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Les mesures d’aide en français et leurs effets: entre perception et réalité

Les mesures d’aide en français et leurs effets: entre perception et réalité

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a qualité du français écrit des élèves québécois, notamment de ceux du collégial, a fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années. Cette préoccupation pour la compétence écrite des élèves, plus particulièrement pour sa composante linguistique, a amené les établissements d’enseignement à rivaliser d’audace et d’originalité pour offrir à leurs élèves toutes sortes de dispositifs d’aide et de perfectionnement en français. Un rapport de la Table Éducation Montréal[1] (2002) a recensé plus de 100 mesures d’aide de différents types mises sur pied du primaire à l’université. Ces mesures ont-elles les effets escomptés ? Font-elles réellement progresser les élèves en français écrit ?

Dans une recherche récente[2] , notre équipe a voulu apprécier les effets d’un certain nombre de mesures d’amélioration de la langue mises en œuvre dans la région montréalaise, notamment au sein des collèges et des universités francophones. Dans une série de deux articles, nous tenterons d’exposer les principaux résultats de cette recherche relatifs au postsecondaire. Ce premier article est consacré aux perceptions qu’ont les enseignants et les étudiants à propos des effets des mesures, ainsi qu’à l’adéquation entre ces perceptions et la performance réelle de ces étudiants. Le second article comparera les effets de différentes interventions de façon à faire ressortir les caractéristiques de celles qui font le plus progresser les étudiants.

Mais avant d’aller plus loin, il convient de décrire la méthodologie utilisée. Pour  chacune des mesures d’amélioration en cause, nous avons recueilli des données qualitatives et quantitatives auprès des enseignants concernés et de leurs élèves. Avant d’exposer les résultats proprement dits, nous décrirons les instruments qui ont servi à la collecte de données, puis nous présenterons les mesures.

Les épreuves

Pour évaluer la composante linguistique de la compétence à écrire des élèves, nous leur avons fait passer deux épreuves, au début et à la fin de la session où ils recevaient de l’aide (à l’automne 2003 ou à l’hiver 2004) : un questionnaire évaluant leurs connaissances linguistiques et une production écrite. Le questionnaire, qui avait été validé au préalable, comportait 66 questions ; les élèves devaient choisir la bonne réponse entre trois possibilités. Il y avait 7 questions d’orthographe lexicale, 26 d’orthographe grammaticale, 21 de syntaxe (y compris la ponctuation) et 12 de lexique.

Pour la production écrite, les élèves lisaient une courte nouvelle, qui était différente au prétest et au post-test, puis, sans avoir cette nouvelle sous les yeux, ils devaient produire un texte de 250 mots dans lequel ils rendaient compte de ce qu’ils avaient retenu de leur lecture. Ils pouvaient pour ce faire utiliser des ouvrages de référence. Pour chaque élève, on a compté le nombre d’erreurs au total et par catégorie (orthographe lexicale, orthographe grammaticale, syntaxe, ponctuation, lexique, cohérence textuelle).

Certains étudiants (entre trois et six par groupe) ont également été interviewés en fin de session pour nous permettre de connaître leur perception de la compétence en français écrit, leur motivation à se perfectionner en français, les objectifs qu’ils s’étaient fixés initialement, leur perception de l’effet de la mesure d’aide sur différents aspects de leur compétence à écrire, ainsi que leur perception d’atteinte de leurs objectifs.

Les étudiants ont chacun été associés à l’un des quatre profils linguistiques suivants : francophones (qui ont appris le français à la maison et ont été scolarisés majoritairement dans cette langue), francophones+ (qui ont appris le français et une ou plusieurs autres langues à la maison et ont été scolarisés majoritairement en français), néofrancophones (qui n’ont pas appris le français à la maison, mais ont été scolarisés surtout en français) et allophones (qui n’ont pas appris le français à la maison et n’ont été scolarisés en français qu’à partir du secondaire).

