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Ne plus attendre que quelqu’un, quelque part, fasse quelque chose pour soi!

Ne plus attendre que quelqu’un, quelque part, fasse quelque chose pour soi!

Pour un changement d’attitude

 

Joseph A. Soltész détient une formation en études allemandes, en linguistique et en littérature française. Il a régulièrement publié des articles dans ce dernier domaine ainsi qu’en créativité. Il enseigne au cégep de Drummondville depuis dix ans et a participé, à titre de superviseur, à la correction de l’épreuve uniforme de français de la première cohorte d’élèves. Le présent article fait suite à deux autres parus dans de précédents numéros de Correspondance.

À la question : Le temps des CAF est-il révolu ?, Joseph A Soltész a choisi de répondre indirectement, en canalisant ses réflexions sur l’attitude attentiste largement répandue chez les élèves et sur la relation épuisante qui s’instaure trop souvent entre des élèves « victimes du système » et des enseignants « zélés ». Il estime qu’il est temps de redresser la situation.

Préambule

Mes yeux se sont dessillés lorsque par hasard, en fin de session, j’ai rencontré, au bureau du directeur des études, un de mes élèves présentant le plus de handicaps dans les habiletés fondamentales (lecture, pensée formelle, grammaire et orthographe). Pour régler ses problèmes, il avait l’habitude d’être parmi les moins assidus : il venait au cours une fois sur trois, restait une ou deux heures sur quatre et, le reste du temps, s’occupait plus du système de chauffage que du cours. Dans cette classe, ce n’était pas la première fois que le D. É. était saisi de plaintes à mon sujet : « Le professeur ne suit pas le plan de cours ! », etc. (la faiblesse euphémique de la classe m’avait, il est vrai, obligé à l’aménager…). Sur-le-champ, je fus persuadé que l’élève en question, assuré de son échec, venait in extremis se plaindre du fait que j’en serais responsable. Devinez ! M’étais-je trompé ?

Bientôt, si ce n’est déjà fait, les élèves nous reprocheront directement leurs insuccès. Situation absurde, que l’on se doit d’analyser.

Avouer que le programme est trop lourd pour les élèves

Il y a une dizaine d’années, les responsables de la pédagogie ont fait circuler dans nos collèges les travaux de madame Torquia-Lagacé, qui venait nous dire, théories de Piaget à l’appui, que, à 17-18 ans, les élèves connaissent encore de sérieuses limitations en pensée formelle, limitations qu’on ne peut essayer de défoncer. Dix ans plus tard, sans se préoccuper de cette « vérité », le nouveau programme impose à nos élèves, dès leur entrée au collège, des concepts littéraires qui sont loin d’être accessibles à la majorité d’entre eux. Et nous, enseignants de littérature, séduits par le contenu culturel de la réforme, avons accepté de l’assumer en oubliant qu’elle était loin de convenir à tous nos élèves. Puis, affolés par le taux exorbitant d’échecs au premier cours, nous avons compris que les élèves n’étaient pas en mesure d’atteindre les nouveaux standards, avons fini par considérer comme « normal » le taux d’échecs élevé et commencé à chercher à sauver les élèves en difficulté. Ça suffit ! À force de respecter leurs droits, nous avons octroyé aux élèves toutes sortes de faveurs et d’avantages qui sont en passe de devenir des privilèges. Nous avons souvent l’impression que l’aide individuelle est considérée comme un dû. Or, qu’on fournisse une aide individuelle à un élève momentanément en difficulté, cela va de soi. Mais que les heures de disponibilité se muent en périodes, souvent très élastiques, où certains enseignants zélés se transforment en répétiteurs, non ! C’est trop ! Nous n’avons pas à assumer le fait que le programme soit trop lourd pour les élèves.

Retourner aux leçons particulières

Si les élèves, leurs associations, celles de leurs parents, les administrations de nos collèges estiment que nombre d’élèves ont besoin de rattrapage, qu’ils mettent sur pied le service voulu[1]. Qui va payer pour ça ? Les intéressés d’abord ! Choquant ? Le principe en a été accepté par nos administrations elles-mêmes : après le deuxième échec, les élèves doivent débourser. Au lieu de faire du curatif, procédons de manière préventive.

Il s’est toujours donné des leçons particulières. Curieusement, dans notre société, elles ont disparu au moment où nous nous sommes enrichis et où, dans nombre de familles, il ne se passe pas de semaine, de quinzaine ni de mois sans que les jeunes se voient octroyer des jouets électroniques qui coûtent très cher. Si les parents sont prêts à dépenser inconsidérément pour des bébelles et pas pour l’éducation, alors, c’est qu’on ne tient pas à l’éducation. Les enseignants n’ont pas à payer pour ça. C’est aux responsables des élèves, aux parents, à assumer les conséquences de leurs incuries.

