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Linguistiquement parlant, qui est véritablement allophone?

Linguistiquement parlant, qui est véritablement allophone?

Comment savoir si une cégépienne ou un cégépien sont véritablement allophones ? Comment savoir si l’aide que nous souhaitons leur apporter doit être plutôt adaptée à la réalité de l’apprentissage du français, langue première ou plutôt adaptée à la réalité de l’apprentissage du français, langue seconde ? Formée en acquisition et didactique des langues secondes, la linguiste Annie Desnoyers propose ci-dessous une petite définition qui permettra peut-être de gagner du temps et, qui sait, d’éviter quelques erreurs.

Le numéro de Correspondance que vous avez entre les mains porte sur le français des allophones du réseau collégial québécois. Ce thème y est développé sous différents aspects et points de vue, mais la question de base demeure : « Qu’est-ce qu’un allophone ? » Le but de ce bref article est de définir le terme allophone de façon formelle et d’ainsi permettre aux recherches et aux applications pédagogiques découlant de ce numéro de s’articuler autour d’un concept clairement défini.

Qu’est-ce qu’une langue seconde ?

Avant de répondre à cette première question, voici d’abord deux constatations :

  • tous les enfants (normaux) du monde arrivent, vers 5 ans, à parler une langue, et même quelquefois plusieurs langues, sans qu’il y ait eu d’efforts conscients (langue, ici, ne veut pas dire norme d’une langue, mais plutôt moyen de communication d’une communauté linguistique);
  • il peut y avoir des différences énormes entre deux adultes (normaux) apprenant une nouvelle langue, même s’ils ont la même langue maternelle, et la plupart des adultes n’arrivent jamais à parler une langue étrangère comme leur langue maternelle, même après des années d’efforts.

À la lecture de ces deux constatations, il est clair que, pour ce qui est de l’acquisition des langues, il y a une cassure, une période charnière, qui délimite les différentes façons dont l’humain apprend une langue. Dans le domaine de la recherche en acquisition des langues secondes, on tente d’expliquer ce phénomène par l’hypothèse de la période critique, la CPH (Critical Period Hypothesis), selon laquelle un changement s’opère dans le fonctionnement de la faculté du langage à un moment donné dans la vie. La démonstration de cette hypothèse ne sera pas expliquée ici, mais retenons qu’il y a, en somme, un avant et un après

Une langue seconde est, selon cette hypothèse, « une langue apprise après la puberté[1] ». Par le fait même, une langue première est une langue apprise avant la puberté. (Ici, le terme langue première est utilisé par opposition à langue seconde et pour éviter toute confusion découlant de l’adjectif maternelle dans le terme langue maternelle.) À la lecture de la première constatation, on retient aussi qu’une personne peut avoir appris plus d’une langue avant la puberté, ce qui fait que quelqu’un peut posséder plus d’une langue première.

Qu’est-ce qu’un locuteur de français, langue seconde ?

À la lumière de ce que nous venons de voir, la réponse à cette nouvelle question, plus précise que la précédente, serait la suivante : un locuteur de français, langue seconde est une personne ayant appris le français après la puberté. Une personne ayant commencé à apprendre le français à l’école maternelle, par exemple, n’est donc pas un locuteur de français, langue seconde, le français faisant partie de ses langues premières.

Qu’est-ce qu’un allophone dans le réseau collégial francophone québécois ?

Voilà finalement la question qui nous concerne et dont la réponse, à la lumière des éléments contenus dans les paragraphes précédents, est évidente : un allophone du réseau collégial francophone québécois est un élève ayant appris le français après la puberté. Dans le secteur régulier, cela signifie que cet élève parle français depuis très peu de temps, quelques années au plus.

Quelques applications de cette définition

Cette définition formelle de ce qu’est un allophone dans notre système collégial apporte une nuance importante qui a des conséquences sur toutes les recherches et les applications pédagogiques faites dans ce domaine. En effet, comment expliquer que certains des élèves classés parmi les non-francophones, au cours de différentes recherches, fassent en français écrit le même type d’erreurs que les francophones (dans le sens flou habituel de Québécois de souche) alors que d’autres font des erreurs typiques à leur communauté linguistique ? L’hypothèse de la période critique donne une explication : les élèves ayant déjà fait en français toutes leurs études primaires, par exemple, ne sont pas des locuteurs de français, langue seconde. Le français faisant partie de leurs langues premières, il est normal que leurs erreurs en français écrit, une fois qu’ils sont adultes, soient les mêmes que celles des autres adultes ayant le français comme (seule) langue première.

Aussi, cette nouvelle définition (plus stricte) de ce qu’est un locuteur de français, langue seconde a des conséquences, comme nous l’avons dit plus haut, sur les différentes applications pédagogiques pouvant découler des résultats des recherches dans ce domaine. Par exemple, pour l’enseignement des cours réguliers de français au collégial, l’aménagement de groupes spéciaux selon l’origine linguistique ne serait pas basé sur une définition floue de ce qu’est un non-francophone, mais plutôt sur l’âge qu’avait l’élève quand il a commencé à fréquenter un système d’éducation en français, au Québec ou ailleurs.

Il existe certainement plusieurs autres conséquences dues à cette nouvelle définition de ce qu’est une langue seconde. Quoi qu’il en soit, voici une lecture de chevet incontournable pour toute personne voulant acquérir une base théorique solide (et connaître l’argumentation pour l’hypothèse de la période critique) avant de planifier une application pédagogique précise pour tenter de pallier les besoins des non-francophones en français écrit : Language Acquisition after Puberty[2].

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  1. NDLR. De manière à éviter la confusion, rappelons que, selon Le nouveau petit Robert, la puberté est « l’ensemble des modifications physiologiques s’accompagnant de modifications psychiques, qui font de l’enfant un être apte à procréer (apparition des caractères sexuels secondaires, des règles) ». L’adolescence, qui correspond à l’âge qui succède à l’enfance et précède l’âge adulte, vient immédiatement après la puberté. Retour
  2. Judith R. Strozer, Language Acquisition after Puberty, Washington D.C., Georgetown University Press, 1994, 281 p. Retour

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