Chaque enseignant responsable d’un groupe ou chargé de coordonner les personnes intervenant auprès des étudiants a été interviewé avant et après la mesure d’aide dont il s’occupait. Avant la mesure, nous cherchions à cerner les problèmes que ces enseignants percevaient chez leurs étudiants, leurs objectifs, les impacts qu’ils prévoyaient sur les différents aspects de la compétence à écrire des étudiants (orthographe lexicale et grammaticale, syntaxe, ponctuation, lexique, cohérence, processus d’écriture). Après la mesure, nous voulions savoir quels impacts ils percevaient sur la compétence à écrire des étudiants et s’ils croyaient avoir atteint ou non leurs objectifs.

Les mesures

Nous avons ciblé, au collégial et à l’université, différentes mesures d’aide qui présentaient des caractéristiques variées. Au total, neuf mesures, dont les responsables ont tous accepté librement de participer au projet, ont été suivies. Ces mesures se regroupent en trois types : les ateliers, l’aide individuelle et les cours.

Les ateliers

ATELIERS THÉMATIQUES (10 ÉTUDIANTS)

Il s’agit d’une série de rencontres de deux heures portant sur diverses difficultés rédactionnelles et linguistiques. Ces ateliers sont offerts par un centre consacré à l’amélioration de la langue dans une université ; les étudiants y participent volontairement.

L’aide individuelle

TUTORAT PAR LES PAIRS (31 ÉTUDIANTS)

C’est une activité organisée par un centre d’aide en français au collégial, dans laquelle des étudiants en rencontrent d’autres qui sont en difficulté, à raison d’une heure par semaine pendant dix semaines, pour travailler le français écrit et aider aux devoirs.

CENTRE D’AIDE EN FRANÇAIS (3 ÉTUDIANTS)

Ce service offert par une université aux étudiants en difficulté consiste en six rencontres individuelles d’une heure, dans lesquelles un tuteur professionnel travaille avec l’étudiant sur les difficultés linguistiques de celui-ci.

Les cours

MISE À NIVEAU RÉGULIÈRE (20 ÉTUDIANTS)

C’est un cours de 60 heures offert par un collège pour faire en sorte que les élèves répondent aux exigences d’entrée en lecture et en écriture. Les contenus du cours sont conformes au devis ministériel pour les cours de mise à niveau.

MISE À NIVEAU POUR ALLOPHONES (16 ÉTUDIANTS)

Ce cours, lui aussi offert au collégial, ressemble au précédent, sauf pour deux aspects : il dure 90 heures et s’adresse à des étudiants non francophones.

MISE À NIVEAU JUMELÉE (14 ÉTUDIANTS)

Ce cours du collégial consiste en un cours de mise à niveau dont les contenus sont présentés de manière concomitante avec ceux du premier cours de français obligatoire. Il dure 105 heures (45 pour la mise à niveau et 60 pour le cours régulier).

MISE À NIVEAU AVEC LECTURE PUBLIQUE (32 ÉTUDIANTS)

Il s’agit aussi d’un cours jumelé de 105 heures, dont la particularité est que des ateliers préparatoires à la lecture publique d’un texte littéraire par les étudiants en fin de session s’ajoutent aux heures de cours.

COURS DE FRANÇAIS ÉCRIT (12 ÉTUDIANTS)

C’est un cours universitaire de 45 heures réparties sur deux sessions. Il porte sur la description grammaticale et la norme du français écrit. Un tiers du cours est consacré au travail systématique sur les stratégies de révision et de correction de textes.

COURS DE GRAMMAIRE (8 ÉTUDIANTS)

Cet autre cours de 45 heures offert à l’université est concentré sur une session. Il a pour objectifs d’amener les étudiants à découvrir par eux-mêmes le fonctionnement de la langue et les règles, puis à s’exercer à leur application.

Un groupe de contrôle, constitué de douze étudiants du collégial qui ne recevaient aucune aide particulière en français, a fait le prétest et le post-test. Cela nous permettra de comparer l’évolution des étudiants ayant suivi des mesures d’aide à celles d’étudiants qui ont connu un parcours régulier.

