" />
2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique
Place du français au collégial et place du collégial à l’AQPF

Place du français au collégial et place du collégial à l’AQPF

Représentant du collégial dans la section Centre-du-Québec de l’Association québécoise des professeurs de français (AQPF), Guillaume Lachapelle est enseignant de français, langue d’enseignement et littérature, au cégep de Sherbrooke, et chercheur affilié au Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture – Collectif CLÉ.

« Être optimiste est un combat. »  Éric-Emmanuel Schmitt

À l’heure des contenus des cours de la formation générale en français au collégial sont à nouveau remis en question, les mêmes débats surannés opposant les « littéraires » aux « langagiers » refont surface : quelle devrait être la place du développement des compétences en français écrit dans les cours de français langue d’enseignement et littérature au collégial? Collègues des départements de français, sommes-nous des enseignants de français ou de littérature?

Et si nous étions les deux? Et si nous arrêtions un peu de toujours opposer langue et littérature? Et si nous acceptions l’idée que le développement des compétences en français écrit doive s’effectuer de façon concomitante avec celui des compétences d’analyse de textes littéraires, d’explication des représentations du monde contenues dans des textes littéraires et d’appréciation de textes de la littérature québécoise? Pourquoi pas le français pour la littérature et la littérature pour le français?

Dans son rapport final, le président du chantier sur l’offre de formation au collégial, Guy Demers, formule une affirmation qui mérite réflexion. Il commence avec une observation factuelle : « […] l’enseignement du code linguistique n’est pas au centre des cours en langue d’enseignement et littérature dispensés[1]. » M. Demers a tout à fait raison à cet égard, mais la suite, moins objective, laisse poindre une critique qui doit être nuancée : « Certains invoquent que cette responsabilité ne relève pas uniquement de l’ordre d’enseignement collégial. Il est probablement bien commode de renvoyer la responsabilité à tous, ou pire encore, aux ordres d’enseignement primaire et secondaire; nous savons, par ailleurs, que ce qui est la responsabilité de tous risque fortement, dans les faits, de ne devenir la responsabilité de personne![2] » Le renvoi de cette responsabilité à l’ordre précédent le nôtre n’est-il pas révélateur de la position de plusieurs collègues de français et littérature au collégial? N’est-il pas vrai que souvent, lorsque les élèves passent d’un ordre d’enseignement à un autre, nous déplorons leur manque de culture, leur manque de compétences en lecture et en écriture, en jetant le blâme sur l’ordre d’enseignement qui précède le nôtre? En fait, cette attitude est avant tout un symptôme de notre méconnaissance de l’autre. La responsabilité du développement des compétences en lecture et en écriture doit évidemment être partagée entre les différents ordres d’enseignement, mais comment bien saisir notre part de cette responsabilité si nous ne connaissons pas celle de nos collègues des autres ordres?

Comment les « profs de français » du primaire et du secondaire procèdent-ils en classe pour l’étude de textes littéraires, l’enseignement de la grammaire de la phrase et de celle du texte, l’appropriation de divers genres d’écrits, la découverte d’œuvres québécoises (films de fiction, documentaires, romans, bandes dessinées, pièces de théâtre, poésie, etc.)? Un seul organisme au Québec nous donne accès à cette information, le seul qui soit voué à la fois, d’une part, à l’enseignement du français et de la littérature, et, d’autre part, à la promotion de la langue française et de la culture québécoise, un organisme disciplinaire et interordres : l’Association québécoise des professeurs de français (AQPF).

Fondée à Montréal en 1967, l’AQPF regroupe non seulement des enseignantes et des enseignants de français, de littérature et de didactique du français du primaire jusqu’à l’université, mais aussi des conseillères et des conseillers pédagogiques, des chercheurs et chercheuses du milieu de l’éducation ainsi que des monsieurs et madames Tout-le-Monde pour qui la langue française est une passion. L’objectif de l’Association est clair : « […] permettre un regroupement de tous les intervenants dans l’enseignement du français, du préscolaire à l’université [et] contribuer à la qualité et à l’amélioration de l’enseignement du français par la réflexion, la formation continue, la diffusion de recherches et d’informations[3]. » La mission pédagogique, sociale et politique de l’AQPF – la défense et la promotion de la langue française et de son enseignement au Québec – est sans équivoque et « [le] fonctionnement [de l’Association] repose sur l’engagement bénévole de ses membres, [dont] l’adhésion et la participation […] se fondent sur leur intérêt pour la qualité du français au Québec et de son enseignement[4]. »

