Prévenir pour mieux enseigner
Au tout début d’une session, vous le savez, une certaine fébrilité règne dans les couloirs d’un collège. Les premières semaines de cours sont primordiales dans la mise en place de votre gestion de classe. Les étudiants ne vous connaissent pas encore et ils observent vos façons de faire. Ils mesurent plus ou moins consciemment votre « élasticité » par rapport aux méthodes que vous utiliserez pour faire respecter les règles ou comportements indispensables à un bon climat d’apprentissage.
Nous enseignons à une nouvelle génération d’étudiants, celle de l’étudiant-consommateur qui veut réussir ses cours sans remettre en question son emploi du temps. Les études ne sont plus son activité principale et il réagit lorsque l’apprentissage et la réussite lui imposent des choix. Or, notre tâche implique l’évaluation des apprentissages et la sanction de la réussite ou de l’échec de l’étudiant. Nous devenons « le » responsable, par nos exigences, de « sa » réussite. Mais, en sommes-nous réellement les seuls responsables ?
Depuis plus de 10 ans, je dispense des formations sur la gestion de classe et nombre de professeurs m’affirment devoir faire face à une augmentation de comportements dérangeants, mais surtout de comportements qui les désarment : l’élève qui sort de la classe pour répondre au cellulaire ou aller se chercher quelque chose à boire, cet autre qui entreprend des négociations récurrentes quant aux exigences du cours, etc. Que faire ? Nous devons comprendre les acteurs en présence dans la classe et reconnaître nos particularités pour mieux envisager des solutions.
Profil des étudiants
La majorité des étudiants qui fréquentent le collégial ont entre 17 et 25 ans. Cette période de la vie coïncide avec la transition de l’adolescence à l’âge adulte. Or, tout passage d’une étape de vie à une autre suppose des conflits à régler et des défis à relever. L’étudiant doit faire des choix et respecter ses engagements ainsi que les responsabilités qui en découlent, ce qui peut provoquer un sentiment de contrainte. Il a l’impression quelquefois d’être pris au piège dans ses propres choix.
Passer de l’adolescence à l’âge adulte signifie qu’il faut « arracher » ses racines, quitter ses parents. Le jeune adulte jauge alors les croyances et théories, il définit ses valeurs personnelles et est en quête d’une identité professionnelle. Cette recherche stimule son désir de rencontrer des personnes (surtout des adultes) significatives pour l’aider à replanter ses racines.
La plupart de nos étudiants traversent ce passage sans trop de difficultés. Par contre, on a souvent l’impression, en écoutant les commentaires des professeurs – dont plusieurs enseignants de mise à niveau – que de plus en plus d’élèves sont indisciplinés et s’opposent aux exigences et aux règlements.
Le profil des professeurs
Les professeurs ont aussi des attentes et des craintes propres à leur tâche. Nous désirons être appréciés, reconnus et sentir que nous intéressons nos étudiants. Par contre, nous craignons diverses situations comme l’indiscipline, l’obligation de placer les étudiants face à leurs choix, les « leaders négatifs », etc.
Nous apprécions l’autonomie dans notre fonction d’enseignant. Par exemple, après avoir reçu notre horaire de cours au début d’une session, nous aimons pouvoir planifier diverses tâches (comités, projets, lectures, réunions, etc.). Cette autonomie est précieuse, mais elle cache une grande solitude : le professeur est seul en classe, même s’il discute à l’occasion avec des collègues ou prépare en équipe diverses activités. D’où notre fragilité devant des comportements dérangeants : il revient à nous, et à nous seuls, de trouver une solution. Évidemment, on pourra confier à un collègue que tel ou tel étudiant est vraiment perturbant ou impoli. Mais il suffit qu’il nous réponde : « Ah, bon… Moi, je n’ai aucun problème avec lui en classe » pour que nous choisissions de nous taire à l’avenir et de nous débrouiller tout seul. La solitude qui caractérise notre fonction nous rend vulnérables et peut ainsi nous porter à nous isoler si l’on fait face à des problèmes disciplinaires, par crainte du jugement de nos collègues concernant notre « gestion de classe ». Voilà déjà une première piste de prévention : envoyer un signal clair non seulement comme professeur en classe, mais aussi comme équipe de professeurs, de façon que chaque étudiant sache que son professeur n’est pas seul à édicter une ligne de conduite, mais que les règles proviennent d’un choix établi par l’ensemble des professeurs en département. Par exemple, dans un département de français où l’on a décidé que dans le cours 101, on pourra retrancher jusqu’à 25 % de la note finale pour la langue, à raison d’un point par faute, la règle devient incontestable puisqu’elle fait partie de la politique départementale, clairement énoncée dans les plans de cours.
