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L’intercaf du 30 novembre

L’intercaf du 30 novembre

Décafomanies

Plus d’une centaine de responsables de centres d’aide et de professeurs de français du réseau collégial ont participé, le 30 novembre, à l’intercaf sur la nouvelle grammaire, au collège Édouard-Montpetit.

Les objectifs de cette journée étaient de préciser les besoins en formation et en matériel créés par la nouvelle grammaire, d’explorer les moyens de rendre l’information et la formation accessibles au plus grand nombre de personnes possible, et enfin, d’assurer l’encadrement des enseignants afin de leur faciliter l’appropriation de cette approche différente.

Un des objectifs majeurs étant de familiariser les enseignants avec la démarche d’analyse de la nouvelle grammaire, l’avant-midi a été consacré à l’exposé de Muriel Langlois-Choquette, professeure à l’Université de Sherbrooke et auteure de nombreux ouvrages sur la grammaire. La conférencière a expliqué les particularités de cette approche, les changements apportés à l’enseignement et à l’apprentissage de la grammaire.

La phrase de base et la phrase transformée

Au coeur de cette démarche grammaticale, deux éléments : la phrase de base, premier matériau d’analyse, et les manipulations syntaxiques. La phrase de base est une phrase verbale dont la structure est représentée par la formule suivante :

P -> Gs + Gpréd. (+Gcp)

Elle se compose de deux groupes fonctionnels obligatoires : le groupe sujet Gs — ou ce dont on parle — et le groupe prédicat (Gpréd.) — ou ce qu’on dit du sujet — et d’un groupe complément de phrase optionnel (Gcp). Cette phrase de base se caractérise par son type (déclaratif) et par ses formes (positive, active, neutre, personnelle). D’ailleurs, chaque phrase se caractérise par un type et par quatre formes. Selon le type, une phrase peut être déclarative, interrogative, impérative ou exclamative. Selon la forme, elle peut être positive ou négative, active ou passive, neutre ou emphatique, personnelle ou impersonnelle. Toute modification d’un type ou de l’une de ces formes résulte en une phrase transformée. Ainsi, une phrase de base dans laquelle une seule de ces formes aurait été modifiée deviendrait une phrase transformée. Trois types de phrase échappent à cette caractérisation : la phrase non verbale, la phrase infinitive et la phrase à présentatif.

C’est à partir de la phrase de base que s’analysent les autres phrases. L’élève doit pouvoir classer les phrases dans les différents types et formes, les transformer en modifiant ces types et formes, retrouver la phrase de base en la débarrassant de ses marques de transformation. Et dans cette phrase de base, il doit aussi pouvoir distinguer les deux groupes fonctionnels obligatoires, peu importe la longueur de cette phrase, et les groupes facultatifs ou compléments de phrase.

Les manipulations

Les manipulations constituent la deuxième artère vitale de cette démarche d’analyse et correspondent à la part active de l’élève dans son apprentissage grammatical. Les manipulations syntaxiques sont des instruments de découverte et de validation : elles permettent, d’une part, de déterminer les groupes et de trouver leur fonction et, d’autre part, de confirmer la justesse de l’analyse. Par exemple, la manipulation d’effacement permet de vérifier si un groupe est facultatif ou obligatoire ; ainsi, l’effacement du sujet ou du prédicat produit une phrase agrammaticale alors que l’effacement d’un complément de phrase n’affecte pas la grammaticalité de la phrase. Autre exemple : les manipulations de pronominalisation et d’encadrement par« c’est… qui » sont des procédures très discriminantes pour délimiter le sujet. Les manipulations permettent aussi de distinguer les classes de mots.

Les catégories grammaticales

L’analyse porte sur des groupes syntaxiques. Le groupe syntaxique est un noyau qui appartient à une classe de mots. Ainsi, le noyau d’un groupe nominal (GN) est un nom (classe de mots). C’est ce mot qui donne son nom au groupe. On parlera donc de groupe nominal (GN), de groupe verbal (GV), de groupe adjectival (Gadj), de groupe adverbial (Gadv), de groupe prépositionnel (Gprép), de groupe infinitif (Ginf), de groupe participial (Gpart). Ces groupes sont des groupes noyaux suivis ou non d’une expansion. Cette analyse oblige à faire quelques deuils terminologiques puisque, par exemple, tout ce qui vient compléter le noyau du groupe nominal (épithète, apposition, complément du nom, « proposition » relative…) est appelé complément du nom.

Les étapes de l’analyse

La conférencière a résumé les étapes de cette démarche avec l’analyse de la phrase suivante : Ce n’est que vers deux heures que les enfants, tout heureux de voir la neige tomber en abondance, pourront sortir leur traîneau.

