" />
2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique
Test de français à l’embauche dans les collèges: constats et questions du Réseau Repfran

Test de français à l’embauche dans les collèges: constats et questions du Réseau Repfran

À l’invitation du Carrefour de la réussite, 60 personnes participaient le 26 septembre 2014, à Sainte-Foy, à une journée d’étude intitulée Test à l’embauche dans les collèges : où en sommes-nous? Étaient au rendez-vous les membres du Réseau Repfran (réseau des RÉPondants du dossier de la valorisation du FRANçais dans les collèges) et quelques autres intervenants du réseau collégial – notamment des représentants et des représentantes des directions des études, des ressources humaines, de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) et du Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD). Colette Ruest dresse ici un bilan des discussions.

L’automne dernier avait lieu la rencontre semestrielle du Réseau Repfran. À l’ordre du jour, un thème complexe qui soulève des questions chez les répondants et répondantes du dossier du français : le test de français à l’embauche dans les collèges.

Bien que des membres du Réseau aient souhaité que nous fassions à cette occasion l’étude et la promotion du « meilleur » test ou la critique de ceux utilisés dans les cégeps – certains vendus aux établissements –, nous avons choisi une approche plus structurante. En tenant compte des préoccupations exprimées, nous avons voulu tracer un portrait d’ensemble de la situation dans les collèges et examiner quatre grandes facettes des tests en usage : leurs caractéristiques, les modalités de passation, les critères de réussite et le suivi.

Pour chacun de ces aspects, Jean-Sébastien Ménard, du cégep Édouard-Montpetit, a présenté les résultats d’une enquête[1] qu’il a menée dans 58 collèges à l’hiver 2014. Quatre panélistes repfrans ont ouvert les échanges de points de vue et d’expériences : Élisabeth Tremblay, du cégep de Chicoutimi, Hélène Crochemore, du cégep Limoilou, Sara-Jane Smith, du cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, et Marc Pelletier, du Cégep de l’Outaouais.

Au cours de la journée, questions d’éclaircissement, remarques, observations, opinions et commentaires parfois divergents se sont entrecroisés. Les rendez-vous des repfrans étant d’abord des occasions de partage, d’approfondissement, de ressourcement, ils provoquent des prises de conscience et stimulent le processus de réflexion sans l’obligation de prise de décision commune. Néanmoins, nous sommes en mesure de dresser un bilan des échanges tenus pendant l’activité et une synthèse des constats et questions que les participants et participantes ont remis à la fin de la rencontre.

Si les repfrans se réjouissent que presque tous les collèges interrogés fassent passer un test de français à l’embauche de leur personnel, l’importante diversité autant dans les outils utilisés que dans les pratiques les a surpris et a soulevé des questions délicates mais fort pertinentes.

Quelle finalité?

La première interrogation fondamentale concerne la finalité du test. Quel en est le but : diagnostiquer ou discriminer? En d’autres mots, vise-t-on à tracer le portrait des compétences langagières de la personne engagée ou à éliminer des candidatures? Ces deux perspectives expliquent certaines différences dans les pratiques. Pour les uns, il vaut mieux s’inscrire dans une approche éducative afin de valoriser et de promouvoir la langue; pour d’autres, il convient de choisir les meilleurs candidats et candidates à tous points de vue, de façon à faciliter le travail de correction et de consolidation des connaissances et habiletés langagières des élèves. Dans le premier cas, le collège a la responsabilité d’offrir un programme de perfectionnement sur mesure et d’accompagner suffisamment son personnel pour s’assurer des retombées satisfaisantes et un engagement réel dans l’amélioration de la langue (celle du personnel en cause et celle des élèves). De plus, on se demande si le diagnostic ne devrait pas s’adresser à l’ensemble du personnel et faire partie de l’évaluation des enseignements. Dans le second cas, on invite les responsables à beaucoup de rigueur dans le choix des tests, en raison des conséquences sur les personnes qui postulent. Un outil inadéquat peut écarter des candidatures intéressantes.

Quel contenu?

Le Référentiel des compétences langagières pour le collégial[2] (figure 1) vient confirmer la nécessité d’un test de français à l’embauche. Ce document intégré au Cadre de mesures pour l’amélioration du français (MELS, 2011) énumère les éléments de compétences à considérer au moment d’engager du personnel. Certains repfrans en ont pris connaissance au moment de la rencontre; d’autres avaient déjà eu l’occasion d’en saisir la teneur. Sans déterminer de niveaux, de contexte de réalisation ni de seuil minimal, ce référentiel couvre à la fois l’oral et l’écrit, le respect des règles de la langue et de la communication dans divers genres de textes, l’engagement dans une démarche de perfectionnement, l’habileté à corriger des textes et à concevoir du matériel pédagogique favorisant l’amélioration du français des cégépiens et cégépiennes.