Comment les enseignants perçoivent-ils l’effet des mesures d’aide ?

Dix enseignants responsables de mesures d’aide ont été interviewés, quatre à l’université et six au collégial (deux enseignants ont été rencontrés pour le cours de mise à niveau avec lecture publique, car les élèves suivis provenaient de plus d’un groupe).

En début d’année, les enseignants perçoivent surtout des problèmes d’ordre linguistique chez leurs étudiants, particulièrement en orthographe, en syntaxe et en vocabulaire. Ils mentionnent aussi des problèmes d’ordre discursif (liés à l’articulation des idées).

Les objectifs sont essentiellement stratégiques (liés à l’utilisation de stratégies d’écriture, de résolution de problèmes, etc.), linguistiques et socio-affectifs (liés à l’estime de soi, à la motivation). Lorsque des précisions sont données quant à l’aspect de la langue visé, on trouve l’orthographe, la syntaxe et le vocabulaire. Les objectifs des enseignants sont donc liés aux problèmes relevés, et on y ajoute des considérations non linguistiques qui n’ont pas été vues comme problèmes. Dans leurs objectifs déclarés, les enseignants vont dans le même sens que les contenus prescrits dans leurs plans de cours ou que la mission donnée au centre pour lequel ils travaillent.

En début de session, une majorité d’enseignants prévoient un impact fort de leur mesure d’aide sur tous les aspects de la langue sur lesquels nous les avons questionnés, à l’exception de l’orthographe lexicale. Ils ont donc d’assez grandes ambitions quant aux progrès qu’ils attendent chez leurs étudiants et ne semblent pas vouloir se concentrer sur des aspects précis de la composante linguistique de la compétence à écrire.

En fin de session, les impacts relevés par les enseignants sont surtout stratégiques et socio-affectifs ; une seule enseignante parle d’impacts linguistiques. Ces impacts sont partiellement liés aux objectifs, mais ils sont peu cohérents avec les problèmes relevés. La plupart des enseignants voient un impact fort de leur intervention sur l’orthographe grammaticale des étudiants, alors qu’une minorité voit un tel impact sur les autres aspects de la langue. Ces réponses appuient la perception des enseignants à l’effet que les impacts de leurs interventions se situent plutôt sur des plans non linguistiques. Elles vont à l’encontre des attentes exprimées en début de session, alors que des impacts forts dans presque tous les aspects de la langue étaient prévus.

La moitié des enseignants dit avoir atteint ses objectifs, l’autre moitié donne une réponse mitigée à cette question. Une telle réponse est logique lorsqu’on constate que peu d’enseignants perçoivent un impact fort sur plusieurs aspects de la langue pour lesquels un effet était attendu. Cependant, le fait que les impacts relevés soient surtout stratégiques et socio- affectifs et que des objectifs aient été formulés en ce sens tend à confirmer l’atteinte des objectifs. Les enseignants sont donc plus satisfaits des aspects non linguistiques visés par leurs interventions que des éléments linguistiques.

Et les étudiants ?

Vingt-neuf étudiants, tous inscrits à l’une des neuf mesures d’aide que nous avons suivies, ont été interviewés.

En moyenne, ces étudiants ont une perception assez positive de leur compétence en français : ils s’attribuent la note moyenne de 6,81 sur 10. Alors que la majorité d’entre eux n’a pas choisi de s’inscrire à une mesure d’aide, un peu plus de la moitié des étudiants se réinscriraient à une mesure similaire et croient qu’il est possible pour eux de s’améliorer en français. Les problèmes que perçoivent les enseignants ne se reflètent pas dans la perception qu’ont les étudiants de leur compétence.

À l’exception d’un étudiant qui donne une réponse mitigée, tous jugent qu’il est important de savoir bien écrire, pour des raisons surtout pragmatiques et socio-affectives ; de plus, la majorité reconnaît l’importance de savoir bien écrire dans son métier futur. Les étudiants du postsecondaire valorisent donc la qualité de la langue en même temps qu’ils croient pouvoir tendre à une meilleure qualité de langue.

