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Nouvelle grammaire et francophonie

Nouvelle grammaire et francophonie

Contexte

Depuis une dizaine d’années, dans les écoles primaires et secondaires du Québec, sont en vigueur des programmes d’études pour lesquels les choix didactiques officiels en matière de grammaire reflètent la tendance internationale observée depuis plusieurs décennies dans les recherches en linguistique et en didactique des langues. Dans le monde scolaire, cette tendance a été nommée « nouvelle grammaire ». Les élèves formés selon le nouveau programme atteignent, à la rentrée 2004, les bancs des universités. On peut donc avancer que, au Québec, en grammaire, la boucle est bouclée pour ce qui est de la place officielle de la « nouvelle grammaire » dans le système scolaire. À partir de ce constat, une question surgit aisément : Qu’en est-il ailleurs dans la francophonie ?

Hypothèse

Avant de procéder à la recherche des documents gouvernementaux étrangers qui me permettraient de trouver quelques pistes de réponses, j’ai émis l’hypothèse selon laquelle les choix didactiques officiels en grammaire en vigueur actuellement dans la francophonie occidentale suivent les trois grands principes des grammaires actuelles. Ces principes sont les suivants, tels qu’ils ont été définis et expliqués aux enseignants du réseau collégial en 2001-2002[1] :

Principe 1
Changer de point de vue pour expliquer le fonctionnement de la langue, en partant du texte, en passant par la phrase, puis par le groupe de mots, ensuite par le mot et en terminant par les parties du mot.

Principe 2
Systématiser les explications, en uniformisant les concepts et la terminologie qui les dénote, puis en éliminant des concepts inutiles ainsi que la terminologie qui les dénote.

Principe 3
Élargir le domaine de la grammaire, en l’ouvrant à l’étude du texte, du lexique, de la variation linguistique.

Méthodologie

La première étape a consisté en la recherche des documents gouvernementaux des pays de la francophonie occidentale qui font état des choix didactiques officiels en matière de grammaire. J’ai choisi de chercher les programmes d’études visant les élèves du secondaire, afin d’avoir à dépouiller des répertoires assez complets du point de vue des notions grammaticales[2].

Pour situer plus facilement les différentes appellations des années de l’enseignement secondaire dans les pays occidentaux de la francophonie, vous trouverez ci-dessous un tableau d’équivalences selon l’âge des élèves. Les années scolaires mises en gras sont celles dont traitent les documents gouvernementaux que j’ai consultés.

La deuxième étape a consisté en la recherche d’extraits pertinents pour illustrer l’adhésion ou non des programmes aux trois grands principes des grammaires actuelles. Cette recherche s’est faite à l’aide des mots clés suivants :

Principe 1
Changer de point de vue pour expliquer le fonctionnement de la langue : langue, texte, phrase, groupe, mot.

Principe 2
Systématiser les explications : langue, phrase, groupe, déterminant, complément.

Principe 3
Élargir le domaine de la grammaire : langue, texte, lexique / vocabulaire, variation/variété.

Résultats

Voici maintenant les extraits pertinents qui ont été trouvés dans les différents documents à partir des mots clés déterminés ci-dessus.

Principe 1 : Changer de point de vue pour expliquer le fonctionnement de la langue

Principe 2 : Systématiser les explications

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Principe 3 : Élargir de domaine de la grammaire

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Analyse

Principe 1 :
Changer de point de vue pour expliquer le fonctionnement de la langue

Le Québec et la France présentent clairement, dans leur programme de français respectif, le fait qu’une inversion de la méthode en analyse grammaticale est actuellement préconisée. Dans les approches classiques, l’analyse se faisait à partir du plus petit élément vers le plus grand, du mot vers la phrase. En grammaire actuelle, le point de vue est changé pour expliquer le fonctionnement de la langue : l’analyse se fait à partir du tout vers les parties, à partir du texte vers la phrase, puis les groupes syntaxiques, puis les mots. La Belgique et la Suisse restent muettes à ce propos.

Principe 2 :
Systématiser les explications

Le Québec, la France et la Suisse expriment le fait que la langue ne doit pas être enseignée comme un ensemble de règles arbitraires sans liens entre elles. Le Québec va plus loin et dit explicitement qu’elle doit être présentée aux élèves comme un système cohérent formé de sous-systèmes. La Belgique n’énonce pas de précision quant au caractère systématique de la langue.

