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La nécessité de créer un réseau de répondants en français

La nécessité de créer un réseau de répondants en français

À l’automne 2011, nous avons pris l’initiative, à titre de responsables de dossiers liés à la valorisation du français, d’organiser une rencontre informelle avec quelques-uns de nos pairs dans le but d’échanger des idées sur nos pratiques. Mais l’invitation a fait boule de neige ! Tenue le 14 octobre dernier au collège Montmorency, à Laval, la rencontre, d’abord prévue pour une dizaine de personnes, a fini par regrouper 40 intervenants provenant de 25 collèges différents. C’est dire le besoin de traiter du sujet dans le réseau !

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Sous-comité de la rencontre du 10 février 2012 au cégep André-Laurendeau
De gauche à droite : Élyse Brunet (Saint-Jean-sur-Richelieu), Catherine Lavoie (Gérald-Godin), Dominique Fortier (CCDMD), Nathalie Marier (Victoriaville), Renaud Bellemare (Ahuntsic), Marie-Hélène Lapointe (Ahuntsic), Josée Lafleur (Carrefour de la réussite), Odette Girard (Valleyfield), Jean-Philippe Boudreau (Sherbrooke), Julie Roberge (Marie-Victorin), Stéphanie Carle (Montmorency), Julie Roberge (André-Laurendeau), Marie-Pierre Lefebvre (Lanaudière à Joliette)

Quand il est question de valorisation de la langue dans les collèges, force est de constater que toutes sortes d’activités sont organisées à cette fin, et ce, par toutes sortes de personnes – enseignants de français libérés, enseignants bénévoles, conseillers pédagogiques – qui tantôt sont les seuls maitres à bord, tantôt ne sont tout simplement pas au courant de l’activité qu’un collègue est en train de préparer dans le bureau voisin ! D’où l’impression, souvent, qu’une petite poignée de gens seulement s’intéresse à promouvoir la qualité de la langue au sein des établissements. Voici quelques autres constats :

  • La plupart des collèges ont une politique institutionnelle, mais elle est peu connue de l’ensemble du personnel comme des étudiants.
  • La majorité fait passer un test de français à l’embauche, mais offre rarement un suivi pour les personnes qui y échouent.
  • Presque tous offrent aux étudiants des services dans le cadre d’un centre d’aide en français (CAF), mais ces services ne suffisent pas à la demande, qui, par ailleurs, est de plus en plus variée.
  • Certains organisent des activités pour tous dans le cadre d’une « semaine de la francophonie », mais la participation n’est jamais très élevée.
  • Quelques-uns ont établi une grille de correction unique pour le français, mais son utilisation par les enseignants n’est pas toujours harmonisée ou comprise.

En outre, si plusieurs collèges ont mis sur pied des projets créatifs et novateurs, d’autres commencent seulement à réfléchir aux actions possibles à l’intérieur de leurs murs. Les collèges qui en sont à leurs balbutiements se sentent démunis et aimeraient bien savoir ce qui se fait ailleurs. Heureusement, les établissements ayant déjà une longueur d’avance partageraient volontiers leurs bons coups et leurs difficultés. Le sentiment d’isolement des uns conjugué au désir de partager des autres est en partie à l’origine de la formation « spontanée » d’un réseau de répondants en matière de valorisation de la langue.

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Lors de la rencontre du 14 octobre, les participants ont dégagé des problématiques en lien avec la promotion du français dans les collèges, lesquelles portent principalement sur trois volets : ce qui se passe dans les collèges concernant tout le personnel (y compris les CAF), ce qui se passe dans les cours de français et ce qui se passe dans les autres disciplines que le français. Voyons d’abord quelques problématiques plus larges qui semblent communes à l’ensemble des établissements représentés à la rencontre.

Problématiques communes

En juin 2011, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) a envoyé une lettre aux collèges les informant qu’une somme leur était allouée pour favoriser la mise en place d’une offre accrue de services permettant d’améliorer la maitrise du français de toute la communauté collégiale. La lettre a eu un effet déclencheur, surtout dans les collèges qui n’avaient pas déjà pris de mesures en ce sens.

Au cours de la rencontre de l’automne, le cadre de mesures prévu par le MELS a soulevé des questions : Quel serait l’angle d’approche idéal pour accroitre les services relativement à la valorisation de la maitrise du français ? Comment réellement valoriser la qualité de la langue chez le personnel et les étudiants ? On peut penser qu’une « orientation collège » serait la clé du succès et qu’il s’agirait de développer une culture de valorisation de la langue véhiculée par des symboles communs, connus, compris, acceptés et pris en charge par l’ensemble de la communauté. Mais comment y arriver ?

Par ailleurs, on sait qu’il existe une relation entre la réussite des étudiants et la qualité de la langue, qu’elle soit orale ou écrite. Or, les enseignants de français n’arrivent pas à convaincre les étudiants en militant seuls pour faire valoir ce lien. Ne serait-il pas plus efficace de travailler en amont, avec tous les enseignants de toutes les disciplines et tous les intervenants du collège ?

Finalement, si l’on s’entend pour dire que les enseignants de français ne sont pas les seuls responsables de la qualité de la langue chez les étudiants, comment mobiliser le reste du corps professoral ? Entre autres, en ce qui a trait à l’évaluation de la langue dans les travaux, comment changer les pratiques de nos collègues qui n’osent pas pénaliser leurs étudiants quant à un critère qui ne relèverait pas de leur discipline ? Comment contrer une certaine insécurité linguistique chez des enseignants d’autres disciplines ?

Le français au collège

Les participants ont d’abord déploré qu’il n’y ait pas nécessairement de lien entre ce qui se fait sur le terrain et la politique de valorisation de la langue française (PVLF) en cours dans leur collège. La PVLF semble demeurer un document un peu obscur, autant pour le personnel que pour les étudiants. Pour qu’elle se déploie, ne faut-il pas en effet que la direction générale, la direction des études, le conseil d’administration et les autres instances lui assurent un soutien indéfectible ?

Les collèges, par ailleurs, ont des politiques très variées relativement à l’embauche du personnel. Ainsi, bien que la plupart d’entre eux fassent passer des tests de français écrit à tous les candidats, les suites données à ces tests, quand il y en a, sont très différentes d’un établissement à un autre. Si certains collèges ne consultent les tests qu’au moment où la candidate ou le candidat est choisi sans effectuer un suivi en fonction du résultat obtenu, d’autres refusent d’embaucher une enseignante ou un enseignant qui n’a pas réussi le test de français. Une panoplie de mesures sont également en vigueur, tels l’accompagnement de l’enseignante ou l’enseignant pour revoir des règles oubliées, la formation obligatoire dans les trois premiers mois suivant son embauche, une nouvelle passation de l’examen au bout de quelques mois, la rétention de l’ancienneté pendant la période où le résultat au test n’est pas satisfaisant – et à la fin du lien d’emploi si le test de français n’est pas réussi dans les six ou douze mois suivant l’embauche. Pour les intervenants présents à la rencontre, un suivi structuré et sérieux se révèle important pour montrer aux employés que la maitrise de la langue est un atout et que le collège se fait une fierté de la valoriser.

Quant aux CAF, tous s’entendent pour dire qu’ils s’adressent d’abord aux étudiants. Il serait toutefois possible de revoir leur mode de fonctionnement pour mettre sur pied d’autres mesures d’aide : travail d’équipe, groupes de soutien sur les stratégies de lecture dans les autres disciplines (en philosophie, par exemple), stratégies de correction avec un logiciel, etc. Il apparait important surtout de centraliser les services aux étudiants : tuteurs, logiciels, CAF doivent être réunis au même endroit pour indiquer que « c’est là que ça se passe » !

On pourrait aussi créer des CAF pour les enseignants – et pourquoi pas pour tout le personnel –, ce que le MELS appelle un « service de référence linguistique ». Un tel centre, où l’aide doit être permanente, facilement accessible et, peut-être, anonyme, doit être distinct de celui réservé aux étudiants et installé dans un autre lieu. Une question se pose encore : comment amener les enseignants qui ont besoin de tels services d’aide à oser y recourir ?