Les types de comportement
Plusieurs comportements d’étudiants affectent notre enseignement et nous amènent à remettre en question notre double rôle, soit, d’une part, celui d’enseigner, de transmettre un savoir – refuser de faire les exercices, contester les théories/concepts, effectuer d’autres travaux pendant les cours, etc.– et, d’autre part, celui de valider les savoirs acquis et ce, au moyen de l’évaluation – retards dans la remise des travaux, absences aux examens, non-respect des exigences dans la présentation des travaux, etc. Il faut aussi ajouter un autre volet à notre rôle, soit celui d’encadrer des relations entre personnes dans un même lieu et, donc, des comportements qui ne concernent pas l’apprentissage comme tel, mais plutôt le respect global entre individus dans notre société : retards, écarts de langage, déplacements sans raison, etc. Voyez le tableau présentant des exemples de comportements dérangeants reliés aux divers aspects de notre rôle.
Aspect relationnel | Aspect pédagogique | Aspect évaluatif |
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Les trois colonnes décrivent les sphères de travail du professeur en classe. Par son statut d’autorité, il encadre les relations qui s’établissent entre les personnes qui se trouvent dans un même local pour un certain nombre d’heures. C’est en raison de son cours que ces étudiants se trouvent ainsi regroupés. Il doit donc veiller à ce que les relations entre eux soient empreintes de respect et d’un savoir-vivre minimal pour assurer à chacun un bon climat d’apprentissage. Les colonnes concernant les aspects pédagogiques et évaluatifs, indiquent, pour leur part, les comportements inadéquats liés aux activités qui se déroulent dans une classe lorsque nous enseignons divers contenus et que des activités pédagogiques sont prévues pour en faciliter l’intégration, ou encore, quand nous devons vérifier l’atteinte de ces apprentissages par divers moyens d’évaluation.
La prévention des comportements inadéquats
La gestion des comportements inadéquats a longtemps été informelle au collégial. Un rappel, un regard, un « silence » suffisaient. Aujourd’hui, nous l’avons dit, les élèves sont différents et il nous faut désormais, comme professeur, affirmer de façon plus systématique nos exigences et fixer clairement le cadre d’apprentissage nécessaire pour réussir.
Voici différents moyens préventifs qui vous permettront de court-circuiter l’apparition ou la répétition de comportements inadéquats.
L’espace-classe
La disposition et l’appropriation du local de classe sont primordiales. Nous devrions nous déplacer occasionnellement dans l’ensemble du local pour bien faire sentir à nos élèves qu’ils prennent place dans NOTRE classe. Il en résultera un contact plus personnalisé avec chacun d’eux.
Par ailleurs, nous désirons instaurer un contexte qui favorise l’apprentissage, mais nous prenons rarement le temps d’aménager le local. On devrait demander aux étudiants, par exemple, de placer les tables et les chaises de telle ou telle façon, pour pouvoir se déplacer aisément. Il faut ainsi organiser l’environnement en fonction des activités prévues : partie magistrale, exercices, travail en équipe ou individuel, présentation d’un document audiovisuel, exposés oraux, etc.
Le devant et le centre du local regroupent souvent les élèves attentifs et intéressés tandis que l’arrière et les côtés sont occupés par des étudiants qui participent moins et se révèlent potentiellement perturbateurs. On trouve aussi des étudiants dits « touristes » dans ces dernières zones. Il faut se déplacer jusqu’à eux pour mobiliser leur attention et s’assurer de l’écoute de chacun.
Les premiers cours
Il faut appliquer nos règles dès les premiers cours de façon à déterminer clairement notre niveau « d’élasticité » vis-à-vis d’elles. Plus on intervient rapidement en signifiant à l’élève qu’un comportement « x » n’est pas accepté dans notre classe, plus vite il connaîtra nos balises et nos attentes. Trop souvent, nous expliquons au premier cours nos attentes par rapport aux comportements, puis, dès leur apparition, nous n’intervenons pas, nous le faisons timidement, ou encore, nous répétons l’intervention sans bien faire comprendre à l’étudiant ce que nous exigeons. Nous multiplions les « s’il vous plaît » même si cette demande n’a jamais eu l’effet escompté. Il faut plutôt graduer nos interventions de façon à augmenter la pression sur l’étudiant pour bien lui faire comprendre qu’il persiste à avoir un comportement que nous avons déjà désigné comme dérangeant.
Il est bon aussi d’établir des règles découlant de discussions soit avec nos collègues en département, soit avec des étudiants, en vue de faire participer les élèves à la description du climat souhaité pour atteindre la réussite. Il faut veiller à ne pas élaborer trop de règles, sinon les étudiants auront l’impression d’être traités comme des enfants.
