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Utiliser le dictionnaire monolingue en classe de langue

Utiliser le dictionnaire monolingue en classe de langue

Les enseignants de français langue seconde, tout comme leurs collègues de littérature, encouragent les apprenants à utiliser le dictionnaire monolingue dès qu’ils ont dépassé le niveau débutant. Cependant, comme le souligne Surcouf (2010), un seul manuel[1] de français langue seconde montre comment s’organise un article dans un dictionnaire monolingue. On ne doit donc pas s’étonner que les apprenants d’une langue seconde (L2) privilégient le dictionnaire bilingue. Cet outil leur parait rassurant: la consultation s’opère rapidement et facilement, car on y a immédiatement accès à une traduction dans la langue maternelle. Pourtant, utiliser le dictionnaire bilingue conduit à des erreurs dues à un manque d’équivalence des mots, notamment en ce qui a trait aux registres de langue, à la connotation, aux cooccurrences, etc. (Surcouf, 2010). De plus, les explications y sont présentées dans la langue maternelle, ce qui ne favorise pas l’exposition à la L2.

Le dictionnaire monolingue, en revanche, présente le mot dans ses dimensions syntaxiques et lexicales, absentes du dictionnaire bilingue, et expose davantage les apprenants à la L2. Bogaards (1988) a montré que ceux-ci utilisent de plus en plus fréquemment le dictionnaire monolingue au fur et à mesure que leurs connaissances dictionnairiques s’enrichissent. Cependant, la consultation d’un dictionnaire monolingue en décourage plusieurs à cause de la densité de l’information et de la complexité des articles. Il apparait donc important de donner aux apprenants de L2 un enseignement explicite sur la manière de lire efficacement un article dans ce type d’ouvrage.

Par ailleurs, en L2, le dictionnaire est utile pour la compréhension ou la production d’un texte, mais aussi pour l’apprentissage même de la langue, l’acquisition du vocabulaire. Dans cette optique, Nation (2001) souligne que le mot sera davantage mémorisé si l’apprenant[2] accomplit une certaine tâche au moment où il y est exposé. Il convient donc non seulement d’expliquer aux apprenants comment lire un article de dictionnaire, mais aussi de leur présenter des activités liées à l’utilisation du dictionnaire monolingue.

Analyse de l’article d’un dictionnaire

Afin de sensibiliser l’apprenant à la multitude d’informations disponibles dans un dictionnaire monolingue, chaque article doit être étudié en fonction de la notion à acquérir : les constructions verbales, les registres de langue, la famille de mots, la polysémie, la synonymie, l’antonymie ou les cooccurrences. Par exemple, l’apprenant de français langue seconde commet bien souvent des erreurs relativement à la préposition employée avec le verbe. Il écrira, par exemple, *visiter à mes parents. L’enseignant doit donc lui indiquer où trouver cette information dans un dictionnaire. Dans ce cas de figure, l’article choisi concernera un verbe. Il s’agira alors de faire découvrir tout ce qui compose l’article pour un verbe, et ce, à travers diverses tâches de familiarisation (voir le tableau 1). Après l’étude de la construction verbale, l’enseignant enchainera avec les autres notions mentionnées plus haut (les registres de langue, les synonymes, etc.), toujours au moyen de tâches de familiarisation. Observer chaque article avec un but particulier permet de voir et de revoir le sens des conventions et symboles utilisés dans le dictionnaire, et ainsi d’améliorer la rétention de ce métalangage; de plus, l’apprenant est centré sur un seul et même article, dont il devra maitriser la composition avant de passer à un autre. Les exercices qui suivent chaque observation, quant à eux, donnent un avant-gout de l’utilité du dictionnaire dans le cas de tâches plus complexes, telles que la lecture ou l’écriture de textes. Ainsi, corriger des phrases où s’est glissée une erreur de construction verbale préparera l’apprenant à porter son attention sur ce type d’erreurs lors de la révision de son texte. Cet exercice s’avèrera encore plus pertinent si les phrases sont issues de ses rédactions personnelles.

Tableau 1
Exemples de tâches pour un article de dictionnaire concernant un verbe

L’observation de la composition d’un article pour y chercher de l’information sur la langue a lieu au début du cheminement de l’apprenant. Pendant des cours de lecture, le dictionnaire monolingue permettra :

  • d’automatiser l’utilisation du dictionnaire (trouver l’information rapidement);
  • de savoir quels mots employer dans un contexte donné (registres de langue);
  • d’enrichir son vocabulaire (famille de mots);
  • d’utiliser le mot précis (synonymie, polysémie).

Les apprenants d’une L2 ont tendance à utiliser plus souvent le dictionnaire en compréhension qu’en production (Bogaards, 1988). Il est important de ne pas limiter le recours au dictionnaire monolingue à des activités de lecture, et au contraire de sensibiliser les apprenants à l’utilisation de cet outil en production, notamment lors de la révision d’un texte. Pendant les cours d’écriture, le dictionnaire monolingue permettra :

  • de se familiariser avec les verbes et leurs constructions, afin d’éviter par la suite des erreurs dans le choix du pronom personnel complément ou relatif, et d’utiliser la préposition appropriée à un verbe et à son sens;
  • d’utiliser un vocabulaire précis et d’éviter l’emploi de mots passepartouts tels avoir, être, faire, dire, etc.;
  • de savoir quels mots fonctionnent ensemble, afin d’éviter des formulations comme *une famille avariée.

