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«Lextreme» au cégep

«Lextreme» au cégep

Le présent article résume les fondements théoriques et les principes pédagogiques sur lesquels les auteurs se sont appuyés pour développer Lextreme, un logiciel d’apprentissage du vocabulaire. À titre de complément, ils nous proposent une sélection d’activités autour du vocabulaire rencontré dans un extrait de Boule de suif, de Guy de Maupassant. On peut télécharger gratuitement le logiciel, dans sa version anglaise ou française, de même que les exercices, à l’adresse suivante : www.rafal.uqam.ca/lextreme. (L’extreme ne fonctionne qu’avec le système d’exploitation Windows.)

Pour un cégépien, comprendre un texte proposé en classe implique une mise en œuvre judicieuse de ses habiletés lexicales, morphologiques, syntaxiques, textuelles et pragmatiques dans un domaine de référence précis. Le rôle du professeur est de baliser ce parcours intellectuel en initiant les élèves au second degré du savoir, et ce, afin de les aider à transposer des concepts plus ou moins abstraits aux problèmes particuliers posés par les différentes disciplines. Or, ce travail collaboratif de mise en pratique est très sérieusement hypothéqué si l’acquisition au premier degré des notions fondamentales n’a pas été préalablement bien réussie.

Parmi les acquis fondamentaux, les connaissances lexicales figurent au premier plan. Toutes les autres habiletés langagières reposent sur une base lexicale, et leur développement dépend de la solidité de cette dernière, dont une grande partie a été acquise dans les premières années de la scolarité. Déjà, à la fin du primaire, les situations de lecture augmentent en volume et comportent de moins en moins d’aide à la compréhension linguistique (vocabulaire et syntaxe simplifiés, mots concrets) et extralinguistique (taille des caractères, illustrations). Dès lors, les exigences s’intensifient, d’autant plus que, pour comprendre un texte, il faut connaître environ 95 % des mots qui le composent. Les élèves qui n’ont pas acquis un vocabulaire élémentaire et qui ne maîtrisent pas les stratégies pour l’enrichir se retrouvent donc très tôt en difficulté, puisqu’ils ignorent un mot sur cinq ou sur dix dans les textes à l’étude et que ces derniers constituent la base de leur apprentissage. Si cette situation est problématique au primaire, elle l’est, à plus forte raison, au collégial.

Or, les nouvelles réalités démographiques et socioculturelles du Québec font que les cégeps accueillent de plus en plus d’élèves allophones qui, ayant acquis la base des connaissances lexicales fondamentales dans leur langue maternelle, sont susceptibles de présenter des lacunes de ce type en français, donc d’éprouver d’importantes difficultés en lecture et en écriture. Les cégépiens allophones, comme tous leurs condisciples, sont appelés à transposer leurs connaissances fondamentales dans la compréhension et l’analyse de textes complexes, ainsi que dans la résolution de problèmes. Sur le plan intellectuel, ils possèdent toutes les aptitudes requises pour l’accomplissement de ces tâches ; toutefois, leurs lacunes lexicales les obligent à effectuer un travail supplémentaire important afin de satisfaire aux exigences des cours. Cette situation, qui s’ajoute aux autres contingences des études collégiales, les précarise considérablement. Leurs professeurs, qui ont pour mission de les former à l’analyse des informations et à la prise de décisions, sont également concernés par ce problème. Ils ont des objectifs à atteindre et des plans de cours à respecter ; or, les programmes d’études au collégial ne fontm mention en aucune manière d’une obligation d’assurer la mise en place de connaissances lexicales élémentaires chez les élèves.

Les cégépiens allophones et leurs professeurs font donc face à un obstacle incontournable : les uns doivent absolument acquérir le vocabulaire qui leur permettra de réaliser des tâches analytiques complexes ; les autres se voient dans l’obligation d’offrir un support pédagogique adéquat sans empiéter sur le contenu disciplinaire de leurs cours. Or, la voie pour y arriver est ardue, car le problème est complexe : comment enseigne-t-on le vocabulaire ? Comment structure-t-on cet apprentissage ? L’expérience démontre que lorsqu’il s’agit de combler des lacunes lexicales dans le but de faciliter la compréhension de textes spécifiques, les possibilités offertes par les exercices structuraux sont limitées… Ainsi, les listes de mots « difficiles » dont il faut apprendre la définition par cœur engendrent plus de découragement qu’autre chose. Il faut donc chercher un moyen d’enseigner le vocabulaire de l’écrit en proposant des activités d’apprentissage aussi proches que possible des textes, c’est-à-dire en associant directement l’apprentissage des mots « difficiles » à la lecture proprement dite.

