Le projet «Écrire en Arts visuels»
Depuis 2013, je remplis le rôle de repfran, soit celui de responsable du dossier de la valorisation du français, au collège de Valleyfield. Dans ce cadre, on m’a confié le mandat de mettre en œuvre les pistes de solution de notre Plan d’amélioration de la langue française du collège. De multiples lectures et réflexions issues d’activités organisées pour le Réseau Repfran par le Carrefour de la réussite m’ont amené à conclure que le principal défi, en matière de valorisation du français au collégial, résidait dans l’implantation d’une culture de l’évaluation de la compétence langagière en formation spécifique. J’ai donc opté pour une « approche programme » visant à outiller les enseignants quant aux textes qu’ils font écrire, cela en tenant compte du fait qu’ils sont « les spécialistes de leur discipline et des usages linguistiques qui y sont associés[1] ». Le recours au populaire logiciel Antidote m’a semblé également indiqué pour mener à bien cette entreprise.
J’ai d’abord pris connaissance des taux de réussite en français et discuté avec les coordonnateurs ou coordonnatrices des programmes dans lesquels ces taux étaient les plus faibles. Puis, j’ai consulté les enseignants et les élèves concernés afin de développer des activités signifiantes, en lien avec les textes produits dans leurs cours. Parmi les projets issus de cette consultation, l’un me parait novateur, notamment parce qu’il amène les participants à expérimenter Antidote non pas seulement comme un correcteur, mais également comme un outil d’aide à la rédaction. Ainsi, ils sont initiés à plusieurs fonctions du logiciel, de même qu’à d’autres ressources utiles dans l’écriture de textes portant sur des sujets spécifiques. En reprenant sommairement le contenu de ma participation à la table ronde de la rencontre Repfran du 8 avril 2016, le présent article offre un aperçu du projet Écrire en Arts visuels mené au cours de l’année 2014-2015 dans le cadre d’une mesure d’aide à la réussite plus large baptisée Christo et destinée aux élèves du programme Arts visuels au collège de Valleyfield.
Déroulement du projet
Écrire en Arts visuels est constitué de deux ateliers de formation et se déroule sur deux trimestres : à l’automne, une présentation générale d’Antidote est offerte aux élèves; à l’hiver, l’usage du logiciel est approfondi. Lors de cette seconde phase est abordée la notion de la maitrise de la langue telle que définie dans la Politique institutionnelle de valorisation de la langue française (PVLF) du collège de Valleyfield. Les ateliers, de deux heures chacun, sont donnés le mercredi après-midi, plage horaire dédiée aux mesures d’aide à la réussite. Pour les besoins du présent article, je ne décrirai que le deuxième atelier, qui porte sur l’amélioration d’un texte.
Le principal objectif de l’atelier offert à l’hiver est de montrer aux élèves comment intégrer dans la rédaction de textes exigés en formation spécifique certaines notions vues dans les cours de langue et littérature. C’est surtout en sensibilisant les participants à la notion de cohérence textuelle et en reprenant un modèle standard de paragraphe que nous illustrons ces passerelles entre les activités rédactionnelles des deux disciplines (français et arts visuels). Dans un contexte lié à la formation spécifique, les élèves seront exposés à une démarche de réécriture touchant l’ensemble d’un texte, de la phrase au contenu, en passant par la structure, et, ce faisant, seront amenés à exploiter les ressources d’Antidote. Cette démonstration prend appui sur un texte appartenant à un genre courant en Arts visuels appelé intention de création ou explication de concept, où il s’agit pour le scripteur ou la scriptrice de rendre compte de son intention de création en se référant aux diverses composantes de sa proposition visuelle. Voici donc le déroulement du second atelier du projet Écrire en Arts visuels.