Après ces tâches de familiarisation, l’apprenant passera à des activités plus synthétiques où il observera simultanément des verbes, des noms, des adjectifs. Il ne consultera plus un seul type d’article (un article sur un verbe, un autre sur un nom, etc.), mais tous les types. De même, il ne privilégiera pas une seule information à trouver (un synonyme, des mots de même famille, etc.), mais toutes celles abordées au début du cheminement de l’apprenant.

Dans les prochains paragraphes, nous décrivons deux activités issues de notre pratique d’enseignement dans des classes de français langue seconde. Les étudiants, originaires de divers continents (Asie, Amérique du Sud, Europe de l’Est, Afrique du Nord, etc.), se classaient au niveau avancé. Ces activités se sont révélées utiles pour les encourager à employer le dictionnaire monolingue et à délaisser peu à peu le dictionnaire bilingue.

Premier exemple d’activité : élaboration d’une « carte d’étude de mot »

La première activité consiste dans l’élaboration d’une « carte d’étude de mot » dans le cadre d’un cours de lecture destiné à des étudiants de niveau intermédiaire-avancé. Ce cours comprend des ateliers de lexique, où l’étudiant se familiarise avec les notions de dérivation, de famille de mots, de synonymie et d’antonymie.

Le but de l’activité est de forcer l’apprenant à lire en français, mais également à utiliser le dictionnaire monolingue. L’étudiant choisit d’abord un texte dans lequel il a relevé trois mots qu’il ne connait pas. Il dresse ensuite une « carte d’étude de mot » pour chacun d’eux; sur chaque carte, il consigne le mot lui-même, sa définition, un synonyme et un antonyme correspondant à l’emploi du mot dans le texte initial, des mots de la même famille, et enfin, une phrase de son cru dans laquelle le mot est employé en contexte. Nos étudiants soulignent souvent que réaliser cette activité une seule fois ne suffit pas à les familiariser avec le dictionnaire monolingue. Ils recommandent de répéter la même tâche, avec des mots différents, au moins cinq fois. C’est seulement après la troisième répétition, disent-ils, qu’ils acquièrent de la rapidité et de l’aisance dans la consultation du dictionnaire monolingue. Mentionnons que la plupart des erreurs commises dans le cadre de cette activité se situent sur le plan du sens: le cas échéant, soit le mot réemployé dans la phrase ne coïncide pas avec le sens du mot dans le texte de départ, soit la définition du mot ne correspond pas au sens du mot dans le texte. C’est ce que montre la figure 1 : dans le texte initial, le verbe parvenir est employé au sens d’« arriver à faire quelque chose au prix d’un certain effort ». Pourtant, l’étudiant a défini le verbe dans un autre de ses sens : « arriver à destination ».

Figure 1
Exemple d’une « carte d’étude de mot » concernant le verbe parvenir

Deuxième exemple d’activité: construction d’un glossaire

La deuxième activité consiste dans la construction d’un glossaire web. À la différence de la première, elle concerne des étudiants de niveau plus avancé et se réalise en collaboration. Cette activité se révèle intéressante, car elle favorise l’interaction entre les étudiants d’une classe de L2 et sollicite différentes habiletés. Dans un cours de communication orale, ils seront invités à inscrire dans le glossaire des mots qu’ils découvrent en écoutant la télévision ou la radio; dans un cours de lecture, ils travailleront plutôt à partir de textes écrits.

L’intérêt du glossaire web est que celui-ci repose sur un travail collectif de négociation du sens, où tous les participants jouent un rôle actif dans la transmission du savoir, ce qui leur permet de devenir plus autonomes dans leur projet d’apprentissage du français. De plus, le glossaire permet de prendre conscience des éléments essentiels pour qu’une définition soit bien comprise; chacun est invité à lire, à commenter et à évaluer les fiches de ses camarades de classe. Cette évaluation par les pairs favorise un climat de classe respectueux, où les étudiants deviennent des coéquipiers qui s’entraident pour atteindre un but commun.

L’activité décrite ci-dessous a été réalisée dans un cours de lecture de niveau avancé. Ce cours et son préalable comprennent un volet « enrichissement du lexique » dans lequel les participants s’initient à certaines notions de morphologie et de sémantique : préfixes, suffixes, mots composés, familles de mots, etc. Dans leur glossaire web, ils traitent de mots ou d’expressions qui leur permettent de mieux comprendre les textes étudiés tout en mettant en pratique les connaissances linguistiques qu’ils sont en train d’acquérir.

