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«Les blagues à PISA»: la langue de bois des technocrates de l’éducation

Menées depuis l’an 2000 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) visent à mesurer les performances des divers systèmes éducatifs à travers le monde en s’intéressant spécifiquement aux compétences acquises en lecture, en mathématique et en sciences par une population d’élèves en fin de scolarité obligatoire (l’âge cible est établi à 15 ans). Étienne Rouleau, conseiller pédagogique au collège Montmorency, fait ici le compte rendu de l’essai Les blagues à PISA. Le discours sur l’école d’une institution internationale[1], un ouvrage irrévérencieux qui passe au crible les propos tenus par l’organisation chapeautant cette vaste étude.

La publication des résultats de l’enquête PISA génère chaque fois de vives réactions dans l’espace public, et ce, au sein de tous les pays et toutes les économies visés par l’étude[2]. Dans ces débats, les médias, chroniqueurs, politiques, acteurs de l’éducation, syndicats ou associations tantôt expriment leur satisfaction à l’égard du rang obtenu par les élèves de leur système, tantôt mettent en doute, voire dénoncent les errances ou les écueils de leurs politiques éducatives nationales.

Au Québec, les résultats de l’édition de 2015, rendus publics en décembre 2016, ont d’abord donné lieu à des déclarations enthousiastes – les élèves québécois figurant parmi les meilleurs au monde dans les trois compétences visées par le PISA – avant d’être remis en question en raison d’un échantillon insuffisant qui aurait pu entrainer un biais des résultats[3]. Le faible taux de réponse des écoles québécoises (52 % des établissements sollicités au lieu du seuil minimum exigé de 85 %) serait explicable par le mouvement de boycottage lancé par la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) pour protester contre les coupures et « contre le manque d’écoute des instances gouvernementales[4] ».

Or, ce n’est pas la validité statistique du PISA, ni le contexte de passation de ses tests dans les établissements scolaires qu’interrogent les auteurs de l’essai Les blagues à PISA. Le discours sur l’école d’une institution internationale (2016), publié aux éditions du Croquant. Daniel Bart et Bertrand Daunay, tous deux enseignants-chercheurs à l’Université de Lille et membres de l’équipe de recherche en didactique Théodile-CIREL, s’écartent de leur production universitaire habituelle et proposent un ouvrage hors-norme, bizarre même, lequel s’intéresse précisément… aux bizarreries du discours du PISA.

Selon sa quatrième de couverture, l’essai de 131 pages – un véritable petit traité de la novlangue institutionnelle – s’adresse aux enseignants, formateurs, chercheurs, parents, cadres de l’éducation, militants, élus, journalistes et autres acteurs et observateurs du monde scolaire. C’est avec ce large public cible, donc, que les auteurs veulent partager leur étonnement devant ce qu’ils identifient comme insensé dans le fonctionnement du discours du PISA (p. 9-10). Les auteurs souhaitent ainsi mettre en lumière un paradoxe important à leurs yeux : comment un discours institutionnel assuré, voire arrogant de certitude, et pourtant parsemé d’étrangetés, d’incongruités et d’illogismes, peut-il recevoir un crédit institutionnel, politique, médiatique ou scientifique partout dans le monde?

Pour transmettre et expliquer leur étonnement critique à leurs lecteurs, Bart et Daunay ont constitué leur ouvrage à partir d’un grand nombre d’extraits de publications du PISA (voir l’encadré ci-dessous) et l’ont structuré de la manière suivante. D’abord, une présentation, intitulée « Un PISA-Schock de lecteurs », contextualise la façon dont l’idée de cet ouvrage a germé dans la tête des deux chercheurs en parallèle de leurs travaux scientifiques. Ensuite, un préambule offre une description plutôt objective du PISA en soulignant ses grandes orientations et caractéristiques méthodologiques, lesquelles seront impitoyablement mises à mal dans la suite de l’ouvrage.

Une fois placés ces éléments de contexte, les auteurs se lancent dans le cœur de leur ouvrage en deux parties. La première, « Sur les blagues du PISA », présente les caractéristiques du discours du PISA en huit sections inégales aux sous-titres évocateurs de leur ligne éditoriale (ex. : « Entre pré-science et prescience », « Une authenticité typiquement scolaire », « Génie pédagogique » ou « La magie des incantations »). La deuxième partie, « Les blagues du PISA », consiste en une vaste collection de citations tirées de l’abondante littérature produite par le programme. Ces citations sont regroupées par « angles d’attaque », une liste d’entrées thématiques et formelles aux titres variés et pensés comme ironiques : Avant-garde éclairée. (Les résolutions du PISA), Cultural studies. (La tradition du PISA), Divination. (L’avenir tracé par le PISA), Haut les cœurs. (La pensée positive dans le PISA), Mutationnisme. (L’évolution de l’homme et de la société selon le PISA), Pédagogie pour les nuls. (Les idées sur l’enseignement du PISA) ou Trompe-l’œil. (L’authenticité dans le PISA).

