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Les erreurs langagières en mathématiques

Les erreurs langagières en mathématiques

Récit de pratique

Marco Bélanger et Margot De Serres enseignent les mathématiques au collège Jean-de-Brébeuf et participent actuellement à une recherche intitulée « Intervenir sur les langages en sciences ». Leur article fait ressortir l’importance de maîtriser les langages symbolique, graphique et naturel pour réussir en mathématiques. Il montre, entre autres, que des erreurs de syntaxe en langage naturel (en l’occurrence, en français) entraînent fréquemment des erreurs en mathématiques. Comme quoi la syntaxe n’a pas sa place que dans les cours de français !

Aux yeux de beaucoup de gens, les mathématiques sont difficiles, voire rebutantes. Les symboles y sont nombreux, les formules semblent ésotériques. Les dénominations qu’on y utilise sont complexes ou lourdes, telles que « pente de la tangente en un point d’une courbe », « plus petit commun multiple ». D’autres appellations, comme « logarithme à base 10 de 2 », n’évoquent pas grand-chose à l’esprit de plusieurs. Très vite, un non-initié se perd dans ce labyrinthe de termes et de symboles et reste avec l’impression que les mathématiques s’apparentent à une langue étrangère. L’impression est juste : les mathématiques reposent sur un langage qui a ses codes, sa sémantique et sa syntaxe.

Le langage mathématique

Apprendre les mathématiques, c’est entre autres apprendre une langue, comme l’arabe ou le russe. Il n’est donc pas surprenant que nombre de difficultés qu’éprouvent les élèves dans leurs cours de mathématiques sont, en fait, de nature langagière. Beaucoup d’entre eux se méprennent sur le sens de certains termes, décodent mal des données graphiques, interprètent mal un énoncé mathématique, ne reconnaissent pas des formes équivalentes, font fréquemment des erreurs de syntaxe dans l’écriture symbolique, etc.

Les erreurs langagières en mathématiques se manifestent dans les différents aspects que prend le langage mathématique. Comme l’ont fait remarquer De Serres et Groleau (1997), le langage mathématique est en fait constitué de trois langages différents : le langage naturel, le langage graphique et le langage symbolique. Or, chacun de ces langages possède sa propre structure et est donc source d’erreurs qui lui sont propres. Les difficultés langagières s’en trouvent alors accrues.

Les erreurs syntaxiques en mathématiques

Un premier exemple d’erreur langagière dans le langage naturel est cité par De Serres et Groleau (1997). Plusieurs des élèves questionnés par eux avaient donné 36 comme exemple d’un diviseur de 12. L’un d’entre eux avait expliqué que « 36 est un diviseur de 12 parce que 12 divise 36 ». Il commettait là une erreur syntaxique, ayant fait une inversion du sujet et du complément dans la proposition circonstancielle de cause. Pour répondre correctement, il aurait dû dire : « 4 est un diviseur de 12 parce que 4 divise 12 ».

Lorsque les élèves parlent d’éléments dans un graphique, beaucoup d’entre eux font l’erreur syntaxique de dire ou d’écrire « le point x » quand x désigne l’abscisse du point. L’expression correcte est « le point d’abscisse x », car un point dans un plan cartésien est constitué de deux composantes graphiques : une abscisse et une ordonnée. En omettant le complément déterminatif (« d’abscisse »), on change le sens du symbole x : il désigne alors le point lui-même, et non son abscisse. L’erreur syntaxique conduit ici à une erreur sémantique. Il faut dire que bien des professeurs de mathématiques font ce genre d’abus de langage. Quand ils discutent entre eux, ils se comprennent à demi-mot. Mais quand ces abus de langage tombent dans l’oreille des élèves, cela peut devenir dangereux.

Les erreurs langagières dans l’utilisation des symboles sont nombreuses et variées. Le fait de ne pas savoir identifier la nature des symboles dans une équation (c’est-à-dire quelles sont les lettres représentant les constantes et les variables) entraîne de nombreuses erreurs syntaxiques. Par exemple, beaucoup d’élèves confondent, parce qu’elles sont visuellement semblables, les trois expressions suivantes : kn, xn et kx, où k et n désignent des constantes et x une variable. Or, la première est une puissance d’une constante, donc une constante ; la deuxième est une puissance d’une variable, et la troisième une exponentielle de base k. Si on ne différencie pas ces expressions, il devient hasardeux de les manipuler, notamment lorsqu’on leur applique les règles de dérivation, qui sont particulières à chacune de ces formes.

D’un autre côté, de nombreux élèves ne voient pas les similitudes sur le plan symbolique, par exemple, entre les deux formes d’équation suivantes : y = mx + b et ax + by + c = 0, où x et y sont des variables, a, b et c des constantes. La première équation est très familière à tous les élèves dès la fin du secondaire. Il s’agit de la forme la plus fréquemment utilisée par les professeurs et dans les manuels de mathématiques pour décrire de façon générale une droite dans le plan cartésien. Cependant, si on présente aux élèves la deuxième équation, plusieurs ne reconnaîtront pas en elle l’équation générale d’une droite ; ils ne verront pas là une autre façon de décrire symboliquement le même objet graphique. Dans une recherche actuellement en cours3, un test de dépistage a été administré à quelque 300 élèves de première session du programme de Sciences de la nature. Il a révélé que seulement 35 p. 100 de ces élèves avaient reconnu une droite dans la deuxième équation, alors que 95 p. 100 d’entre eux l’avaient reconnue dans l’autre. Ainsi, en ne voyant pas dans les deux cas qu’il s’agit d’équations du premier degré en x et en y, 65 p. 100 de ces élèves se montrent incapables de faire l’analyse syntaxique d’une équation. De plus, on a l’impression que la première forme d’équation, ancrée dans la tête des élèves (ils la récitent de mémoire sans problème), agit comme un slogan, liant l’objet graphique à une et une seule formule. On peut faire le rapprochement avec la mémorisation de phrases toutes faites dans une langue étrangère, sans qu’il y ait réflexion, capacité de reconnaître les mots dans la phrase.

