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La tâche des professeurs de français

La tâche des professeurs de français

Point de vue
André Painchaud est professeur de français au cégep de Saint-Jérôme depuis 1976. De plus, il siège au sein du conseil d’administration de l’Association des professionnels de l’enseignement du français au collégial (APEFC) à titre de conseiller. Corriger est rarement un acte au singulier. Bien que la reconnaissance de chacun des éléments de la tâche d’enseignement reste problématique, peu de propositions concrètes circulent au sujet de la correction dans les collèges. En voici une, celle de l’APEFC, parue dans le volume 11, numéro 3 de son Bulletin.

Au moment d’entreprendre les négociations pour le renouvellement de notre convention collective, y a-t-il lieu de poser une fois de plus le problème de la tâche des professeurs de français au collégial ? Même si la tentation est grande de baisser les bras après de nombreuses tentatives, même si le contexte n’est pas favorable aux demandes de ressources additionnelles, je pense que la réponse est quand même oui. En effet, dès que des professeurs de français se réunissent, de quoi entendons-nous invariablement parler, sinon du fardeau de la correction ? Cependant, à la différence de ceux qui nous ont précédés dans cet exercice, je veux m’en tenir à l’essentiel du problème et proposer une solution nouvelle.

Notre tâche consiste à donner entre 12 et 16 heures de cours par semaine à trois ou quatre groupes différents (très rarement cinq). À l’exception d’un certain nombre (ceux qui donnent des cours complémentaires, des cours du programme de lettres ou d’arts et lettres, des cours du bac international…), nous avons en général un ou deux cours différents à préparer par session. Jusque-là, tout n’irait pas trop mal, s’il n’y avait le fardeau de la correction. Corriger minutieusement une analyse littéraire ou une dissertation demande au moins 20 minutes par copie, et facilement 30 minutes ou plus. Or, si l’on a 120, 130, 140 élèves (parfois jusqu’à 150), corriger un travail peut demander entre 40 et 75 heures (120 copies x 20 minutes ; 150 copies x 30 minutes). Et pendant que l’on corrige, il faut continuer de préparer nos cours et de les donner. Si l’on veut rendre les copies corrigées à l’intérieur d’un délai raisonnable (trois semaines, par exemple), cela veut dire que, chaque fois que l’on a de la correction à faire, il faut s’imposer des semaines de travail assez exténuantes. Voici un exemple de ce que cela peut donner : (75 heures de correction / 3 semaines =) 25 heures de correction + 16 heures de cours + 8 heures de préparation immédiate (1 heure de préparation par heure de cours, pour deux cours différents), soit un total de 49 heures, et ce, sans tenir compte des réunions et de la disponibilité à assurer aux élèves.

On pourrait nous objecter qu’il s’agit d’un mauvais moment à passer, que l’on ne corrige pas 32 semaines par année (durée des deux sessions) et que les vacances, l’inter-session et les dernières semaines de l’année scolaire compensent pour la surcharge que nous imposent les périodes de correction. Mais c’est oublier une chose : on ne peut pas corriger plus d’un certain nombre de copies dans une journée, car corriger une copie en en évaluant à la fois le contenu, la forme et la langue demande un degré très élevé de concentration, que l’on ne peut pas maintenir plus d’un certain nombre d’heures par jour.

Ce qu’il faut surtout comprendre, c’est qu’il y a un point de saturation à ne pas dépasser en ce qui concerne la correction, point au-delà duquel on ne peut plus, même avec la meilleure des bonnes volontés, bien faire son travail. Peut-on, de fait, raisonnablement corriger 20 ou 25 heures dans une semaine tout en donnant 16 heures de cours, en préparant ses cours convenablement, en assistant à des réunions et en assurant de la disponibilité aux élèves ? Cela est plus que difficile. Le risque est grand que, alors, l’on sacrifie la préparation de ses cours, que l’on corrige moins soigneusement ses copies, ou encore, que l’on réduise le nombre de travaux à corriger en une session. Dans certains départements, on s’est déjà entendu pour ne faire rédiger que deux dissertations. Or nos élèves ont grand besoin qu’on les fasse écrire et que l’on fasse une correction minutieuse de leurs copies. Trois dissertations ou trois analyses littéraires en une session constituent sans doute à la fois le nombre de travaux au-dessous duquel il ne faudrait pas descendre et, en même temps, un nombre que l’on peut (malheureusement) très difficilement dépasser.

Le type de correction que font les professeurs de français n’a pas d’équivalent dans les autres disciplines, mais il n’en est pas tenu compte dans l’allocation des ressources. Le paramètre qui sert à mesurer la correction, soit celui de l’encadrement de la charge individuelle (CI), est le même pour tous.

Quelle est donc la solution ? Modifier le paramètre encadrement ou le paramètre Nes (nombre d’élèves rencontrés en une semaine) de la formule servant à mesurer la charge individuelle ? Réduire le Nej (nombre moyen standard d’élèves dans un groupe) ? Porter à 5 heures par semaine le nombre d’heures de cours ? Examinons une à une ces solutions, qui ont toutes déjà été proposées.

Modifier le paramètre encadrement ou le paramètre Nes aurait des répercussions sur les effectifs dans d’autres disciplines et risquerait donc de coûter cher au gouvernement (tout en maintenant l’inéquité dont se disent victimes, avec raison, les professeurs de français). Réduire le Nej présenterait l’avantage de ne pas entraîner de répercussions sur les effectifs des autres disciplines, mais n’aurait pas l’effet désiré. En effet, si la formule de la CI (charge individuelle) restait la même, une baisse du Nej devrait entraîner une diminution de la taille des groupes, accompagnée d’une augmentation du nombre des groupes auxquels nous enseignerions (il serait illogique qu’on nous permette d’avoir des groupes de 35 ou 38 élèves avec un Nej de 25), alors que le nombre total des élèves diminuerait. L’augmentation du nombre d’heures de cours annulerait ainsi la diminution du nombre d’heures de correction (résultant de la diminution du nombre total d’élèves). Par exemple, 30 élèves de moins équivalent, en termes de CI, à 4 heures de cours : 30 élèves x 5 copies (3 analyses ou 3 dissertations x 30 minutes et 2 examens x 15 minutes) = 60 heures, alors que 4 heures de cours x 16 semaines = 64 heures. Le seul avantage serait donc que notre charge de travail serait mieux répartie sur l’ensemble de la session, au lieu d’être aussi fortement concentrée pendant les périodes de correction qu’elle l’est actuellement.

Par ailleurs, augmenter à 5 heures par semaine le nombre d’heures de cours est une demande qui a déjà été faite dans le passé, avec le résultat que nous sommes passés de cours de 3 périodes par semaine à des cours de 4 périodes. Peut-on penser que l’on pourrait réussir maintenant à convaincre le gouvernement de porter nos cours à 5 périodes, alors que nous avons échoué à le faire à une époque où les circonstances nous favorisaient bien plus que maintenant ? Rappelons-nous que Mme Robillard était à l’époque bien déterminée à mener à terme sa réforme (qui a porté les cours de français de trois à quatre périodes par semaine) et que l’augmentation des heures de français devait être compensée, dans cette réforme, par une diminution des heures d’éducation physique. Le gouvernement actuel serait-il prêt aujourd’hui à supprimer complètement l’éducation physique pour améliorer la qualité du français ? Poser la question, c’est en quelque sorte y répondre.

Toutes ces solutions étant donc ou bien irréalistes, ou bien inefficaces, il en reste une qui n’a jamais été mise de l’avant et qui constituerait exactement celle qui convient, soit l’ajout à la formule de la CI d’un paramètre « correction » pour la discipline 601. Une telle modification au calcul de la CI enlèverait évidemment beaucoup à l’apparence d’équité que comporte la formule actuelle : toutes les disciplines ont, en effet, actuellement l’impression d’être traitées de la même façon, puisque les paramètres sont les mêmes pour toutes. C’est pourtant la meilleure des solutions. Un tel paramètre devrait avoir pour effet de garantir une moyenne de 90 élèves par professeur et, en même temps, comme le fait le paramètre Nes, d’imposer un nombre maximal d’élèves par professeur (120 au lieu de 160).

Il faudrait que l’on comprenne bien que ce qui est en cause, ce n’est pas le fardeau total de travail qui est le nôtre pendant une année mais le fait que, en période de correction, notre tâche dépasse le point au-delà duquel il devient difficile de bien faire son travail. On peut corriger un soir, ou deux, ou trois, dans une semaine ; on peut, à l’occasion, travailler un samedi ou un dimanche, ou les deux ; mais on peut difficilement travailler 50 heures et plus par semaine plusieurs semaines d’affilée, tout en conservant un niveau de concentration suffisant pour pouvoir bien corriger ses copies et donner ses cours convenablement.

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