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Ils lisent… et ensuite?

En tant qu’enseignant ou enseignante, il n’est pas rare de se retrouver en proie à de cruels dilemmes lorsque vient le temps de choisir les textes que l’on souhaite faire lire à nos étudiants et étudiantes. Certains textes nous semblent trop peu approfondis, d’autres trop complexes ou trop longs; d’autres encore nous paraissent passionnants, mais ont déjà reçu dans le passé un accueil décevant des élèves, qui ne l’ont peut-être pas compris, pas aimé ou tout simplement pas lu. La tentation est alors grande de renoncer à nos coups de cœur, voire à toute proposition de lectures… Au mieux, on en choisira quelques-unes assurant une base commune que l’on consolidera de toute façon en classe, puisqu’on se doute que plusieurs élèves n’auront pas vraiment compris ou lu les textes. Dans certaines disciplines, lorsque la lecture est un incontournable, comme en littérature, on fait parfois passer des tests de lecture, un peu pour vérifier la compréhension, mais beaucoup (soyons francs) dans le but de fournir aux élèves un incitatif à lire. Et c’est légitime. Après tout, comment avoir la certitude qu’ils ont bien lu? Comment vérifier ce qu’ils ont compris afin de les aider dans leurs apprentissages?

Cet article, dernier d’une série de quatre, propose différentes façons d’apprécier la qualité des lectures réalisées par les étudiants et d’aider ces derniers à mieux s’approprier les apprentissages visés par la lecture, une fois celle-ci complétée. Rappelons que le premier article de notre série portait sur la planification de l’activité de lecture, les deux suivants sur l’encadrement de la lecture avant et pendant celle-ci. Le présent article se concentre sur « l’après-lecture », ce moment où l’enseignant ou l’enseignante devrait, idéalement, évaluer la lecture de l’élève – non pas strictement dans une perspective sommative, mais plutôt dans le but de lui fournir une rétroaction quant à l’exactitude de ses apprentissages afin qu’il ait une chance de rectifier ses erreurs d’interprétation ou de pallier ses lacunes. 

Apprécier les compétences en lecture d’un étudiant : l’intérêt des traces comme outil d’évaluation et d’accompagnement

Le premier problème qui se présente lorsque l’on souhaite évaluer la qualité de la lecture est celui du caractère difficilement observable du processus. En effet, il n’est pas évident  d’accompagner les étudiants dans cette démarche si l’on ignore où leurs difficultés de lecture se situent. On peut évaluer leur compréhension du texte, par exemple, en leur posant des questions, mais leurs réponses, même fautives, ne nous révéleront que les points qui n’ont pas été maitrisés, et non les raisons pour lesquelles ceux-ci ont posé problème. On peut alors leur donner la bonne « réponse », mais cela ne les aidera pas nécessairement dans leurs futures lectures. Par ailleurs, même le niveau de compréhension est ardu à cerner : le fait que l’élève se souvienne des propos d’un texte et soit capable de les rapporter ne prouve pas forcément qu’un réel transfert des apprentissages a eu lieu; c’est ce qu’on observe, par exemple, lorsque les étudiants réussissent avec brio un contrôle de lecture, mais ne se souviennent plus de ladite lecture un mois plus tard. Cependant, les traces que l’élève laisse dans son texte à la suite d’une lecture active peuvent aider à résoudre les difficultés en ajoutant à l’utilité métacognitive de sa stratégie, l’annotation par exemple, un bénéfice non négligeable pédagogiquement : il rendra ainsi perceptibles par autrui ses processus mentaux, ce qui permettra, dès lors, d’intervenir éventuellement sur ceux-ci.

Deux types de traces sont particulièrement faciles à examiner : les papillons autocollants et les annotations.

Les papillons autocollants (ou post-its) peuvent s’avérer de très bons outils pour situer des passages clés dans des ouvrages d’une certaine ampleur (manuel scolaire, roman, etc.). Ils ont comme principal avantage d’aider à retrouver rapidement des passages (à condition de ne pas en mettre trop!). On se servira de diverses couleurs pour identifier rapidement différentes catégories d’éléments. Avec les autocollants, on peut mettre par écrit des questions, commentaires ou notes sans abimer le document, ce qui peut s’avérer utile avec un livre emprunté ou que l’on prévoit revendre ultérieurement.

Les annotations directement sur le texte conviennent aux feuilles libres ou photocopiées, ou encore, aux lecteurs qui comptent conserver leur livre. Elles peuvent prendre de très nombreuses formes (mots clés, symboles, flèches, questions, commentaires, etc.) et correspondre à différentes stratégies de lecture (clarification, synthèse, établissement de liens – pour plus de détails, voir l’article « Pas à pas dans la lecture au collégial : une question de stratégies »). Certaines se prêteront indifféremment à divers contextes, alors que d’autres seront plus ou moins pertinentes selon le type de texte, le niveau de complexité de l’apprentissage demandé ou la tâche à accomplir à la suite de la lecture. Les annotations sont un excellent moyen de transcrire la pensée du lecteur sur le vif et, si elles sont judicieusement utilisées, sont très efficaces pour le lecteur qui aura besoin de revenir au texte. Les stratégies de sélection tel le surlignement se combinent bien à ce type de traces; toutefois, le surlignement en lui-même, très utilisé par les étudiants, est rarement suffisant pour apprécier la qualité de leur lecture.

L’enseignant ou l’enseignante devront demander explicitement à leurs élèves d’annoter le texte à lire s’ils veulent que ceux-ci laissent des traces de leur lecture; de même, ils auront avantage à effectuer en classe une modélisation de ce qu’ils entendent par lecture active s’ils veulent que leurs étudiants comprennent le principe et puissent eux-mêmes en réaliser une.

Le principe d’une modélisation, appliquée à la lecture, est assez simple : l’enseignant se place comme modèle en lisant à haute voix un texte ou un extrait de texte devant ses élèves et en verbalisant sa pensée à mesure qu’il annote le texte devant eux (en le projetant au tableau, par exemple). Il doit alors expliquer la manière (flèches, symboles, surlignements, questions, liens) dont il annote et la raison de ses choix (pertinence par rapport à une tâche à effectuer, cohérence avec une pensée disciplinaire, etc.). Il est souhaitable, après la modélisation, de laisser un moment aux étudiants, en classe, pour reproduire l’exercice sur une courte portion de texte et de revenir avec eux sur l’activité, cela afin de répondre à leurs questions et de s’assurer que le principe a bien été intégré.

L’enseignant peut choisir ensuite d’évaluer de manière sommative ou formative ces traces. Il peut exiger que l’élève ait annoté son texte ou placé des papillons autocollants pour qu’il puisse participer au cours ; il peut accorder des points pour la présence d’annotations, ou encore ramasser les textes et examiner ces dernières en détails – selon le temps qu’il est disposé à accorder à cet exercice et l’importance des apprentissages concernés. Le choix pourra aussi dépendre du reste de l’encadrement qu’on souhaite fournir à la suite de la lecture : si d’autres activités sont prévues pour aider l’étudiant à assimiler le contenu de ses lectures (discussion avec les pairs, par exemple), il n’est peut-être pas nécessaire de parcourir l’ensemble des annotations qu’il a laissées. Par contre, on pourra choisir de faire l’exercice avec les étudiants ayant eu davantage de difficultés, par exemple. Les traces sont une excellente façon de s’assurer que le texte a été lu, puisqu’il est très difficile de « faire semblant » d’annoter un texte (surtout si l’enseignant se donne la peine de vérifier les annotations, ne serait-ce qu’en diagonale). On neutralise ainsi la tentation de certains étudiants de prendre un raccourci en passant par les ressources offertes par Internet.

À ce propos, en cette ère où la lecture numérique est de plus en plus courante, certaines applications peuvent se révéler précieuses pour laisser les traces d’une lecture active. Parmi celles servant à annoter, à inscrire des commentaires ou à insérer des images dans un document PDF, mentionnons, par exemple, Notability et iAnnotate. En outre, certains logiciels, tel EndNotes, offrent la possibilité non seulement d’annoter des PDF, mais aussi de gérer des bibliographies. Les possibilités de ces applications sont nombreuses et intéressantes, notamment le partage de fichiers (pour des travaux en équipe concernant une lecture, par exemple) et l’insertion de commentaires audio.