Les collèges organisent beaucoup d’activités ludiques en lien avec la langue française, que ce soit tout au long de l’année ou au moment des semaines de la francophonie. Toutefois, on s’entend pour dire que même si ces activités sont intéressantes, elles mobilisent beaucoup (trop ?) d’énergie et leurs retombées sont difficiles à quantifier ou à évaluer. Pour qu’elles soient efficaces, il faut que les directions de services octroient du temps aux employés qui veulent y participer et que les enseignants en fassent la promotion auprès des étudiants. Autre corolaire : les étudiants, souvent, ne participeront pas aux activités si les enseignants n’y prennent pas part eux-mêmes, et l’organisation d’une semaine du français est inconcevable sans l’apport de tous les enseignants de français. Si ce n’est pas le cas, comment les collègues des autres disciplines percevront-ils l’importance de la langue ? En somme, même si la mise sur pied d’une campagne de valorisation du français est une tâche exigeante, elle pourrait, dans de meilleures conditions, se traduire par un renforcement de la cohérence institutionnelle.

Le français dans les cours de français

Bien que le collège se doive d’être le porteur principal du dossier de la valorisation de la langue, le département de français est plus particulièrement concerné par les questions relatives à ce dossier. Les participants ont énuméré toutes sortes de stratégies déployées dans les cours de français. Le tableau 1 en offre un aperçu. Il s’agit, pour les enseignants, de choisir les interventions pédagogiques en fonction des besoins des étudiants et des ressources disponibles dans le collège. À ce propos, les intervenants souhaitent que celles-ci ne soient pas à négocier chaque année et que la direction du collège soutienne des projets qui ont des retombées non seulement dans les cours de français, mais dans toutes les disciplines, en termes de taux de rétention, de réussite et de diplomation.

Tableau 1
Exemples de stratégies pédagogiques liées à la maitrise du français
  • Instauration d’un double seuil de réussite en langue et en littérature
  • Indication des erreurs de langue en utilisant un code commun à tous les enseignants de français
  • Présentation du logiciel Antidote dans le cours Renforcement en français (REF) ou dans les cours de la première session
  • Visite systématique du CAF par les étudiants du cours 101
  • Utilisation des tuteurs du CAF dans les cours de REF
  • Déplacement du cours de REF après le cours 101 et inscription au REF des étudiants qui ont échoué au 101
  • Déplacement du cours de formation propre au début de la séquence
  • Offre de cours de REF spécifiquement pour les allophones
  • Offre de cours de préparation à l’épreuve uniforme de français (EUF) différents pour les étudiants qui en sont à leur première passation et ceux qui y ont échoué
  • Mise sur pied d’un centre d’aide dédié aux étudiants qui ont échoué à l’EUF
  • Offre de cours du soir pour les étudiants qui ont échoué à l’EUF
  • Octroi de points pour la correction des erreurs dans les rédactions
  • Pénalisation de 1 % par faute sans limite
  • Appui favorable aux contraintes à l’horaire pour que les enseignants de français puissent accompagner leurs étudiants dans la correction du français
  • Réduction de l’ETC des enseignants qui donnent le premier cours de français afin de laisser du temps pour du suivi individualisé
  • Ajout d’une « heure d’encadrement en langue » aux quatre heures hebdomadaires pour aider les étudiants à s’améliorer sur ce plan

Il ressort également que même les enseignants de français ont besoin de formation en français ! Pour eux, étant donné les nouveaux devis ministériels de la formation générale, une mise à jour des stratégies de lecture et de rédaction s’impose. L’observation est aussi valable pour les rectifications orthographiques et les approches pédagogiques préconisées dans le cadre du renouveau pédagogique au secondaire.

Le français dans les autres disciplines

À l’université ou sur le marché du travail, la maitrise de la langue est nécessaire pour la poursuite d’études supérieures ou pour obtenir un emploi. Ainsi, le message se doit d’être clair pour les étudiants : la langue écrite est aussi importante dans les cours de formation spécifique que dans les cours de français.