Bien entendu, l’obstacle financier ne doit pas devenir un empêchement rédhibitoire auprès des élèves connaissant de réelles difficultés financières. Je suggère donc aux collèges de détourner à cette fin les sommes destinées à se péter les bretelles en fin d’année dans les galas d’excellence. Les résultats seront peut-être moins médiatisables, mais certainement plus rentables : au lieu de consacrer ceux et celles qui ont déjà obtenu la récompense de se savoir les meilleurs, on aura contribué à donner aux plus démunis le coup de pouce pour réussir réellement.

Voilà pour l’une des mesures collectives à mettre en place. Voyons les mesures individuelles.

Faire comprendre que le rattrapage est obligatoire

Le rattrapage est obligatoire. Les élèves doivent comprendre cette nécessaire mise à niveau et prendre la responsabilité de leur apprentissage. Il faut changer leur attitude ! J’essaie, pour ma part, de faire saisir à mes élèves la nécessité du rattrapage en me prêtant à une petite mise en scène éloquente.

Au premier cours, j’invite mes élèves à observer les quatre attitudes successives que je vais représenter sur mon bureau. Sans plus préciser, je me couche sur le bureau, d’abord sur le dos, puis sur le ventre ; puis, je me mets à quatre pattes, puis assis ; enfin, descendu du bureau, je m’y agrippe et me redresse.

Certains élèvent trouvent immédiatement. D’autres ont besoin d’indices. La solution ? Il s’agit bien sûr des positions successives du développement chez l’enfant.

Je rappelle alors à mes élèves que, au cégep, ils sont censés savoir se mettre debout. Ils comprennent très bien que c’est un préalable indispensable pour apprendre à marcher et à courir. Ils conviennent du fait que, si l’une des étapes a été sautée — la lecture, la pensée formelle, le français écrit et oral (ou la grammaire et l’orthographe) –, il est impossible de procéder à de nouveaux apprentissages et que des mesures individuelles de rattrapage s’imposent en fonction des diverses carences repérées chez eux.

Choisir des mesures de rattrapage adaptées

Les mesures de rattrapage doivent évidemment tenir compte des ressources disponibles et des intérêts des enseignants, mais elles ne doivent pas négliger les besoins et les intérêts des élèves. Par exemple, les volumes publiés chez Mondia par Monique Lafortune et ses collègues, celui de Charbonneau, Dufresne et al., celui de Georges-Vincent Fournier sont destinés aux élèves n’ayant pas de difficultés en lecture (ou en pensée) formelle ; les logiciels et les sites Internet attireront les « pitonneux » ; la grammaire Viel s’adresse à ceux qui savent apprendre de manière autonome ; enfin, le CAF, lorsqu’il en reste, est réservé aux élèves ayant besoin d’un encadrement rigoureux. Les modes de rattrapage sont multiples.

Mais quel que soit le mode de rattrapage imposé — autonome (le travail dans les livres), encadré par la machine (les logiciels) ou par un responsable (le CAF), ou les deux (le correcteur assisté) –, ce qui importe, c’est que l’élève soit mis au courant du fait que c’est à lui de gérer son rattrapage et qu’il en est responsable.

Trouver le moyen de rendre l’élève responsable

Averti de sa situation et des mesures à prendre, l’élève sait ce qu’il doit faire s’il tient à ses chances de succès.

Au cégep de Drummondville, l’« opération responsabilisation » se produit en quelques minutes, à l’aide de la fiche qui suit :

La fiche est remplie en trois exemplaires. L’une est remise à l’élève pour qu’il ne puisse « oublier » le rattrapage à effectuer ; une autre, à l’administration compétente (le CAF ou la D. É.) ; la dernière, enfin, est conservée par l’enseignant dans ses archives.

La suite est simple. L’élève sait qu’il doit effectuer les rattrapages voulus. Il sait aussi que, dans la mesure où il procédera avec assiduité, il pourrait obtenir, en cas d’échec final, une note de passage conditionnelle (la condition étant que cet échec ne soit pas dû à des causes autres que celles diagnostiquées lors de la séance de rattrapage) et que, en cas de besoin, il s’engage à poursuivre le rattrapage pendant le prochain cours (dans la mesure où le collègue suivant accepte cette procédure).

Si l’élève ne se prend pas en charge, s’il n’effectue pas consciencieusement les rattrapages imposés, tant pis pour lui. La fiche rappelle qu’il y a eu contrat et qu’il ne l’a pas respecté. Un jour ou l’autre, il paiera 90 $ pour reprendre le cours.

Tendre vers une gestion collective des rattrapages individuels

Bien sûr, on peut édicter, individuellement, des mesures de rattrapage. Mais, comme il s’agit d’un travail à moyen terme qui peut s’échelonner sur plusieurs sessions, il est essentiel de procéder à une gestion collective de ces mesures.