Les étudiants disent surtout s’être fixé au départ des objectifs d’ordre linguistique, plus spécifiquement en orthographe et en syntaxe. Ces étudiants sont visiblement conscients de ce que la mesure à laquelle ils participent est axée sur la maîtrise de la langue et ils s’approprient cet objectif. Somme toute, leurs objectifs restent plus restreints que ceux de leurs enseignants, qui ne visaient pas que la langue.

Les impacts que les étudiants perçoivent à la suite des mesures d’aide sont surtout linguistiques, mais également d’ordres stratégique et socio-affectif. Ils perçoivent ainsi des impacts plus larges que les objectifs qu’ils se sont fixés. La majorité des étudiants sent un impact fort de la mesure d’aide sur plusieurs aspects de la langue, notamment l’orthographe, la syntaxe et la ponctuation. L’orthographe et la syntaxe étaient justement leurs objectifs. Enseignants et étudiants se rejoignent quant à leur perception d’effets non linguistiques, effets qui coïncident justement avec les objectifs que se sont fixés les enseignants.

Enfin, un peu plus de la moitié des étudiants pensent avoir atteint leurs objectifs, alors que les autres donnent une réponse mitigée ou négative. Il semble donc y avoir une relative unanimité entre enseignants et étudiants, puisqu’ils expriment une satisfaction mitigée à l’endroit des mesures. Comme les étudiants avaient essentiellement des objectifs linguistiques et qu’ils estiment partiellement les avoir atteints, ils croient vraisemblablement que c’est sur le plan linguistique que le progrès aurait pu être plus grand. Comme les enseignants perçoivent des impacts de nature non linguistique et qu’eux aussi avaient des objectifs linguistiques, on peut croire qu’ils font un constat semblable à celui des étudiants.

Et la réalité ?

Il reste maintenant à comparer les performances réelles des étudiants et les perceptions qu’en ont les enseignants.

Les enseignants ont bien ciblé en début d’année les difficultés de leurs étudiants, en relevant comme problèmes les trois principales sources d’erreurs en production écrite, soit l’orthographe grammaticale, la syntaxe et l’orthographe lexicale. Les problèmes qu’ils voient en lexique se reflètent dans la performance des étudiants au questionnaire, où cette section figure parmi les moins réussies.

Parmi les objectifs linguistiques formulés par les enseignants, le plus fréquent concerne l’orthographe grammaticale. Cet aspect de la langue est l’une des sections les mieux réussies du questionnaire, mais la principale source d’erreurs en production écrite. L’atteinte de cet objectif spécifique est donc partielle, puisqu’elle varie selon l’épreuve.

Pour les trois aspects de la langue où les enseignants, en début d’année, attendaient un impact fort (l’orthographe grammaticale et la ponctuation, suivies de la syntaxe), un progrès significatif a été réalisé dans l’une ou l’autre des épreuves. Les prédictions des enseignants se sont donc assez bien réalisées.

Lorsqu’ils précisaient, en fin d’année, quels aspects de la langue avaient connu un impact positif, les enseignants ont nommé deux aspects, l’orthographe grammaticale et la ponctuation ; cependant, l’aspect qui a bénéficié du plus grand progrès, la syntaxe, n’a pas été mentionné par une majorité d’enseignants. Les enseignants ont donc sous-estimé l’effet de leurs interventions à cet égard.

Après ce portrait des perceptions des enseignants et des étudiants, il convient de s’intéresser aux performances réelles de ces derniers et, surtout, aux mesures qui ont conduit au plus grand progrès. C’est ce dont il sera question dans notre second article.

  1. Table Éducation Montréal, 100 façons d’améliorer le français écrit des élèves. Montréal, Table de concertation interordres montréalaise, 2002. On peut télécharger le document à l’adresse suivante : www.ccdmd.qc.ca/100facons Retour
  2. Cette recherche, intitulée Évaluation de l’efficacité des mesures visant l’amélioration du français écrit du primaire à l’université, a été financée par le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC). Retour

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