Le portfolio ou le journal de lecture constituent une autre option pour garder des traces d’une lecture active. Ils conviennent dans un contexte où la lecture est au centre de la pédagogie de l’enseignant. Ces outils servent à regrouper l’ensemble des notes de lecture réalisées au fil d’une session. Le portfolio fait davantage référence à un cartable ou à un cahier où l’on regroupe différents documents liés aux lectures effectuées : des notes de lecture, certes, mais aussi des articles affiliés, des extraits d’autres textes pertinents, des images, etc. On l’utilisera à la fois pour réunir en un seul lieu les traces des lectures de la session (résumés, commentaires sur les textes, schématisations), mais également pour constituer un « dossier » portant sur la thématique du cours. Pour sa part, le journal de lecture se rapproche davantage du concept de « journal intime », bien qu’il soit parfois assimilé au portfolio. Il offre au lecteur un lieu pour consigner ses réactions par rapport au texte; celles-ci peuvent être cognitives (résumé, définitions, questionnements, schémas, liens internes ou externes au texte), mais aussi affectives (émotions ou pensées personnelles survenues en cours de lecture), critiques – voire créatrices (écriture découlant de la lecture). Le journal comme le portfolio se nourrissent d’allers-retours entre l’étudiant et l’enseignant (ou les pairs) afin de fournir au premier des rétroactions formatives sur sa lecture. Ils constituent un excellent moyen d’amener les élèves à se préparer à des discussions portant sur les textes. Pour ces raisons, ils peuvent prendre, par exemple, la forme de dialogues ou de correspondances. Construire un bon portfolio ou journal de lecture est une tâche exigeante qui gagnera à être bien encadrée par des critères ou des indicateurs précis (un exemple est donné ici), car, d’une part, les journaux de lecture peuvent prendre des formes très variées et, d’autre part, les étudiants sont rarement habitués à l’exercice et auront le plus souvent besoin d’être guidés dans cette approche – qui n’est pertinente, rappelons-le, que dans un contexte d’apprentissage où la lecture est centrale ou, du moins, très importante[1].

Les blogues ou portfolios numériques peuvent prendre, virtuellement, la même forme que le portfolio ou le journal de lecture; leur avantage est qu’ils ouvrent davantage de possibilités. Par exemple, un blogue dédié à la lecture d’une œuvre permet d’établir des liens entre des textes et des images ou vidéos (sur l’auteur, l’époque de rédaction ou le sujet du texte, par exemple); il accélère les rétroactions non seulement entre l’enseignant et l’étudiant, mais entre ce dernier et ses pairs, ce qui peut s’avérer précieux pour la lecture de textes plus difficiles. Il importe ici, tout comme pour le journal de lecture, de bien expliciter les critères d’évaluation.

Les « productions écrites » à la suite des lectures : objets d’évaluation… ou d’apprentissage?

Bien que les traces rendent visible le processus de lecture de l’élève, il demeure nécessaire d’amener ce dernier à exprimer ce qu’il a appris par sa lecture. Il devra alors « produire » quelque chose : un schéma, une synthèse, une réponse à une question à développement, etc. Hélas, on a parfois l’impression que les étudiants ne sont pas capables de rendre compte de ce qu’ils ont appris ou qu’ils le font d’une manière décousue, en présentant par exemple une interprétation erronée de la lecture effectuée. On conclut alors qu’ils n’ont pas lu les textes concernés ou qu’ils ne les ont pas compris, ce qui nous amène à vouloir pallier ce problème, notamment en donnant davantage d’explications en classe. Ce diagnostic précoce, basé sur la lecture de leurs productions, ne tient pas compte de la qualité heuristique de l’écriture. En effet, si la lecture est un processus mental de construction (le lecteur construit une interprétation de ce qu’il lit en intégrant à ce qu’il connait les informations reçues), l’écriture l’est tout autant. On peut avoir l’impression de bien comprendre quelque chose qu’on a lu ou que l’enseignant a dit en classe, mais c’est vraiment quand vient le temps d’exprimer par écrit cet acquis que l’on peut voir si les pièces du casse-tête tombent en place correctement. Or, les produits des apprentissages réalisés par l’écrit sont le plus souvent utilisés comme moyens d’évaluation sommative; on les considère alors comme une preuve que les étudiants ont appris ou non, plutôt que comme un processus d’apprentissage en soi. On est tenté de penser qu’on apprend d’abord (l’information « entre »), puis qu’on exprime ce qu’on a appris (l’information « sort »). Cependant, l’apprentissage n’est pas une simple voie bidirectionnelle. L’étudiant reçoit de l’information (par la lecture), ce qui le force à adapter mentalement ses savoirs. Mais c’est seulement lorsqu’il aura à se formuler à lui-même cet apprentissage que celui-ci se concrétisera réellement. Car, pour ce faire, il devra jouer avec les mots (le support des concepts) et la structure de la phrase (le support de la logique, du fil de la pensée), lesquels, par les usages et règles qui leur sont propres, le forceront à structurer son apprentissage. Cet exercice d’expression fait donc évoluer les savoirs des élèves – au même titre que les nouvelles informations reçues au départ du processus. Or, on escamote souvent cette deuxième étape, pourtant essentielle, en lui donnant un rôle moins formatif que certificatif. Il est pourtant assez compréhensible qu’un étudiant en train de construire ses apprentissages n’en rende pas compte de manière exemplaire du premier coup.

Évidemment, certains produits découlant des lectures, telles les dissertations, sont très longs à écrire, à lire et à corriger; il serait impensable de faire réaliser encore davantage ce type de travaux au cours d’une session dans une optique uniquement « formative ». Ceci dit, afin de pouvoir aider l’élève à apprendre par la lecture, d’autres stratégies du traitement de l’information, très riches en potentiel d’apprentissage, sont envisageables. Les résumés et synthèses, notamment, permettent d’approfondir les notions acquises, surtout si l’on exige des étudiants qu’ils paraphrasent. Par ailleurs, l’exercice qui consiste à rendre compte en peu de mots (voire, en un nombre limité de caractères) de ce qu’ils ont compris d’un texte est très exigeant et met bien à profit l’écriture comme processus d’apprentissage. La schématisation est une autre façon de témoigner d’apprentissages complexes réalisés par la lecture. Si cette stratégie est pertinente dans l’examen d’un texte unique, surtout si la structure de celui-ci est difficile à saisir, elle devient particulièrement riche lorsqu’elle sert à mettre en relation plusieurs textes lus ou notions vues en classe. Elle favorise à la fois une révision et une construction des savoirs à mesure que les apprentissages évoluent au fil du cours. On peut aussi demander aux étudiants de formuler des questions et des réponses liées au texte. Pour s’assurer que des apprentissages complexes sont effectués, l’enseignant mettra des contraintes quant aux types de questions, par exemple en exigeant qu’elles commencent par « Comment », « Pourquoi » ou « Quels sont les liens »[2]. Toutes ces stratégies ont l’avantage de générer des productions relativement courtes à réviser et à corriger. S’il ne faut pas négliger le temps que ces réalisations exigeront des étudiants, on doit aussi garder en tête que ce temps offre l’occasion précieuse d’accompagner ces derniers dans leurs apprentissages. Ceci dit, outre l’écriture, d’autres voies peuvent être envisagées pour que les élèves puissent rendre compte de ce qu’ils ont appris par la lecture. Il est d’ailleurs avantageux de leur proposer différentes formes d’expressions, chacune comportant des règles et contraintes susceptibles de faire évoluer leur compréhension et d’être profitable à la diversité des styles d’apprentissage. Projets, affiches de type scientifique, débats… les options sont nombreuses. L’enseignant ou l’enseignante devront seulement prendre garde de demeurer cohérents par rapport aux objectifs d’apprentissage.