La phase préparatoire de l’activité relève de l’enseignant. Celui-ci doit sélectionner un texte adapté au niveau de ses étudiants et aux objectifs du cours. À l’intérieur de ce texte, il repère les mots et expressions susceptibles de poser un défi pour ses étudiants et en dresse la liste; il peut s’agir de vocabulaire spécialisé, d’expressions familières, de mots polysémiques, etc. Enfin, l’enseignant crée, sur la plateforme web de son cours, l’espace nécessaire pour le glossaire ainsi qu’un modèle de fiche dont les étudiants se serviront pour présenter la leur. Les éléments demandés sont la catégorie grammaticale[3], le genre et le nombre, le procédé de formation du mot, la signification des éléments ou des affixes constituant le mot, les sens possibles et les mots de même famille. Au premier cours de cette séquence (cours A), l’enseignant présente la liste de mots. Il explique aux étudiants qu’ils devront bientôt lire un texte où ils les retrouveront et qu’ils doivent créer un glossaire pour s’y préparer. Chaque étudiant choisit le mot qu’il s’engage à définir : il devient ainsi l’« expert » de ce terme. Avant le cours suivant, il se documente sur « son » mot à l’aide de son dictionnaire et crée la fiche correspondante dans le glossaire en respectant le format de la coquille. À titre d’exemple, la première intervention de la figure 2 reproduit la fiche que Marina[4] a créée pour expliquer le mot dilemme.

Au cours B, l’enseignant distribue le texte et les étudiants en font une première lecture. Le travail doit porter sur la compréhension globale: thème, structure générale du document… Si l’opacité d’un mot nuit à la compréhension du texte à cause de sa fréquence ou de son importance centrale, l’étudiant expert de ce mot est invité à résumer sa fiche à la classe. L’enseignant doit toutefois rappeler aux étudiants que la première lecture porte sur la compréhension globale et qu’ils n’ont pas besoin de connaitre chaque mot à ce stade.

En devoir, les étudiants sont invités à relire le texte. Lorsqu’ils ne connaissent pas un mot, ils doivent consulter le glossaire créé par leurs camarades. Après avoir lu la fiche, un étudiant l’évalue (/5) pour indiquer à quel point elle l’a aidé à comprendre le mot. Il est aussi invité à laisser un commentaire pour préciser ce qu’il a mal compris ou corriger un détail erroné. À la figure 2, Claudia signale à Marina une erreur au sujet du procédé de formation du mot. L’enseignant doit survoler les échanges afin de sélectionner les éléments qu’il faudra réexpliquer au prochain cours.

Figure 2
Exemple de fiche et d’évaluation par les pairs

Au cours C, l’enseignant fait un retour sur le texte et propose à la classe une ou plusieurs activités de réinvestissement du vocabulaire. Les étudiants peuvent aussi demander des clarifications. Après ce cours, chaque étudiant retourne lire la fiche du mot dont il est l’« expert ». À la lumière du texte, des commentaires des camarades et des explications de l’enseignant, il apporte les modifications nécessaires à sa fiche.

Dans l’exemple du mot dilemme, les premiers commentaires portaient sur l’orthographe et l’analyse linguistique du mot. Par la suite, les étudiants se sont graduellement approprié le mot en l’associant à des situations de leur vie quotidienne. En poussant les étudiants à se questionner sur le vocabulaire, ce type de glossaire permet donc de renforcer le travail accompli lors de la recherche dans le dictionnaire.

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Pour utiliser un dictionnaire monolingue, il est nécessaire de connaitre un certain nombre de conventions et de symboles qui diffèrent d’une langue à une autre. L’enseignant qui souhaite voir ses étudiants non francophones manipuler avec aisance le dictionnaire monolingue français doit leur expliquer les tâches qu’ils pourront réaliser grâce à celui-ci, puis mettre en place des activités qui permettront d’accomplir ces tâches. L’élaboration d’une « carte d’étude de mot » et la construction d’un glossaire sont deux exemples d’activités favorisant la manipulation du dictionnaire monolingue, outil aussi indispensable en classe de langue qu’en classe de littérature. Ainsi, l’apprenant aura acquis suffisamment d’aisance pour l’utiliser dans des tâches plus complexes, comme lors de la compréhension ou de la production de textes.

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  1. DELAISNE, Pierre, Nicole McBRIDE & Sandra TREVISI (1998). Café-Crème 3, Paris, Hachette. [Retour]
  2. Dans cet article, les occurrences d’apprenant, d’enseignant et d’étudiant au masculin singulier renvoient à des situations typiques d’enseignement-apprentissage. [Retour]
  3. Au moment de réaliser l’activité, c’est l’expression « nature du mot » qui était utilisée. [Retour]
  4. Les prénoms des étudiants ont été modifiés par souci de confidentialité. [Retour]

RÉFÉRENCES

BOGAARDS, Paul (1988). « À propos de l’usage du dictionnaire de langue étrangère », Cahiers de
lexicologie
, vol. 52, n° 1, p. 131-152.

NATION, Paul (2001). Learning Vocabulary in Another Language, Cambridge, Cambridge University Press, 477 p.

SURCOUF, Christian (2010). « Le dictionnaire bilingue peut-il s’intégrer profitablement dans une stratégie d’apprentissage d’une langue étrangère? », Cahiers de l’APLIUT [En ligne], vol. XXIX, n° 1, mis en ligne le 23 février 2012, réf. du 10 juillet 2012.

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