Construction de la difficulté langagière chez les élèves du collégial: une approche qualitative
La langue est un outil fondamental pour la communication de la pensée, que ce soit dans le milieu de travail, dans le milieu scolaire ou dans la vie en général. C’est un outil tellement riche et complexe qu’il est difficile d’en avoir une maîtrise complète, et toute lacune ou toute carence à cet égard se traduisent par une difficulté langagière qui n’est pas sans conséquences pour la personne qui l’éprouve. Dans le monde scolaire, la difficulté langagière constitue un problème majeur, car ce monde en est un où la communication et la transmission du savoir sont primordiales. C’est pour cela que les éducateurs, les administrateurs et les chercheurs placent souvent la question de la langue dans leurs priorités.
Ce que nous savons déjà
Dans le milieu de la recherche postsecondaire, que ce soit au Québec ou ailleurs dans le monde, des chercheurs de plusieurs disciplines — philosophie, mathématiques ou français, par exemple — et de plusieurs horizons — communauté universitaire et, notamment, celle des sciences de l’éducation — se préoccupent de cette réalité depuis plusieurs décennies. Dans la Revue des sciences de l’éducation, Georges Legros écrit que, à Bruxelles, la mauvaise connaissance de la langue constitue l’une des causes d’échec en première année universitaire et serait à l’origine de l’incapacité des étudiants à suivre la complexité d’une pensée scientifique, aussi bien dans un texte écrit que dans un exposé oral[1]. Chez nous, Moffet et Demalsy écrivent que la maîtrise du français écrit constitue un sujet de préoccupation majeur pour le monde de l’éducation[2].
Toutes sortes d’initiatives ont été mises de l’avant pour venir en aide aux élèves ayant des difficultés langagières : centres d’aide, tutorat par les pairs, cours de français correctif, etc. Roy, Lafontaine et Legros, dans Le savoir grammatical après treize ans de formation[3], constatent qu’une proportion importante des étudiants du postsecondaire ne disposent pas d’une maîtrise suffisante du français écrit. Les mesures préconisées à leur endroit, disent-ils, apportent trop de notions et d’explications sans leur permettre pour autant de percevoir ni d’appréhender les quelques lois fondamentales qui sous-tendent tout le fonctionnement du français écrit.
Les difficultés langagières des élèves de l’ordre collégial constituent un problème sérieux qui persiste et qui affecte la qualité de leur formation. Dès lors, nous pouvons affirmer qu’il y a là un domaine d’intérêt pour la recherche et un défi de taille lancé à tous les éducateurs. L’obstacle que ces difficultés dressent à l’apprentissage est tel qu’il ne faut pas capituler devant les faibles résultats obtenus jusqu’ici dans ce dossier. Bien au contraire, plus que jamais, il est essentiel de considérer le problème sous plusieurs angles et de n’épargner aucune approche susceptible de donner un éclairage nouveau sur ces difficultés. Toutefois, s’il ne faut pas s’attendre à ce qu’un projet en particulier puisse enrayer seul ces difficultés, il faut par contre croire que c’est par la synergie des chercheurs et par la synthèse de leurs recherches que l’on arrivera à enregistrer graduellement de petits progrès.
