L’engagement communautaire au service de l’apprentissage du français langue seconde
La maitrise du français langue seconde (FLS) est vue comme un ingrédient nécessaire à l’intégration sociale et professionnelle des jeunes anglophones au Québec, mais des études récentes montrent qu’au terme de leur scolarité, ceux-ci ne se sentent pas suffisamment outillés linguistiquement pour pouvoir s’installer partout dans la province (Ross, Robert et Brown, 2018). La maitrise insuffisante du FLS est par ailleurs un facteur prédicteur de la fuite de main-d’œuvre qualifiée anglophone du Québec vers le reste du Canada ou vers l’étranger (Sioufi, 2016).
De plus, les résultats d’une étude récente ayant mesuré les perceptions et la motivation des étudiants de langue anglaise du collégial à l’égard du FLS enseigné au Québec (Gagné et Popica, 2017) montrent une faible motivation pour l’apprentissage du FLS et des attitudes négatives à l’égard de la communauté francophone et de sa langue[2].
Préoccupée par l’intégration socioprofessionnelle des jeunes anglophones au Québec, la Commission de l’éducation en langue anglaise (CELA) reconnait dans son dernier rapport (CELA, 2018), entre autres, le rôle des situations authentiques de communication dans l’apprentissage de la langue française et de la culture francophone québécoise. Elle recommande au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur de « financer, au bénéfice des élèves anglophones, d’authentiques expériences d’apprentissage linguistique, qui les immergent vraiment dans la culture française québécoise » (CELA, 2018, p. 17) et d’« investir temps et argent pour que les élèves anglophones s’intègrent dans la société québécoise munis des compétences linguistiques nécessaires » (CELA, 2018, p. 21).
Sur le terrain de la didactique, des chercheurs commencent à attirer de plus en plus l’attention sur le fait que la formation en langues est trop souvent pensée en termes fonctionnels, à savoir apprendre à communiquer verbalement en langue seconde, sa dimension éducative étant sous-estimée. Cette dimension se conçoit plutôt comme « rencontres avec l’altérité » ou « expériences de l’altérité », le rôle de l’enseignant ou l’enseignante étant de les construire, de les gérer et de les mettre au service d’un projet éducatif (Beacco, 2018, p. 15). Or, le rapport à l’altérité, c’est « quelque chose qui ne peut pas se décréter, ni s’imposer » (Castellotti, 2019, p. 7). Au contraire, cela doit s’appuyer sur les « motivations existentielles » des apprenants (Beacco, 2018, p. 15).
Étant donné qu’un tiers des participants à l’enquête menée par Gagné et Popica (2017) ont répondu avoir résisté à l’apprentissage du FLS parce qu’il est obligatoire, une question se pose : comment l’enseignant ou l’enseignante devrait-il s’y prendre pour que le contact avec l’altérité survienne à l’intérieur d’une matière scolaire obligatoire qui est le cours de FLS?
Beacco propose le développement d’une « approche expérientielle » de l’altérité culturelle, qui vient stimuler « une implication personnelle des apprenants dans les activités proposées » (2018, p. 30). Selon le chercheur, c’est « de la primauté de l’expérience et de la recherche d’investissement personnel plus profond qu’il faut partir pour concevoir des activités concrètes destinées à faciliter les manières d’aborder l’autre » (2018, p. 49).
Apprentissage par l’engagement communautaire
Parmi les approches expérientielles, l’apprentissage par l’engagement communautaire (AEC) est une méthode d’enseignement devenue populaire partout dans le monde. Placée dans le sillage des travaux de Dewey (2008 [1916]) et de Freire (1974; 1998) sur la démocratie et de Kolb (1984) sur l’apprentissage expérientiel, l’AEC a pris de l’ampleur à compter du début du 21e siècle, dans tous les champs de l’éducation. L’AEC est défini par la recherche comme une méthode qui crée des liens entre l’apprentissage scolaire et l’expérience pratique significative (Prentice, 2007), tout en contribuant au développement social et personnel des apprenants de même qu’à leur sens de la responsabilité civique. Les activités en milieu communautaire doivent être liées de près aux objectifs d’apprentissage d’un cours (Holland et Robinson, 2008), le travail communautaire offrant aux étudiants l’occasion d’améliorer leurs compétences tout en rendant service à la communauté. Les résultats de l’engagement communautaire des étudiants sont bénéfiques autant pour eux que pour la communauté servie (Furco, 2001).
Lors de la mise en œuvre de l’AEC, les partenaires communautaires agissent en tant que coéducateurs, aux côtés de l’enseignant ou l’enseignante, et les deux parties facilitent le processus d’apprentissage de l’élève (Holland et Robinson, 2008). L’expérience d’engagement communautaire est accompagnée et enrichie d’une constante réflexion critique qui peut prendre la forme d’un journal de bord, d’un rapport ou d’une participation à un forum visant à démontrer la réalisation des résultats d’apprentissage notés par l’enseignant ou l’enseignante (Holland et Robinson, 2008).
AEC et apprentissage des langues secondes
Diverses études en didactique des langues ont démontré les effets positifs de l’AEC sur :
- la cocréation des espaces où les apprenants peuvent avoir des dialogues authentiques (Tacelosky, 2008);
- la possibilité d’avoir accès à un input significatif, à un output compréhensible, à une interaction réussie et à une rétroaction (Thompson, 2012, p. 20);
- l’amélioration des attitudes à l’égard de l’apprentissage de la langue cible et de ses locuteurs (Carney, 2004).
De plus, plusieurs études ont montré qu’en enseignement des langues secondes, l’engagement communautaire est un terrain propice pour améliorer les habiletés en lecture, en écriture, en compréhension orale et en production orale (Wurr, 1999; Pak, 2007; Thompson, 2012) de même que pour développer la pensée et l’analyse critiques des apprenants (Riehle et Weiner, 2013). L’AEC aide aussi les étudiants à comprendre « où en sont leurs compétences linguistiques, leur donne un réel sentiment d’accomplissement et leur fournit les interactions authentiques dont ils ont besoin pour pouvoir utiliser la langue dans un discours engagé avec un large éventail d’interlocuteurs » (Thompson, 2012, p. 54) tout en réalisant des tâches authentiques.
Par ailleurs, l’AEC favorise l’ouverture à la culture de la communauté cible et le développement de la compétence de communication interculturelle, indispensables à l’apprentissage d’une langue seconde (Thompson, 2012). L’AEC s’inscrit ainsi dans la voie de la pédagogie interculturelle centrée sur les échanges « entre » les individus de différentes cultures et non « sur ces » individus (Abdallah-Pretceille, 2010). Cette pédagogie de la « relation » avec l’Autre vise davantage l’« appropriation » de la langue seconde par l’apprenant ou l’apprenante que sa maitrise. S’approprier une langue, « ce n’est ni la maitriser ni la posséder, c’est la laisser advenir en propre » (Castellotti, 2017, p. 307) et c’est aussi « comprendre et accepter que les autres font sens autrement et qu’on se transforme soi-même à leur contact » (Castellotti, 2019, p. 7).
L’interculturel tel qu’il est expérimenté dans l’AEC est avant tout « un acte de partage, de négociation et de co-constructions », « rencontrer un autre » signifiant « se positionner réciproquement dans une interaction » (Dervin, 2017, p. 6). Si l’interculturel correspond à « une nouvelle façon de voir le monde, de problématiser le trait d’union entre soi et l’Autre […] d’inclure le micro- et macro-politique dans les discussions autour des relations interculturelles » (Dervin, 2017, p. 22), l’AEC s’inscrit pleinement dans cette approche, de par la réflexion qu’il engendre chez les apprenants sur la complexité du devenir identitaire, sur le concept de pouvoir et sur l’importance du contexte d’interaction.
Description d’un dispositif d’intervention AEC en FLS
Pour donner l’occasion à ses étudiants de faire l’expérience de l’altérité, de l’analyser et de la gérer sur le vif, le cégep John-Abbott inclut dans son offre éducationnelle, depuis l’hiver 2018, un cours de FLS bâti sur l’approche de l’AEC. Des apprenants anglophones du niveau 101 sont ainsi invités à sortir de leur zone de confort et à s’outiller, à l’aide des francophones, pour prendre leur place en tant que locuteurs dans la dynamique de pouvoir qu’implique la communication avec les francophones.
Ce dispositif vise à créer un contexte d’apprentissage en dehors de la salle de classe qui conduit les élèves de langue anglaise à redéfinir leur identité linguistique en s’investissant dans une relation de coopération avec des locuteurs d’expression française. En intervenant auprès de personnes s’exprimant en français qui ont besoin de leurs compétences, les élèves de langue anglaise sont investis du pouvoir d’agir dans la langue cible et de mettre ainsi leurs compétences au service de leur communauté. Ce sentiment d’autonomisation permet aux élèves d’augmenter leur investissement (Norton, 2013; Darvin et Norton, 2016) à l’égard de l’apprentissage du français et de leur identité sociale inclusive tout en se formant en tant que citoyens avertis et responsables.
La mise en œuvre du projet s’est déroulée en cinq étapes :
- Recension des écrits portant sur l’apprentissage par l’engagement communautaire, la communication interculturelle et l’apprentissage des langues, la motivation et l’investissement dans l’apprentissage, l’autonomisation des apprenants dans un contexte linguistique inégal;
- Spécification des objectifs du cours et développement du plan de cours;
- Conception et développement d’activités pédagogiques; collaboration avec le Centre d’action bénévole de l’Ouest-de-l’Île pour trouver les organismes francophones ou bilingues qui auraient besoin des compétences des étudiants;
- Conception et pilotage du cours « Apprentissage du français langue seconde en milieu communautaire francophone »;
- Évaluation de l’impact du cours sur la motivation et l’investissement des étudiants dans leur apprentissage du FLS et sur les attitudes vis-à-vis de la communauté cible et de sa langue.
Les cours se donnent en alternance dans la salle de classe et dans la communauté où les étudiants rendent service à des organismes communautaires qui peuvent avoir besoin de leur aide dans des domaines liés à leurs champs d’études. La possibilité de choisir un organisme en lien avec son programme et d’y travailler à raison de trois heures par semaine pendant une période de dix semaines est censée constituer un facteur de motivation atténuant la résistance de l’élève à la communication en français.
Le cours combine trois modalités d’enseignement-apprentissage complémentaires en format hybride :
- Les élèves suivent d’abord des cours en classe afin de soumettre leur candidature à un organisme communautaire francophone de la région;
- Les élèves sortent ensuite de la salle de classe pour effectuer du travail au sein d’un de ces organismes de leur choix;
- Ils approfondissent enfin une réflexion sur leur démarche dans un journal de bord et sur un forum en ligne et publient, en équipes, les résultats de leur expérience dans un webzine, fruit d’un travail collaboratif à distance et en présentiel.
Il s’agit d’un cours de communication pratique basé sur le travail de terrain dans la communauté. Ce travail sur le terrain est appuyé et préparé par des activités qui ont lieu en présentiel ou à distance, grâce aux technologies de l’information.
On compte parmi ces activités la préparation d’un curriculum vitae et d’une lettre de motivation, la simulation d’une entrevue d’emploi, la tenue d’un journal de bord, l’interaction sur un forum de discussion, des lectures et la création en mode collaboratif d’un magazine en ligne. Tout le travail est centré sur l’idée qu’en poursuivant des objectifs de formation, les jeunes adultes sont également connectés à leur communauté bilingue ou plurilingue, dont ils apprennent à connaitre davantage les enjeux, enjeux qu’ils seront mieux outillés à résoudre une fois leurs études terminées.
Les activités dans les organismes communautaires incluent principalement la préparation ou la livraison de repas, la préparation de paniers alimentaires, la préparation et le pilotage d’activités récréatives pour les personnes âgées, des visites auprès de celles-ci, du tutorat pour des élèves en difficulté d’apprentissage du primaire ou du secondaire. Au cours de leur travail sur le terrain, les étudiants sont formés à la conception et à la réalisation de leur activité, ainsi qu’à l’évaluation de son efficacité. Ils travaillent sous la supervision de l’enseignante du cours, des responsables des bénévoles dans les organismes communautaires et de la responsable du recrutement de bénévoles du Centre d’action bénévole de l’Ouest-de-l’Île.
Évaluation de l’impact du dispositif
Afin d’évaluer l’impact du dispositif d’intervention sur la motivation et l’investissement des apprenants dans l’apprentissage du FLS et sur leurs attitudes à l’égard de la communauté francophone et de sa langue, nous avons, au début et à la fin du trimestre, fait passer un questionnaire aux étudiants du groupe expérimental (GE) ayant vécu le dispositif d’intervention (n = 28) et aux étudiants d’un groupe contrôle (GC) ayant suivi un cours régulier du même niveau (n = 26). De plus, les étudiants du GE ont été appelés à répondre au début et à la fin du trimestre à un questionnaire mesurant leurs perceptions à l’égard de l’intervention. Pour trianguler les résultats et apporter des nuances aux résultats quantitatifs, les journaux de bord des étudiants du GE et leurs interventions sur le forum ont été soumis à une analyse de contenu.
Résultats et discussion
Les résultats ont révélé que le dispositif d’intervention a eu un impact positif sur la motivation et sur les attitudes à l’égard des francophones et de leur langue, de même que sur des facteurs influençant l’investissement dans l’apprentissage tels que l’orientation intégrative et les perceptions de ses propres compétences langagières en FLS.
L’interprétation des résultats est regroupée autour de trois thèmes : les impacts de l’AEC sur la motivation, sur l’investissement et sur le dialogue interculturel. La figure ci-dessous présente une synthèse des avantages de l’AEC en milieu francophone tels qu’ils ressortent des résultats de cette étude. Les explications qui suivent détaillent ces résultats thème par thème.
Avantages de l’AEC en milieu francophone (Popica, 2019)
Impact de l’AEC sur la motivation
Les étudiants du GE témoignent de leur intérêt à améliorer leur français afin de s’intégrer pleinement au marché du travail et à la société québécoise en général et sont ouverts à l’idée de rencontrer l’Autre sur son propre terrain. Cependant, à ce niveau, ils n’ont pas assez confiance en leurs compétences et ont peur de commettre des erreurs et de se faire blâmer par les francophones pour la piètre qualité de leur français. Il n’est donc pas surprenant que, dans le sondage en ligne anonyme rempli avant le début du travail hebdomadaire sur le terrain, les réponses les plus récurrentes à la question « Quels sont vos sentiments avant de commencer votre travail de bénévole dans un milieu francophone? » sont « heureux » et « inquiet » :
Je suis très heureux d’avoir l’occasion d’utiliser le français dans un contexte réel et de devenir plus à l’aise en communication orale […] Je suis aussi inquiet, car mon français parlé est parfois très lent et demande beaucoup d’efforts. Je parlerai avec des personnes qui s’expriment couramment et je crains qu’elles ne deviennent frustrées par mes compétences linguistiques. (Extrait du questionnaire Before Starting)[3]
Les données quantitatives recueillies montrent une augmentation de la motivation des étudiants du GE, à la fin de l’intervention pédagogique.
Comparaison des mesures de motivation avant et après l’intervention pédagogique entre le GC et le GE (échelle de Likert à six degrés)
De plus, les données qualitatives révèlent que les étudiants du GE constatent une amélioration de leur compétence de communication en français et sont plus à l’aise de prendre la parole en français, à la suite de leurs rencontres hebdomadaires avec les francophones. Ce sentiment de confiance motive les étudiants à s’engager davantage dans les interactions avec les francophones et à accepter la prise de risques linguistiques sans se soucier du jugement des autres :
Avec mes séances de bénévolat, j’ai appris que je sais mieux parler en français que je le pensais. Avant, j’étais timide de parler en français en public. Maintenant, grâce à mes pratiques au centre d’hébergement, j’aurais plus confiance à m’exprimer dans cette langue. (Extrait d’un journal de bord)
Effectuer des tâches authentiques visant à aider la communauté est perçu par les étudiants comme étant une expérience significative, qui a de la valeur. L’étude de Gagné et Popica (2017) avait soulevé la difficulté des élèves à rester engagés dans leurs apprentissages lorsque les méthodes d’enseignement mettent l’accent exclusivement sur l’enseignement répétitif de la grammaire : « Je sens que rester assis dans la salle de classe et faire les mêmes exercices encore et encore devient vraiment ennuyeux et rébarbatif. » (2017, p. 75) Plusieurs répondants sentaient qu’« il n’y avait pas d’application du français, il y avait toujours juste de la théorie, de la théorie, Bescherelle… » (2017, p. 68). En revanche, communiquer en français tout en faisant du travail communautaire est perçu par les étudiants du cours AEC comme étant une source de « motivation supplémentaire à chaque semaine » (extrait du forum de la classe), l’apprentissage leur apparaissant plus efficace : « En communiquant en français avec d’autres personnes à l’extérieur de l’école, je pense que parler français dans cet exemple d’expérience de la vie quotidienne nous aide beaucoup plus à comprendre la langue que rester assis dans une salle de classe. » (Extrait du questionnaire Rétroaction)
De plus, étant donné que l’enseignante et les responsables communautaires encadrent les étudiants de manière à cultiver leur autonomie, ceux-ci ont la liberté de concevoir en équipe ou individuellement des activités et de les piloter auprès de la clientèle servie. Les étudiants réalisent rapidement que leurs savoirs et savoir-faire acquis dans leur parcours scolaire peuvent être utilisés avec succès dans la réalisation des tâches, ce qui constitue un facteur motivateur.