Apprendre par la discussion et la coopération : l’intérêt de l’accompagnement par les pairs

Parfois, l’enseignant, parce qu’il est un spécialiste de sa discipline, n’est pas le mieux placé pour aider ses étudiants à apprendre en profondeur la matière, du moins s’il décide de se cantonner au rôle de « maitre ». Cette affirmation, bien que paradoxale, repose sur deux constats. D’une part, aussi compétent soit-il, l’enseignant est seul face à des dizaines d’élèves ayant des besoins différents – et donc des compétences en lecture qui exigeraient une différenciation pas toujours facile à mettre en place. D’autre part, il a le vilain défaut de connaitre déjà les réponses… trop bien! Or, les étudiants gagnent, lorsqu’ils apprennent, à discuter avec des gens qui ont un niveau de compréhension similaire et, surtout, un vocabulaire semblable. Des activités d’apprentissage par les pairs représentent assurément un des moyens à privilégier pour effectuer en classe un retour sur des lectures. Keith Topping (2005), professeur, praticien et chercheur de l’Université de Dundee en Écosse, propose un modèle où il identifie les groupes de processus qui favorisent l’efficacité de ce mode d’apprentissage. Parmi ceux-ci, on retrouve des processus d’organisation et d’engagement ainsi que l’instauration d’un conflit cognitif. Topping souligne également l’importance du respect de la zone proximale de développement entre pairs. C’est pourquoi l’enseignant, plutôt que de parler des lectures avec ses élèves, pourrait avoir avantage à se mettre en retrait afin de laisser ceux-ci discuter entre eux.

Les enseignants sont parfois réticents à laisser leurs étudiants apprendre par eux-mêmes. Après tout, ils sont les spécialistes, et les étudiants ont besoin de leur support. Rappelons toutefois que ce support peut prendre diverses formes. Évidemment, les explications d’un enseignant sur les lectures effectuées seront plus justes que celles des étudiants, et les mots qu’il emploiera seront probablement bien plus exacts; cependant, c’est lui qui fera tout le travail. Les élèves reprendront ses mots, ce qui ne signifie pas, on le sait bien, qu’ils les comprendront pleinement. En revanche, si l’enseignant accepte de changer, voire d’alterner ses « rôles » face aux étudiants, le potentiel d’apprentissage par la lecture devient beaucoup plus riche. Plutôt qu’en maitre, l’enseignant peut d’abord se poser en « modèle », c’est-à-dire verbaliser sa réflexion de spécialiste devant une lecture. Il peut ensuite mettre en place une structure qui orientera les apprentissages par la lecture de ses étudiants – par exemple, en leur donnant des textes choisis, en exigeant d’eux qu’ils laissent des traces ou réalisent un certain « produit » afin de rendre compte de leurs apprentissages par la lecture. Puis, il peut adopter le rôle d’ « accompagnateur » en plaçant ses élèves dans une situation où ceux-ci apprendront par eux-mêmes.

Mais quelles activités, en lien avec la lecture, conviennent à cet apprentissage autonome par les pairs? La plupart des enseignants connaissent déjà le principe des tables rondes et des débats. C’est une formule intéressante, mais qui donne souvent des résultats inégaux, surtout parce que ces activités sont réalisées moins dans une optique de coconstruction des apprentissages que de présentation d’apprentissages déjà construits. Ainsi, bien que ces activités soient très valables, elles sont plutôt adaptées à la fin d’un processus d’apprentissage. Si l’on veut que les étudiants soient encadrés et accompagnés dans leurs apprentissages par la lecture, une autre avenue est possible : les cercles de lecture.

Un cercle de lecture est « un groupe restreint de pairs ayant pour objectif d’enrichir leur lecture d’un ou de plusieurs textes grâce à des discussions suscitant des conflits cognitifs, en cours [de lecture] et après lecture; pour ce faire, chacun des membres doit procéder à une lecture orientée en utilisant consciemment diverses stratégies de lecture pour arriver à faire des liens entre le texte et son cadre personnel de référence » (Bélec, 2016).

Le nombre d’étudiants idéal pour un cercle est d’environ quatre personnes. Ce petit nombre permet à chacun de participer activement à la discussion; le caractère « intimiste » favorise la prise de parole des personnes moins expansives ou de celles qui sont moins certaines d’avoir compris leur lecture. En organisant plusieurs petits groupes à la suite d’une lecture, l’enseignant peut alors circuler dans la classe et « accompagner » les groupes en posant des questions orientantes, en s’assurant que les équipes fonctionnent avec une dynamique adéquate et en relançant les discussions qui ne « lèvent » pas. Selon l’objectif d’apprentissage, on peut laisser les étudiants discuter librement des textes, mais il pourrait être encore plus enrichissant de leur demander de mettre en œuvre une stratégie de lecture plus complexe que celles qu’ils ont utilisées individuellement. Par exemple, on demandera de lire un texte en l’annotant d’une certaine façon (stratégie se situant surtout au niveau de la compréhension). Puis, en classe, on pourra demander aux élèves, une fois réunis en cercles, de réaliser une synthèse commune ou un schéma (stratégie du niveau de l’élaboration ou de l’analyse). La mise en commun, lors de cet exercice, forcera les étudiants à confronter leurs interprétations et à discuter afin d’en arriver à un produit final commun. L’enseignant pourra alors reprendre son rôle de « maitre » et revenir sur les synthèses en séance plénière ou par des rétroactions sur les travaux. Ceci dit, la reprise du cycle peut être encore plus avantageuse : en redistribuant le produit réalisé par chaque cercle (des synthèses, par exemple) aux étudiants eux-mêmes, l’enseignant peut demander à ceux-ci de lire et d’évaluer les synthèses produites dans d’autres cercles. Les élèves pourront alors travailler à la fois sur les apprentissages réalisés par leurs lectures et sur leurs stratégies d’écriture en examinant les synthèses produites. De plus, ce cycle renforcera aux yeux des élèves l’utilité et l’importance de la production d’une synthèse, ce qui contribuera à les motiver.

Bien qu’un excellent moyen de soutenir les apprentissages par la lecture des étudiants, les cercles de lecture appellent tout de même à deux mises en garde. Premièrement, il importe que les élèves puissent partager leurs points de vue sur une même lecture afin de confronter ceux-ci. Sinon, on ne réalise pas un cercle, mais plutôt un apprentissage coopératif. En travaillant sur différents textes, les étudiants exposeront ce qu’ils ont compris, et les autres n’auront d’autre choix que d’accepter cette interprétation d’un texte qu’ils n’ont pas lu. Le même problème peut survenir si on donne des tâches ou rôles différents aux élèves lors de leur lecture. Par exemple, si un seul étudiant est responsable de repérer la structure du texte ou d’analyser des personnages, la discussion risque fort de ne pas lever durant la rencontre. Dans des cas pareils, une solution peut être de réaliser des cercles en deux temps. D’abord, on fait ce qu’on nomme un cercle « d’experts » (par exemple, tous les élèves chargés d’analyser les personnages se réunissent ensemble). Puis, les « experts » se joignent à leur cercle d’appartenance et peuvent alors présenter leur « analyse » aux autres membres du cercle, qui pourront alors profiter de cette expertise. Cette coopération réalisée, on peut ensuite demander au cercle d’appartenance d’accomplir une tâche commune exigeant la contribution de chacun. D’où la deuxième mise en garde : les cercles de lecture exigent que l’on demande aux étudiants de réaliser une tâche (ou discussion) complexe, car sinon, ils rechercheront « la bonne réponse » et, encore une fois, le conflit cognitif attendu risque de ne pas se concrétiser. Dans cette optique, l’enseignant souhaitant soumettre à ses élèves des questions aura avantage à exiger d’eux qu’ils nuancent leurs réponses (par exemple, en quoi tel élément est à la fois positif et problématique dans telle situation).

Évidemment, les discussions (analytiques, critiques) des étudiants peuvent en elles-mêmes être l’objectif du cercle. Si l’enseignant veut encadrer un peu le déroulement, ou du moins prendre connaissance de ce qui a été dit, il peut demander aux élèves de s’enregistrer (avec un cellulaire ou une tablette), ou encore, exiger que l’on rédige un compte rendu de la rencontre; mais l’enseignant devra alors présenter des exemples de comptes rendus et expliquer aux élèves comment les rédiger. La réalisation de cercles virtuels est aussi une option intéressante, puisqu’ils sont faciles à mettre en place (par exemple, avec un groupe privé Facebook) et aident l’enseignant à retracer l’entièreté de la discussion. Il importe, dans le cadre de l’utilisation d’un média social, que l’enseignant fixe de manière explicite les règles de conduites à suivre (qualité de la langue, types de commentaires jugés inappropriés ou irrespectueux, caractère privé des échanges, etc.) dans le cadre des discussions effectuées dans un forum – ainsi qu’un aperçu général de ses attentes quant au type et au nombre de commentaires échangés. Pour ce type de cercle, les journaux de lecture sont un excellent moyen d’amener les élèves à se préparer à mener une discussion étayée, toujours à condition de bien expliquer les attentes et objectifs d’apprentissage.

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Au bout du compte, la lecture aura avantage à être prise en compte dans un cycle d’apprentissage plutôt que comme une simple étape. Donner des lectures à l’étudiant ou l’étudiante sans l’y préparer, et ne pas ou peu revenir sur cette lecture, c’est hélas donner à cette dernière un rôle mineur dans le processus d’apprentissage. Au contraire, reconnaitre l’importance des apprentissages faits par la lecture, notamment en donnant du temps en classe pour orienter les élèves dans un texte, pour en discuter (afin de coconstruire leurs savoirs) et pour mettre en forme, par l’entremise d’une production quelconque, les acquis, c’est redonner de la pertinence et de la valeur à la lecture. Les étudiants le percevront et leur motivation à lire ne pourra qu’en être stimulée. Aligner pédagogiquement ces apprentissages, en affrontant la complexité qu’ils peuvent revêtir, mais en donnant alors un support adapté aux élèves, c’est renforcer leur motivation à lire en faisant de la lecture un défi, mais un défi possible à relever, puisqu’ils recevront des outils et de l’aide tout au long de ce processus. C’est à force d’expérimenter des activités de lecture stimulantes et riches, dans lesquelles ils seront soutenus, qu’ils deviendront des lecteurs compétents et autonomes.

La littératie est présentement un enjeu majeur en éducation. Cependant, bien que plusieurs projets en lien avec ce sujet aient été mis en œuvre dans le milieu collégial, peu d’événements scientifiques ont jusqu’ici offert une plateforme de diffusion pour ceux-ci. Afin de pallier cette lacune, le nouveau Laboratoire de soutien en enseignement des littératies, avec l’appui du cégep Gérald-Godin, organise le 9 mai 2018, dans le cadre du 86e Congrès de l’Acfas, le colloque La question de la littératie au collégial : comprendre, accompagner et agir. L’objectif est de dresser un portrait de la réalité du collégial en matière de littératie(s) : Quelle conception les acteurs du collégial en ont-ils? Quelles interventions peut-on réaliser, et avec quel succès? Quels sont les défis rencontrés? Pour proposer une communication (orale ou affichée), un appel de communications est ouvert jusqu’au 10 février 2018 à l’adresse : cgodin.qc.ca/colloquelitteratie.

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Références

BELEC, C. (2016). « Les cercles de lecture au collégial – Une stratégie pédagogique qui pourrait s’avérer profitable dans toutes les disciplines », Pédagogie collégiale, vol. 29, no 4, p. 39-45.

BELEC, C. (2017). « Pourquoi évaluer? », Pédagogie collégiale, vol. 30, no 4, p. 10-16.

BUGUET-MELANÇON, C. (1997). « Pour une lecture authentique au collégial : le journal de lecture », Correspondance, vol. 3, no 2.

TOPPING, K.J. (2005). « Trends in peer learning », Educational psychology, vol. 25, no 6, p. 631-645.

  1. Au sujet des journaux de lecture, lire l’article « Pour une lecture authentique au collégial : le journal de lecture » (Buguet-Melançon, 1997); au sujet du portfolio, lire l’article « Pourquoi évaluer » (Bélec, 2017). [Retour]
  2. Pour plus d’information à propos des stratégies de synthèse, de schématisation et de formulation de questions/réponses, voir l’article « Pas à pas dans la lecture au collégial : une question de stratégies ». [Retour]

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