Le RUSAF s’affiche
Les considérations sur la piètre maîtrise du français des étudiants qui commencent un premier cycle universitaire sont d’une inépuisable actualité. Elles sont l’occasion de nombreuses réflexions, de remises en question et de propositions qui ont été à l’origine de la création de programmes de remédiation linguistique dans les universités. Nous le savons, les centres d’aide en français (CAF) sont depuis longtemps installés dans le paysage collégial. Depuis quelques années, c’est au tour des universités d’instaurer une formule de mesures d’aide similaire dans le but de soutenir les étudiants, dont les notes sont souvent en chute libre à cause, notamment, d’une faible maîtrise du français et de la rédaction.
Rappelons qu’il est assez récent que les universités imposent des mesures d’évaluation de la qualité du français pour l’admission des étudiants ou la sanction des études. Leurs politiques linguistiques ont évolué surtout au cours des vingt dernières années, ce qui nous ramène en 1987, au moment où le Conseil de la langue française publiait un avis sur l’enseignement du français au Québec[1]. À la suite de ce rapport percutant, les universités ont imposé progressivement des examens d’admission en français et ont défini davantage leurs politiques en cette matière. Par ailleurs, les universités comme les collèges ont enrichi leurs recherches sur les facteurs de réussite qui permettent une meilleure transition entre ces ordres d’enseignement.
Les études[2] qui traitent du passage du collège à l’université démontrent que l’un des facteurs déterminants de réussite est sans nul doute l’acclimatation rapide au programme de formation ; c’est le premier seuil critique influençant la poursuite ou l’abandon des études universitaires. Ce premier jalon s’exprime, entre autres, par la capacité de l’étudiant à s’approprier la méthodologie et la terminologie propres à sa discipline ou à son champ d’études. Ce niveau d’acquisition suppose que, dès l’entrée dans son programme d’études, il possède les capacités fondamentales d’analyse et de synthèse lui permettant de rédiger de façon claire, structurée et concise un rapport ou une argumentation exempts de fautes d’orthographe et de syntaxe. Il en va tout autant de la présentation d’un exposé oral. La maîtrise des compétences linguistiques est donc au cœur des préoccupations.
Plusieurs réflexions ont aussi été amorcées en ce qui a trait plus particulièrement à la qualité du français des futurs enseignants. En 2001, la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec a lancé un pavé dans la mare en indiquant dans son rapport que plus de la moitié des enseignants avaient une connaissance insuffisante de la langue française[3]. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, en collaboration avec les facultés des sciences de l’éducation des universités québécoises, a alors assujetti les étudiants en formation des maîtres à des normes particulières en matière de compétences linguistiques. Ces normes concernaient la qualité de la langue écrite et celle de la communication orale. À partir de ce moment, les étudiants des programmes de formation à l’enseignement ne pouvaient obtenir leur diplôme s’ils n’avaient pas réussi les tests de français mesurant des compétences de haut niveau ou participé avec succès à des mesures de rattrapage.
Les mesures d’aide en français à l’université
Les besoins ayant été déterminés, des services d’aide ont été instaurés dans l’ensemble du réseau. En 2005, tous les établissements universitaires ou presque, s’inspirant grandement de la longue tradition du collégial en cette matière, avaient mis en place des mesures de remédiation en offrant des activités non assorties d’unités aux étudiants des trois cycles d’études éprouvant des difficultés linguistiques.
Cette année 2005 marque un moment important dans l’histoire des centres universitaires d’aide en français, puisque le 14 juin, la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) accueillait plus d’une trentaine d’intervenants des universités francophones québécoises préoccupés par l’émergence des mesures de soutien en français dans un cadre de formations non assorties d’unités offertes à des étudiants universitaires. Une première !