La technologie au service des principes pédagogiques

C’est dans cet esprit que nous proposons l’utilisation de Lextreme, un logiciel puissant d’aide à l’apprentissage du vocabulaire. Il a d’abord été développé dans le but d’amener les élèves à enrichir leur vocabulaire scolaire, c’est-à-dire à apprendre les mots qu’ils doivent connaître pour réussir leurs études primaires et secondaires. Lextreme est une coquille ouverte dans laquelle tout enseignant peut ajouter, modifier, adapter des textes et le vocabulaire cible au gré de ses propres objectifs. Cela en fait un outil convenant à des utilisateurs de tous âges et à une grande variété de disciplines, dans la mesure où l’acquisition du vocabulaire constitue l’objectif de la situation d’apprentissage.

Nous avons développé Lextreme dans le cadre de la recherche « Les mots pour le dire », subventionnée par le Fonds québecois de la recherche sur la société et la culture (Action concertée : Persévérance et réussite scolaires), pour fournir un support additionnel aux élèves ayant peu de contact avec le français ou l’anglais écrit dans leur milieu familial. Les résultats de cette recherche, en effet, ont montré que les élèves qui ne possédaient pas la langue d’enseignement comme langue maternelle connaissaient un cheminement scolaire plus difficile que celui de leurs homologues francophones ou anglophones. Les enfants allophones et néo-québécois, comme les élèves francophones ayant peu de contact avec l’écrit, connaissaient généralement moins de mots, avaient plus de difficulté à faire le passage de l’oral à l’écrit, maîtrisaient moins bien la grammaire et rédigeaient des textes moins complexes que les élèves dont le français était la première langue apprise.

Lextreme est conçu pour encadrer l’apprentissage des mots appartenant aux classes ouvertes. Nous sommes conscients que les classes fermées (auxiliaires, pronoms, déterminants, etc.), bien que représentant un ensemble relativement restreint, peuvent être très difficiles à maîtriser. Nous avons cependant jugé que leur apprentissage était plutôt du ressort de la didactique de la grammaire. De plus, nous savons que les mots de ces classes s’apprennent principalement grâce à un contact soutenu avec la langue. Les élèves qui lisent et relisent des textes devraient éventuellement parvenir à les maîtriser. Avec Lextreme, ce sont les dizaines de milliers de mots lexicaux (noms, verbes, adverbes, adjectifs) observés la plupart du temps à l’écrit ou dans des contextes oraux formels, qui font l’objet de l’apprentissage.

La plupart des mots du français, on le sait, se rencontrent uniquement dans un contexte de lecture. Nous les trouvons dans les médias écrits, les textes des manuels scolaires, les livres de toute sorte et, maintenant, dans Internet. Il est fort probable que nous connaissions les mots les plus fréquents, soit environ 2000 familles (c’est-à-dire les mots, leurs formes fléchies et certaines formes dérivées dont il est aisé de comprendre le sens) qui sont communes à la plupart des textes courants. Cependant, des dizaines de milliers de mots apparaissent à l’occasion seulement, ou alors exclusivement dans des textes portant sur des disciplines particulières. Or, comme il est impossible pour quiconque de les connaître tous, il faut, pendant une activité de lecture, avoir recours à des stratégies de découverte du sens. Pour une personne dont le vocabulaire est particulièrement limité, cela signifie interrompre sa lecture fréquemment, saturer la mémoire de travail avec de nouvelles informations et éprouver de la difficulté à traiter le message du texte en fonction de ces informations. Compte tenu de la grande complexité lexicale des textes présentés au collégial, les enseignants peuvent mettre en œuvre des interventions pour amener les élèves qui en ont besoin à enrichir leur vocabulaire.

Connaître un mot signifie avoir en mémoire des connaissances relatives à sa forme (orale et écrite), à son sens et à son usage. Il ne suffit pas de rencontrer un terme au détour d’une phrase pour l’apprendre. Généralement, il est nécessaire de le croiser plusieurs fois au cours de lectures réalisées à bref intervalle. De plus, le contexte n’apporte pas toujours les informations qui permettent de faire des inférences justes ; il arrive même que les données contextuelles induisent en erreur. Il est donc préférable de traiter un mot dans le cadre de situations qui contribueront à la rétention des connaissances qui lui sont associées.

Les fonctionnalités

Lextreme amène l’élève à développer son vocabulaire en contexte, dans le cadre de séances de lecture et d’exercices portant sur les mots ciblés dans un texte. Il peut d’abord consulter ces mots dans le dictionnaire en ligne[1]. Pour chaque occurrence, ce dernier donne une ou plusieurs définitions, un ou plusieurs contextes, des synonymes, des antonymes, les racines, une illustration s’il y a lieu et la possibilité d’entendre la prononciation. L’élève développe ensuite sa connaissance des mots cibles en participant aux différents exercices élaborés par l’enseignant, lesquels consistent globalement à associer des mots à leur définition, à insérer des termes dans des contextes appropriés, à associer des synonymes ou des antonymes, à trouver des intrus parmi des termes analogues, et enfin, à établir des liens logiques ou sémantiques entre des mots cibles.