Les méthodes d’enseignement
Votre propre enseignement peut être la source de comportements dérangeants ou inacceptables. Si vous ne diversifiez pas vos méthodes pédagogiques et n’utilisez que le cours magistral, attendez-vous à faire face à des comportements négatifs. Les étudiants sont-ils proactifs pendant votre enseignement ? Participent-ils suffisamment ? Vos méthodes pédagogiques sont-elles assez variées compte tenu du profil d’apprentissage des élèves ?
Il faut être continuellement à l’affût de tout ce qui se passe dans la classe et ne pas être uniquement centré sur le contenu de vos cours. Votre relation avec l’étudiant implique aussi que comme professeur, vous respectiez des valeurs fondamentales : équité, empathie, congruence, etc. Dans le cas contraire, vous risquez de générer des conflits en créant un ressentiment dans le groupe.
L’intervention
Malgré le recours à tous ces moyens préventifs, il peut arriver que nous soyons dans l’obligation d’intervenir de façon plus systématique. Les professeurs semblent dire qu’ils doivent aujourd’hui le faire plus souvent. Or, en entendant leurs témoignages, je me pose une question : y a-t-il vraiment plus de problèmes ou de comportements dérangeants qu’avant, ou est-ce que nous laissons trop la situation se dégrader avant d’intervenir ?
Premier niveau d’intervention
Les interventions doivent être brèves, discrètes et rapides, en plus de s’accentuer si elles ne réussissent pas. Nous avons tendance à reprendre constamment la même technique d’intervention ; nous ne démontrons pas alors que le comportement qui perdure est inacceptable. Nous ne devrions jamais répéter une intervention qui n’a pas donné le résultat attendu. Les techniques sont nombreuses et variées : établir un contact visuel, énoncer un rappel court, se déplacer et utiliser la proximité physique pour individualiser notre rappel, etc. L’important est d’intensifier peu à peu les interventions pour signifier à l’étudiant ce que nous exigeons.
Prenons le cas d’un groupe de mise à niveau en français. Un étudiant n’apporte jamais son dictionnaire tandis qu’un autre a son cahier d’exercices une fois sur deux. Le professeur peut souligner ces oublis par une première intervention et permettre qu’ils travaillent avec des voisins qui ont leur matériel. Il en profitera pour leur rappeler que, selon son plan de cours, ces ouvrages sont obligatoires (d’où l’importance de bien l’indiquer dans le plan). Deuxième oubli ? L’enseignant demande à l’élève sans dictionnaire d’aller s’en procurer un immédiatement à la bibliothèque, au CAF, auprès d’un ami…, sinon il ne pourra participer au cours, et à celui qui n’a pas son cahier, de faire les exercices en devoir pour le prochain cours. Si les oublis continuent, il refuse l’accès à la classe tant et aussi longtemps que les étudiants n’ont pas les outils nécessaires à leur réussite ou il les rencontre individuellement.
Deuxième niveau d’intervention : l’entrevue
L’étudiant qui persiste dans un mauvais comportement malgré les interventions de premier niveau ou qui transgresse de façon inacceptable les règles et valeurs, doit faire l’objet d’une action structurée et formelle. Vous devez le rencontrer individuellement à votre bureau. Cela mettra l’accent sur la gravité ou la répétition du comportement. Vous pouvez aussi demander à l’étudiant de chercher lui-même une solution ; il deviendra alors responsable des implications de son comportement répétitif et vous ne ferez qu’appliquer la solution.
Reprenons le cas de l’étudiant qui n’a pas son cahier d’exercices. Au premier oubli, on lui a permis de travailler avec un pair. Au deuxième oubli, il a fait les exercices en devoir supplémentaire pour le cours suivant. La troisième fois, il faut le rencontrer et discuter de la situation. Vous devez le forcer à énoncer vos exigences et les conséquences prévues, et lui demander de trouver une solution et une conséquence pour l’avenir. Ne trouvez pas la conséquence à sa place si vous voulez vraiment « mettre de la pression » sur lui : n’oubliez pas qu’il en est au troisième rappel et que vous avez le loisir d’accepter ou non sa proposition. Laissez-lui démontrer sa volonté de changement et considérez que vous lui avez déjà donné la chance de s’amender.
Le département et la direction des études doivent ensuite appuyer le professeur si cette étape n’aboutit pas aux résultats escomptés. L’étudiant peut être vu en petit comité, surtout s’il a eu les mêmes comportements avec d’autres professeurs.
Conclusion
La bonne gestion de classe n’exige pas que le professeur devienne un spécialiste de l’intervention. Sa pédagogie demeure le principal outil préventif : il doit, dans la mesure du possible, être à l’affût de tout ce qui se déroule dans sa classe et réagir à tout comportement qui affecte son enseignement. Nous enseignons à de jeunes adultes conscients de leurs attitudes et de leurs agissements. La constance dans notre gestion de classe contribue à bien clarifier notre rôle et facilite la mise en place d’un cadre pédagogique essentiel à l’apprentissage.
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