Niveau 1 : type et formes

Il s’agit de caractériser le type et les formes de cette phrase et de retrouver la phrase de base dont elle est issue. Cette phrase réalisée est une phrase déclarative, négative, active, emphatique, personnelle. Si l’on supprime les marques de négation et d’emphase, on obtient la phrase Vers deux heures, les enfants, tout heureux de voir la neige tomber en abondance, pourront sortir leur traîneau. La phrase de base est : Les enfants, tout heureux de voir la neige tomber en abondance, pourront sortir leur traîneau vers deux heures.

P -> Gs + Gpréd. + GcP

Niveau 2 : nature des groupes

Il s’agit de délimiter les constituants, les groupes obligatoires et facultatifs de cette phrase. C’est ici que les manipulations interviennent. Voici trois manipulations pour délimiter le groupe sujet et, par la suite, confirmer cette analyse :

1. Pronominalisation :

Vers deux heures[les enfants, tout heureux de voir tomber en abondance,]

Tout le groupe peut être remplacé par le pronom ils.

2. Encadrement par « C’est …qui » ou « Ce sont…qui » :

Vers deux heures, ce sont les enfants tout heureux de voir tomber la neige en abondance qui

Cette opération indique ou confirme les limites du groupe sujet.

3. Qui est-ce qui ?

Cette bonne vieille question est encore valable.

Pour terminer de caractériser les constituants de cette phrase, il faut se demander s’il y a un segment qui peut être effacé, dédoublé ou déplacé. Le groupe « vers deux heures » répond positivement à toutes ces manipulations, ce qui indique et confirme qu’il s’agit d’un complément de phrase.

Niveau 3 : constituants des groupes

Par exemple, à cette étape on analysera ainsi la composition du groupe complément de phrase : c’est un groupe prépositionnel constitué d’une préposition (Prép. : vers) et d’un GN (deux heures).

Cette présentation a permis aux participants de découvrir ou de redécouvrir un processus d’analyse de la phrase, systématique, progressif et rigoureux.

Une démarche positive

Au début de l’après-midi, Gaëtan Clément, professeur à la retraite du cégep de Valleyfield et concepteur du logiciel Que la phrase se rhabille, a exposé sa réflexion sur les perceptions relatives à la nature et à la profondeur des changements impliqués par l’arrivée de la nouvelle grammaire, sur les attentes et les inquiétudes des enseignants par rapport à leur formation et à celle de leurs élèves. Il nous a d’abord présenté le bilan de sa démarche de découverte et d’appropriation de la nouvelle grammaire : le choc initial — Quel étonnement de constater qu’on ne parlait plus de propositions mais de phrases ! — a fait place à la curiosité et à l’intérêt, à l’enthousiasme et à la passion.

À ceux qui seraient tentés d’être découragés par l’ampleur de la tâche exigée par la transition à la nouvelle grammaire, il a rappelé que cette approche différente et la nomenclature qui l’accompagne ne font pas table rase de leurs connaissances et expérience(s) grammaticale(s) : on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Malgré le caractère radical et spectaculaire des changements qu’elle impose, cette réforme conserve plusieurs éléments de la grammaire traditionnelle. La plupart des enseignants ont déjà amorcé ce passage et intégré dans leur discours la « nouvelle » terminologie puisque, par exemple, ils parlent de types de phrase et qu’il utilisent déjà les manipulations. De plus, tous font déjà de la grammaire du texte : sur ce plan, la nouvelle grammaire leur offre une systématisation des procédés de cohérence textuelle et leur permet une radiographie plus précise des textes.

La nouvelle grammaire est dorénavant incontournable ; toutefois, la condition fondamentale pour que son implantation réussisse, c’est que les enseignants s’y intéressent. Le plus sûr moyen de s’y intéresser est d’en découvrir les possibilités et les avantages. Elle est plus systématique, plus rigoureuse et, surtout, elle privilégie l’apprentissage actif de l’élève par des activités procédurales et conditionnelles plutôt que simplement déclaratives : traditionnellement on a dit à l’élève quoi faire ; maintenant on lui dit comment s’y prendre. Grâce à l’approche procédurale, l’élève aura reçu des outils pour se questionner. Cela se répercutera sur la nature du travail enseignant, en particulier sur la tâche de correction : celle-ci devrait être allégée ou, à tout le moins, plus efficace.

Dans la formation des professeurs comme dans celle des élèves, il faut éviter l’écueil de la pensée magique. Même si les premières cohortes d’étudiants seront plus ou moins bien formées, le travail complexe sur la phrase auquel se livrent les élèves du primaire leur fait prendre conscience de réalités linguistiques dont on prenait conscience beaucoup plus tard auparavant. Quant aux enseignants, ils doivent, dans leurs ambitions et leurs désirs, faire preuve de réalisme et de patience : la connaissance théorique est une chose, la pratique en est une autre. Il est évident qu’ils ne doivent pas s’attendre à être tout à fait à l’aise dès l’automne 2002 avec la démarche et la terminologie de la nouvelle grammaire. Il faut donner le temps à ces connaissances de mûrir, de décanter. Ce réalisme doit aussi se manifester dans les projets de formation : l’autodidactisme est une voie possible, mais les sessions de formation assurent une appropriation plus rapide.