Le logiciel comporte deux grandes sections. La première permet à l’élève de conduire des séances de lecture et d’exercices au cours desquelles il apprend de nouveaux mots. La deuxième est un espace de gestion des dossiers, d’édition et de création de textes et d’activités. Cette section n’est accessible qu’à l’enseignant. Lorsqu’on ouvre le logiciel, on voit la porte principale de la bibliothèque de Lextreme. On entre dans la bibliothèque en cliquant sur cette porte, puis on se retrouve à l’accueil. Un apprenant ouvrira une session de travail du côté « Élève ». Un enseignant désirant gérer sa classe ou éditer du contenu s’inscrira du côté « Enseignant ». Dans ce dernier cas, à la première ouverture d’une session, on doit entrer le nom d’usager et mot de passe « ens ». Une fois la fenêtre de gestion de classe ouverte, il faut créer un compte d’usager, ce qui permet ensuite de créer une classe, d’ajouter des élèves, etc. Une section Aide est disponible pour chaque fenêtre du logiciel. Il ne faut pas hésiter à la consulter.

Dans la section qui s’adresse à lui, l’élève procède à des séances de lecture et d’exercices sur le vocabulaire. Il est amené à lire des textes dont certains mots (appelés « mots cibles ») sont reliés par des hyperliens à un dictionnaire illustré. Il peut consulter ces mots à volonté pendant la lecture et les réviser plus tard dans son dictionnaire personnel. Après la lecture, il doit procéder à une autoévaluation, qui consiste à dire s’il connaît ou non chaque mot cible, sans avoir recours au dictionnaire, puis à répondre à des questions de compréhension du texte. Après l’évaluation de la compréhension, il participe à diverses activités portant sur les mots cibles. Tous les résultats sont enregistrés et compilés. L’élève et l’enseignant obtiennent ainsi un profil de la maîtrise des mots cibles et du degré de compréhension des textes rencontrés.

Dans la section réservée à l’enseignant, il est possible d’exécuter plusieurs tâches. La fenêtre principale de cette section est dédiée à la gestion. C’est là que l’enseignant crée sa ou ses classes, inscrit ses élèves et consulte leurs résultats. Une autre fenêtre, qui permet d’éditer des textes (à partir de documents numérisés et formatés en Word, par exemple) et de définir leurs mots cibles, donne accès à deux fenêtres secondaires ; la première sert à créer les questions de compréhension du texte, la seconde à l’édition des activités sur le vocabulaire. Créer et éditer du texte et des activités peut être une affaire complexe. Nous vous invitons à lire l’aide en ligne attentivement et à bien approvoiser les principes qui sous-tendent les différents outils d’édition.

L’acquisition du vocabulaire propre aux disciplines des études supérieures, qui donne accès à la culture écrite et à la pensée complexe, nécessite des activités d’apprentissage réalisées dans un contexte pertinent et immédiatement applicable au contenu disciplinaire. Le logiciel Lextreme, qui intègre l’apprentissage des mots dans la lecture proprement dite, cherche à pallier les insuffisances des exercices décontextualisés, tout en dirigeant les efforts vers le vocabulaire qui servira directement à la compréhension (et à l’analyse) des textes spécifiques aux différentes disciplines. La partie la plus importante du travail, c’est-à-dire l’apprentissage, appartient à l’élève.

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  1. Le logiciel comporte déjà un dictionnaire d’environ 800 mots, qui doit être complété par l’enseignant au besoin. Retour

Bibliographie

COBB, Tom, et Marlise HORST. « Is there room for an AWL in French ? », dans Bogaards, P. et B. Laufer (éditeurs), Vocabulary in a Second Language : Selection, acquisition, and testing, Amsterdam, John Benjamins, 2004, p. 15-38.

MORRIS, Lori, Daphnée SIMARD, Yvette HUS et Michel BASTIEN. Les mots pour le dire : richesse lexicale et réussite scolaire au primaire. Rapport de recherche déposé au FQRSC, Montréal, UQAM, 2005.

NAGY, William E., Richard C. AANDERSON. « How many words are there in printed school English ? », Reading Research Quarterly, vol. 19, no 3, 1984, p. 304-330.

NATION, I. S. P. Learning Vocabulary in Another Language, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 477 p.

POLGUÈRE, Alain. Lexicologie et sémantique lexicale, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2003, 260 p.

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