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Utilisation des TIC en classe de renforcement: un danger pour la compétence manuscrite?

Utilisation des TIC en classe de renforcement: un danger pour la compétence manuscrite?

Les technologies numériques ont transformé en profondeur nos habitudes en matière d’écriture. Le clavier, notamment, a remplacé le stylo dans la quasi-totalité des communications quotidiennes. Si l’on a conservé l’habitude de gribouiller des notes pour soi-même, l’usage « social » de l’écriture manuscrite a pratiquement disparu. Seules les cartes de vœux, peut-être, offrent encore l’occasion de révéler à autrui sa calligraphie… ou ses pattes de mouche.

Ainsi, l’école constitue l’ultime bastion de l’écriture manuscrite soignée. Bien qu’on ne rédige plus de « propres » au stylo dans la vie, et malgré l’importance reconnue de proposer aux élèves des situations d’apprentissage et d’évaluation authentiques, on persiste à exiger et à corriger des productions écrites manuscrites. Les raisons pour ce faire sont nombreuses, et souvent plus logistiques que pédagogiques : nous n’en ferons pas ici d’analyse exhaustive. On peut toutefois se questionner sur le bienfondé d’exclure l’usage du traitement de texte et du correcticiel dans les classes de français, où les occasions de rédiger sont si nombreuses. Ne serait-il pas préférable de mettre à profit les ressources électroniques qui soutiennent la révision et la correction, en développant chez les élèves l’habileté, et surtout, le réflexe d’y recourir? Par ailleurs, si l’on habitue les élèves à l’usage d’un correcticiel qui souligne des erreurs et attire leur attention sur les points à vérifier, ne risque-t-on pas ainsi de les rendre « paresseux » ou incapables de déceler les fautes par eux-mêmes? L’hypothèse de la « béquille » qui risque de compromettre l’apprentissage du français écrit semble relever du bon sens… Et pour cette raison, on peut avoir le réflexe de limiter, voire de proscrire l’emploi du correcticiel, à plus forte raison dans les cours où l’amélioration de la langue écrite est le principal objectif.

Dans le but d’alimenter la réflexion, nous désirons partager ici les résultats d’une recherche que nous avons effectuée ces trois dernières années aux cégeps de Sorel-Tracy et Saint-Jean-sur-Richelieu, intitulée Intégration des TIC et motivation en français, et dont nous avons publié le rapport en juin dernier[1]. Une expérimentation dans des classes de renforcement révèle une amélioration équivalente de la qualité du français manuscrit chez les élèves de ces classes qui ont eu librement accès au correcticiel Antidote durant toute la session, comparativement à un groupe-témoin qui, lui, n’y a jamais eu droit.

Cette expérimentation s’est déroulée à l’automne 2012. À Sorel-Tracy, un groupe expérimental (GE) composé de 50 élèves a suivi le cours Renforcement en français dans un laboratoire informatique. À Saint-Jean-sur-Richelieu, un groupe témoin (GT), également composé d’une cinquantaine d’élèves, a suivi son cours selon les modalités d’un cours de renforcement « traditionnel[2] ». Chaque élève du groupe expérimental utilisait un ordinateur doté des logiciels Word et Antidote. Le logiciel Word Q était également disponible : il s’agit d’un outil de synthèse vocale qui, selon le souhait de l’utilisateur, prononce à voix haute chaque lettre, chaque mot ou chaque phrase au moment de la saisie. On peut également sélectionner et entendre un passage du texte au cours de la révision. Word Q offre aussi la prédiction de mots : en tapant les premières lettres d’un mot, le logiciel en suggère la suite en fonction du contexte de la phrase (les propriétaires de téléphones intelligents connaissent assurément cette fonction). Les élèves du GE ont été formés à l’utilisation de ces outils en début de session, puis ont été laissés libres d’y recourir pour chaque activité de rédaction (c’est-à-dire environ une fois par semaine). Les ouvrages de référence imprimés tels que les dictionnaires et les grammaires étaient permis.

La performance manuscrite des deux groupes a été évaluée au premier cours ainsi qu’à la fin de la session. Au premier cours, une rédaction diagnostique portant sur le même thème et comportant les mêmes consignes a été demandée aux élèves des deux groupes, ce qui a permis d’établir la fréquence d’erreurs moyenne des deux groupes et de constater leur comparabilité. À la fin de la session, tous les élèves ont produit une rédaction explicative de 500 mots portant sur une œuvre littéraire étudiée en classe, en respectant la même structure (introduction et conclusion, intégration de citations, etc.), ceci afin d’assurer un niveau de difficulté comparable. Les élèves du GE n’ont alors eu accès à aucun de leurs outils numériques : seuls le stylo et les ouvrages de référence imprimés étaient autorisés.

Dans les deux rédactions, cinq types d’erreurs ont été évalués : orthographe, grammaire, syntaxe, ponctuation et vocabulaire. Les étudiants du GE et du GT ont réduit la fréquence de tous les types d’erreurs sauf les erreurs de syntaxe, pour lesquelles nous n’avons pas constaté d’amélioration entre le début et la fin de la session, et ce, dans les deux groupes (GE et GT). Pour ce qui est de la fréquence globale d’erreurs, le GE a commencé la session en faisant une erreur tous les 11,5 mots et le GT, une erreur tous les 11,8 mots, ce qui est équivalent selon un test Z de Kolmogorov-Smirnov (KS). À la fin de la session, lors de la rédaction finale manuscrite, les étudiants du GE ont commis une erreur tous les 26,0 mots et ceux du GT, une erreur tous les 26,9 mots, ce qui est aussi équivalent selon le Z de KS. Donc, première bonne nouvelle : tous les étudiants ont amélioré leur français écrit! Deuxième bonne nouvelle : on croirait à tort que l’utilisation fréquente d’un correcticiel contamine négativement la performance manuscrite… Ainsi, l’idée d’interdire le correcticiel dans les cours de littérature afin de « mieux préparer les élèves à l’EUF », par exemple, serait infondée.

Tableau 1
Fréquence d’erreurs selon le groupe et l’épreuve

L’absence d’impact négatif de l’utilisation du traitement de texte et du correcticiel n’est pas le seul élément notable mis en lumière par cette recherche. L’intégration des TIC a aussi influencé positivement la persévérance, le taux de réussite au cours et l’intérêt des élèves du groupe expérimental. Et, fait à noter, ce dispositif pédagogique a davantage bénéficié aux garçons : le taux de réussite de ceux du GE a été plus élevé de 31 % par rapport au GT, une différence statistiquement significative. Quand on connait l’ampleur du problème de la réussite des garçons et l’impact d’un échec au premier cours de français sur la persévérance et la diplomation au collégial, de tels résultats se révèlent fort encourageants. Ils remettent également en question le bienfondé des règles limitant l’usage du correcticiel – une telle limitation semble non seulement inutile, mais carrément contreproductive – et invitent au contraire à une plus grande souplesse quant au choix des outils soutenant l’écriture dans la classe de français.

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  1. I. CABOT et M.-C. LÉVESQUE, Intégration des TIC et motivation en français, Rapport de recherche PAREA, Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu et Cégep de Sorel-Tracy, 2014. [En ligne]. [Retour]
  2. Vous trouverez plus de détails sur la nature du cours de renforcement « typique » dans l’article « Coup d’œil sur les pratiques pédagogiques dans le cours de renforcement « traditionnel » », paru dans Correspondance (vol. 9, nº 1, oct. 2013). [Retour]


 

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