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C’est au primaire qu’on commence à préparer l’épreuve uniforme…

C’est au primaire qu’on commence à préparer l’épreuve uniforme…

Idées reçues
Joseph Chbat s’intéresse à la question de la compétence langagière des cégépiennes et cégépiens depuis un bon moment. Il signe d’ailleurs, en collaboration avec son complice de recherche Jean-Denis Groleau, un article qui en témoigne dans la chronique « Échos de recherche en cours » du présent numéro. C’est toutefois à titre personnel qu’il livre ci-après une réflexion sur l’épreuve uniforme de français.

L’épreuve uniforme de français n’est pas un examen comme un autre que l’on peut préparer à quelques jours d’avis. On doit commencer à la préparer au primaire, continuer ensuite au secondaire et terminer seulement au collégial. En très bref, cette épreuve vise à mesurer la compétence langagière dans son ensemble, et cette dernière est beaucoup trop complexe pour qu’on puisse la « récupérer » au seul ordre collégial et encore moins par une simple préparation intensive en fin de D.E.C., comme on peut souvent le faire pour les examens disciplinaires. Là où le bât blesse, c’est lorsque, rendu en fin de course, un élève se rend compte, à la lumière des résultats de son épreuve uniforme, qu’il n’a pas encore acquis la compétence langagière escomptée. Que doit-il faire alors ? C’est là un problème d’autant plus difficile à résoudre que le nouveau régime des études collégiales a fait de la réussite de l’épreuve uniforme de français une condition sine qua non de l’obtention du D.E.C. Si l’intention derrière ce règlement est louable, son application ne va pas sans complications.

Échouer jusqu’à ce que…

L’élève qui ne réussit pas cette épreuve ne sait pas quoi faire pour se préparer à la subir à nouveau. Il en résulte qu’y échouer une première fois prépare bien à y échouer d’une façon répétitive. Ainsi, quand un élève a échoué plus d’une fois à cette épreuve parce que ses études antérieures (primaires, secondaires et collégiales) ne l’ont pas préparé à la réussir, que peut-on lui conseiller de faire ? La compétence langagière mesurée par l’épreuve uniforme est tellement complexe qu’il est difficile de porter un diagnostic très clair à l’endroit de celui qui n’en a pas tout à fait la maîtrise. On pourra certes détecter chez lui des problèmes de syntaxe, de grammaire, d’orthographe, de ponctuation, etc., mais chacun de ces champs est tellement vaste qu’on ne saura pas vraiment quoi recommander à celui qui ne réussit pas l’épreuve pour qu’il puisse éventuellement s’en sortir.

Le noeud du problème : faut-il admettre aux études collégiales des élèves avec des carences langagières ?

Selon moi, la compétence langagière ne peut s’acquérir que par un travail de long terme, étendu sur de longues années d’études. Elle ne peut être que le fruit d’un apprentissage lent et long dont les bases sont au primaire, la forme et la structure, au secondaire et le raffinement, au collégial. Celui qui présente des carences majeures au collégial, en ce qui a trait à sa compétence langagière, n’a certes pas fait le nécessaire aux deux ordres antérieurs, et on s’illusionne de penser qu’il pourra atteindre cette compétence uniquement parce qu’on le met devant l’obstacle que représente pour lui l’épreuve uniforme. Si l’on veut que cette épreuve soit réussie, il faudra remettre en question le cheminement antérieur et chercher à corriger la situation avant qu’il ne soit trop tard. Il serait plus juste de refuser l’entrée au cours collégial à celui qui fait preuve d’incompétence langagière plutôt que de le bloquer à sa sortie. En soi, c’est une position défendable qui diminuerait peut-être le nombre de diplômés mais qui augmenterait la cote de confiance dans les diplômes décernés. Dans une telle perspective, on évitera au moins la contradiction qui résulte de la concomitance d’un grand nombre de diplômés (diplomation universelle au primaire et quasi automatique au secondaire) et d’un nombre croissant d’analphabètes fonctionnels.

Il va de soi que, pour sévir en empêchant les élèves de passer d’un ordre d’études à un autre quand ils n’ont pas acquis le niveau minimal de compétence langagière, il faudra vraiment croire au caractère indispensable de cette compétence. Il faudra aussi définir très clairement cette dernière ainsi que le niveau minimal acceptable de sa maîtrise. De plus, il faudra pouvoir répondre à l’objection soutenant que le handicap d’une certaine incompétence langagière n’empêche pas, dans certains cas, de mener une vie professionnelle correcte.

Une situation qui peut être dédramatisée : une vie professionnelle avec des carences langagières

Si l’objection qui précède a un certain poids et que l’on veuille faire preuve de plus de sympathie à l’endroit de ceux qu’on a tolérés dans le système malgré la présence évidente chez eux de carences langagières, on aura toujours le choix de « dédramatiser » ces dernières sans pour autant ignorer les dommages qu’elles causent aux carencés. Il faudra alors cesser de faire de l’épreuve uniforme une condition sine qua non de diplomation. Son degré de réussite pourra être considéré comme un facteur de distinction dans la performance des élèves, et l’absence de maîtrise de la compétence langagière déterminée, comme un inconvénient qui constituera toujours un handicap important. Cette solution serait plus conciliable avec le fait d’admettre au collégial des élèves dont on sait qu’ils ont des carences langagières ; elle serait d’autant plus admissible que l’on aurait accepté que des carences langagières persistantes jusqu’au collégial soient à toutes fins pratiques insurmontables.

Il serait important de clarifier cette situation en faisant des choix clairs et précis faute de quoi, on risque de faire face à une situation intolérable : celle de voir des élèves réussir tous leurs cours du collégial sans pour cela obtenir leur diplôme, justement parce qu’ils auront échoué à l’épreuve uniforme. Dans de tels cas, l’épreuve portera vraiment bien son nom.

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