Du 14 au 17 octobre derniers, l’AQPF tenait son 47e Congrès annuel à Sherbrooke, la reine des Cantons-de-l’Est. La section du Centre-du-Québec de l’AQPF avait choisi comme thème de la rencontre : « Le français, voie de communication ». Plus d’une centaine d’ateliers et de stages ont été offerts aux congressistes, suivant quatre axes : les mots écrits, les mots lus, les mots dits et les mots entendus du préscolaire à l’université, en classe de français et dans d’autres disciplines. Deux jours plus tôt, l’équipe organisatrice, en collaboration avec des membres de l’Association internationale pour la recherche en didactique du français AiRDF, avait réuni en précongrès des conseillers et des conseillères pédagogiques sous le thème « Le français, voie de formation et d’accompagnement en écriture ».

Moment fort dans la vie de l’AQPF? En fait, moment fort en qualité, mais décevant en quantité : quelque 470 personnes ont participé aux ateliers, conférences et stages offerts, comparativement à 840 il y a six ans. Que s’est-il donc passé en si peu de temps pour que la participation fonde comme neige au soleil, avec près de la moitié des joueurs en moins?

Par ailleurs, pourquoi l’AQPF a-t-elle de la difficulté à recruter des membres parmi les enseignants et enseignantes du collégial? L’invitation à s’engager dans l’Association leur a pourtant été lancée à plusieurs reprises, et ce, depuis de nombreuses années. En 2009, par exemple, peu de temps après son arrivée à la présidence, Suzanne Richard, qui vient de terminer son mandat après six années de services dévoués, (re)formulait le souhait de voir « […] plusieurs personnes œuvrant aux ordres d’enseignement collégial, universitaire et au secteur adulte se joindr[e] à [l’]association pour venir y faire entendre leur voix. » Aujourd’hui, entend-on cette voix? Quelle place les enseignants et les enseignantes de français langue d’enseignement et littérature occupent-ils au sein de l’AQPF?

La cause du faible intérêt des « profs de cégeps » pour les activités de l’AQPF est peut-être la suivante : le noyau dur de l’Association est constitué d’enseignantes et d’enseignants du secondaire. Les ateliers offerts pour le primaire et pour le collégial sont traditionnellement beaucoup moins nombreux et courus que ceux consacrés au secondaire. Pourquoi en est-il ainsi? Ne devrions-nous pas, au collégial, nous servir de cette association pour mieux nous connaitre, pour comprendre davantage ce que font nos collègues des autres ordres d’enseignement? Au congrès annuel, pourquoi l’enseignante du primaire ou l’enseignant du secondaire n’assistent-ils pas aux ateliers offerts par et pour les enseignants et enseignantes du collégial, et vice versa? La réponse est simple : tous travaillent de façon compartimentée. Par exemple, pour ce qui nous concerne au collégial, l’APEFC (Association des professionnels de l’enseignement du français au collégial) s’intéresse à la littérature, l’AQPC (Association québécoise de pédagogie collégiale) se penche sur la pédagogie, le réseau Repfran (réseau des répondants du dossier de la valorisation du français dans les collèges) s’occupe de valorisation de la qualité du français dans toutes les disciplines au collégial, et enfin, le CEEF (Comité-conseil des enseignantes et enseignants de français au collégial) joue le rôle d’instance consultative auprès du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science. Malheureusement, toutes ces entités travaillent rarement de concert. Pas étonnant alors que les cloisons soient nombreuses et opaques dans l’ensemble du réseau de l’éducation.

Nous nous connaissons peu et nous n’avons pas le temps d’apprendre à nous connaitre. Pourquoi? Eh bien, notamment parce que « le temps, c’est de l’argent », particulièrement dans le contexte économique actuel. Et de l’argent, il y en a de moins en moins dans les coffres des comités de perfectionnement des enseignants et enseignantes ou dans ceux des associations telle l’AQPF, qui vient de se voir retirer la subvention annuelle que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport lui versait depuis des dizaines d’années.