Cette rencontre a conduit à la production d’un rapport qui présentait l’état de développement des mesures d’aide en français dans les établissements universitaires, d’une part, et, d’autre part, l’état des besoins, des soucis, des inquiétudes de chacun pour ce qui touchait la reconnaissance et l’engagement institutionnels, le développement d’activités spécifiques à la formation universitaire, la formation des tuteurs, etc. Une consultation réalisée auprès des responsables des services d’aide en français dans les universités a clarifié le mandat, qui s’est défini par la demande de création d’un réseau universitaire des services d’aide en français. Ce réseau avait pour but de regrouper les intervenants qui projetaient d’instaurer des mesures d’aide en français pour la collectivité étudiante, ou qui avaient déjà une expertise en ce domaine. Plusieurs autres rencontres ont suivi et ont permis la création officielle du RUSAF, le Réseau universitaire des services d’aide en français, le 1er mars 2007. Il faut souligner que dès le départ, le RUSAF a reçu des appuis importants du Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD) ainsi que du Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur (CAPRES). Ces deux organismes ont été généreux de leurs conseils comme de leur soutien matériel et technique.
La mission du RUSAF
La mission retenue par le RUSAF est d’« orienter ses actions vers l’appui au développement et à la mise en œuvre de mesures d’aide en français dans le but de soutenir la réussite éducative des étudiants universitaires par l’amélioration de leurs compétences en regard de la communication en langue française ». En effet, la perspective de l’appui appelle une mise en commun et prend plusieurs formes. Le réseau s’intéresse avant tout à ses membres, qui en sont les éléments actifs. Nous avons pu le constater au cours de nos rencontres, les différents membres d’un réseau ont leurs propres défis, et chacun vit une situation singulière. Il s’agit donc de faire converger au moins une partie des enjeux individuels dans l’enjeu global du réseau, ce qui assure une participation constructive de chacun à un objectif collectif. Ce sont les « liens » conjoncturels et d’appartenance à un même ordre d’enseignement (le réseau universitaire) qui nous relient actuellement en nous incitant à la collaboration.
Le RUSAF a pour objectif « la mise en commun des recherches, des pratiques et des actions ciblées relativement à la communication en langue française ». En effet, cette coopération permet l’élaboration de banques de données relatives aux politiques sur la langue française dans les universités, aux outils et aux méthodes de travail dans les centres d’aide en français, aux statistiques de fréquentation, aux taux de réussite des tests de français. Elle facilite également le partage d’outils pédagogiques, la mise en œuvre d’activités communes et la publication d’articles dans différents médias.
Les mesures d’aide en français : une définition commune
Autour de notre table, nous réunissons des intervenants du réseau universitaire qui dépendaient d’unités organisationnelles aussi diversifiées que la clientèle à laquelle les ressources sont offertes. Des services à la vie étudiante en passant par les départements et les facultés, les mesures d’aide en français répondent, en effet, à des besoins précis (ceux des étudiants en sciences de l’éducation, par exemple) autant qu’à ceux de l’ensemble de la communauté. Malgré ces distinctions, il apparaît que la forme que prennent les différentes activités est similaire.
Dans cette conjoncture, les universités qui ont mis en place des mesures d’aide en français ont élaboré deux modèles distincts. Il y a, tout d’abord, les mesures de remédiation de la langue, qui permettent aux étudiants, selon leurs besoins, d’améliorer leur maîtrise de la langue dans plusieurs domaines. L’offre de services comprend, par exemple, des activités de mise à niveau portant sur le code linguistique, la lecture et l’écriture, l’oral et, surtout, la rédaction. Certaines mesures soutiennent la préparation à des tests de français (pour les sciences de l’éducation) ou offrent des compléments de formation à certains cours spécifiques.
Le deuxième type de services concerne les mesures de valorisation de la langue. Ce sont des activités qui s’actualisent par l’invitation de conférenciers, par des publications, des jeux linguistiques, des sites Internet interactifs, des logiciels d’exercices pour l’apprentissage autonome, etc. Certains centres offrent des activités complémentaires et ponctuelles en lien avec des thématiques qui touchent la promotion de la langue. Des rencontres d’auteurs, des événements à caractère culturel sont ainsi mis de l’avant.