Le Québec présente le concept de phrase sous une seule appellation, soit le terme phrase lui-même. La France utilise les termes phrase et proposition pour nommer ce système syntaxique, gardant de ce fait le terme proposition de la grammaire classique, terme jugé inutile en grammaire actuelle. En Belgique, les deux cadres grammaticaux semblent se chevaucher pour ce qui est du concept de phrase : d’abord, il est mentionné que la jonction de phrases se fait par juxtaposition, coordination et enchâssement, cette dernière possibilité de jonction de phrases laissant croire à une grammaire actuelle ; plus loin, cependant, il est dit qu’il y a des propositions à l’intérieur des phrases, ce qui implique que ce terme de la grammaire classique n’a pas été éliminé. La Suisse ne donne pas de précisions.

Au Québec, en France et en Belgique, le concept de groupe syntaxique est associé au terme groupe. Le Québec et la France spécifient plusieurs des catégories des groupes ; la Belgique ne mentionne que le groupe nominal. La France utilise la terme groupe aussi pour traiter des modèles de conjugaison, terminologie plutôt associée à la grammaire classique. La Suisse ne donne pas de précisions.

Le Québec, du point de vue du concept de déterminant, et par le fait même, de celui d’adjectif, se situe nettement dans le cadre des grammaires actuelles. La Belgique présente encore une fois une double appartenance : le terme adjectif n’est pas employé où il est question des déterminants, et il est question aussi des expansions de l’adjectif, ces deux notions appartenant au cadre des grammaires actuelles, mais les termes épithète et qualificatif, qui sont associés ailleurs au terme adjectif, appartiennent à la grammaire classique. En France, le cadre grammatical utilisé lorsqu’il est question de déterminant ou d’adjectif est clairement classique. La Suisse ne donne pas de précisions.

Au Québec, l’absence des termes apposition et épithète suggère que ce qui complète le nom s’appelle toujours complément de nom ; l’adjectif, complément d’adjectif. En France et en Belgique, l’utilisation de ces deux termes, jugés inutiles en grammaire actuelle, relève de la grammaire classique. La France semble ambivalente pour ce qui est du complément de phrase ou de verbe : sont utilisés à la fois les termes complément de phrase/complément de verbe et complément circonstanciel. La Suisse ne donne pas de précisions.

En somme, pour ce qui est de systématiser les explications en uniformisant les termes et en éliminant les concepts jugés inutiles, seul le Québec présente un choix didactique officiel relevant uniquement de la grammaire actuelle. Cependant, comme le seul document accessible pour la Suisse ne donne pas de précisions quant au cadre grammatical adopté officiellement dans ce pays en 1994, il est impossible de conclure que ses choix didactiques officiels ne se situent pas dans le cadre des grammaires actuelles. La Suisse romande prépare en ce moment un nouveau plan cadre des études pour la scolarité obligatoire (incluant le 1er cycle du secondaire), le Plan d’études cadre romand ou PÉCARO, ce qui est mentionné partout dans Internet où il est question des programmes d’études dans ce pays. À sa parution, il sera intéressant d’y découvrir si les grammaires actuelles auront influencé ou non les choix didactiques gouvernementaux récents, surtout qu’un des précurseurs des grammaires actuelles dans la francophonie, Éric Genevay, est natif de ce pays.

Principe 3 :
Élargir le domaine de la grammaire

Le Québec, la France et la Belgique élargissent le domaine de la grammaire en introduisant dans leur programme les notions de grammaire du texte, d’étude du fonctionnement du texte, de cohérence textuelle, d’organisation du texte. Quant à l’introduction d’une étude du lexique en tant que système, le Québec et la France sont nettement dans le cadre des grammaires actuelles en présentant l’organisation et les niveaux d’analyse du lexique. La Belgique fait une mince référence au fonctionnement du lexique, mais très superficiellement. La Suisse reste muette à propos de ces deux thèmes, mais comme il a été mentionné dans la section précédente, le seul document officiel disponible dans Internet pour ce pays date de 1994 et sera remplacé sous peu. Il restera donc à y observer les nouveaux choix didactiques officiels adoptés par ce gouvernement.