Quatre « blagues » à PISA (citations de l’OCDE)

Une méthodologie scientifique… arbitraire?

L’un des principes qui préside[nt] à la conception des cadres d’évaluation PISA et des épreuves qui les opérationnalisent est de représenter les domaines de la façon la plus « authentique » possible. Il n’y a pas de méthode définie pour ce faire, et les décisions et les sélections sont jusqu’à un certain point arbitraires – même si elles se fondent sur le jugement d’experts internationaux spécialisés dans la lecture.

(OCDE, citée dans Les blagues à PISA, p. 38)

Qui ça, le monde?

Le monde n’a que faire des traditions et des réputations d’antan, ne pardonne ni la faiblesse, ni la complaisance, et ignore les us et coutumes. Les individus et les pays qui ont toutes les chances de réussir sont ceux qui ont une grande faculté d’adaptation, qui ne se plaignent pas en permanence et qui sont ouverts au changement.

(OCDE, citée dans Les blagues à PISA, p. 44)

Une vérité de La Palice?

Le fait que de nombreux élèves n’aiment pas aller à l’école a-t-il une quelconque importance? Certes, les jeunes ne doivent pas forcément apprécier tout ce qui va dans le sens de leur intérêt. Pourtant, force est de constater que ceux qui aiment l’école affichent un meilleur rendement que les autres.

(OCDE, citée dans Les blagues à PISA, p. 79)

Une solution clé en main?

Pour être efficaces, les systèmes d’éducation doivent pouvoir compter sur du personnel compétent et talentueux, des moyens pédagogiques et des infrastructures adéquats, et des élèves motivés et disposés à apprendre.

(OCDE, citée dans Les blagues à PISA, p. 104)

Cet essai alambiqué est à la fois instructif et pénible à lire, malgré qu’il soit court. Est-ce parce qu’il donne énormément de place aux textes du PISA lui-même en en reproduisant de larges extraits? D’une certaine manière, si c’était le cas, les auteurs auraient un peu atteint leurs objectifs, car, ce faisant, ils offrent au PISA l’occasion de se pendre lui-même…

Sauf qu’à la lecture de l’ouvrage, même dans les parties écrites par les auteurs, on reste souvent interloqué et agacé par le ton. Est-ce l’exercice de vulgarisation qui n’est pas maitrisé? Une part de leurs critiques et leur irritation procèderaient-ils d’un sursaut d’orgueil national lié au fait que la France ne réussit pas particulièrement bien au PISA et que son système éducatif est vu comme particulièrement inégalitaire[5]?

En bout de piste, pour la part appréciable de l’ouvrage, on retiendra, et partagera avec les auteurs, deux éléments d’agacement fondamental liés au PISA. D’une part, la prétention de ces tests internationaux à proposer des situations d’évaluation tellement plus authentiques que celles généralement offertes en contexte scolaire, alors que de nombreux exemples donnés dans Les blagues à PISA nous prouvent le contraire (p. 28 à 38). D’autre part, une rhétorique chargée d’une vision du monde utilitariste qui n’est jamais dite ni clairement énoncée et qu’on tente de masquer sous un vernis d’objectivité. À cet égard, Bart et Daunay résument très bien l’impression générale laissée par la prose des technocrates de l’OCDE : « Ce qu’il y a peut-être de plus frappant encore est que dans cette vision d’un monde donné comme transparent, par-delà l’étendard d’une scientificité qui se limite pour l’essentiel à la sophistication d’une méthodologie et d’un appareillage psychométrique, par-delà ce travail de fabrication et d’interprétation d’objets avantageusement présenté sous le jour d’un cadrage théorique et d’une résolution de formules complexes, on trouve quelque chose du ressort le plus banal – et en cela peut-être le plus puissant – de la conversation ordinaire : le bon sens » (p. 66).

* * *

  1. D. BART et B. DAUNAY (2016), Les blagues à PISA. Le discours sur l’école d’une institution internationale, Vulaines-sur-Seine, éditions du Croquant. [Retour]
  2. La première édition du PISA, en 2000, portait sur 43 pays et économies du monde, alors qu’on en dénombre 70 dans la plus récente, en 2015. [Retour]
  3. Pour une plus grande compréhension de ce contexte, voir Philippe MERCURE (2016), « Les résultats québécois aux tests PISA remis en question », La Presse, 8 décembre 2016, [En ligne]. (Consulté le 19 septembre 2017). [Retour]
  4. FQDE (2016), « Nous voulons faire notre travail », Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, 9 décembre 2016, [En ligne]. (Consulté le 19 septembre 2017). [Retour]
  5. F. JARRAUD (2016), « Pisa 2015 : La France dans la moyenne sauf pour les inégalités… », Le café pédagogique, 6 décembre 2016, [En ligne]. (Consulté le 19 septembre 2017). [Retour]

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