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Pas à pas dans la lecture au collégial: une question de stratégies

« Les étudiants n’ont pas de bonnes stratégies de lecture. » « Ils soulignent tout et n’importe quoi! » « Ils n’arrivent pas à tirer des textes ce que je veux qu’ils apprennent! » « Ils ne sont pas capables de repérer la structure du texte. » « Ils n’ont aucune motivation à lire. »

Ces constats, les enseignants et enseignantes les font régulièrement lorsqu’ils donnent à leurs élèves des textes à lire – et beaucoup s’en étonnent, comprenant mal que des étudiants ou étudiantes arrivent au cycle supérieur « sans savoir lire ». Face à ce genre de réflexion, deux précisions s’imposent. D’une part, il importe de différencier l’acte de « lire » et celui « d’apprendre en lisant », ce dernier s’avérant aussi complexe que l’apprentissage exigé. D’autre part, l’idée que les compétences en lecture relèvent d’un processus qui serait achevé à la fin des études secondaires découle d’une croyance contredite par la recherche. En effet, plusieurs chercheurs ont observé que les élèves de premier cycle universitaire ont d’importantes lacunes en ce qui a trait aux stratégies de lecture (Blaser et Erpelding-Dupuis, 2011), même dans des programmes aussi contingentés que la médecine (Cartier, 1997 et 2001; Wade, Trathen et Schraw, 1990). Le constat est que les élèves « n’arrivent pas à mobiliser les stratégies d’intégration et de transfert de l’information pour réaliser un apprentissage en profondeur » (Koné, 2011). Ces considérations rappellent la nécessité de guider les élèves arrivant du secondaire dans leurs apprentissages effectués par la lecture. Ce sont là des apprentissages plus difficiles que ceux faits par le passé et qui sollicitent également des textes d’une plus grande complexité.

Afin de fournir des pistes aux enseignants souhaitant intervenir auprès de leurs étudiants en lecture, nous avons publié récemment deux articles dans les pages de Correspondance. Le premier détaillait de quelle manière il était possible (voire souhaitable) de concevoir une activité d’apprentissage par la lecture dans une optique de cohérence entre les objectifs d’apprentissage, les méthodes d’évaluation et l’accompagnement pédagogique prévu pour amener les élèves à atteindre ces objectifs. Le deuxième expliquait comment l’enseignant pouvait, avant la lecture, attirer l’attention de ses élèves sur les éléments influençant leur interprétation des textes afin de les diriger, autant que possible, vers l’interprétation la plus pertinente selon le contexte pédagogique. Le présent article, quant à lui, propose des stratégies susceptibles d’aider les étudiants pendant leur lecture.

La fiche d’approche de la lecture : un outil pour bien commencer

D’abord, nous proposons ici un outil à fournir aux étudiants afin de les guider, lequel regroupe les informations qu’ils devraient avoir en main pour réaliser une lecture efficace. En plus de servir à formaliser la démarche didactique mise de l’avant dans nos articles précédents, cette fiche d’approche de la lecture peut s’avérer utile pour initier les étudiants aux apprentissages complexes effectués en lisant, surtout dans une nouvelle matière ou en contexte d’arrivée aux études supérieures. Cet outil n’a évidemment pas à être imposé pour chaque lecture; de plus, il sera plus ou moins nécessaire selon la complexité du texte, ou encore, la difficulté de l’apprentissage en cause ou de la tâche associée. L’enseignant peut toutefois soumettre la grille en expliquant que ces éléments méritent d’être considérés, ne serait-ce que mentalement, chaque fois qu’une lecture est demandée. L’important est d’amener les élèves à prendre conscience que l’apprentissage par la lecture doit impliquer une analyse de la situation ainsi qu’une planification et une mise en œuvre stratégiques s’ils souhaitent que cette tâche soit un succès. Il faut leur faire comprendre la complexité réelle de l’opération, perceptible à travers la fiche d’approche de la lecture, tout en leur expliquant que les mécanismes mis en place de manière explicite par l’outil doivent éventuellement devenir des automatismes pris en compte facilement et rapidement. Bref, cette fiche est un outil d’initiation à l’apprentissage par la lecture dont il ne faut pas abuser, mais qui pourra entrainer une prise de conscience chez les étudiants tout en leur fournissant des ressources quant à la manière dont il convient d’aborder des textes au collégial, c’est-à-dire comme une démarche active. La fiche, évidemment, ne sera pertinente que dans la mesure où l’enseignant aura envisagé les apprentissages par la lecture dans une perspective d’alignement pédagogique; un manque de cohérence serait révélé assez aisément par cette fiche – ce qui peut d’ailleurs rendre approprié son usage en tant qu’outil d’analyse pour les enseignants avant de proposer une activité d’apprentissage par la lecture aux étudiants.

