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La politique du français au Cégep de Trois-Rivières: un grand jardin passionnant!

La politique du français au Cégep de Trois-Rivières: un grand jardin passionnant!

Imaginons le faisable et faisons-le ! C’est le titre de la table ronde à laquelle ont participé l’auteure et cinq autres intervenants du réseau collégial dans le cadre de l’Intercaf tenu en mai 2010 au cégep de Drummondville. Animatrice linguistique au cégep de Trois-Rivières depuis 1995, Colette Ruest livre ici l’essentiel de la communication prononcée lors de l’évènement. Nous la remercions pour sa contribution à l’Intercaf, de même que pour le titre de la table ronde, une inspirante formule tirée d’un article paru dans Correspondance en 2007 (volume 12, numéro 3).

L’implantation de mesures liées aux politiques institutionnelles de valorisation de la langue dans les collèges requiert beaucoup d’énergie et de créativité depuis quelques années. Malgré les efforts nécessaires et l’humilité qu’il faut afficher dans l’appréciation des résultats, je ne peux m’empêcher d’y voir un grand jardin passionnant. Le présent article expose l’état actuel de la politique du français dans mon cégep, laquelle prend ses racines dans des réflexions départementales remontant à plus de 30 ans. Je décrirai brièvement les tâches que j’ai assumées au cours de l’année scolaire 2009-2010 à titre d’animatrice linguistique, j’exposerai sommairement les paramètres de notre politique du français touchant l’évaluation et je terminerai en livrant les stratégies et les crédos[1] qui balisent ma démarche, soutiennent et guident mon travail.

Mes tâches comme animatrice linguistique

Au cégep de Trois-Rivières, le centre d’aide en français porte, depuis sa création en 1988, le nom de CARL – centre d’apprentissage et de ressources linguistiques – parce que nous souhaitions déjà qu’il s’ouvre sur l’ensemble de notre communauté. Sept ans plus tard, la section d’aide aux employés du cégep s’est ajoutée à celle destinée aux élèves. Le CARL recevait ainsi le personnel enseignant en 1995, puis le personnel non enseignant en 2005. À titre d’animatrice linguistique auprès du personnel[2], je poursuis trois types d’activités : les plus importantes portent sur le perfectionnement linguistique des employés, les plus visibles servent à la promotion de la langue, et les plus fondamentales concernent l’accompagnement des départements dans l’application de leur politique du français.

Le perfectionnement linguistique du personnel

Travailler à l’amélioration du français, c’est apprendre l’art du jardinage. Commençons par la platebande principale de mon jardin, où j’entretiens trois variétés de vivaces : tutorat, diagnostic et cours de grammaire.

L’engagement du personnel est, depuis plusieurs années, associé à la réussite d’un test de français. Les quelques personnes nouvellement engagées malgré un échec à notre test doivent poursuivre avec succès un perfectionnement en grammaire pour que s’efface de leur contrat la note signalant l’insuffisance de leur compétence linguistique. J’assure le tutorat auprès de ces membres du personnel et aussi auprès des employés permanents qui désirent améliorer leur français écrit. Le but n’est pas que les premiers réussissent un nouveau test et que les seconds deviennent des experts. L’objectif commun est que tous améliorent leurs compétences écrites de sorte que chacun devienne plus habile dans sa tâche de correction et constitue un modèle inspirant sur le plan linguistique. Après avoir tracé un programme individualisé, j’inscris les activités dans une démarche de réapprentissage et de consolidation, qui s’inspire de l’approche élaborée et appliquée par Julie Roberge et Frédérique Izaute dans Tout pour écrire… sans fautes[3]. Selon les besoins et le rythme de chacun, le travail peut s’étendre sur plusieurs semestres.