Pour ce qui est de la variation linguistique, différents aspects sont mentionnés dans les programmes officiels. L’ouverture vers une étude de la variation historique est préconisée dans les programmes québécois, français et belge, où il est question d’une langue dynamique, créative, en évolution. La variation sociale de la langue fait partie de tous les programmes : le Québec, la France, la Belgique et la Suisse présentent l’étude des variétés de langue selon les situations de communications, les niveaux de langue, les usages en contexte. Cependant, au sujet de la variation géographique, seuls le Québec et la Belgique sont explicites dans leur programme : l’étude de la langue française passe aussi par l’étude des variétés de langue de la francophonie. La France fait une mince référence à cette réalité en mentionnant la variété des accents, mais ce n’est pas assez explicite pour conclure qu’il s’agit d’un choix didactique officiel. Le Québec est le seul à faire état également de la variation linguistique selon le support de la communication, c’est-à-dire selon que le message est écrit ou oral.

Conclusion

L’hypothèse de départ était la suivante : les choix didactiques officiels en grammaire en vigueur actuellement dans la francophonie occidentale suivent les trois grands principes des grammaires actuelles, qui sont le changement de point de vue pour expliquer le fonctionnement de la langue, en partant du texte, en passant par la phrase, puis par le groupe de mots, ensuite par le mot et en terminant par les parties du mot (principe 1) ; la systématisation des explications, en uniformisant les concepts et la terminologie qui les dénote, puis en éliminant des concepts inutiles ainsi que la terminologie qui les dénote (principe 2) ; l’élargissement du domaine de la grammaire, en l’ouvrant à l’étude du texte, du lexique, de la variation linguistique (principe 3). Après lecture des résultats, la conclusion est que cette hypothèse s’avère en partie seulement. En effet, le principe 1 a influencé les choix didactiques officiels du Québec et de la France ; le principe 2 a influencé totalement les choix gouvernementaux du Québec, en partie ceux de la Belgique et minimalement ceux de la France ; le principe 3 a influencé les quatre gouvernements, de façon plus ou moins prononcée selon les différents aspects. De plus, le cas de la Suisse doit être laissé en attente jusqu’à la parution de son nouveau plan cadre d’études.

* * *

  1. Voir l’ouvrage Les grammaires d’Annie Desnoyers, Montréal, Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD), 2001-2002, 4 vol. Retour
  2. Les documents officiels trouvés sur les sites Internet des différentes instances gouvernementales s’occupant de l’enseignement de la grammaire sont les suivants :

    QUÉBEC : Gouvernement du Québec (2003)
    Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, premier cycle, Québec, ministère de l’Éducation.

    FRANCE : Centre national de documentation pédagogique (2002)
    Enseigner au collège. Français. Programmes et accompagnement, Paris, ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, Direction de l’enseignement scolaire.

    BELGIQUE : Ministère de la communauté française
    Socles de compétences. Français. Enseignement fondamental et premier degré de l’Enseignement secondaire, Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique.
    Ministère de la communauté française (1999)
    Compétences terminales et savoirs requis en français. Humanités générales et technologiques.
    Ministère de la communauté française (2000)
    Enseignement secondaire ordinaire de plein exercice. Premier degré commun. Programme d’études du cours de français, Enseignement de la communauté française, Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique, Service général des Affaires pédagogiques, de la Recherche en Pédagogie et du Pilotage de l’Enseignement organisé par la Communauté française.
    Ministère de la communauté française (2000)
    Enseignement secondaire ordinaire de plein exercice. Humanités générales et technologiques. Enseignement secondaire général et technique de transition. Deuxième et troisième degrés. Programme d’études du cours de français, Enseignement de la communauté française, Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique, Service général des Affaires pédagogiques, de la Recherche en Pédagogie et du Pilotage de l’Enseignement organisé par la Communauté française.

    SUISSE : Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (1994)
    Plan d’études cadre pour les écoles de maturité. Recommandation à l’intention des cantons conformément à l’art. 3 du Concordat scolaire du 29 octobre 1970. Avec des propositions pour sa mise en œuvre, Berne. Retour

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