Rappel des notions vues à l’automne
Pour commencer l’atelier, un rappel des notions vues lors de la première séance de l’automne s’impose (figure 1). L’usage d’Antidote, entre autres, est alors associé aux deux objectifs suivants inspirés des Stratégies d’écriture dans la formation spécifique, une ressource publiée par le Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD) :
- Trouver des expressions adaptées au travail en arts visuels
Pour atteindre cet objectif, les élèves sont d’abord initiés au dictionnaire des cooccurrences d’Antidote. Ainsi, ils observent les cooccurrences avec des mots-clés de leur discipline. Dans le programme, ce sont les termes suivants qui ont été retenus pour l’exercice : artiste, créer, œuvre et courant. Ensuite, pour encourager l’enrichissement du vocabulaire, deux ouvrages spécialisés sont présentés : le Dictionnaire usuel des arts plastiques[2] et Initiation au langage des arts visuels[3]. - Adopter des stratégies adéquates pour écrire en arts visuels
Le texte utilisé dans l’atelier[4] décrit les composantes d’une création (contexte, couleurs, formes, etc.) dans le but d’appuyer cette dernière. Le ton doit y être neutre. Aussi, les élèves sont sensibilisés à différentes stratégies pour parvenir à adopter un ton impersonnel – par exemple, éviter les marques du locuteur (repérables à l’aide des prismes « révision » et « inspection »). Pour améliorer la clarté de l’expression et le style, d’autres stratégies sont abordées : en tenant compte du contexte, recourir à des synonymes du verbe « terne » utiliser (fréquent dans les textes des élèves), surveiller la longueur des phrases (prisme « révision »), respecter les règles de la syntaxe (correcticiel).
Extrait du document de présentation du second atelier : rappel des notions vues au premier atelier
Sensibilisation à la notion de compétence langagière
Après le rappel des contenus vus à la séance d’automne, les élèves sont sensibilisés au concept de compétence langagière sur la base de la définition inspirée des travaux de Jean-Denis Moffet qu’en offre la PVLF du Collège, soit une compétence globale qui comprend trois types de compétences : linguistique, textuelle et discursive[5]. Cette sensibilisation prend appui sur un outil de vulgarisation que j’ai créé pour l’occasion, la « pyramide du langage » (figure 2).
Extrait du document présenté à la seconde séance de formation : la « pyramide du langage »
La « pyramide du langage » se révèle utile tout au long de l’atelier : les élèves lisent une rédaction comportant des maladresses et des incorrections, observent une analyse de ce texte, évaluent une réorganisation des idées du texte selon un nouveau plan, et enfin, prennent connaissance d’un texte réécrit selon ce plan. Les figures 3a, 3b, 3c et 3d, groupées à la fin de l’article, reproduisent l’essentiel du matériel utilisé au cours de cette partie de l’atelier.
Un exemple pour mieux planifier, organiser et réviser ses textes
Je présente d’abord la version originale d’un texte, intitulé Mon autoportrait (figure 3a), en faisant observer certaines maladresses et erreurs. Sont ensuite exposés les aspects suivants, généralement développés dans les rédactions appartenant au genre textuel concerné : contexte de création (consignes, contraintes), composantes de la proposition visuelle (couleur, forme, espace, matière), interprétation (thèmes, idées véhiculées). Puis, l’analyse de la version originale de Mon autoportrait selon ces aspects est illustrée à l’aide de la figure 3b : les idées sont extraites de la rédaction et classées dans une grille. Si la sélection des idées et leur classement par aspects sont des tâches préalables à l’écriture, elles sont utiles aussi dans le cadre de l’atelier pour la révision du contenu et la réorganisation du texte. Par rapport à la « pyramide du langage », cet exercice d’analyse concerne bien entendu le « discours », dimension du texte qui mérite l’attention du scripteur ou de la scriptrice tout au long du processus rédactionnel.
C’est à cette étape de la réflexion menée avec les élèves que je propose un modèle de paragraphe généralement enseigné dans les cours de français : idée principale, idées secondaires, idée conclue. Ainsi, la réorganisation dans un plan des idées de Mon autoportrait suit ce modèle (figure 3c). Il s’agit ici d’apposer des idées propres à un domaine de la formation spécifique (les arts visuels) à une structure connue des élèves afin de mettre en évidence l’aspect transversal de certains apprentissages effectués en formation générale (structure de texte, méthodologie), notamment dans les cours de langue et littérature. Enfin, le nouveau plan de Mon autoportrait donne lieu à une version améliorée du texte (figure 3d), qui suit alors cette organisation logique visant à renforcer la cohérence. Il est important de rappeler aux élèves que l’écriture est un processus itératif. Ainsi, après la planification et la rédaction, il est utile de revoir tous les aspects de sa production : le discours, l’organisation du texte, la langue.