Au début de chaque semestre, j’anime une activité collective de diagnostic linguistique. Sur demande, je pose des diagnostics personnels. Le matériel du CCDMD comble mes besoins dans la plupart des cas ; s’il y a lieu, pour compléter le portrait, je demande une rédaction. Les résultats restent confidentiels ; certains collègues viennent confirmer leur propre perception de leur compétence linguistique, d’autres se découvrent des lacunes et décident d’y remédier seuls ou avec de l’aide.

Je mets également en œuvre des activités de perfectionnement linguistique de groupe. Cette année, mon action s’est limitée à un atelier lors de la journée pédagogique, où j’ai animé un exercice de correction d’une copie d’élève (L’atelier qui fait couler beaucoup d’encre). À cette occasion, ma collègue du CARL, Marie-Claude Brasseur, a donné un atelier sur les rectifications orthographiques.

Trois autres activités ont connu une intéressante popularité dans le passé :

  • Une série d’ateliers de perfectionnement de 90 minutes, chacun traitant d’une notion de grammaire.
  • Un cours modulaire de grammaire : La grammaire pas à pas. Pour permettre au personnel de se réapproprier l’essentiel de la grammaire, j’ai préparé neuf modules d’apprentissage portant sur la conjugaison, les accords, la ponctuation et la syntaxe. Ma démarche pédagogique s’appuie sur la révision des notions de base à travers la correction des erreurs fréquentes et les principes d’analyse de la nouvelle grammaire. Je fournis le matériel didactique au fil des leçons que je donne à raison d’une heure par semaine ; ainsi, à la fin de chaque rencontre, les participants et les participantes partent avec leur fascicule théorique, des exercices et leurs corrigés. Chaque module dure 10 semaines et se conclut à la fin du semestre par un test.
  • Un club de dictées, le deuxième jeudi midi de chaque mois. Chaque texte, puisé dans le site du CCDMD, porte sur une difficulté grammaticale et permet de rappeler les notions en cause.

Précisons que ces activités se tiennent pendant les heures de travail, avec l’autorisation de la Direction du cégep.

La promotion de la langue

Passons devant les platebandes éclatantes du jardin où je soigne trois cultivars de plantes annuelles pour piquer la curiosité et retenir l’attention.

  1. Chronique linguistique : je publie une capsule linguistique hebdomadaire dans le journal du cégep, capsule de mon cru ou empruntée à Guy Bertrand de Radio-Canada.
  2. Feuillets PAS : je distribue à tout le personnel enseignant les Feuillets PAS (un Problème, une Astuce, un Site), feuillets que j’ai le plaisir d’écrire pour le CCDMD.
  3. Concours : j’organise une activité annuelle de promotion, la dictée concours de la Francofête. Il s’agit d’une belle occasion pour toute la communauté de célébrer la langue française en impliquant la Direction par la lecture d’un texte créé par un enseignant ou une enseignante du Département de littérature et communication. Les élèves tout comme les membres du personnel sont invités à relever cet amical défi linguistique pour s’amuser et courir la chance de gagner l’un des nombreux prix de performance et de participation.

L’accompagnement des départements dans l’application de leur politique du français

Le soutien offert au personnel enseignant dans l’application de la politique, c’est la terre de mon jardin qui demande des soins périodiques mais vitaux.

Selon la Politique relative à l’emploi et à la qualité de la langue française[4] de mon collège, chaque département doit se doter d’une politique du français dans laquelle il renouvèle ses engagements et décrit les modalités de correction du français écrit. Mon cégep a privilégié une approche départementale parce que la Direction des études et moi-même ne croyions pas à l’efficacité d’une règle uniforme ; nous tenions à ce que chaque département s’engage à respecter les règles qu’il se donne.

