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La maîtrise de la langue française dans les activités éducatives

La maîtrise de la langue française dans les activités éducatives

Jean-Claude Rondeau enseigne à l’ENAP à titre de professeur invité. Il a assumé la fonction de président de l’Office de la langue française de septembre 1990 à mars 1995.

Introduction

Au moment où la société québécoise s’interroge sur les finalités des ordres d’enseignement, et qu’on peut déplorer les pressions de plus en plus fortes pour imprimer au monde de l’éducation l’empreinte du milieu industriel et commercial, la réflexion sur l’enseignement de la langue retrouve une actualité qu’elle n’aurait jamais dû perdre.

C’est autour du concept de la maîtrise de la langue que je voudrais articuler ces quelques réflexions en rappelant, bien sûr, que cette maîtrise passe par le respect des règles fondamentales de la linguistique, mais également qu’il s’agit d’une notion essentiellement relative dont les exigences augmenteront sûrement au fil des années, contrairement peut-être à la croyance populaire.

Rejet d’un certain nombre de mythes

La mise en perspective de l’avenir de la langue au Québec est obscurcie par la diffusion généralisée de mythes qui rendent très difficile une appréciation exacte de la réalité actuelle. En voici quelques-uns qui influencent particulièrement le monde de l’éducation.

L’âge d’or de l’orthographe

Plusieurs prétendent que nos parents maîtrisaient mieux que nous le français, et que les élèves d’autrefois faisaient moins de fautes qu’aujourd’hui. Ce mythe d’une sorte d’âge d’or de l’orthographe et de la grammaire revient périodiquement, chaque fois que des enquêtes ou des analyses nous remettent sous les yeux la situation déplorable d’une partie de la population incapable de s’exprimer correctement en français, surtout à l’écrit.

Or, cet âge d’or n’a jamais existé que dans la tête des personnes qui oublient quel était le niveau de scolarité de nos parents, qui n’ont pas connu ces hommes et ces femmes qui faisaient une croix en lieu et place de leur signature. S’il est vrai d’affirmer que les personnes instruites maîtrisaient assez bien la langue écrite, on oublie que cette catégorie de personnes ne représentait qu’une infime partie de la population. Il faut reconnaître qu’il n’y a jamais eu d’âge d’or de l’orthographe au Québec.

L’utilisation des anglicismes lexicaux constitue une menace grave pour le français

Selon la définition fournie par Claude Poirier, l’anglicisme est « un emprunt, formel ou sémantique, fait à la langue anglaise, ou calque d’un mot ou d’une expression de la langue anglaise par les francophones du Québec, qui est passé dans leur variété usuelle du français où il est employé au même titre que les autres mots ».

Sans nier les inconvénients à la longue de l’utilisation fréquente des emprunts lexicaux à la place des mots et des expressions de langue française, utilisation qui s’explique aussi bien par l’ignorance que par la paresse, la langue française souffre sans doute beaucoup plus chez nous de tournures de phrases et de constructions grammaticales directement copiées de l’anglais. C’est d’ailleurs ce qui frappe nos amis français quand ils viennent séjourner chez nous. S’il y a un danger réel pour l’utilisation du français, c’est bien là qu’il se trouve.

C’est le français hexagonal (en France) qui présente le plus haut degré de pureté

Les chroniques du « bon parler » si populaires chez nous depuis le 18e siècle jusqu’à tout récemment (et peut-être encore dans certaines chroniques journalistiques actuelles) ont toujours présenté le parler d’ici comme une sous-espèce linguistique (quand ce n’était pas du patois!) tout à fait incapable de soutenir une comparaison avec la langue parlée en France, surtout à Paris.

Pourtant, si le lexique québécois est moins abondant que celui utilisé dans certaines régions de France, on y trouve un vieux fond hérité du temps de la Nouvelle-France et dont nous serions très malvenus de nous plaindre. La syntaxe utilisée dans les situations de la vie quotidienne présente sûrement des lacunes importantes, comme on l’a reconnu plus tôt. Quant à la phonétique d’ici, principale source de nos embarras à l’étranger, elle ne peut sûrement pas soutenir la comparaison avec la langue merveilleuse de la Touraine et de certaines autres régions de la France. Mais qu’en est-il de la langue parlée dans d’autres régions dont l’accent nous est à peu près incompréhensible quand nous écoutons TV5?

Il n’est pas nécessaire de soigner la langue orale; l’attention doit porter surtout sur l’écrit

C’est l’argument bien souvent utilisé par une partie de la population qui craint de paraître affectée en s’exprimant correctement dans les situations de la vie quotidienne.

Pourtant, on s’aperçoit qu’en faisant des efforts pour communiquer adéquatement à l’oral, se développent à la fois un vocabulaire plus diversifié et une expression plus claire et mieux articulée, les règles de syntaxe venant au secours des idées et des sentiments à exprimer.

Bien maîtriser sa langue, c’est ne pas être obligé de passer d’un registre de langue à l’autre

Plusieurs personnes se font une gloire de toujours parler de la même façon, quels que soient les interlocuteurs ou les circonstances dans lesquelles elles doivent s’exprimer.

Pourtant, les circonstances nous forcent à changer de registre de langue : on ne parle pas (et on n’écrit pas) de la même façon à un ami intime et à un ministre; les conversations que l’on tient en classe ne sont pas du même registre que celles que l’on tient sur l’oreiller; on n’exprime pas sa colère à un patron de la même façon qu’on peut le faire à un enfant désobéissant.

Bien maîtriser sa langue, c’est justement être capable de trouver les mots et le ton qui conviennent aux diverses situations de communication.

La hausse du niveau d’immigration amènera inévitablement une baisse de la maîtrise de la langue

Il faut avoir vu, dans certaines écoles de Montréal, des élèves nés ailleurs obtenir les meilleures performances en français après quelques années d’apprentissage au Québec pour se rendre compte que les nouveaux venus sont capables de maîtriser notre langue, souvent d’une manière à nous faire rougir. Ce qu’il faut de toute urgence, c’est leur donner l’occasion d’apprendre, et non pas passer spontanément à l’anglais quand on parle à un immigrant. 

Les technologies de l’information vont rendre la maîtrise de l’écrit obsolète, et la maîtrise individuelle de la langue écrite deviendra ainsi la préoccupation des seuls spécialistes de la langue

Si la généralisation de la télévision a pu laisser un temps cette impression, l’utilisation de plus en plus fréquente de la micro-informatique, dans les lieux de travail comme pour les activités de loisirs, démontre avec force que la maîtrise de l’écrit devient encore plus nécessaire que par le passé. L’une des dimensions les plus avancées des technologies de l’information, soit Internet, exige une très grande maîtrise de la langue (et de l’autre langue!) aussi bien pour comprendre les messages diffusés que pour participer activement au courrier électronique ou aux forums de diffusion.

Il faut noter d’ailleurs que les outils électroniques de correction lexicale et grammaticale viennent apporter une aide de plus en plus significative.

Les entreprises ne se préoccupent pas de la maîtrise de la langue

Il y a un peu plus de deux ans, un sondage pan-canadien réalisé auprès des chefs d’entreprise révélait que la maîtrise de la langue (ou des langues, selon le cas) est devenue le premier critère d’élimination des candidats lors des concours. Alors qu’autrefois seul le personnel de secrétariat devait savoir écrire correctement, l’outillage électronique utilisé aujourd’hui exige une capacité de lecture et souvent d’écriture dont nos parents auraient été bien incapables.

C’est d’ailleurs une des raisons qui expliquent les exigences de scolarité plus élevées pour des postes dans les ateliers de fabrication ou de manutention.

La vraie nature de la maîtrise de la langue

Comme le précisait avec beaucoup de pertinence Juliette Garmadi dès 1981, maîtriser sa langue, c’est acquérir une compétence communicative qui consiste à « savoir choisir la variété linguistique que l’on utilise en fonction de l’auditeur, du lieu, du moment ou du sujet de l’activité linguistique ».

Maîtriser l’orthographe, le lexique, la morphologie et la syntaxe, c’est donc précisément être capable de moduler l’utilisation de ces éléments en fonction des situations. La maîtrise de la langue dont il peut être question est une habileté différentielle, si l’on peut s’exprimer ainsi.

Il vaut sûrement mieux parler de la maîtrise de la langue comme d’une habileté qui s’acquiert, se développe par la pratique et l’apprentissage et qui est finalement l’œuvre de toute une vie, que de parler de qualité de langue, concept qui appelle inévitablement en contrepartie celui de non-qualité, qui paraît statique et quelque peu dévalorisant pour les personnes qui ne possèdent pas cette qualité. Le concept de maîtrise de la langue est beaucoup plus approprié en matière d’enseignement de la langue.

Aider des personnes, jeunes ou adultes, à mieux maîtriser le français, c’est leur permettre de franchir une étape supplémentaire d’un cheminement qui ne devrait jamais s’arrêter. Ce n’est surtout pas porter un jugement plus ou moins arbitraire sur la qualité de la langue.

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