À cette fin, je propose de renouveler la fonction de coordonnateur de département avec l’adoption d’un programme où le responsable du département deviendrait un véritable gestionnaire du rattrapage : il aurait à élaborer la réglementation de l’opération, à centraliser les requêtes des enseignants, à convoquer les élèves en cause à la séance d’information et d’« engagement personnel », à superviser le rattrapage, à gérer le personnel nécessaire (avec, en cas de refus du collège de l’administrer, un processus de perception directe des émoluments), à délivrer les attestations de succès et, pour le cas où le gala d’excellence serait maintenu, à sélectionner « l’élève ayant fait le rattrapage le plus méritoire[2] ! »

Cette gestion pourrait être améliorée en procédant à un test de classement initial pour mieux orienter les élèves dans leurs rattrapages (comme cela se fait dans les départements de langue et, notamment, pour l’anglais devenu obligatoire pour tous au collégial). On pourrait rétorquer que les classes de mise à niveau impliquent déjà un tel classement. D’accord ! Mais le problème, c’est que la chose échappe complètement aux élèves. L’une des raisons pour lesquelles ils sont démotivés de se retrouver dans les voies de rattrapage, c’est qu’ils nourrissent encore l’illusion que le DES les rend non seulement admissibles à des études collégiales, mais automatiquement aptes. Faire passer un test de classement, c’est déclarer qu’on n’a pas confiance dans le diplôme délivré. C’est rappeler que, même si les départements sont responsables de la pédagogie, les administrations ne sauraient s’en dissocier en s’occupant seulement d’admission officielle. Nos collègues d’anglais le font bien. Pourquoi pas nous ? Nous pourrions même faire mieux et renvoyer nos administrations à leurs responsabilités en leur remettant la liste des élèves que notre classement a retenus comme inaptes à effectuer des études collégiales efficaces en français. Sera-ce trop leur demander de se — et de nous — respecter en leur suggérant de n’admettre que des élèves « compétents » ?

Petit corollaire : avec une fonction de coordonnateur ainsi redéfinie, s’il advenait qu’on veuille supprimer la charge, la définition nouvelle de la tâche fournirait les arguments politiques voulus pour la maintenir et même l’amender. Ce serait reconnaître — enfin ! — que, en français, à contrat égal, on travaille beaucoup plus que dans les autres matières !

Développer une attitude nouvelle face aux élèves

Avec les CAF, pendant dix ans, a été ancré dans la mentalité des élèves que tout, même les rattrapages attribuables à des déficiences antérieures, leur était dû.

Que les CAF soient en train de disparaître est regrettable, car rien ne vaut le rattrapage encadré individuellement. Mais le « nouveau » rattrapage doit être fait dans un esprit différent. Il faut présenter les cours de français, même et surtout le premier, comme étant du niveau d’un élève moyen au collégial[3]. Voilà qui revalorise et le cours et notre profession !

Qu’il soit bien clair aussi que, si certains élèves risquent d’éprouver des difficultés particulières à apprendre à marcher alors qu’ils ne savent même pas se tenir debout, voilà qui est dû à des retards accumulés. Les élèves qui veulent vraiment réussir doivent savoir qu’ils sont responsables d’effectuer les rattrapages nécessaires !

* * *

  1. Cela sera l’occasion pour nos jeunes collègues, sans cesse rappelés, puis licenciés, de se faire un peu d’argent de poche, de ne pas perdre la main et même de peaufiner l’enseignement que, un jour ou l’autre, ils auront à assumer à temps plein. Retour
  2. Ironiquement, cette proposition ne vise pas directement mon collège, car, miraculeusement, non seulement le CAF n’en est pas disparu, mais il a, de surcroît, réussi à se développer. Retour
  3. Cette réforme a été largement inspirée de ce qui se fait en France (et se faisait autrefois dans les collèges classiques). Les niveaux sont tout à fait comparables, même si, au Québec, on nous demande de faire en 3 trimestres avec 4 groupes ce que nos collègues de France font en 2 ans avec 1 seul groupe/année… Ce que je dénonçais dans mon premier article (Correspondance, vol. 3, no 1, septembre 1997) : si problème il y a, ce n’est pas tant une question de niveau de difficulté que de rythme de progression. Retour
Références Antidote, Druide Informatique, Montréal. CHARBONNEAU, DUFRESNE et al. Le classicisme et le romantisme — Initiation à l’analyse, Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 1996, 333 p. Clé des procédés littéraires, http://cafe.etfra.umontreal.ca/cle/index.html. FOURNIER, Georges-Vincent. Face à l’épreuve, Montréal, HMH (régulièrement réédité et mis à jour). LAFORTUNE, Monique. L’analyse littéraire par l’exemple, Montréal, Mondia, 1996. LESSARD, Charles-Eugène. Analyse littéraire, http://www.total.net/~lessardc/al_venue.htm. MORIN, Sonia. La dissertation explicative par l’exemple, Montréal, Mondia, 1996. VIEL, Claude. Petite grammaire pas comme les autres, 2e édition, Sainte-Foy, Le Griffon d’Argile, 1992, 305 p.

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