«Guide de communication inclusive» du réseau de l’Université du Québec: un survol des pratiques d’écriture recommandées dans les établissements d’études supérieures
Dans les dernières années, l’écriture inclusive a régulièrement refait surface dans l’actualité. Que l’on pense aux débats concernant les féminins auteure et autrice, à l’usage de formes tronquées ou encore à l’émergence de néologismes non binaires[1], force est de constater que l’inclusion des différentes réalités de genre fait maintenant partie de nos préoccupations sociales. Cela se transpose dans la langue à l’aide de diverses stratégies de rédaction qui sèment parfois la confusion.
Bien que l’Office québécois de la langue française (OQLF) ait déjà émis des recommandations à ce sujet (2020, 2021a), on a pu voir apparaitre de nombreux guides d’écriture inclusive ou épicène[2] pour encadrer cette pratique dans diverses sphères, notamment dans les établissements d’études supérieures[3]. Ces guides peuvent répondre à des objectifs différents : maximiser la visibilité des femmes, assurer une égale présence des hommes et des femmes dans les textes, représenter les personnes non binaires, etc. Cela fait en sorte que les stratégies ne sont pas cristallisées et varient d’un guide à l’autre. Le Guide de communication inclusive (Université du Québec, 2021) du réseau de l’Université du Québec (UQ) montre bien cette conscience de la langue qui évolue et du fait que l’écriture inclusive n’échappe pas à la règle. Il est adapté aux réalités des études supérieures, où les pratiques officielles et émergentes se côtoient.
Redonner tout son sens au mot inclusif
Le guide de l’UQ n’est pas qu’un guide d’écriture inclusive : il englobe tous les types de communication, d’où l’appellation Guide de communication inclusive. Il comprend quatre sections, respectivement sur la communication écrite, orale, visuelle et publique[4]. De prime abord, la communication inclusive est définie comme une « adaptation pour mieux refléter notre société contemporaine, une société qui valorise la diversité, reconnait l’importance de l’égalité et lutte contre les discriminations » (p. 5). Quelques statistiques concernant la diversité de la population québécoise sont également présentées. L’approche du guide est sans équivoque : elle vise l’intégration – graduelle – des pratiques inclusives et une prise de conscience des différentes réalités sociales que compte notre société.
Les stratégies inclusives
La première section du guide de l’UQ, concernant la rédaction, débute par quelques encadrés qui abordent les questions fréquentes lorsqu’on parle d’inclusivité dans les textes : la réputation sexiste de la langue française, la règle selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin et l’androcentrisme de la société transposé dans la langue. Ces sujets dépassent la rédaction à quelques égards, mais méritent d’être considérés, sachant que l’écriture inclusive est également un phénomène social. Plus loin, d’autres encadrés rappellent le rôle précurseur du Québec en ce qui a trait à la féminisation de la langue et présentent les formes féminines retenues.
Quelques exemples de formes féminines attestées présentées dans le Guide de communication inclusive (p. 18)
Il s’agit de l’une des forces de ce guide, qui offre, par ces encadrés et par divers liens vers des documents écrits ou multimédias, un complément d’information à quiconque désire en apprendre plus sur les différents aspects que revêt ce phénomène linguistique.
Le guide de l’UQ affirme que la rédaction inclusive n’est pas lourde lorsqu’elle est bien faite (p. 11), contrairement à ce que l’on a l’habitude de lire (Roy, 2021). Il se base sur quatre stratégies pour appuyer ces affirmations : l’abandon du masculin générique, la préférence pour des termes épicènes et des formulations englobantes, l’utilisation stratégique des doublets complets[5] et l’usage limité et raisonné des doublets abrégés[6].
Au revoir, masculin générique
De manière à refuser que l’androcentrisme transparaisse dans la langue, le premier principe vise à ne plus avoir recours à la note justifiant l’utilisation du masculin dans le but d’alléger le texte et à des termes masculins universels, comme le mot Homme pour désigner l’humanité. On mentionne également, dans un encadré (p. 10), qu’un texte rédigé au masculin générique peut porter à confusion chez le lectorat à savoir si l’on désigne un groupe mixte ou un groupe composé uniquement d’hommes, car le masculin est employé tantôt dans un sens neutre, tantôt dans un sens spécifique. L’UQ réitère donc un argument utilisé depuis longtemps en faveur de la féminisation des textes. Ainsi, il est conseillé de formuler les textes de façon inclusive dès le départ, un principe qui est déjà bien établi et cité dans tout guide qui aborde cette question.
Neutraliser les formulations
Dans un souci d’inclure les personnes non binaires dans les discours, le second principe vise à utiliser le moins de marques de genre possible dans les textes. On relève, parmi les avantages présentés par l’UQ, une plus grande concision par rapport à l’usage des doublets. Il est intéressant de noter que c’est le principe qui est le plus souvent mis de l’avant dans la plupart des guides du genre. Il semble faire l’unanimité à la fois sur le plan de l’inclusivité – ce qui est l’objectif d’un nombre grandissant d’établissements – que sur celui du respect des règles grammaticales. L’UQ complète la section avec des encadrés comprenant une série de termes épicènes, classés par catégories grammaticales (noms, adjectifs et pronoms). Les noms collectifs et les noms d’unités administratives comportent également leur propre section munie de tels encadrés.
Encadré présentant des exemples de noms épicènes (p. 13)
Dédoubler et accorder
Dans le but de défaire la règle intériorisée selon laquelle le masculin doit être placé d’abord, le troisième principe indique que l’ordre des doublets complets peut varier à l’intérieur d’un texte. Utiliser l’énumération par ordre alphabétique rend possible cette alternance, selon l’UQ. Lorsqu’un doublet doit être accordé, le guide recommande, fidèle aux principes de l’OQLF (2018a), de faire un accord de proximité en disposant le masculin le plus près de l’élément à accorder pour éviter une discordance de genre. Bien que cet accord respecte la règle traditionnelle et présente l’avantage de ne pas trop déstabiliser le lectorat, il aurait été intéressant d’expliciter dans cette partie – et non pas seulement dans le glossaire – que l’accord de proximité au féminin ne constitue pas une erreur, bien qu’il reste marginal pour l’instant[7]. En effet, l’accord au féminin en présence de doublets complets est utilisé davantage dans les cercles féministes et les organismes qui désirent mettre de l’avant la place des femmes. Il est donc tout à fait compréhensible qu’un établissement universitaire s’en tienne au principe établi. Expliquer ce choix aurait cependant permis de mieux situer la position de l’UQ, qui, dans ce cas, déroge à l’idée d’équilibrer la présence des genres dans les textes.
Tronquer sans abuser
La question des doublets abrégés est assurément celle qui fait le plus couler d’encre, au point où l’on réduit parfois l’écriture inclusive à cette stratégie. Le guide de l’UQ, sans tomber dans cet extrême, montre bien qu’il existe des enjeux entourant leur lisibilité, la cohérence des textes et leur accessibilité pour les personnes aux prises avec des difficultés de lecture, ce qui justifie sa position : les utiliser avec parcimonie. On établit ainsi les contextes dans lesquels cette stratégie est acceptable : lorsque l’espace est restreint (tableaux, sites web, formulaires, etc.) et lorsque la forme féminine ne varie que légèrement (par exemple étudiant.e, mais pas auteur.trice). Mis à part cette dernière précision, on reste près des principes de l’OQLF (2018b).
L’UQ ne se prononce pas sur le choix du caractère typographique à adopter, mais souligne que la cohérence est de mise et qu’il vaut mieux utiliser le même tout au long d’un texte. Le guide fait usage du point médian, ce qui est justifié par sa popularité grandissante et sa lisibilité.
Avantages et inconvénient du point médian selon le Guide de communication inclusive (p. 20)
Cela déroge aux recommandations de l’OQLF (2021b), qui préconise l’usage des parenthèses ou des tirets[8]. On précise également qu’un seul signe typographique est nécessaire par mot. On regroupe ainsi les marques du féminin et du pluriel (ex. : les étudiant.es). Il est intéressant de noter que cette recommandation, qui semble anodine, peut favoriser l’usage des doublets abrégés si l’on considère que la lisibilité est améliorée lorsqu’il n’y a qu’un caractère typographique présent dans le mot.
Il faut également souligner que l’on présente les doublets abrégés surtout comme un principe de féminisation. On mentionne très succinctement que cette technique peut être utilisée par les personnes non binaires pour éviter d’apposer un genre, notamment en ce qui concerne les accords. On mise donc sur la prudence lorsqu’on doit avoir recours à cette méthode et on favorise plutôt l’alternance de stratégies.
Les néologismes non binaires : une stratégie encore peu recommandée
Le Guide de communication inclusive ne présente que très brièvement les néologismes non binaires, en mentionnant dans un encadré quelques procédés de formation et d’autres sources qui permettent de mieux comprendre cette technique. On précise toutefois que la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation demande aux établissements de ne pas pénaliser ces usages. Il aurait été souhaitable de voir davantage les méthodes utilisées par les personnes non binaires, considérant que leur représentation constitue l’un des enjeux qui justifient la publication d’un tel guide. Cela permet cependant de constater que les établissements d’études supérieures préfèrent avoir recours à des expressions épicènes du type « personne étudiante », donc à une forme existante, pour désigner les personnes de la diversité de genre. Il faut tout de même mentionner que les néologismes fluctuent beaucoup, ce qui ne permet pas d’établir, pour le moment, une tendance générale concernant leur usage (Alpheratz, 2018).
Finalement, les annexes servent de complément au guide. On y retrouve une liste de termes neutres et épicènes en lien avec le milieu universitaire, un lexique qui définit les termes employés dans le guide, les raccourcis sur le clavier pour l’utilisation du point médian, une liste de termes non binaires et un calendrier indiquant les multiples occasions de célébrer la diversité sous toutes ses formes. Par ailleurs, dans le souci d’inclure non seulement les femmes et les personnes de la diversité de genre, mais également celles aux prises avec des limitations, la portion du guide portant sur la communication écrite présente aussi divers conseils pour mettre en forme et diffuser des documents visuellement accessibles.
À la lumière de ce qui est présenté dans le Guide de communication inclusive, on constate que le recours aux termes épicènes et aux formulations neutres est préféré à bien d’autres stratégies – ce qui est assez généralisé dans les guides d’établissements postsecondaires. Cela s’explique, entre autres, par le fait que ce sont des formes déjà existantes, ce qui ne crée pas de résistance à leur usage. Le guide du réseau de l’Université du Québec montre bien la mouvance entourant les caractères spécifiques à employer avec les doublets abrégés, qui sont encore sujets à débat. Il est cependant clair que cette méthode n’est priorisée que dans certains cas précis. Il faut également garder en tête que chaque guide présente une prise de position – parfois sociale ou politique –, ce qui ne rend pas toujours compte de l’usage réel de ces pratiques. Ainsi, même si l’UQ reprend, en grande partie, les recommandations de l’OQLF, elle trouve une voix singulière par son affirmation des principes de la diversité et s’apparente aux discours que l’on retrouve dans les milieux militants. Un discours social fort sous-tend donc ce guide sans pour autant bousculer les pratiques déjà en place.
Références
ALPHERATZ (2018). Genre neutre, [En ligne]. [https://www.alpheratz.fr/linguistique/genre-neutre/] (Consulté le 15 aout 2022).
OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE (2021a). « Principes généraux de la rédaction épicène », [En ligne], Vitrine linguistique. [https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/23912/la-redaction-et-la-communication/feminisation-et-redaction-epicene/redaction-epicene/principes-generaux-de-la-redaction-epicene] (Consulté le 23 juillet 2022).
OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE (2021b). « Signes non retenus pour former des doublets abrégés », [En ligne], Vitrine linguistique. [https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/index.php?id=25345] (Consulté le 9 aout 2022).
OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE (2020). « Rédaction épicène, formulation neutre, rédaction non binaire et écriture inclusive », [En ligne], Vitrine linguistique. [https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/25421/la-redaction-et-la-communication/feminisation-et-redaction-epicene/redaction-epicene/formulation-neutre/redaction-epicene-formulation-neutre-redaction-non-binaire-et-ecriture-inclusive] (Consulté le 23 juillet 2022).
OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE (2018a). « Accord de l’adjectif se rapportant à un doublet », [En ligne], Vitrine linguistique. [https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/23997/la-redaction-et-la-communication/feminisation-et-redaction-epicene/redaction-epicene/doublets-complets/accord-de-ladjectif-se-rapportant-a-un-doublet] (Consulté le 9 aout 2022).
OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE (2018b). « Qu’est-ce qu’un doublet abrégé? », [En ligne], Vitrine linguistique. [https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/25343/la-redaction-et-la-communication/feminisation-et-redaction-epicene/redaction-epicene/doublets-abreges/quest-ce-quun-doublet-abrege] (Consulté le 9 aout 2022).
ROY, Mylène (2021). Derrière chaque masculin générique se cache une femme : quelques représentations de la féminisation linguistique dans la presse québécoise, Mémoire (M.A.), Université de Sherbrooke, 143 p. [En ligne]. [http://hdl.handle.net/11143/18877].
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC (2021). Guide de communication inclusive : pour des communications qui mobilisent, transforment et ont du style!, 62 p. Également disponible en ligne : https://www.uquebec.ca/reseau/fr/system/files/documents/edi/guide-communication-inclusive_uq-2021.pdf.
- Les néologismes sont de nouveaux mots qui apparaissent dans la langue. [Retour]
- Les expressions rédaction inclusive et rédaction épicène sont parfois utilisées comme synonymes pour désigner une série de stratégies rédactionnelles qui visent une égale représentation des hommes et des femmes dans les textes. Au Québec, on voit plus souvent le terme écriture inclusive utilisé dans les cas où l’on veut représenter la diversité des genres. On peut considérer, dans le cadre du présent article, que le terme écriture inclusive correspond à la somme de stratégies de rédaction qui visent l’inclusion, ce qui englobe à la fois les procédés de féminisation et de neutralisation. [Retour]
- Voir les guides du cégep Gérald-Godin, du cégep de Sainte-Foy, du cégep du Vieux Montréal, de Polytechnique Montréal, de l’Université de Montréal, de l’Université Laval et de l’Université de Sherbrooke, ou de la revue étudiante FéminÉtudes, associée à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), basé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). [Retour]
- Comme c’est la question du genre qui nous intéresse dans le cadre de notre article, nous nous limiterons aux communications écrites. [Retour]
- Les doublets (ou doublets complets) font référence aux formes masculines et féminines coordonnées (ex. : les étudiantes et étudiants). [Retour]
- Le terme doublets abrégés fait référence aux formes tronquées (ex. : étudiant.e). [Retour]
- Le débat actuel entourant l’accord de proximité s’articule essentiellement autour de la préférence pour l’accord au féminin, qui permet d’éviter que le masculin ait préséance sur le féminin. [Retour]
- L’usage des parenthèses ou des crochets comme signe typographique dans les doublets abrégés fait l’objet de débats depuis des années, notamment parce que certains groupes considèrent qu’il est réducteur de marquer la présence des femmes de cette façon, puisque ce qui est entre parenthèses est perçu comme étant moins important. [Retour]
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