Les stratégies de lecture : comment bien les choisir?

Plusieurs stratégies dites « transversales », c’est-à-dire pouvant être transférées d’un texte à un autre, existent. Toutefois, elles ne sont pas pertinentes dans tous les contextes. En outre, les étudiants ne savent pas toujours les avantages et les limites qu’elles comportent, ou encore, les éléments spécifiques à considérer lorsqu’ils les utilisent.

Équivalences entre la taxonomie de Bloom et la catégorisation des stratégies du traitement de l’information
Figure 1
Équivalences entre la taxonomie de Bloom et la catégorisation des stratégies du traitement de l’information

Dans un article précédent (Bélec, 2016), nous avions établi une correspondance entre la taxonomie de Bloom et la catégorisation des stratégies du traitement de l’information, lesquelles constituent des stratégies de lecture à proprement parler. En établissant ce parallèle, la figure 1 présente ainsi les contextes où il est pertinent d’avoir recours à certaines stratégies selon la complexité de l’apprentissage visé. Bien que celles des premiers niveaux (par exemple, les stratégies de sélection et d’élaboration) puissent être exploitées de manière fort efficace, du moins dans un premier temps, les niveaux d’apprentissage plus élevés (analyser, évaluer ou créer) nécessitent de mettre en œuvre, dans un deuxième temps, au moins une stratégie plus complexe au terme de la lecture pour favoriser un réel approfondissement des apprentissages. Cette tâche, plus complexe (par exemple, regrouper des informations sous forme de plans, les hiérarchiser ou élaborer des tableaux ou des cartes conceptuelles), requiert un accompagnement adéquat, surtout si ce genre d’exercice est nouveau pour les étudiants. Après avoir utilisé des stratégies de sélection ou d’élaboration lors d’une première lecture individuelle, les étudiants peuvent, par exemple, être placés en équipes. Bien que les dyades aient leurs avantages, des équipes de trois à cinq étudiants, ou deux dyades appelées à collaborer après un premier temps de travail, maximiseront les points de vue et idées et assureront une rétroaction par les pairs diversifiée. Dans un monde idéal, l’enseignant ou l’enseignante eux-mêmes s’assureront de donner une rétroaction sur cette tâche finale, que ce soit en commentant les produits réalisés par les équipes ou en faisant un retour en séance plénière avec les étudiants après cet exercice. Il est fortement recommandé (Bélec, 2017a) d’utiliser le travail des élèves plutôt que de leur présenter un résultat déjà construit par l’enseignant – sous peine de discréditer leurs efforts et de diminuer leur motivation à apprendre eux-mêmes par la lecture dans l’avenir. Mais avant de détailler davantage ces stratégies plus complexes, intéressons-nous à celles qui sont les plus fréquentes dans le contexte d’une lecture individuelle : les stratégies de sélection et les stratégies d’élaboration de l’information.