On ne le dira jamais assez : les enseignants sont les spécialistes de leur discipline et des usages linguistiques qui y sont associés. Qui est mieux placé pour parler des termes associés aux soins infirmiers que les enseignants de soins infirmiers ? Les enseignants de la formation spécifique devraient être responsables de la qualité de la langue de leurs étudiants parce qu’ils ont parfois plus d’impact que les enseignants de français avec les messages qu’ils leur adressent.Ces enseignants se posent dès lors les questions suivantes : comment corriger ? Comment tenir compte de la langue dans les travaux des étudiants ? Au-delà de la création d’un code commun de correction pour tous les départements, la notion même de correction de la langue reste à définir. Généralement, dans les disciplines autres que le français, on octroie 10 % de la note à la qualité linguistique. S’agit-il de 10 % de la note finale ou d’une portion seulement des évaluations ? S’agit-il d’un calcul de 100 % moins 10 % ou de 90 % plus 10 % ? Les résultats ne sont pas équivalents et le message envoyé n’est pas le même. Le premier cas est pénalisant, car l’étudiante ou l’étudiant perd des points pour un français déficient alors que, dans le second, il ou elle en gagne pour la bonne qualité de sa langue. Puisqu’il est question de valorisation de la langue, la question mérite d’être posée.

Reste que certains enseignants des disciplines autres que le français demeurent réticents à retrancher des points, ne voulant pas affecter la cote R des étudiants en raison d’un contenu qu’ils n’enseignent pas. La compétence langagière ne devrait-elle pas pourtant être développée dans tous les cours, et le message institutionnel, clarifié en conséquence pour les enseignants et les étudiants ?

Par ailleurs, l’évaluation de la langue par les non- spécialistes doit-elle absolument être de nature quantitative ? Ces enseignants sont tout à fait capables d’estimer à quel point la langue nuit (ou non) à la compréhension du texte (un peu, moyennement, beaucoup ?) et d’octroyer des points qualitativement en fonction de cette compréhension. Pourtant, certains intervenants ont souligné que la notion de « qualité de la langue » restait encore bien vague pour plusieurs enseignants. Il faut, à cet égard, définir quels aspects de la langue sont à considérer : l’orthographe ? la syntaxe ? la ponctuation ? le vocabulaire technique ? le style ?

À cet effet, une formation en correction pourrait être offerte tant aux enseignants de français qu’aux enseignants des autres disciplines. Étant donné la nécessité de cette formation continue, certains collèges utilisent déjà les budgets de perfectionnement pour offrir des formations aux enseignants. Ce perfectionnement peut être individuel ou en groupe, selon les besoins exprimés. Rappelons que le Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD) offre des ressources en ligne qui peuvent répondre à bien des questions que se posent les enseignants.

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Comment développer une réelle culture de la langue ? Comment rendre chaque enseignante, chaque enseignant responsable à la fois de la qualité de sa propre langue et de celle des étudiants, par la suite ? Nous l’avons déjà souligné, il faut établir une cohérence institutionnelle. Le message doit être clair et relayé auprès de tous les services, tous les départements, toutes les instances. Un progrès dans ce dossier n’est possible que si tous s’approprient le même message. C’est ce qui est globalement ressorti de la rencontre du 14 octobre dernier.

Un sous-comité, né de cette première rencontre exploratoire, s’est réuni le 10 février au cégep André-Laurendeau à Montréal et propose la mise sur pied d’un réseau collégial de tous les intervenants en lien avec la valorisation du français. Par souci de cohérence avec les autres répondants du réseau collégial, soit les REPTIC et les REPCAR, le nom « REPFRAN » a été retenu pour désigner notre communauté d’intérêts. Le Carrefour de la réussite s’intéresse déjà aux travaux des REPFRAN et ceux-ci, à l’invitation du secteur de l’Amélioration du français du CCDMD, tiendront une journée d’étude en marge de l’édition 2012 de l’Intercaf, la rencontre intercollégiale des responsables de CAF. (NDLR – La traditionnelle rencontre intercollégiale prévue en mai est reportée à un moment encore indéterminé en raison des bouleversements d’horaires occasionnés par la grève étudiante.)

Ce que nous souhaitons, c’est que la communauté des REPFRAN, née de la volonté de deux intervenantes encouragées par l’enthousiasme d’un nombre important de répondants en matière de valorisation de la langue dans les collèges, puisse être le lieu d’échanges structurés et animés, mais surtout fructueux et profitables pour l’ensemble du réseau collégial.

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