Ces coupures qui entravent la formation continue des enseignants et des enseignantes du Québec ne sont qu’un des nombreux signes du désengagement progressif du gouvernement dans la promotion et la défense de la langue, comme de la culture d’ailleurs, québécoise. En 2008, la nouvelle présidente de l’AQPF dressait la liste des dossiers qu’elle devait prendre en main sans tarder : « Parmi les dossiers qui m’attendent, il y a celui, bien sûr, du suivi au plan d’action de la ministre de l’Éducation pour l’amélioration du français. Un an s’est écoulé depuis l’annonce des 22 mesures visant à « apporter des correctifs importants pour amener les élèves à mieux maîtriser la langue française sur le plan de l’écriture » (communiqué de presse du 6 février 2008). Ces mesures, je le rappelle, faisaient suite aux recommandations émises dans le Rapport du comité d’experts sur l’apprentissage de l’écriture, Mieux soutenir le développement de la compétence à écrire, publié en janvier 2008[5]. » Or, on sait que le plan d’action a été « stoppé » en 2011 et laissé sur la glace depuis, et que, récemment, le ministre de l’Éducation déclarait ne pas avoir de plan pour l’amélioration du français : « Je n’ai pas de stratégie particulière, […] je n’ai pas d’agenda précis. Mais on va insister pour que le français soit une priorité au niveau [sic] de l’enseignement[6]. » Deux mois plus tard, à la suite de l’annonce de la hausse du taux d’échec en français au secondaire, il affirmait qu’il voulait relancer le plan abandonné depuis trois ans : « On va essayer d’appliquer de plus en plus tout ce qui est dit dans le plan. C’est un travail qui doit être continué [sic]. Il y a aussi des modèles et des écoles qui ont de bons résultats. Il faut aller voir les meilleurs, prendre les meilleures pratiques et les appliquer dans toutes les écoles[7]. » Les Québécoises et les Québécois ne sont-ils pas en droit d’avoir un système d’éducation géré de façon plus conséquente? Un plan d’action pour l’amélioration du français ne devrait-il pas déjà être en place et sa mise en œuvre bien entamée, structurée, cohérente et mobilisatrice?

Dans les circonstances, il ne faut surtout pas baisser les bras et se laisser aller au cynisme ou au pessimisme. Non seulement les enseignants et enseignantes de français et de littérature doivent-ils résister aux discours des politiciens et de leurs stratèges qui disent vouloir augmenter la diplomation grâce à plus de « souplesse[8] » dans les cours de français du collégial, mais ils doivent également unir leur voix à celles de leurs collègues des autres ordres d’enseignement dans la défense de l’enseignement du français et de la littérature au Québec.

Êtes-vous prêts à relever le défi? Rendez-vous au prochain congrès de l’AQPF, qui aura lieu à Québec du 11 au 13 novembre 2015. Au plaisir de vous y voir et d’en apprendre davantage sur vous, sur votre pratique enseignante et sur les motivations qui vous amènent, jour après jour, à contribuer au développement en lecture et en écriture de vos élèves.

* * *

  1. Guy DEMERS (2014), Rapport final du chantier sur l’offre de formation au collégial, Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science, juin 2014, p. 136. [Retour]
  2. Ibid. [Retour]
  3. www.aqpf.qc.ca [Retour]
  4. Ibid. [Retour]
  5. Suzanne RICHARD (2009), « Maintenons le cap! », Québec français, nº 153, p. 32-33. [Retour]
  6. « Yves Bolduc veut évaluer les enseignants », Le Soleil, 3 septembre 2014, www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201409/02/01-4796622-yves-bolduc-veut-evaluer-les-enseignants.php [Retour]
  7. « Maîtrise du français : du « travail à faire », dit Yves Bolduc », Le Soleil, 4 novembre 2014, www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201411/03/01-4815506-maitrise-du-francais-du-travail-a-faire-dit-yves-bolduc.php [Retour]
  8. Guy DEMERS, op. cit., p. 137. [Retour]

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE