexe, de même que la perception de la nature de cette relation. Se rapproche-t-elle du lien entretenu avec un médecin, une amie, un grand frère, etc. ?

Sous l’angle d’analyse du mouvement de la relation éducative

Nous cherchons des indices de mutualité (un mouvement réciproque) et des niveaux relationnels. Dans le cas des niveaux relationnels, cela signifie que nous cherchons, chez l’étudiant, des indices d’évolution de la relation éducative de la première à la dernière semaine de la session.

Sous l’angle d’analyse des sensations procurées par la relation éducative

Nous cherchons l’effet affectif de cette relation sur la vie de l’étudiant, c’est-à-dire les attentes nourries et la satisfaction ressentie dans cette relation éducative.

Puis les trois moments de collecte de données…

Nos lectures nous ont conduite à une analyse théorique de la relation éducative, puis nous avons entrepris une première collecte de données auprès de sept enseignants. Au fil de ces entrevues, nous avons respecté les étapes de la Grounded Theory — codification, catégorisation, mise en relation, intégration, modélisation et théorisation[3], communément appelée la « théorisation ancrée ». Ce type d’analyse méthodologique vise à « générer inductivement une théorisation au sujet d’un phénomène culturel, social ou psychologique en procédant à la conceptualisation et à la mise en relation progressives et valides de données empiriques qualitatives[4] ».

Parallèlement à ces constats avec des enseignants, nous avons rencontré deux groupes d’étudiants afin de comprendre leur perception du sens attribué à la relation éducative dans leur projet de formation. À l’aide des réponses fournies, nous avons procédé à une catégorisation des données, puis les catégories déterminées nous ont permis d’élaborer un questionnaire qui a été distribué à 629 étudiants du collège de Sherbrooke. L’analyse des fréquences des résultats nous permet de tenter une première modélisation du sens accordé à la relation éducative chez les étudiants.

Ensuite les trois variables…

Nous avons choisi les étudiants selon trois variables : le secteur de formation (formation préuniversitaire ou technique), le sexe et l’âge. De plus, les étudiants sélectionnés devaient être en fin de formation. Le questionnaire a été distribué à 629 étudiants à la fin de la session d’hiver 2000. Il comportait 31 questions.

Le profil des répondants est le suivant : 39 p.100 de garçons et 61 p.100 de filles, en provenance de secteurs de formations différents ; 48,7 p.100 proviennent du secteur technique et 51,3 p.100, des secteurs préuniversitaire et général.

Enfin, les résultats…

Lors des entrevues de groupe, un élément a retenu notre attention : les étudiants rencontrés semblent manifester un intérêt plus grand envers un professeur dont le niveau de langage rejoint celui des étudiants. Nous avons donc pris ce critère en considération dans la section du questionnaire concernant la perception de la nature de la relation éducative. L’énoncé extrait des entrevues de groupe se lit comme suit : « J’aime ça un professeur qui raconte sa vie et qui ne se gêne pas pour son niveau de langage. » Ainsi formulé, l’énoncé a suscité les réactions présentées ci-dessous.

Pas d’accord du tout :9,0 p.100
Peu d’accord33,2 p.100
D’accord41,3 p.100
Tout à fait d’accord15,2 p.100
Aucune de ces réponses1,3 p.100

Deux éléments sont ainsi analysés dans cet énoncé : le propos (raconter sa vie) et le niveau de langage (utiliser un registre familier). Au cours des entrevues de groupe, les étudiants associaient souvent ces deux items qui semblaient, pour eux, intimement liés dans l’expression d’une relation basée sur un certain lien de familiarité entre les acteurs de la scène éducative. Par le fait même, la principale faiblesse d’un tel énoncé vient de ce que nous ne pouvons analyser séparément le facteur lié au fait de raconter sa vie de celui du niveau de langage utilisé.

Nous remarquons par ailleurs que plusieurs étudiants considèrent qu’un climat de familiarité composé de ces deux éléments est un facteur relationnel favorable. Au total, 15,2 p.100 des étudiants — 95 étudiants sur 629 — considèrent qu’un tel comportement, chez l’enseignant, les influence directement. Si nous ajoutons à ce nombre le nombre d’étudiants qui affirment être en accord avec cet énoncé, cela représente 56,5 p.100 de la population (353 répondants). Au contraire, si nous choisissons plutôt d’additionner les réponses des étudiants peu ou pas du tout d’accord avec cet énoncé, nous arrivons à un total de 42,2 p.100 des réponses (263 répondants). Nous pouvons donc conclure que, combiné au fait de raconter sa vie, le niveau de langage est un élément relationnel apprécié chez les étudiants.

Devons-nous, à l’analyse des réponses fournies à ce seul énoncé, oser croire que l’enseignement doive dorénavant se conjuguer à un relâchement sans précédent du niveau de langage employé et s’appuyer sur des faits issus de la vie privée ? Nous ne croyons pas qu’une telle généralisation soit possible, mais notre analyse éveille en nous un questionnement sur le jeu de distance entre l’enseignant, l’objet d’étude et l’étudiant. À ce stade-ci de notre analyse, nous considérons que l’apprivoisement d’un contenu d’apprentissage en vue de la réelle appropriation d’un savoir peut être facilité par un premier contact entre l’objet d’étude et l’étudiant si ce contact se vit sous le couvert de la familiarité. Toutefois, avant tout, il importe de définir les limites de la familiarité. En effet, jusqu’où des exemples extraits de la vie professionnelle de l’enseignant sont-ils des ponts facilitant l’accomplissement de ce saut vers l’inconnu inhérent à tout apprentissage ? L’utilisation d’un langage simple et accessible, symbole de vulgarisation d’un savoir, ne pave-t-il pas la voie vers la complexité ?

* * *

  1. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, Des conditions de réussite au collégial. Réflexion à partir de points de vue étudiants, Québec, Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l’éducation, 1995, p. 30. Retour
  2. Alain REY, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1998, 2 vol., 2391 p. Retour
  3. B.GLASER et A. STRAUSS, The discovery of grounded theory, Chicago, Aldine Publishing, 1967. Retour
  4. A. MUCCHIELLI (sous la direction de), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 1996, p. 184. Retour

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