Les paramètres des politiques départementales touchant l’évaluation de la compétence linguistique

Afin de faciliter la tâche des responsables de coordinations, j’ai préparé et fourni une matrice[5] qu’ils n’ont qu’à remplir en tenant compte des décisions de leur département. Les engagements formulés rappellent comment tout un chacun, quelle que soit la discipline, contribue à la qualité de la langue utilisée dans le collège et à l’amélioration de celle des élèves. Quant aux modalités de correction du français, bien qu’elles soient propres à chaque département, elles sont établies à partir des huit paramètres suivants :

  1. Évaluation obligatoire
  2. Correction d’une portion de texte
  3. Fréquence de l’évaluation
  4. Pondération
  5. Mode d’attribution des points
  6. Barème
  7. Critères
  8. Règles de comptabilisation des erreurs

Cette année, le cégep m’a mandatée pour revitaliser l’application de la politique et rehausser certaines exigences. J’ai donc entrepris une tournée de tous les départements pour présenter ces paramètres, motiver les professeurs à s’inscrire dans le mouvement collectif de valorisation de la langue et guider les départements dans les choix qui leur reviennent.

La figure 1 reproduit l’article III des politiques départementales tel que présenté dans la matrice. Lors de mon exposé, à chaque élément j’associe un slogan pour appuyer mon message (mes slogans sont signalés par le symbole >, en marge de la figure 1).
fig01-exrait-politiques

Figure 1
Extrait des politiques départementales du cégep de Trois-Rivières (article III, p. 1 et 3)

Mes stratégies

Sans le partage des responsabilités quant à l’amélioration de la qualité de la langue, la politique du français ne peut être un jardin fertile. Il faut donc convaincre les collègues de toutes les disciplines de l’importance de leur contribution. Aussi, ma tournée des départements s’appuie-t-elle sur une présentation mettant en œuvre cinq stratégies qui se révèlent gagnantes.

  1. Informer tous les enseignants pour les sensibiliser me permet de lutter contre le syndrome du « pas dans ma cour ». Dans cette perspective, je présente : des statistiques sur les cohortes étudiantes à l’entrée et à la sortie ; les exigences de l’épreuve uniforme de français (le seuil de réussite étant de 1 erreur aux 30 mots), dont la réussite est conditionnelle à l’obtention du DEC ; la nécessité de faire réagir l’élève moyen qui ne se sait pas menacé d’échec ; et les exigences grandissantes du marché du travail. J’insiste également sur l’impossibilité de changer la situation sans leur appui parce que demander à un élève de ne fournir des efforts que dans les écrits d’un seul cours sur sept par semaine équivaut à l’inciter au laisser-aller.
  2. Montrer la faisabilité de l’évaluation quand la correction du français se limite à une portion de texte et qu’on ne demande pas aux collègues des autres disciplines d’être experts de la langue. Une brève activité de correction avec le personnel enseignant de chaque département ouvre la discussion et m’aide à répondre aux objections du genre « Je n’ai pas le temps », « Je ne suis pas capable ».
  3. Valoriser les enseignants en leur rappelant qu’ils sont des modèles inspirants pour les élèves de leur programme. Il ne faut pas oublier que ce sont eux, les enseignants, par leur nombre et la qualité de leur engagement, qui peuvent contribuer à l’amélioration du français écrit des élèves.
  4. Écouter les réticences des collègues tout en argumentant en faveur de leur implication : je fais valoir l’utilité de l’écriture dans l’apprentissage et l’évaluation des apprentissages de toutes les disciplines pour équilibrer les trop nombreux tests objectifs et répondre à la réplique « Il n’y a pas de texte suivi dans mon cours ». Je rappelle la force de la cohésion des enseignants, la solidarité soutenant l’individu devant les revendications ou les récriminations étudiantes. Et je fais vibrer la corde sensible du rôle prépondérant de l’école pour l’avenir de la langue au Québec.
  5. Miser sur l’effet d’entrainement multiplicateur des responsables de coordinations ainsi que du personnel enseignant convaincus dans chaque département.

Mes convictions

Au cours des années, mon expérience d’animatrice linguistique m’a amenée à dégager quelques sages principes. Peu à peu, j’ai acquis la conviction qu’il faut :

  • Accepter des petits pas au début pour sortir les gens de l’inaction.
  • Adapter les modalités de correction sans renoncer à ses exigences.
  • Créer un mouvement collectif : l’important, c’est de faire sentir l’effet de la cohésion dans le respect des différences. On doit cesser d’attendre en critiquant la qualité du français des élèves et en accusant les ordres d’enseignement en amont, il faut passer à l’action, se mettre en marche, avancer à petits pas et ne pas s’arrêter.
  • Livrer un même message aux élèves dans toutes les disciplines : un français correct est attendu partout et toujours.
  • Faire du CAF non seulement un lieu pédagogique et un lieu de référence linguistique, mais aussi un lieu symbolique où trouver la personne- ressource pour l’application de la politique du français.
  • Obtenir un appui concret et indéfectible de la Direction du collège, en particulier de la Direction des études, condition sine qua non à l’engagement de chacun et à la viabilité d’un projet collectif relatif à la valorisation de la langue.

Mon jardin, ce n’est pas le paradis terrestre !

La politique du français dans mon collège est un jardin immense. C’est pourquoi nous avons progressivement ouvert les platebandes l’une après l’autre et en avons volontairement limité l’espace cultivé à la compétence linguistique, laissant pour l’instant d’autres compétences langagières en dormance[7]. Nous avons limité aussi les services offerts : il n’y a pas, par exemple, de service de révision linguistique. Néanmoins, ce jardin bien réel, dont nous tirons une fierté collective, me rappelle régulièrement que, dans la vraie vie, aucune culture n’est exempte d’insectes et de mauvaises herbes, c’est-à-dire ici les récalcitrants et les personnes aux compétences fragiles avec qui il faut composer. Il m’enseigne également que toutes les plantes sont soumises au cycle de la nature : la tâche n’est jamais achevée, il faut toujours recommencer, parfois même auprès de ceux que l’on considère comme ses alliés naturels. Travailler pour la valorisation de la langue m’enthousiasme, m’enrichit, me passionne ; ce travail m’apprend chaque jour la lucidité du jardinier.

Comme tous les grands jardins, celui de la politique du français est exigeant, il demande du temps, donc de la patience et de la persévérance ; mais quel plaisir de voir s’épanouir les fleurs qui y prennent racine!

* * *

  1. Ce texte est rédigé conformément aux rectifications orthographiques en vigueur. [Retour]
  2. Pour assumer cette responsabilité, je suis libérée de ma tâche d’enseignante à mi-temps ; cette libération est défrayée par le budget de perfectionnement des enseignants et du personnel non enseignant, par le volet 3 de la convention collective touchant les projets spécifiques et par les transferts fédéraux. [Retour]
  3. IZAUTE, F. et J. ROBERGE, Tout pour écrire… sans fautes ; cahier de grammaire, Anjou, CEC, 2006, 234 p. [Retour]
  4. Politique relative à l’emploi et à la qualité de la langue française. Juin 2004. Texte disponible sur le site du Cégep de Trois-Rivières : www.cegeptr.qc.ca/ public/ab5fc928-8c2e-4c27-a3a7-2b68d294d0ec/le_college/ politiques_reglements_procedures/ p-213.pdf [Retour]
  5. Matrice – Politique du français – Département XYZ. Document d’accompagnement préparé par l’animatrice linguistique, Colette Ruest, pour la mise à jour des politiques départementales, Cégep de Trois- Rivières, 2010, 12 p.[Retour]
  6. Corriger une portion de texte. Document préparé par l’animatrice linguistique, Colette Ruest, Cégep de Trois-Rivières, 2010, 4 p. [Retour]
  7. Le projet Stratégies d’écriture dans les cours de la formation spécifique de Lucie Libersan et de Robert Claing devrait nous fournir des outils intéressants pour développer chez les élèves l’habileté à produire les textes conformes aux conventions des genres demandés dans les différentes disciplines.NDLR – Pour en savoir plus sur ce projet, on se reportera aux deux derniers articles de Lucie Libersan publiés dans Correspondance (vol. 16, no 1 et vol. 16, no 2). [Retour]

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