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Une pédagogie du dictionnaire

Une pédagogie du dictionnaire

L’auteur de La petite fille qui aimait trop les allumettes, Gaétan Soucy, fait dire à sa jeune héroïne que les dictionnaires « ont le calme entêtement du bois dont ils sont issus, [que] les arbres ne pouvaient pas nous faire de cadeaux plus beaux ». Nous ne pouvons qu’acquiescer à ces belles et sages paroles. Dans la préface de son Dictionnaire de la langue française publié en 1863, Émile Littré écrivait : « L’usage contemporain est le premier et principal objet d’un dictionnaire. C’est en effet pour apprendre comment aujourd’hui l’on parle et l’on écrit, qu’un dictionnaire est consulté par chacun. » Comment se définissent les dictionnaires que nous consultons aujourd’hui ?

Le dictionnaire de langue a pour objectif de décrire les mots et leurs emplois alors que le dictionnaire encyclopédique vise principalement la description des choses désignées par les mots. Le dictionnaire de difficultés est un dictionnaire de langue qui intègre des renseignements sur les pièges multiples d’une langue. Dictionnaire de langue, dictionnaire encyclopédique et dictionnaire de difficultés sont ici présentés à l’aide des ouvrages les plus utilisés dans les établissements de l’ordre collégial à l’heure actuelle, soit Le Petit Robert, Le Petit Larousse et le Multidictionnaire de la langue française.

Le Petit Robert

En conformité avec la mission du dictionnaire de langue, Le Petit Robert est caractérisé par son « programme d’information sur le signe », ainsi que l’écrivent Josette Rey-Debove et Alain Rey dans la préface de la dernière édition de l’ouvrage. Les directeurs de la rédaction poursuivent : « Ce programme n’est pas seulement lié à la reconnaissance et à la compréhension du mot ; il doit permettre la production des phrases en montrant comment le mot s’emploie à l’écrit et à l’oral. » Par les multiples précisions linguistiques (prononciation, datation des mots, étymologie, recensement des significations, renvois analogiques et synonymiques, etc.) qui viennent étoffer les articles, les rédacteurs du Petit Robert nous offrent un inventaire rigoureux et un mode d’emploi détaillé des mots. Des exemples nombreux et des citations littéraires illustrent les divers emplois ; cette mise en contexte des mots constitue une description riche et approfondie de l’usage contemporain du français, « une description attentive à la norme sans purisme de mauvais aloi », selon les auteurs. Ceux-ci précisent que leur ouvrage a pour objet le « français général, un français commun à l’ensemble de la francophonie, coloré par les usages particuliers, et seulement lorsque ces usages présentent un intérêt pour tout le monde ». L’édition électronique de l’ouvrage (1996) comporte 60 000 entrées, 9 000 mots prononcés, la conjugaison complète de tous les verbes du dictionnaire à tous les modes et à tous les temps.

Le Petit Larousse 2000

Le Petit Larousse 2000 (version électronique du Petit Larousse illustré 2000) s’inscrit dans la tradition du dictionnaire encyclopédique : son objectif premier est de décrire, de façon concise, l’univers actuel. L’ouvrage met en évidence les nouvelles réalités politiques, géographiques, techniques, l’explosion des connaissances et des découvertes. On doit insister sur la qualité exceptionnelle de son iconographie : Le Petit Larousse 2000 comprend près de 1500 illustrations, photographies ou dessins qui complètent efficacement les articles, 289 cartes géographiques mises à jour et 80 planches originales. L’ouvrage respecte la tradition de la maison ; en effet, on pouvait lire déjà dans la préface de l’ancêtre du dictionnaire actuel publié en 1905 : « Le Nouveau Larousse illustré se présente avec le double caractère d’un dictionnaire encyclopédique et d’un musée iconographique. »Dans la préface du Petit Larousse 2000, les auteurs rappellent que « il y a moins un français central qu’une langue française riche de son unité, mais aussi de ses variantes régionales ». L’ouvrage accueille de nombreux mots de la francophonie et, à cet égard, les québécismes qui figurent dans la nouvelle édition ont été proposés par l’Office de la langue française. Nous devons souligner que notre étude comparative de quelques articles de dictionnaires porte exclusivement sur la dimension linguistique du traitement lexicographique ; par définition, notre analyse ne rend pas justice pleinement à la dimension encyclopédique du Petit Larousse. La nomenclature du Petit Larousse 2000 comprend près de 60 000 noms communs et 28 000 noms propres.

