Vers une pédagogie de la langue dans toutes les disciplines ou ce qui sous-tend la réalisation du matériel — Pour une maîtrise de la langue essentielle à la réussite
Les enseignants et enseignantes de français le crient, hélas dans le désert, depuis trop d’années : ils et elles ne peuvent – ni ne doivent -, pour des raisons pédagogiques fondamentales, assumer l’entière responsabilité de développer la compétence langagière des jeunes Québécois et Québécoises, qui auront à vivre dans une société d’information et de communication.
Seulement voilà, la résistance est forte du côté des collègues des autres disciplines ; l’inertie, quasi totale du côté des administrations ; et les syndicats, muets sur le sujet. Le résultat est connu : des cohortes d’élèves quittent le cégep sans avoir reçu la formation langagière qui devrait leur assurer une autonomie intellectuelle suffisante. Et la société continue aveuglément à désigner des coupables, les enseignants et enseignantes de français placés bien en tête du peloton d’exécution.
De responsabilité collective ? De qualité de la langue des adultes, des décideurs, des chefs d’entreprise, des médias et de tous les formateurs et formatrices ? Point d’écho ! Alors, les enseignants et enseignantes de français baissent un peu plus les bras devant l’énormité de la tâche et la solitude du coureur de fond, et certains radicalisent leurs positions au point de refuser même de faire le détail et d’assumer la part qui leur revient légitimement dans l’enseignement de la langue.
En réaction contre cette situation inacceptable dans un Québec qui a besoin de toute sa solidarité linguistique pour continuer à vivre avec une langue dynamique, donc de qualité, nous croyons qu’il ne suffit plus d’argumenter, il faut passer à l’action.
Au préalable : tordre le cou à quelques préjugés nuisibles
Parce que nous croyons que la responsabilité pédagogique est la première de toutes dans le dossier de la maîtrise de la langue, nous avons d’abord voulu comprendre l’attitude de nos collègues des autres disciplines.
Souvent, derrière les déclarations à l’emporte-pièce du style « moi, j’enseigne la bio, pas le français » se cachent, en réalité, une méconnaissance des mécanismes langagiers et une peur de s’aventurer sur un terrain dont on ne se sent pas assez maître pour intervenir avec confiance auprès des élèves ; on craint, au fond, de perdre sa crédibilité pédagogique. C’est compréhensible. Seulement, il nous a semblé qu’il fallait amener tous les enseignants et enseignantes à prendre conscience du rôle de la langue comme métalangage, c’est-à-dire comme langage permettant de décrire un autre langage, notamment celui de chaque discipline. Ainsi, à toutes les étapes de l’acte pédagogique, les enseignants et enseignantes se servent de la langue pour enseigner leur discipline et, comme monsieur Jourdain, ils et elles « font de la prose sans le savoir »… Une fois ce constat établi, la responsabilité professionnelle d’enseigner la langue de sa spécialité devient inéluctable : le vocabulaire technique, les types de textes répondant aux situations de communication de la matière enseignée sont des objets de contenu disciplinaire. De même s’impose l’exigence que l’outil d’expression de la pensée soit soumis aux mêmes critères que ceux qui prévalent au regard du contenu disciplinaire. Comment prétendre former à la rigueur, à la précision et à la clarté sans réagir à l’imprécision, à l’ambiguïté et à la confusion de l’expression qui doit en rendre compte ? C’est une question de cohérence pédagogique.
Définir la responsabilité des enseignants et enseignantes de français
Une fois établi le principe de la responsabilité disciplinaire dans la formation langagière des élèves, la définition de la contribution particulière des enseignants et enseignantes de français reste néanmoins essentielle.
Au Québec comme ailleurs, le statut des enseignants et enseignantes de français est au coeur de débats houleux au regard de cet objet d’enseignement de plus en plus tentaculaire et du fossé qui se creuse entre l’enseignement de la langue et celui de la littérature moderne. Tant et aussi longtemps que ce personnel enseignant sera réuni sous la bannière d’une seule discipline, il reviendra à l’enseignant et à l’enseignante de français d’être compétents dans les deux volets disciplinaires. Cela dit, et la nuance est capitale, il ou elle ne peut intervenir que comme généraliste de la langue : s’il lui revient de former aux aspects fondamentaux de la compétence langagière, il ou elle ne peut proposer que des applications qui relèvent de son champ disciplinaire, la littérature.
Proposer une réponse constructive pour stimuler le milieu
Le programme de formation des enseignants et enseignantes que nous avons conçu repose sur les deux grands principes pédagogiques suivants :
- L’apprentissage d’une langue est différent des autres, il est social avant tout, donc transdisciplinaire. Or, si l’on semble convaincu de la validité de ce principe quand il s’agit de l’apprentissage d’une langue étrangère, curieusement, on ne le prend pas en considération quand il s’agit de la langue première. Ce statut particulier de l’apprentissage langagier implique alors nécessairement la collaboration de tout le milieu et, en particulier, la contribution de tous les formateurs et formatrices en milieu scolaire puisque la langue ne peut s’acquérir que par la pratique constante et ce, dans des situations authentiques, signifiantes et variées.
- Un apprentissage doit être motivé. Seule la pression du milieu, son degré de conviction exprimé de façon univoque et solidaire par tous peuvent convaincre les jeunes que la maîtrise de la langue est un objectif essentiel, donc commun, de formation et une valeur reconnue par la société québécoise. À partir de ces prémisses, nous avons conçu un programme de formation des enseignants et enseignantes des disciplines autres que le français pouvant répondre soit à des besoins ponctuels, soit à des besoins de perfectionnement plus profonds. Nous voulons ainsi les aider à intervenir avec confiance dans le développement de la compétence langagière de leurs élèves. Chaque formateur ou formatrice peut choisir la ou les activités de son choix en réponse aux besoins particuliers de son milieu. Mieux même, aux activités prévues, on peut substituer un format différent ou créer une activité à partir des matériaux fournis.
Poussés par le vent de la réforme
L’entreprise décrite plus haut, nous le savons, est ambitieuse, mais nous avons la conviction que la seule façon de changer les choses est d’offrir des occasions de réflexion et de perfectionnement à nos collègues pour les inciter à prendre leur part de la responsabilité dans la formation langagière des élèves. Nous savons, bien sûr, qu’ils et elles doivent comme nous assumer des ajustements majeurs dans l’enseignement de leur propre discipline. Heureusement, relativement à la maîtrise de la langue, la réforme souffle dans le sens du projet puisqu’elle inscrit (à ce jour du moins) la rédaction de textes substantiels dans les exigences de toutes les disciplines. Cependant, ce que la réforme ne prévoit pas, c’est le perfectionnement des enseignants et enseignantes pour qu’ils et elles puissent répondre à ces nouvelles exigences. L’impasse est majeure. Aussi avons-nous voulu mettre à la disposition du milieu une somme de documents permettant d’articuler une réflexion et de la nourrir. Plus encore, nous souhaitons recueillir en retour les suggestions, les expériences et les outils qui pourraient émerger de l’utilisation du matériel.
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