L’ensemble des centres offre des services d’aide individualisée qui sont du même type que les ressources offertes dans les CAF du collégial. Les étudiants qui désirent améliorer leur maîtrise de la langue sont jumelés à des étudiants-moniteurs (ou étudiants-tuteurs) en mesure de leur offrir une assistance, mais aussi un support pédagogique et des outils méthodologiques qui visent la prise en charge autonome des apprentissages en français. Cet objectif pédagogique circonscrit bien le mode de soutien et énonce clairement, en termes de culture, ce qui se développe dans les centres actuellement. Parallè-lement aux activités de soutien individuel, des activités en groupes de travail restreints abordant des questions précises de langue, de rédaction ou d’expression orale sont offertes par certains centres, selon des horaires prédéterminés. Les groupes comprennent entre cinq et vingt étudiants.
Une collaboration avec les programmes d’études et les départements
Mettre en place des mécanismes de repérage d’étudiants en difficulté est une solution envisageable dans la mesure où la collaboration et la contribution des responsables des programmes d’études sont présentes. À titre d’exemple, les centres qui offrent des mesures d’aide adaptées aux besoins des étudiants de deuxième et troisième cycle, pour la supervision de la correction des mémoires et des thèses, ont établi des mécanismes de reconnaissance des besoins et font la promotion du service à l’intérieur des cours de leur programme. Les professeurs le recommandent à leurs étudiants ; ceux qui en bénéficient le reconnaissent comme nécessaire et complémentaire à leur formation.
Dans certains centres seulement, des professeurs ou des directions de programmes imposent à des étudiants en difficulté de suivre une session de rencontres individuelles. Les responsables des mesures maintiennent cet engagement par un suivi de la fréquentation des services auprès des professeurs et des directions.
L’évaluation des programmes de mesures d’aide en français
Cette approche où l’apprentissage est individualisé satisfait les étudiants qui en bénéficient. Toutefois, le problème de l’amélioration réelle des compétences linguistiques est un sujet de questionnement. En quoi les étudiants améliorent-ils leurs compétences ? Le temps consacré à chaque session de formation (en moyenne 12 heures) est-il suffisant pour qu’il y ait un véritable apprentissage ? La pertinence d’une évaluation des mesures d’aide s’impose alors autant pour le secteur universitaire que pour le collégial. Pour l’instant, nous orientons notre réflexion vers la possibilité d’évaluer la pertinence des moyens plutôt que les résultats des mesures d’aide.
L’encadrement des étudiants
En soutien individuel, les étudiants sont placés principalement dans des situations où leur connaissance du code linguistique est transférée dans la rédaction de textes. L’amélioration de la maîtrise de la langue en tant qu’outil de communication et de pensée étant prioritaire à l’université, nous travaillons de manière que l’étudiant puisse finalement mieux gérer ses savoirs et créer les liens nécessaires à la construction d’une compétence dont il se servira durant sa formation. L’objectif est d’amener nos étudiants à développer trois habiletés, à savoir le repérage des erreurs linguistiques (donc le « doute » et le questionnement), la correction des erreurs (donc la mobilisation des connaissances et l’utilisation des outils appropriés), et enfin, la justification de la correction (donc le déploiement de stratégies de résolution de problèmes et l’utilisation du métalangage dans le traitement cognitif des connaissances).
La création du RUSAF permet de croire en une pérennité des énergies que nous avons déployées jusqu’ici pour développer et mettre en place des mesures d’aide en français dans nos établissements. L’enthousiasme que suscite ce projet nous fait prendre conscience de l’importance et de la force d’une telle collaboration, qui allie nos expertises et nous assure de leur reconnaissance par les instances concernées. À nous maintenant de poursuivre le travail amorcé et de nous imposer comme un réseau expert, en milieu universitaire, du développement et de la mise en œuvre de mesures d’aide en français.
- Conseil de la langue française, L’enseignement du français au Québec : avis au ministre responsable de l’application de la Charte de la langue française, Québec, 1987. Retour
- Entre autres, celle de Pierre CHÉNARD, L’évolution de la population étudiante à l’université. Facteurs explicatifs et enjeux, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1997, 155 p., ainsi que l’Avis au ministre de l’Éducation du Conseil supérieur de l’éducation. Réussir un projet d’études universitaires : des conditions à réunir, Québec, Gouvernement du Québec, 2000. Retour
- Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, sous la présidence de monsieur Gérald Larose, 2001. En ligne : www.spl.gouv.qc.ca/etatsrapport_pdf/COM1-021_rapport_final.pdf, p. 52. Retour
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