Multidictionnaire de la langue française

Le Multidictionnaire de la langue française poursuit l’objectif de constituer un mode d’emploi complet et actuel de la langue française sous ses diverses facettes, de fournir les indications les plus pertinentes sur l’usage, particulièrement celui du français au Québec, de neutraliser les frontières entre les diverses questions linguistiques : orthographe, grammaire, syntaxe, typographie, distinctions de sens, erreurs courantes, emplois régionaux, conjugaison, etc. La visée de l’ouvrage est normative : il distingue les usages du français standard de ceux qui sont propres au Québec et précise les emplois admis et ceux qui sont jugés incorrects dans un registre courant de communication écrite ou dans un registre familier. Il souligne les écueils de tous types, signale les emplois fautifs et propose les formes correctes à leur substituer. Dans la préface qu’il signe, Jean-Claude Corbeil explique : « Le Multidictionnaire de la langue française propose un nouveau genre de dictionnaire, caractérisé par une approche globale de l’usage plutôt que par la seule description du sens des mots, répondant ainsi aux besoins spécifiques et variés des usagers du XXIe siècle. » L’ouvrage, dont la nomenclature compte 45000 mots et 3000 locutions, intègre 5000 formes fautives ; il comprend également 117 tableaux ainsi que 75 modèles complets de conjugaison.

Examinons à l’aide de quelques articles de ces dictionnaires le traitement que réserve chacun de ces ouvrages aux prononciations, à l’étymologie, au recensement des significations, à l’inventaire des locutions, à la présentation des constructions syntaxiques, à l’illustration des règles grammaticales, aux distinctions sémantiques, à la description des emplois régionaux, aux renvois analogiques, aux recommandations officielles, aux renseignements typographiques et au relevé des formes fautives.

Échouer

Le Petit Robert (PR), Le Petit Larousse 2000 (PL) et le Multidictionnaire (Multi) présentent le verbe échouer en distinguant bien les acceptions des formes transitives et intransitives. Ainsi peut-on rapidement constater que le verbe transitif ne s’utilise qu’en parlant d’un bateau poussé sur un haut-fond, sur la côte. Mais cet emploi — relativement rare — concerne peu les élèves, qui chercheront davantage les significations du verbe intransitif : 1. « Toucher accidentellement le fond, en parlant d’un bateau, d’un animal marin » ; 2. « Ne pas réussir ».

La principale difficulté liée à ce verbe est de nature syntaxique ; en effet, le complément du verbe échouer se construit obligatoirement avec la préposition à : on échoue à un examen (et non on échoue *un examen). Les élèves qui consultent le PR ainsi que le Multi disposent d’un exemple illustrant la construction syntaxique : échouer à un examen, il a échoué à un examen. Dans le Multi, une note sur la construction explicite la difficulté et condamne l’emploi d’un complément direct. Dans le PL, l’exemple donné pour l’acception « rater, ne pas aboutir » illustre une construction absolue, c’est-à-dire sans complément : les négociations ont échoué. Dans ce cas, les utilisateurs de l’ouvrage ne sont pas en mesure de corriger cette erreur fréquente que commettent non seulement des élèves, mais également la presse écrite et électronique ainsi que bon nombre de locuteurs.

Le verbe échouer comporte une autre difficulté, celle de l’accord du participe passé à la forme pronominale ; à l’aide d’une note grammaticale, le Multi précise que le participe passé s’accorde toujours en genre et en nombre avec le sujet du verbe à la forme pronominale, accord mis en évidence par un exemple au masculin pluriel : ces voiliers se sont échoués près de la côte.

Cascade

Le Petit Larousse donne peu de précisions étymologiques, mais, à l’occasion, l’ouvrage souligne l’origine étrangère d’un mot. Ainsi à l’article cascade, le PL précise que le nom est inspiré de l’italien cascata, de cascare « tomber ». Le PR précise que l’emprunt date de 1640 à la suite de la transcription phonétique de la prononciation.