Ce que nous cherchons à savoir
Pour notre part, nous sommes engagés en recherche active depuis près de cinq ans. En effet, Groleau, dans une recherche PAREA avec De Serres commencée en 1994 et terminée en 1996, a réussi à reconnaître divers types d’erreurs langagières en mathématiques, et ce, dans les langages naturel, symbolique et graphique. Afin de comprendre le sens d’erreurs que leurs élèves commettaient dans un test diagnostic préparé par eux, les chercheurs ont décidé d’interviewer certains de ces élèves. Ils ont pu alors comprendre plusieurs phénomènes concernant la réalité de ces erreurs et les significations erronées que ces élèves mettent dans l’utilisation des divers langages. Ces travaux ont mis en évidence la nécessité de dépister le plus tôt possible les lacunes langagières des collégiens et d’intervenir pour les corriger avec des outils appropriés. C’est dans le prolongement de leurs conclusions que deux recherches ont poursuivi le travail amorcé. L’une est menée par De Serres et al. sous le titre Intervenir sur les langages en sciences[4]. Elle vise la conception, la validation et l’implantation de stratégies d’intervention à l’intention des élèves du programme de sciences, afin de corriger leurs faiblesses langagières en biologie, en chimie, en mathématiques et en physique. L’autre est menée par Chbat et Groleau sous le titre Approche sémantique et difficultés langagières[5]. Elle a pour objet la mise au point et l’expérimentation de stratégies d’apprentissage reposant sur une approche sémantique à l’intention des élèves ayant des difficultés langagières en mathématiques et en philosophie. Toutefois, même s’il y a eu une tentative de rencontres avec les élèves pour entendre leurs explications de certaines de leurs erreurs, nous pouvons dire que, dans l’ensemble, ces recherches, comme la très grande majorité des recherches dans ce domaine, sont restées principalement marquées par des préoccupations d’enseignants ; la place des élèves et leurs véritables points de vue sur les problèmes qui les touchent n’ont jamais été très accentués.
Nous sommes soucieux, donc, de ce problème des difficultés langagières des élèves et désireux de l’aborder dans une perspective de compréhension du point de vue des élèves. C’est à partir d’une étude clinique des manifestations des difficultés langagières chez les élèves et d’une description phénoménologique de cette réalité que nous chercherons à dégager la trajectoire de la construction de ces difficultés. Ce que nous visons en premier dans cette approche adaptée à l’environnement des difficultés langagières des élèves, c’est de chercher à observer ces élèves sur le terrain, dans leur milieu d’apprentissage, et ce, dans une optique essentiellement descriptive afin de dégager leurs perceptions de cette réalité langagière, de mettre en lumière leurs façons de vivre ces difficultés, les conséquences que ces dernières ont sur eux dans leur vie quotidienne et devant les tâches qui leur incombent. Nous chercherons ainsi à observer leurs comportements à l’égard de ces difficultés, leurs façons d’enrayer celles-ci, de les détourner, bref de se tirer d’affaire à leur endroit. De plus, nous comptons les interroger sur leurs perceptions des origines de ces difficultés, des facteurs qui les auraient enclenchées chez eux et sur leur volonté d’y remédier ainsi que sur les moyens dont ils disposent ou auxquels ils peuvent penser pour y arriver.
Cette recherche a pour but de dégager la construction de la difficulté langagière chez l’élève du collégial selon une approche qualitative et par le recours notamment à l’entrevue semi-directive. Il s’agit de dégager les éléments constitutifs de la construction de cette difficulté chez des élèves du collégial en les aidant à exprimer leur perception de cette difficulté, à en décrire les manifestations et à expliquer l’effet que cette difficulté a sur eux. L’approche préconisée cherche à faire émerger la conscience que le sujet a de ses propres difficultés, à en comprendre la réalité et à en tracer une généalogie phénoménologique de manière à éclairer à la fois les sujets en cause et le chercheur qui veut agir sur cette réalité langagière.
De cette observation descriptive des perceptions des élèves à l’endroit de leurs propres difficultés langagières, nous comptons dégager divers types de difficultés et leurs origines possibles telles que vues par les sujets eux-mêmes.
- MONBALLIN, Michèle, Myriam van der BREMPT et Georges LEGROS. « Maîtriser le français écrit à l’université : un simple problème de langue ? », Revue des sciences de l’éducation, vol. XXI, no 1, 1995, p. 59-74. Retour
- MOFFET, Jean-Denis et Annick DEMALSY. Les compétences et la maîtrise du français au collégial, Rimouski, cégep de Rimouski, 1994. Retour
- ROY, Gérard-Raymond, Louise LAFONTAINE et Catherine LEGROS. Le savoir grammatical après treize ans de formation, Sherbrooke, Éditions du CRP, 1995, 215 p. Retour
- Cette recherche est menée depuis 1996 grâce à une subvention du programme PAREA. Margot De Serres et Marco Bélanger en ont présenté un aspect dans le numéro d’avril 1998 de Correspondance. Retour
- Cette recherche est aussi menée depuis 1996 grâce à une subvention du programme PAREA. Retour
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