Le non-respect des règles de priorité dans les opérations, l’omission ou le mauvais usage des parenthèses dans l’écriture d’expressions mathématiques sont d’autres exemples d’erreurs de syntaxe symbolique. Des élèves vont écrire 2x – 3 · h, alors qu’ils devraient écrire (2x – 3) · h. D’autres, en substituant par exemple les valeurs 4 et -5 aux variables x et y dans une expression comme xy, écriront 4 – 5 au lieu de 4 · (-5). Bien que l’oubli des parenthèses relève parfois d’une simple négligence, il est dans bien d’autres cas le reflet d’un manque de maîtrise de la syntaxe symbolique.

La traduction en langage symbolique d’un énoncé mathématique formulé en langage naturel peut aussi occasionner des erreurs syntaxiques. Considérons l’énoncé suivant : Il y a deux fois plus de garçons que de filles dans la salle. En posant l’équation reliant le nombre de garçons (représenté par le symbole G) au nombre de filles (représenté par F), certains élèves écriront : 2G = F, ce qui est la forme inversée de la bonne formulation : G = 2F. Ce type d’erreur a été étudié par de nombreux chercheurs (Rosnick et Clement, 1980 ; Clement, Lockhead et Monk, 1981 ; Kaput et Sims-Knight, 1983 ; Wollman, 1983 ; De Serres et Groleau, 1997). Il est intéressant de remarquer que l’erreur est due à une traduction mot à mot de l’énoncé, en calquant l’écriture symbolique sur la syntaxe française :

2 fois plus de garçons que de filles
2  X            G         =      F

Or, l’énoncé ne saurait être traduit ainsi, puisque l’écriture symbolique suit sa syntaxe propre.

Mais cette erreur d’inversion peut avoir d’autres causes. Il est possible, comme l’ont observé Rosnick et Clement (1980), que dans l’esprit de certains élèves les lettres G et F ne désignent pas le nombre de garçons et le nombre filles respectivement, mais les mots « garçons » et « filles ». Les lettres ne représenteraient pas pour eux des variables ou des nombres, mais « des initiales ou des signes prenant la place de mots » (De Serres et Groleau, 1997).

Dans les graphiques, on peut également observer des erreurs langagières, notamment dans l’agencement des éléments graphiques ou dans la représentation graphique d’informations. Une erreur fréquemment rencontrée est la confusion entre point et ordonnée d’un point. Dans le cas du graphique d’une fonction f, des élèves vont associer à f(x) un point de la courbe de f, alors que l’expression f(x) représente l’ordonnée du point d’abscisse x sur la courbe. En faisant cette erreur sémantique, les élèves ne pourront analyser correctement des expressions plus complexes comme f(5) – f(2). Au lieu de lire dans ce cas une différence d’ordonnées, ils vont lire une différence de points et ne sauront visualiser correctement sur le graphique cette expression. Dans le test de dépistage mentionné plus haut, seulement 24 p. 100 des élèves ont donné une représentation graphique correcte d’une expression similaire.

L’importance de la syntaxe en mathématiques

Comme on peut le constater, nombre d’erreurs que commettent les élèves en mathématiques sont de nature langagière. Ils ne maîtrisent pas suffisamment la syntaxe, que ce soit dans le langage naturel, le langage symbolique ou le langage graphique. Cela met en lumière la nécessité d’intervenir sur ces trois plans pour corriger leurs lacunes langagières. Car une langue ne devient intelligible que dans la mesure où l’on connaît ses codes, ses conventions, une bonne partie de son vocabulaire et la façon dont on structure ses éléments.

* * *

  • CLEMENT, J., LOCKHEAD, J. et G. MONK. « Translation Difficulties in Learning Mathematics », American Mathematical Monthly, no 88, 1981, p. 286-290.
  • DE SERRES, Margot et Jean-Denis GROLEAU. Mathématiques et langages, Collège Jean-de-Brébeuf, 1997.
  • DE SERRES, Margot, en collaboration avec Marco BÉLANGER, Claude DE GRANDPRÉ, Marie-Christine PICHÉ, Martin RIOPEL et Colette STAUB. Intervenir sur les langages en sciences (en cours de réalisation).
  • KAPUT, James J. et Judith E. SIMS-KNIGHT « Errors in Translations to a Algebraic Equations : Roots and Implications », Focus on Learning Problems in Mathematics, vol. 5, no 3 et 4, 1983, p. 63-78.
  • ROSNICK, Peter et John CLEMENT. « Learning Without Understanding : The Effect of Tutoring Strategies on Algebra Misconceptions », Journal of Mathematical Behavior, vol. 3, no 1, 1980, p. 3-27.
  • WOLLMAN, Warren. « Determining the Sources of Error in a Translation From Sentence to Equation », Journal for Research in Mathematics Education, vol. 14, no 3, 1983, p. 169-181.

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