Figure 1
Page d’accueil du site web

L’ensemble s’apparente, selon nous, à un projet de développement de compétences professionnelles qui devrait s’étaler sur une carrière. Ainsi, des repfrans se demandent, sans surprise, s’il est réaliste de penser pouvoir répondre à toutes les exigences du Référentiel lors de l’embauche. Ils s’interrogent également sur le niveau de compétence attendu et sur la façon d’en évaluer l’atteinte. Néanmoins, la majorité reconnait la pertinence du mouvement amorcé dans les collèges en vue de vérifier les compétences langagières d’un candidat ou d’une candidate en ajoutant au test objectif sur les connaissances une épreuve de rédaction, que l’on souhaite liée à une situation d’écriture propre à l’emploi postulé. Plusieurs voudraient également que soit évaluée la compétence à corriger un texte d’élève – c’est déjà le cas dans certains cégeps.

N’ayant pas accès aux tests eux-mêmes, les repfrans ne pouvaient se prononcer sur leur contenu. Cependant, ils s’entendent sur la dimension linguistique à évaluer : les régularités de la langue – la vérification des cas plus pointus étant réservée à quelques catégories de personnel qui doivent maitriser les difficultés grammaticales et orthographiques dans le cadre de leurs activités professionnelles. À cet égard, la façon de procéder ne fait toutefois pas l’unanimité : certains opteraient pour des tests propres à chaque catégorie d’emplois, d’autres pour des seuils distincts dans le même test. Quant à l’oral, l’entrevue devrait suffire, sauf peut-être pour les personnes dont la pratique du français semble de toute évidence très récente.

Et la validité du test?

La variété des formes de tests, des conditions de passation et des seuils de réussite a davantage provoqué de réactions que la question de la finalité; cette diversité a soulevé des interrogations quant à la validité des tests et au processus d’établissement des seuils. Devant le manque d’uniformité de ces trois dimensions, certains repfrans ont exprimé le besoin d’être informés sur ce qui se fait dans le réseau collégial. Ils aimeraient, par exemple, obtenir des données pour pouvoir comparer à la fois les tests et les processus de validation et de détermination des niveaux de compétence ou des seuils. Quelques-uns préféreraient l’utilisation d’un test commun à tous les établissements. D’autres se sont montrés sceptiques ou plus réalistes : « Un test unique pour tous les collèges, est-ce LA solution? Nous en doutons[3]. » Plutôt que l’uniformité, certains se demandent s’il ne serait pas souhaitable de rechercher une équivalence entre les outils d’évaluation utilisés par les cégeps. Quoi qu’il en soit, il est important pour les repfrans que l’élaboration et l’utilisation d’un test s’appuient sur une démarche rigoureuse afin d’assurer la fiabilité de l’instrument.

En ce qui concerne le recours à la rédaction, les réflexions portent sur l’équité dans la correction et le droit aux ouvrages de référence. Sur ce dernier point, on a simplement énoncé la philosophie qui sous-tend le choix de cette condition de passation : reproduire la situation habituelle d’écriture (avec les ouvrages) ou saisir le portrait instantané des habiletés du candidat ou de la candidate (sans ouvrages). Quant à la correction de la langue, il apparait nécessaire d’harmoniser les façons de l’effectuer. On souhaite que le seuil de réussite ne soit pas en deçà de celui de l’épreuve uniforme de français. Les plus pragmatiques, conscients des couts engendrés par une telle correction, suggèrent que la rédaction des candidats retenus soit laissée au comité de sélection, qui appréciera la valeur du texte de manière plus globale avec un accent sur la cohérence, le respect des consignes…

Quel encadrement?

Les commentaires sur l’encadrement du test ont été nombreux. On peut les subdiviser en trois parties : la gestion, le suivi administratif, l’accompagnement.

La gestion touche essentiellement l’impact d’un échec au test. Selon que l’établissement se dote d’un test orientant ou discriminant, les conséquences pour les candidats diffèrent significativement. Pour des raisons idéologiques ou éthiques, certains repfrans ne voudraient pas se retrouver dans un cégep qui refuse en entrevue les personnes ayant échoué; d’autres estiment que le collège doit choisir et engager le candidat ou la candidate avant de diagnostiquer ses besoins de perfectionnement; d’autres encore pensent que l’établissement doit sélectionner une personne en sachant qu’elle aura besoin d’un programme personnalisé. La réussite au test est-elle une condition préalable (sine qua non) à l’embauche ou un critère de sélection parmi les autres, ou encore, un critère comportant des réserves et des conditions? Les informations collectées par Jean-Sébastien Ménard donnent à penser que la plupart des collèges se laissent une marge de manœuvre : refus si le résultat se situe en dessous d’un seuil déterminé; engagement conditionnel si l’échec est moins patent et que la personne répond aux autres exigences de l’employeur; chance au coureur s’il y a pénurie de candidatures. Les repfrans ne sont pas unanimes, mais s’entendent pour dire qu’une analyse sérieuse des seuils de réussite attendus faciliterait la prise de décision. Ils pensent aussi qu’une description claire des règles relatives aux exigences de compétences langagières assurerait la transparence.

En attendant, ils se préoccupent davantage de l’application des conditions de l’embauche liées à la maitrise de la langue. Que le droit de reprise du test prenne plus d’une forme ne semble pas poser problème : reprise du même test, test semblable ou bilan évaluatif de l’accompagnateur ou de l’accompagnatrice – souvent le ou la repfran. Encore une fois, ce sont les modalités de gestion qui soulèvent des questions. Qu’arrive-t-il si la personne ne respecte pas les conditions? Combien de reprises sont permises? Donner un semestre ou six mois ou un an à tous les candidats, peu importe leurs besoins, pour satisfaire les exigences d’embauche est perçu comme peu suffisant, voire insuffisant par certains, et illusoire par un bon nombre. Pourquoi un délai prescrit? Que cherche-t-on : faire réussir un test le plus rapidement possible pour que la personne soit conforme ou aider les futurs membres du personnel enseignant à se donner les moyens de s’engager dans la valorisation et l’amélioration des compétences langagières de leurs élèves en ayant eux-mêmes accompli ce parcours? Acquérir les compétences langagières attendues dans le cadre de l’enseignement postsecondaire requiert du temps et un soutien.

Le suivi administratif constitue, aux yeux des repfrans, une responsabilité de la direction des ressources humaines de l’établissement, responsabilité qui gagnerait à s’exercer en collaboration avec la direction des études et le ou la repfran du collège. De l’annonce des résultats au libellé de la note au contrat en passant par le rappel des règles administratives et les rencontres de relance, les repfrans estiment qu’il s’agit d’une démarche essentielle pour inciter les directions et le personnel à s’engager dans le processus d’amélioration de la maitrise du français, une démarche qui témoigne de la valeur accordée à la langue par l’établissement. Si la procédure reste obscure parce que non écrite ou non diffusée, pire si elle n’est pas appliquée, elle risque d’engendrer une mauvaise perception et de nuire à l’adhésion au projet de valorisation de la langue.

Convaincus que la motivation extrinsèque seule demeure un levier au pouvoir limité, les repfrans ne peuvent penser à un engagement conditionnel sans le lier à une offre de services, à un programme de perfectionnement personnalisé, à un suivi pédagogique adéquat. Cela ne fait aucun doute dans leur esprit : l’accompagnement est nécessaire dans un processus d’amélioration des compétences langagières. Un cours de 15 crédits peut rendre possible la réussite d’un test de reprise, mais, même réussi, celui-ci ne peut à lui seul garantir l’atteinte des compétences attendues pour des enseignants et enseignantes des études supérieures. Le tutorat, le programme personnalisé et les autres formes d’activités multiplient leur efficacité s’ils constituent un véritable accompagnement de la personne à soutenir dans son parcours professionnel. Ici, les repfrans constatent la limite actuelle de l’offre de services, quand ce n’est pas sa quasi-absence. Certains nous invitent à avoir les moyens de nos ambitions, quelques-uns s’interrogent sur la responsabilité financière des Ressources humaines dans l’aide accordée; d’autres voudraient que ne soient pas laissés à l’écart les autres membres du personnel qui, sans avoir échoué, montrent des signes de lacunes certaines. Plusieurs cherchent des solutions pour financer les services envisagés : utiliser le budget de perfectionnement, imputer une partie des frais aux candidats, ajouter les habiletés linguistiques et les compétences langagières au Microprogramme de 2e cycle en insertion professionnelle en enseignement au collégial (MIPEC), engager une contractuelle ou un contractuel de la Formation continue pour donner une formation selon une formule didactique et pédagogique déterminée mais adaptable, se doter d’une politique de formation continue en compétences langagières.

Vers quoi allons-nous?

