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Variations sur la quadrature du cercle

Variations sur la quadrature du cercle

Àla rencontre Intercaf de septembre 2005[1], on avait déjà soulevé la problématique de la formation et de l’encadrement offerts aux monitrices et aux moniteurs dans les centres d’aide en français ; l’un des objectifs de la rencontre de mai dernier[2] était de relancer la discussion, en mettant cette fois l’accent sur la progression des apprentissages et les séquences didactiques. On sait que de ce point de vue, le tutorat pose des défis multiples. Songeons à l’ampleur de la tâche confiée aux responsables des centres d’aide, qui forment, encadrent, supervisent des élèves du collégial, lesquels à leur tour soutiennent des pairs dans une démarche d’amélioration linguistique ; pensons aussi aux exigences des directions, qui s’attendent à ce que ce service profite de manière sensible aux usagers des centres d’aide (allophones ou francophones, avec ou sans troubles d’apprentissage) ; songeons enfin au talent et à la générosité de ces monitrices et moniteurs qui, à 17 ans et des poussières, parviennent à conjuguer révision grammaticale et apprentissage de la relation d’aide. De quoi ébranler les vieux poncifs sur l’individualisme des jeunes ou leur manque d’intérêt pour la langue.

Nous reviendrons plus loin à la question de la progression des apprentissages et des séquences didactiques. Pour bien voir toute l’importance de la réflexion pédagogique autour de la formation de cégépiens à la relation d’aide en français écrit, il importe d’abord de souligner que ce système, mis en place en vue d’offrir des mesures d’aide malgré les restrictions budgétaires, est devenu une référence dans le réseau. À telle enseigne que l’on constate un effet de la formation au tutorat sur la valorisation du métier d’enseignant. Cet avantage collatéral observé empiriquement par les intervenants du milieu est de plus en plus reconnu : non seulement la formation rend les élèves plus empathiques à l’égard du personnel enseignant (il n’y a rien comme planifier une leçon pour comprendre que la pédagogie ne sort pas tout armée de la tête des profs), mais elle en incite plusieurs à opter pour une carrière en éducation. Si la renommée des centres d’aide en français s’en trouve accrue, il en va de même de la responsabilité des personnes qui y travaillent : initier un élève au tutorat, c’est bien sûr lui apprendre à accompagner un pair dans une démarche d’amélioration linguistique, mais c’est aussi lui transmettre une vision de l’enseignement. Que cette vision soit destinée à se déployer dans le cadre relativement modeste de l’aide individuelle importe peu ; pour l’élève initié, la première expérience servira longtemps de référence. En un mot, la formation des moniteurs et des monitrices en français a des retombées indirectes qui se révèlent très intéressantes : le système, conçu à l’origine pour fournir des mesures d’aide à la réussite, permet à des élèves performants d’acquérir une compétence qui ne faisait pas partie du cursus traditionnel des études collégiales.

Cela étant dit, la formation et l’encadrement des moniteurs et des monitrices engagent les responsables des centres d’aide en français, qui ne sont pas forcément des didacticiens, à expliquer la manière dont on planifie des sessions d’aide, des leçons, des activités d’apprentissage… autrement dit, à enseigner les rudiments d’une didactique du français écrit. Un rôle flatteur, que l’on n’assume pas sans un certain vertige. Le fait de former des pairs aidants, en effet, est d’autant plus exigeant qu’il faut de l’astuce – et une foi inébranlable dans le système – pour résoudre les problèmes rencontrés quotidiennement dans les CAF. Les usagers présentent des difficultés d’écriture importantes (un texte comportant une erreur aux quatre mots n’est pas une rareté) ; leurs difficultés touchent toutes les catégories, notamment la syntaxe, le vocabulaire et la cohérence textuelle ; ils sont très souvent dans l’urgence (urgence de progresser pour « passer » leurs cours, urgence de réussir l’épreuve, urgence d’entrer à l’université). Et ils demandent aux intervenants de première ligne – eux aussi élèves du collégial – de trouver, sous la supervision des personnes responsables, des solutions pédagogiques ingénieuses.

Pour les enseignantes et les enseignants qui se retrouvent devant la double tâche de former des pairs aidants et d’encadrer leur travail auprès d’élèves en difficulté, le problème de la planification pédagogique dans des séquences didactiques adéquates se pose donc de façon aiguë : comment doit-on aborder les notions à réviser ? Faut-il organiser la matière dans un ordre précis ? Quels objectifs peut-on raisonnablement poursuivre en une session d’aide ? Ces questions, nous les avons posées aux conférencières de la dernière rencontre Intercaf ; le présent numéro propose deux articles tirés de communications données lors de cette journée. Julie Roberge (cégep Marie-Victorin), collaboratrice au Service d’aide à l’intégration des élèves (cégep du Vieux Montréal), suggère quelques axes d’intervention à adopter avec les élèves atteints de troubles d’apprentissage – des axes d’interventions plutôt que des séquences préétablies, puisque la situation particulière de ces élèves exige une constante adaptation des stratégies pédagogiques. Suzanne Beauchemin (cégep du Vieux Montréal) décrit quant à elle la méthode adoptée dans le cours de formation au tutorat, dont elle a été titulaire pendant plusieurs années ; axée sur l’évaluation intelligente des textes et sur l’apprentissage de la planification pédagogique, cette méthode se donne l’objectif de rendre les moniteurs et monitrices autonomes. Ces deux articles en inspireront certainement plusieurs ; comme le sujet est loin d’être épuisé, nous vous promettons d’autres échos de l’Intercaf dans le prochain numéro et vous annonçons la tenue d’une journée d’étude le 16 janvier prochain au collège F.-X. Garneau. Au programme, deux ateliers de trois heures, l’un portant sur la « progression des apprentissages sur la langue à travers l’étude des genres textuels », l’autre traitant des « séquences adaptées aux besoins des élèves allophones ». L’invitation sera officiellement lancée dans le réseau sous peu.

Nos chroniques, bien entendu, ne sont pas en reste. Sophie Piron (UQAM) explique comment la grammaire, essentiellement normative et analytique au XVIIe siècle, est devenue pédagogique au siècle des Lumières. Comme nous sommes déjà plongés dans l’atmosphère des fêtes de fin d’année, Gaétan Saint-Pierre (collège Ahuntsic) a choisi de nous entretenir de curiosités étymologiques relatives au costume et à la coiffure. Le « Test de lecture » de Julie Roberge, pour sa part, fait le point sur l’essai de Patrick Moreau intitulé Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants ? Enfin Louise Guénette (OQLF), en cette période de grande instabilité, nous met sagement en garde contre les emprunts à risque.

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  1. Cégep Limoilou, campus de Charlesbourg, 30 septembre 2005. Retour
  2. Organisée en collaboration avec le Réseau universitaire des services d’aide en français (RUSAF), la rencontre Intercaf du 30 mai dernier a eu lieu à l’UQAM, au Pavillon de l’éducation. Retour

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