Les besoins

La seconde partie de l’après-midi a été consacrée à deux ateliers, où l’on a exploré les besoins en formation et en matériel dans les cours de mise à niveau et dans les centres d’aide. On a souligné l’importance de coordonner les interventions relatives aux cours de mise à niveau — par exemple, de développer une grille de correction et un plan de cours communs — et aux centres d’aide.

Ce souci d’harmonisation et de cohérence explique que plusieurs ont suggéré de rendre obligatoire la formation, en nouvelle grammaire, des professeurs de français, et de choisir, dans chaque collège, une grammaire commune. Pour les mêmes raisons, on souhaite qu’une personne-ressource puisse être libérée afin d’agir comme catalyseur ; mais on a aussi déploré l’impossibilité, pour la plupart des collèges, de compter sur un dégrèvement, si minime soit-il.

On a aussi soulevé le problème de la formation des moniteurs des centres d’aide. La phase transitoire, en particulier, peut poser des difficultés puisque, à l’exception du Cégep du Vieux Montréal, qui assure la formation de ses moniteurs et monitrices pendant toute une session préalable à leurs interventions, les autres centres consacrent au maximum une quinzaine d’heures à cette formation, et ce, pendant la session même où ils interviennent.

On a rappelé l’urgence de produire du matériel écrit et informatisé autant pour les centres d’aide que pour les cours de mise à niveau. À cette fin, le CCDMD est en train d’adapter sa banque d’exercices à la terminologie de la nouvelle grammaire. Le désir d’harmonisation s’est aussi exprimé quant à la création du matériel pédagogique en vue de permettre une diffusion plus large du matériel. Pour ce faire, le CCDMD se propose comme le catalyseur d’une collaboration intercollégiale, d’un « échangisme grammatical ».

Les observateurs invités se sont montrés très sensibles aux besoins en formation et en information créés par l’arrivée de la nouvelle grammaire. Royal Lévesque, responsable de Performa, nous a rappelé le rôle que ce programme peut jouer dans la formation ainsi que dans le regroupement et la diffusion de l’information. Il a aussi noté l’espace virtuel d’échange sur l’appropriation de la nouvelle grammaire que représente le site Internet Salle des profs. Jean-Denis Moffet, responsable de la formation générale et des épreuves en langue d’enseignement au ministère de l’Éducation, a témoigné de l’intérêt concret qui accueillerait les projets de création de matériel pédagogique. Pour sa part, Monique Lebrun, professeure aux départements de didactique des langues et de linguistique à l’UQAM, nous a rassurés sur la formation en enseignement de la nouvelle grammaire que reçoivent les futurs enseignants.

Conclusion

Les questions soulevées ont été nombreuses et les discussions, enrichissantes. Nul doute que la réflexion entamée pendant cette journée se prolongera jusqu’à l’intercaf du printemps, qui fera le point sur les actions entreprises à la suite de cette rencontre.

* * *

Les retombées de l’intercaf de novembre 2002

Comme il en avait évoqué la possibilité lors de l’intercaf, M. Jean-Denis Moffet, responsable du dossier de la formation générale au ministère de l’Éducation, a fait en sorte que le CCDMD puisse agir à titre de maître d’oeuvre dans le dossier de la nouvelle grammaire, selon un plan d’action en deux volets : une équipe intercollégiale aura pour mandat de produire, avant l’automne 2002, du matériel didactique adapté aux besoins précis du cours de mise à niveau, qui pourrait éventuellement être utilisable dans les centres d’aide. Ce matériel comprendra une synthèse des notions grammaticales essentielles, un guide pédagogique d’accompagnement, des modules avec une banque d’exercices, une suggestion de plan de cours ainsi qu’une grille de correction.

L’autre volet porte sur le soutien à la formation. Le CCDMD veillera à assurer la diffusion de l’information relative à la formation des professeurs dans le cadre de Performa et coordonnera une section du site de français consacrée à la nouvelle grammaire. On y retrouvera les documents offerts en formation, ceux développés par l’équipe intercollégiale pour le cours de mise à niveau, mais aussi une « foire aux questions ». Cette foire aux questions permettra à tous les enseignants de trouver les renseignements désirés, qu’ils soient de nature administrative, pédagogique ou grammaticale. Nous vous tiendrons au courant de tout développement ultérieur.

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