« Afin que l’amélioration de la maitrise de la langue devienne une valeur institutionnelle et fasse partie de la culture d’un collège, il importe que les Ressources humaines en tiennent compte comme critère d’embauche du nouveau personnel et qu’elles offrent des mesures d’accompagnement aux candidats ayant échoué au test de français. Les employés d’un cégep sont les porte-étendards de ses valeurs. Si le personnel est sensible à la qualité du français, il aura forcément une influence positive sur la réussite de la population étudiante[4]. »

Il ressort des échanges de la dernière Journée Repfran que l’ensemble des répondants et répondantes souscrit à l’idée de donner une place au test à l’embauche dans le plan de la réussite. Il semble toutefois que les outils actuels ne soient pas parfaitement satisfaisants.

À quoi devrait ressembler le test idéal? Il devrait tenir compte du Référentiel de compétences langagières pour le collégial, être réputé fiable après avoir subi un processus de validation et de calibrage, se présenter en plusieurs versions équivalentes, garantir une transmission rapide des résultats, s’inscrire dans une gestion équitable, raisonnable et transparente, trouver une suite dans un accompagnement suffisant et efficace.

Même si les tests de français à l’embauche présentement utilisés dans les collèges ne correspondent pas en tous points aux qualités du test idéal, les repfrans continuent de croire qu’en travaillant en concertation avec les personnes intervenant dans le dossier, les collèges pourront bonifier ce chapitre du Cadre de mesures ministérielles pour améliorer la maitrise du français.

* * *

Articles émanant du Réseau Repfran parus dans Correspondance

Au sujet du Réseau Repfran

  • En juin 2011, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) donne aux collèges le mandat de mettre en place une offre accrue de services permettant d’améliorer la qualité du français des élèves, du personnel enseignant et des membres de la communauté collégiale, et approuve un cadre de mesures de 13 millions de dollars.
  • À l’automne 2011, Stéphanie Carle (collège Montmorency) et Julie Roberge (cégep André-Laurendeau) prennent l’initiative, à titre de responsables de dossiers liés à la valorisation du français dans leur collège, d’organiser une rencontre informelle avec quelques-uns de leurs pairs dans le but d’échanger des idées sur leurs pratiques.
  • En février 2012, un sous-comité, issu de la première rencontre, propose la mise sur pied d’une communauté d’intérêts. Le Réseau Repfran (réseau des RÉPondants et des répondantes du dossier de la valorisation du FRANçais dans les collèges) est officiellement reconnu et pris en charge par le Carrefour de la réussite, un organisme rattaché à la Fédération des cégeps et responsable depuis juin 2011 de favoriser la diffusion des pratiques exemplaires pour ce qui est de la valorisation de la langue. Concrètement, cette reconnaissance se traduira par la création et l’hébergement d’un site internet à l’intention du Réseau Repfran ainsi que par l’animation de cette communauté et le soutien à ses membres.
  • Depuis sa création officielle (2012), le Réseau Repfran s’est réuni six fois. Mise à part la question du test de français à l’embauche, discutée lors de la rencontre du 26 septembre 2014, les répondantes et répondants se sont intéressés à la compréhension de leur rôle, à l’élaboration de leur plan d’action, aux stratégies d’animation, à la définition de la notion de compétences langagières, à l’impact du rapport à l’écrit, à l’approche par les genres textuels propres aux disciplines, aux modalités d’évaluation de la langue dans les textes d’élèves, aux outils créés et utilisés pour accompagner le personnel. Un webinaire a également donné lieu à un échange virtuel sur des pratiques d’accompagnement du personnel ayant échoué au test à l’embauche.
  1. MÉNARD, Jean-Sébastien (2014). État des lieux concernant l’évaluation de la maitrise de la langue française du personnel dans les différents cégeps du réseau – Hiver 2014, Service du développement institutionnel et de la recherche, 38 p. Document disponible sur le site www.lareussite.info [Retour]
  2. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT (2011). Référentiel des compétences langagières pour le collégial. Document joint à la lettre du 20 juin 2011 adressée aux directions des collèges et présentant le Cadre de mesures pour améliorer la maitrise du français dans les collèges. La lettre est signée par la sous-ministre adjointe à l’enseignement supérieur du MELS de l’époque, Christiane Piché. [Retour]
  3. Citation extraite des commentaires anonymes remis par les repfrans à la fin de la Journée Repfran du 26 septembre 2014. [Retour]
  4. Citation extraite des commentaires anonymes remis par les repfrans à la fin de la Journée Repfran du 26 septembre 2014. [Retour]

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE