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«Compagnon», «commère» & cie: à propos du préfixe «com-»

«Compagnon», «commère» & cie: à propos du préfixe «com-»

Curiosités étymologiques

 

La présente chronique est la première d’une série portant sur l’étymologie – parfois insolite – de mots qui nous sont familiers. Longtemps titulaire du cours d’histoire de la langue dans le programme de Lettres, Gaétan Saint-Pierre est un collectionneur averti de ces « étonnantes histoires de mots ».

Le préfixe com- et ses variantes con- et co- viennent de la préposition latine cum, qui signifie « avec » et marque généralement la simultanéité ou l’égalité. Com-, con- et co- entrent, en français moderne, dans la formation de plusieurs mots (codétenu, coéquipier, colocataire, colistier, copilote, etc.) et figurent également dans un très grand nombre d’emprunts au latin comme collaborer (de co « avec » et laborare « travailler »), commémorer, complaire, concourir, confiance et correspondre. Certains de ces mots en com- ont une étymologie surprenante, parfois même amusante. Le mot compagnon (compainz, fin XIe), par exemple, vient du latin populaire companio, onis (composé de cum « avec » et de panis « pain »), qui signifie au sens propre « celui qui mange son pain avec », puis « celui qui partage ses activités avec quelqu’un ». Le mot compagnie (fin XIe), comme dans « tenir compagnie », a la même origine, alors que le féminin compagne (XIIe) et le verbe accompagner (XIIe) ont été formés sur l’ancien français compain. Quant au terme familier copain, qui rappelle étonnamment le sens étymologique du mot, c’est la forme dénasalisée (com > co) de compain apparue au milieu du XIXe siècle, mais qui ne s’est imposée qu’au XXe siècle. En sont dérivés le féminin copine (fin XIXe), le verbe copiner (début XXe) et le nom copinage (vers 1960) dans le sens qu’on lui connaît de « favoritisme au profit des amis en affaires ou en politique ».

On a, par ailleurs, beaucoup de mal à imaginer que le mot commère et son parallèle compère, tous deux adaptés au XIIe siècle du latin ecclésiastique, ont un sens d’origine très éloigné du sens actuel : la commère (du latin commater « mère avec ») et le compère (du latin compater « père avec »), ce sont, au Moyen-Âge, la « marraine » et le « parrain » d’un enfant, et le commérage (commeraige, milieu XVIe), c’est originellement le « baptême ». Les trois mots ont connu une évolution de sens assez remarquable qui témoigne bien des préjugés sociaux et sexistes qui imprègnent la langue. Compère est devenu un terme (vieilli) d’amitié dans la langue familière et a pris le sens de « camarade », « ami » ou « complice », alors que commère a vite pris une valeur péjorative, celle de « personne bavarde », de « femme qui colporte toutes les nouvelles ». Commérage a suivi la même évolution sémantique que commère et désigne des propos de commère, du bavardage, des ragots. Le mot, même s’il constitue un jugement négatif à l’égard du « bavardage des femmes », s’applique aussi à une personne de sexe masculin.

Mentionnons enfin, après compagnon et commère, deux mots en com-/con- qui véhiculent l’idée de « souffrir avec » : compatir et condoléances. Compatir (XVIe) est un emprunt au bas latin compati, de cum « avec » et pati « pâtir, souffrir ». Compatir, au sens étymologique, c’est « prendre part à la souffrance de l’autre ». Quant aux condoléances qu’on présente à quelqu’un à l’occasion d’un deuil, le mot est dérivé (milieu XVe) de l’ancien verbe condouloir, « s’affliger avec », du latin ecclésiastique condolere, de cum et dolere « souffrir ».

Satellite et planète : un garde du corps et un vagabond

Il arrive qu’un sens figuré et spécialisé, apparu tardivement dans la langue savante, efface tout à fait le sens originel du mot en latin. Le mot satellite est un bon exemple de ce phénomène. Satellite (XIIIe) est un emprunt au latin satelles, satellitis, qui signifie « garde du corps » et « acolyte ». Ce mot, d’usage plutôt recherché, conserve longtemps un sens assez proche du sens primitif et désigne un homme de main, un homme aux gages d’un chef et qui exécute ses ordres. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que satellite, employé comme terme d’astronomie, prend le sens qu’on lui connaît d’« astre gravitant autour d’une planète » : un garde du corps céleste, en somme. Quant à la planète, c’est étymologiquement une sorte de « vagabond ». Planète (début XIIe) est un emprunt au bas latin planeta, nom désignant une étoile mobile. Le mot latin vient du grec planêtês dans planêtês asteres, qui désigne les astres en mouvement, les étoiles « errantes » par opposition aux astres (apparemment) fixes. Ajoutons, pour rester dans les métaphores d’astronome, que le mot comète (milieu XIIe) est emprunté au latin cometa, lui-même emprunté au grec komêtês, qui signifie « chevelu ». La comète apparaît, en effet, avec sa traînée lumineuse (appelée « chevelure »), comme un astre « chevelu ».

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