Sur le plan des définitions, le traitement lexicographique du nom est relativement semblable dans le PR, le PL et le Multi. Pour la principale acception, celle de « chute d’eau », le PR renvoie aux termes cataracte, chute et cascatelle. Le Multi reprend la définition recommandée par l’Office de la langue française (OLF) et publiée à la Gazette officielle. Par une note sur les distinctions sémantiques (ne pas confondre avec…), il énumère et définit les noms cataracte, chute et rapide. Chacun des articles du dictionnaire faisant l’objet d’une telle note sémantique comprend l’ensemble des termes analogiques accompagnés d’une brève définition. Ainsi les utilisateurs de l’ouvrage n’ont pas à chercher les différents mots à leur ordre alphabétique et sont mieux en mesure de saisir les nuances propres à chacun des noms.

Cantaloup

Le Petit Larousse 2000 ainsi que Le Petit Robert précisent l’étymologie romaine de ce nom et le définissent brièvement. Pour les francophones du Québec, quelles sont les difficultés liées à ce nom ? Il y a trois écueils : la prononciation, le genre et l’orthographe. La plupart des Québécois font rimer le cantaloup avec la loupe en prononçant la consonne finale alors qu’elle est muette comme dans le nom loup. Le PR donne la prononciation du nom, toujours selon la notation phonétique. Le Multi signale les prononciations difficiles à l’aide de la transcription phonétique ainsi que d’une mention en toutes lettres. Dans l’exemple du nom cantaloup, la phrase « le p ne se prononce pas » et l’indication de la rime avec loup viennent doubler l’emploi de l’alphabet phonétique. La deuxième difficulté réside en le genre du nom : la prononciation fautive loupe incite plusieurs locuteurs à penser que le nom est féminin comme loupe alors qu’il est masculin. Enfin, l’orthographe peut être aussi problématique parce que certains auront tendance à écrire le nom avec un e final, toujours en raison de la prononciation erronée.

Dessous

L’adverbe de lieu dessous entre dans la composition de plusieurs locutions adverbiales ou prépositives. Le PR présente de façon détaillée les diverses locutions adverbiales qu’il définit et accompagne de nombreux exemples. Les utilisateurs de l’ouvrage peuvent ainsi noter la présence ou l’absence de trait d’union, source fréquente d’hésitations. Une citation de Sartre illustre l’emploi figuré de la locution en dessous. Pour faciliter la consultation, la 3e édition du Multi regroupe en fin d’article et classe par ordre alphabétique les locutions composées avec l’article dessous. L’ouvrage signale l’erreur courante *sans dessus dessous et la forme juste sens dessus dessous est indiquée.

Autobus

Comme le nom autobus ne comporte qu’une seule acception, l’article qui lui est consacré dans les dictionnaires est généralement très court. C’est ce que l’on peut constater dans le PL qui précise l’étymologie, indique l’abréviation bus et définit le terme de façon concise. Le PR ajoute la prononciation, de nombreux exemples, des renvois analogiques (bus, trolleybus, abribus, aubette) ; il fait état également de l’expression autobus scolaire accompagnée de la mention (Canada) et définie par l’expression usitée en français standard car de ramassage.

Pour les francophones du Québec, c’est le genre qui constitue la principale difficulté liée à ce nom. En effet, comme bon nombre de mots commençant par des voyelles tels que ascenseur, avion, escalier, le nom autobus reçoit souvent le genre féminin. À des fins pédagogiques, le Multi attire l’attention des élèves sur le genre masculin de ce nom et signale l’erreur courante de l’emploi de l’article défini féminin accompagné du numéro du trajet du véhicule dans l’emploi elliptique de niveau familier : le 129 (et non *la 129). De plus, une note grammaticale en fin d’article rappelle le genre masculin du nom. Dans le corps de l’article, une note sémantique établit la distinction entre les noms car et autobus.

Amérindien, dollar

Emploi des majuscules et des minuscules, notation des symboles, écriture des nombres en chiffres ou en lettres, modes d’abréviation font appel aux règles de la typographie. Avec l’informatique, chacun devient son propre éditeur et doit donc maîtriser également cette dimension de l’écriture qui est généralement assez peu décrite dans les dictionnaires.