Lors de la première édition d’Écrire en Arts visuels, la lecture avec les élèves de la version améliorée de Mon autoportrait, exempt d’erreurs de langue et de structure, a suscité une intéressante observation de la part d’une élève : une inexactitude de la référence aux « contrastes d’Itten[6] » était présente dans le texte (rectifiée dans la figure 3d). Cette erreur de « discours » était passée inaperçue à la lecture de la version originale, alors que la classe avait été invitée à proposer des améliorations au contenu. L’intervention de l’élève a permis aux participants de constater que les impairs linguistiques et textuels pouvaient nuire à la compréhension du message, et j’en ai profité pour mettre en évidence que, finalement, la compétence langagière n’est pas qu’une affaire de « fautes d’orthographe »!
Des prolongements au projet Écrire en Arts visuels
Cette expérimentation menée au cours de l’année 2014-2015 s’est avérée positive pour les enseignants et les élèves. Aussi, dans le but que l’activité se répète l’année suivante, l’enseignant responsable de la mesure d’aide et ses collègues ont assisté à l’édition 2015-2016 du projet. Les enseignants du programme se sont ainsi approprié le contenu de l’atelier.
La prise en charge de l’amélioration de la compétence langagière par les enseignants de la formation spécifique se développe en fonction des besoins exprimés et peut donc prendre plusieurs formes. Ceux du programme Arts visuels du collège de Valleyfield ont répondu positivement à ma proposition. Cette expérience collégiale les a outillés de façon à bien encadrer leurs élèves dans la rédaction des textes qu’ils demandent dans leur discipline. Par le fait même, ils ont enrichi leur approche de l’évaluation de la compétence langagière.
Par ailleurs, en sciences humaines, des ateliers ont également été mis sur pied pour qu’Antidote soit utilisé au maximum dans le cadre d’un centre d’aide en sciences humaines, alors que d’autres programmes ont préféré commencer par se doter de règles particulières d’évaluation afin de valoriser la qualité de la langue.
La mise en place de cette culture du développement et de l’évaluation des compétences langagières en formation spécifique nécessite planification et accompagnement. Les capsules du Carrefour de la réussite intitulées Quand amélioration et valorisation de la langue riment avec planification et accompagnement[7] expliquent très bien cette condition de la réussite d’une telle entreprise.
Mon autoportrait
Lors de ce travail j’ai choisi de faire un autoportrait de moi. Il fallait faire un auto portrait pour nous représenter en utilisant des couleurs qui nous représente. J’ai fait mes recherches préparatoires en faisant des dessins de moi en me basant sur des photos. Il fallait que je fasse un portrait ¾ à la manière d’un selfie. Je l’ai donc appeler Selfie parce que c’est réellement ça le concept. Surtout que l’image vient d’un selfie. Les couleurs que j’utilise dans le travail sont chaudes parce que je suis très chaleureux comme personne. Je ne voulais pas faire comme Andy Warhol en mettant des zones de couleurs en appelât, j’ai donc utilisé beaucoup de dégradé. J’ai fait le chandail de mon portrait en abstrait pour donner du dynamisme à ma peinture.
Tout d’abord, pour ce qui est de la composition de mon œuvre, j’ai choisi de la faire plutôt simple avec un texte en ligne continu et un seul arrière-plan, car je ne voulais pas que ma peinture ait l’allure d’une image trop débordé ou trop rempli d’information parce que je suis simple. De plus, l’élément de fond que j’ai choisi de mettre en évidence étant au départ une image composée d’un nuage bleu concentré vers son haut. Le texte que j’ai mis parle de ma difficulté à parler de mes émotions.
Je ne crois pas, avoir utiliser de contrastes de Itten sur tous mes éléments pour représenter quelque choses. Pour être franc, je ne suis pas sûr de ce que cela signifie, mais si c’est ce que je crois, je dois l’avoir fais. Je crois… Une chose est sure, j’ai bien exploité l’espace.
Version originale du texte Mon autoportrait
Aspects | Extraits du texte analysé |
Contexte (consignes, contraintes, projet) |
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Couleur |
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Forme |
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Espace |
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Matière | |
Interprétation (thème, idées véhiculées) |
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Texte résiduel
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Analyse du texte Mon autoportrait
Plan
Idée principale : processus à la base de l’autoportrait
- Idée secondaire : contrainte imposée = portrait ¾ à la manière d’un égoportrait
- Préparation = recherche de photos
- Dessins sur la base de ces photos
- Titre = « Selfie »
- Idée secondaire : utilisation des couleurs qui nous représentent
- Couleurs chaudes = chaleureux
- Pas de contraste à la Andy Warhol ni comme Johannes Itten
- Dégradés = personnalité douce et nuancée
- Idée secondaire : forme = égoportrait me représente
- Chandail « en abstrait » = dynamise le tableau
- Idée secondaire : utilisation de l’espace
- Simple
- Texte en arrière-plan unique : difficulté à exprimer mes émotions
Idée conclue : égoportrait = chaleureux, doux, dynamique, simplicité, retenue
Titre = « Selfie »
Plan proposé pour la réécriture du texte Mon autoportrait
Mon autoportrait
Ce travail est un autoportrait. Les couleurs sont tenues de me représenter et je devais effectuer la tâche à l’aide d’un portrait ¾ à la manière d’un égoportrait (« selfie »). Pour me préparer, j’ai donc procédé à une courte recherche de photos de moi-même. Ensuite, à partir de ces photos, j’ai fait quelques croquis. C’est à cette étape que j’ai titré mon œuvre « Selfie », en référence à l’anglicisme qui circule. En ce qui a trait aux couleurs, j’ai choisi des teintes pour illustrer ma personnalité chaleureuse. Aussi, je n’avais pas l’intention d’utiliser d’aplats comme on peut le voir dans les œuvres d’Andy Warhol et je ne crois pas avoir appliqué de contrastes d’Itten, car je voulais des dégradés afin d’évoquer mon côté doux et nuancé. Sur le plan formel, je voulais également des éléments qui évoquent ma personnalité. J’ai alors opté pour peindre mon dynamisme à l’aide des motifs rappelant l’abstraction dans la représentation de mon chandail. C’est la même chose avec l’espace de l’œuvre : je voulais que, dans mon travail, tout puisse converger vers mon être. C’est pourquoi je l’ai voulu simple, comme en intégrant un arrière-plan unique : un texte qui parle de ma difficulté à exprimer mes émotions. Finalement, je crois bien que mon égoportrait réussit à représenter les principales caractéristiques de ma personne : la chaleur, la douceur, la nuance, la simplicité et la retenue.
Version améliorée du texte Mon autoportrait
- S. CARLE et J. ROBERGE, « La nécessité de créer un réseau de répondants en français », Correspondance, vol. 17, no 3, avril 2012. <http://correspo.ccdmd.qc.ca/index.php/document/le-cadre-de-mesures-fait-des-petits/la-necessite-de-creer-un-reseau-de-repondants-en-francais>. [Retour]
- M. SAMSON, Dictionnaire usuel des arts plastiques, Éditions d’art Le Sabord, 2004, 196 p. [Retour]
- L. BOISSEAU, Initiation au langage des arts visuels, Presses de l’Université Laval, 2008, 118 p. [Retour]
- Aux fins de l’activité, un enseignant du programme a fourni un texte représentatif des compétences rédactionnelles de ses élèves. Ce texte devait répondre aux exigences suivantes : Les élèves doivent rédiger un texte pertinent pour appuyer leur création personnelle (choix des techniques, des matériaux, de l’organisation des éléments du langage visuel, du dispositif de présentation et de mise en espace). Un vocabulaire juste et propre à la discipline (arts visuels) doit être utilisé tout en respectant les règles de français. [Retour]
- « La compétence linguistique se rapporte à la connaissance du code, des règles d’utilisation de la langue. La compétence textuelle est la connaissance des composantes et des structures textuelles et la capacité d’organiser un texte et de le structurer de façon cohérente. La compétence discursive est la connaissance des moyens langagiers qui permettent de lier un texte à un contexte, à une situation de communication ou à un type de discours. » (Jean-Denis Moffet, « Des stratégies pour favoriser le transfert des connaissances en écriture au collégial », Revue des sciences de l’éducation, vol. XXI, no 1) [Retour]
- Dans la version originale de Mon autoportrait, l’élève écrit qu’il ne croit pas avoir appliqué de contrastes d’Itten; or, ce concept (une théorie de la couleur) s’applique à toute œuvre d’art. [Retour]
- Ces capsules ont été publiées en février 2016 (première partie : La planification) et en juin 2016 (deuxième partie : L’accompagnement). [Retour]
- Le texte est reproduit avec ses maladresses et ses erreurs. [Retour]
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