Impact de l’AEC sur l’investissement
Au Québec, les étudiants de langue anglaise perçoivent souvent comme inéquitables les rapports de force entre les francophones majoritaires et les anglophones minoritaires. Lorsqu’ils doivent interagir en français avec des francophones, c’est l’anxiété qui intervient, car ils trouvent que les francophones sont exigeants quand il s’agit de leur langue. L’étude de Gagné et Popica (2017) a montré que cette perception conduit à la résistance à l’apprentissage du FLS. Au lieu de prendre des risques linguistiques, les étudiants préfèrent se taire en disant que leur français « n’est pas assez bon », car « le silence les protège contre l’humiliation » (Duff, 2002, p. 312).
Les apprenants, aussi motivés puissent-ils être, risquent de s’investir peu dans les pratiques linguistiques d’une classe ou d’une communauté donnée, qu’ils perçoivent comme étant élitiste et discriminatoire. C’est pour cette raison que la chercheuse Bonny Norton introduit le concept sociologique d’investissement afin de compléter le concept psychologique de motivation dans le domaine de l’apprentissage et de l’enseignement des langues.
Les résultats à deux des quatre variables mesurant l’investissement sont meilleurs après l’intervention : ceux de la variable Orientation intégrative, qui traduit un désir d’interaction avec la communauté francophone, allant jusqu’à vouloir s’y intégrer (Gardner, 2010) et ceux de la variable Perception de ses compétences en FLS. Il est à noter que les scores de la variable Orientation instrumentale, qui réfère à la perception de la langue comme instrument de promotion socioprofessionnelle, étaient déjà élevés avant l’intervention.
Moyenne (et erreur standard) des variables Anxiété en salle de classe de FLS, Orientation intégrative, Orientation instrumentale et Perception de ses compétences en FLS (échelle de Likert à six degrés)
Si Norton a observé que des apprenants qu’on laissait se débrouiller seuls dans le « vrai monde » se retrouvaient confrontés au jugement impitoyable de la population majoritaire et, par conséquent, se repliaient sur eux-mêmes, refusant de s’investir dans l’apprentissage, nous avons pour notre part observé le contraire. Lorsque nous mettons en place, en amont, des conditions d’accueil facilitant la neutralisation des rapports de pouvoir, les apprenants s’investissent de plus en plus pour s’approprier la langue de l’autre.
Les données qualitatives mettent en lumière le fait qu’à mesure que les étudiants avancent dans leur travail communautaire, ils deviennent, se transforment au contact avec les francophones et sont de plus en plus enclins à saisir les occasions de parler en français à l’extérieur de l’école (au restaurant, dans les magasins, au garage, dans leurs activités de loisir, à leur travail, etc.), sans plus se soucier du jugement de l’interlocuteur ou de l’interlocutrice.
Impact de l’AEC sur le dialogue interculturel
Les résultats de la présente étude témoignent également d’une amélioration des attitudes des étudiants du GE à l’égard de la communauté francophone et de sa langue, alors que pour les étudiants du GC, c’est le contraire.
Comparaison des mesures des attitudes du GC et du GE à l’égard de la communauté francophone avant et après l’intervention pédagogique (échelle de Likert à six degrés)
Comparaison des mesures des attitudes du GC et du GE à l’égard du français parlé au Québec avant et après l’intervention pédagogique (échelle de Likert à six degrés)
Au terme des analyses qualitatives des données, nous avons constaté l’absence de commentaires négatifs sur les francophones (employés ou clients des organismes) rencontrés au cours du travail communautaire. À l’exception de quelques adjectifs (stressants, exigeants), tous les autres adjectifs attribués aux francophones ont une connotation positive : accueillants, affectueux, agréables, amicaux, adorables, amusants, charmants, compréhensifs, contents, gentils, heureux, patients, polis, souriants, sympathiques. En interagissant avec des francophones, les étudiants notent que ceux-ci ne sont pas différents des membres de leur propre communauté (« J’avais l’impression de parler à mon grand-père. » [extrait d’un journal de bord]; « J’ai commencé à réaliser que ces personnes ne s’en soucient pas ou sont tout aussi nerveuses et effrayées que moi. » [extrait du questionnaire Rétroaction]) et les traitent sans les distinguer des membres de leur propre groupe linguistique.
Les perceptions positives des étudiants à l’égard de la communauté francophone entrainent des perceptions positives à l’égard de sa langue, « une langue [valant] ce que valent ceux qui la parlent » (Bourdieu, 1977, p. 18). L’analyse qualitative de nos données révèle que pendant leur travail communautaire, les étudiants se sont concentrés plutôt sur la fragilité de la clientèle servie que sur son appartenance culturelle. Les étudiants n’évoquent à aucun moment la différence culturelle qui existerait entre eux et l’Autre. Ils se concentrent surtout sur la manière dont la langue leur permet d’entamer et de maintenir le dialogue.
Si, avant que le contact ne se produise, un tiers des étudiants du GE avaient des perceptions négatives à l’égard des francophones, après plusieurs rencontres, ils répondent tous par des adjectifs positifs à la question « Comment percevez-vous les personnes francophones avec qui vous interagissez pendant vos séances de travail communautaire? ». Ces résultats concordent avec la théorie des contacts intergroupes (Pettigrew et Tropp, 2011; Bourhis et Foucher, 2012; Bourhis, Carignan et Sioufi, 2015), selon laquelle les rencontres intergroupes ont un effet sur la réduction des préjugés à condition que la ségrégation et les normes sociales soient neutralisées par les conditions mises en place (Allport, 1954; Pettigrew et Tropp, 2011).
Bien qu’il s’agisse d’une étude exploratoire à petite échelle, les résultats de notre expérimentation sont prometteurs. Ils montrent que la socialisation en français avec des francophones par le biais d’activités réalisées en dehors de la salle de classe s’avère bénéfique, car cela permet aux étudiants d’améliorer leur motivation à l’égard de l’apprentissage du FLS, de s’ouvrir davantage aux autres, d’agir dans cette langue et de développer le sens de l’inclusion nécessaire à leur épanouissement social.
Nous concluons en suggérant à tous les enseignants et enseignantes de FLS qui voudraient continuer à explorer cette voie prometteuse de veiller à élaborer des activités pratiques réalisées en milieu réel, lesquelles favorisent les interactions authentiques avec la communauté francophone. Nous pensons que l’acquisition du FLS ne peut pas être exclusivement axée sur la maitrise du code de la langue, mais qu’elle devrait également mettre l’accent sur la rencontre entre les différents groupes linguistiques, ce qui leur donnerait l’occasion d’articuler ensemble leur vision du monde.
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- L’étude menée dans le cadre de l’élaboration de ce cours a été subventionnée par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), par l’entremise de l’Entente Canada-Québec relative à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement des langues secondes. [Retour]
- Pour un aperçu des résultats de cette étude, voir P. GAGNÉ et M. POPICA, « Le français langue seconde dans les cégeps anglophones : perceptions et motivation des élèves », Correspondance, vol. 24, no 3, novembre 2018. [Retour]
- Tous les témoignages en anglais ont été traduits en français. [Retour]
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