Le mot amérindien employé couramment depuis un peu plus de deux décennies date en fait de 1930 comme nous le précise le PR dans sa mention étymologique. Les auteurs de l’ouvrage ont pris soin d’accompagner la définition d’un exemple comportant la forme adjective écrite avec une minuscule et la forme nominale, avec une majuscule initiale. Ainsi l’utilisateur peut déduire que l’adjectif ne requiert pas la majuscule alors que le nom l’exige. Le Multi procède de la même façon, mais ajoute une note typographique rappelant la règle. Le PL ne définit pas le mot et ne donne qu’un exemple du nom.

L’écriture des symboles d’unités monétaires comporte certains écueils de même ordre. Quel est le symbole du dollar ? Quand doit-on noter le nom dollar en toutes lettres et quand peut-on recourir au symbole ? Quelle est la place du symbole dans l’ordre des mots ? Quel est l’espacement qui doit le séparer de la partie numérique ? Les réponses sont apportées par un avis de recommandation de l’OLF que reprend le Multi. Le PR donne la prononciation du nom ainsi que son étymologie. Il propose également un exemple d’une construction en apposition (la zone dollar) ainsi que des renvois analogiques vers des mots composés avec le nom dollar (eurodollar, narcodollars, pétrodollars). Pourquoi les narcodollars et les pétrodollars sont-ils au pluriel, contrairement à eurodollar ? En raison de leur grand nombre, les narcodollars et les pétrodollars ne peuvent peut-être pas se compter à l’unité !

Bleuet, camelot, écornifler

Le PR, le PL et le Multi traitent d’une façon assez similaire le nom bleuet qui comporte une acception du français standard, la centaurée à fleur bleues, et une acception d’origine normande qui est maintenant propre au français d’Amérique, le fruit de l’airelle des bois. Si le Petit Robert conserve la mention Région. (Canada), il est intéressant de noter que, dans Le Petit Larousse 2000, les mots qui nous sont exclusifs sont maintenant précédés de la mention Québec.

Pour ce qui est du nom camelot, le PL et le PR recensent des acceptions peu usitées au Québec alors que le Multi fait état du québécisme signifiant « personne qui livre les journaux à domicile ». Ces deux derniers ouvrages signalent dans une note ou une remarque que le nom conserve la même forme au féminin. Enfin, le verbe écornifler n’est répertorié que dans le Multi.

*Abrévier, *à date, *appliquer pour, *céduler, *enligner, *lousse

Les dictionnaires descriptifs tels Le Petit Robert et Le Petit Larousse ne répertorient pas les formes fautives si ce n’est qu’exceptionnellement dans certaines remarques (ex. : aux articles rappeler, se, pallier). Compte tenu de son orientation normative, le Multi intègre des formes fautives (impropriétés, anglicismes, calques, etc.) à l’ordre alphabétique du ou des mots clés ; ces erreurs courantes sont précédées d’un astérisque et renvoient à la forme correcte.

Ère

En fin d’article, le PR énumère les homonymes du nom ère ; grâce aux hyperliens, l’édition électronique permet d’accéder rapidement aux définitions des divers mots qui s’écrivent ou se prononcent de façon identique. Le Multi signale aussi les homonymes en les accompagnant d’une brève définition afin d’éviter la consultation fastidieuse de chacun de ces mots.

Selon la visée de l’ouvrage — description de l’usage de la langue ou description du monde à partir des mots –, selon l’orientation descriptive ou normative retenue, les dictionnaires répondent d’une façon complémentaire aux besoins divers des locuteurs et sont des outils qui les aident à tirer profit des ressources infinies de la langue.

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Références bibliographiques

Le Petit Larousse 2000, version électronique multimédia du Petit Larousse illustré de l’an 2000, [Cédérom], Paris, Larousse.

Le Petit Robert. Dictionnaire de la langue française, version électronique du Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et d’Alain Rey, [Cédérom], Paris, Le Robert,1996.

VILLERS, Marie-Éva de. Multidictionnaire de la langue française, 3e éd. rev. et aug., Montréal, Québec Amérique, 1997, xxiv-1533 p.

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