Les plus fréquentes : les stratégies de sélection et les stratégies d’élaboration

Parmi les stratégies de sélection, trois sont très souvent encouragées par les enseignants : le surlignement, la prise de notes sélectives et le repérage de la structure du texte (par exemple, les idées principales, les arguments, les thèses, etc.).

Afin de faire ressortir les mots ou moments clés du texte, le surlignement est idéal, à condition de ne pas en abuser. On pourra suggérer aux étudiants de catégoriser les surlignés, par exemple à l’aide de marqueurs de différentes couleurs. D’autres types de marques, tels que des encadrés ou des encerclements, orienteront le regard vers les différentes catégories sélectionnées (la fiche d’approche de la lecture est ici utile pour guider les étudiants vers ce qu’il est pertinent de sélectionner) – par exemple, des définitions, des éléments disciplinaires (ex. : figures de style, variables, etc.) ou des marqueurs de relation indiquant la structure. Cette stratégie, probablement la plus courante, peut facilement devenir inutile pour le lecteur ou la lectrice voulant revenir ultérieurement sur le texte – surtout si aucun objectif précis ne guidait sa lecture. Utilisée de manière restreinte, ce peut toutefois être une bonne stratégie pour préparer un résumé ou identifier les points importants d’un texte. Il est à noter que la plupart du temps, les textes sont surlignés avec des marqueurs à l’encre. Or, il est plus profitable de se servir de crayons effaçables afin de pouvoir procéder à une double sélection. Ainsi, on commence par marquer à la mine les passages que l’on pense devoir surligner, puis on catégorise ces marques (marqueurs de couleurs différentes ou autres moyens). On peut même se donner une contrainte de surlignement (ou l’enseignant peut l’imposer), par exemple en obligeant, après un premier surlignement plus instinctif, à réduire celui-ci à un nombre de mots limité. Avec un nombre plus important d’éléments pertinents repérés dans un texte, les stratégies d’élaboration ou d’organisation seront par contre plus efficaces pour réaliser des apprentissages.

La prise de notes sélectives (sur le texte ou à part) peut servir à indiquer des mots ou passages mal compris, à pointer des mots clés résumant la teneur d’un passage ou à souligner des concepts clés ou définitions à retenir. Lorsque la sélection des informations à prendre en note résulte d’une analyse fine de l’activité de lecture (identification des caractéristiques du genre textuel, reconnaissance d’éléments propres au champ disciplinaire, réalisation d’une tâche spécifique en lien avec lecture, etc.), cette stratégie peut être très efficace et s’avérer une excellente voie d’entrée vers les stratégies et apprentissages de plus haut niveau. Toutefois, cette analyse, souvent, est escamotée et amène les étudiants à sélectionner des informations qui ne seront, en fait, que d’une utilité relative selon le contexte. Le cas échéant, elle ne servira qu’à se souvenir de certains points du texte et n’offrira pas une vision d’ensemble de celui-ci. Cette stratégie est donc intéressante dans un contexte d’apprentissage simple (niveau de la reconnaissance ou de la compréhension) si l’étudiant a procédé à une bonne analyse de l’activité de lecture. Si l’activité vise un apprentissage plus complexe, il convient de la combiner à d’autres stratégies appartenant au moins au niveau de l’élaboration.

Le repérage de la structure du texte (idées principales, arguments, thèses, etc.) est, encore une fois, pertinent si la tâche à réaliser demeure très générale. Cet acte permet de sélectionner les grandes lignes d’un texte, mais ne garantit pas leur compréhension. Si le repérage de la structure est très indiqué dans un contexte argumentatif (qu’il s’agisse d’un texte à lire ou à produire), il est important de s’assurer que l’étudiant comprend, d’une part, les implications argumentatives des différentes parties du texte et, d’autre part, les termes que l’enseignant utilise pour désigner la structure. Par exemple, ce qui constitue une thèse ou un argument n’est pas forcément clair pour les élèves, de même qu’une idée principale ou secondaire. Il est donc nécessaire d’expliciter ce métalangage (avec des définitions et exemples préalablement enseignés) si l’on veut qu’ils comprennent réellement ce qu’ils doivent tenter de repérer.

Parmi les stratégies d’élaboration, trois sont assez courantes : le résumé, la paraphrase et les notes personnelles.

Le résumé, ou la synthèse, consiste évidemment à rapporter un propos dans un nombre de mots circonscrit. Toutefois, il peut prendre différentes formes et être évalué selon différents critères en fonction des réalités motivant sa production et les attentes de l’enseignant ou l’enseignante. Ces dernières se doivent en effet d’être précisées : peut-on citer explicitement des passages ou doit-on paraphraser? Veut-on retracer la structure ou le contenu du texte? Quel est l’objectif d’apprentissage visé par ce résumé (et les critères établis pour juger de sa qualité)? Veut-on mettre ce résumé à contribution dans une autre tâche à accomplir ultérieurement et, si oui, laquelle (examiner des connaissances, retrouver une information dans le cadre d’une recherche, établir un lien avec d’autres textes…)? Bien souvent, l’attente des enseignants se résume à l’idée de vérifier si la lecture a été faite et comprise. Toutefois, la notion de compréhension est très relative selon le champ disciplinaire et les exigences de l’enseignant. Par exemple, en philosophie, on établira souvent qu’un étudiant a compris un texte s’il est capable de nommer et de distinguer la thèse, d’un côté, et les arguments et exemples ou contre-arguments, de l’autre. En littérature, un enseignant se contentera parfois de la structure narrative d’un texte, mais un autre s’attendra à une présentation des personnages, voire à une rapide justification de leurs traits de caractère par des faits textuels. Il importe donc, si le résumé est une fin en soi servant à vérifier le niveau de compréhension de la lecture, de bien analyser ce qui constitue pour nous des indicateurs d’une bonne compréhension. Enfin, s’il est évidemment utile d’exiger un nombre de mots pour encadrer la réalisation d’un résumé, cette simple consigne ne s’avère pas suffisante pour guider les étudiants dans leur rédaction – d’où la nécessité de prendre en compte les éléments précédemment énumérés.

La paraphrase est une technique de reprise de l’information souvent suggérée aux étudiants, notamment pour éviter que leurs écrits soient considérés comme du plagiat. Toutefois, l’art de la paraphrase fait rarement l’objet d’un enseignement formel. On dira souvent aux étudiants qu’il s’agit de « reformuler dans leurs mots », mais il convient d’être un peu plus explicite si l’on veut, d’une part, éviter des cas de plagiat et, d’autre part, amener l’étudiant à apprendre de cet exercice. Ainsi, il importe avant tout d’expliquer que la teneur d’un texte ou d’une idée paraphrasée demeure la propriété intellectuelle d’un tiers qu’il faut mentionner explicitement, que ce soit dans la phrase elle-même (par exemple, « Selon [telle source], … »), entre parenthèses ou dans une note de bas de page. Une fois cette précision fournie, on peut tenter de mieux définir la paraphrase et d’en identifier les techniques. Ainsi, on dira qu’une paraphrase consiste à « changer la rédaction d’un message sans en changer le sens » (UQAM). Elle peut donc être plus courte ou plus longue que le texte original, ou de longueur équivalente. Afin de changer « la rédaction d’un message », on peut modifier le vocabulaire, la structure de la phrase (syntaxe) ou la nature des mots employés (en utilisant, par exemple, un verbe plutôt qu’un nom). S’il est pertinent de présenter ces techniques de rédaction aux élèves, il convient surtout d’insister sur les objectifs de la paraphrase en contexte d’apprentissage ainsi que sur ses défis. En effet, la paraphrase, dans le contexte de l’apprentissage par la lecture, ne vise pas à pouvoir exploiter les propos d’un auteur, mais à s’assurer qu’on les a compris réellement. Et c’est là que les défis apparaissent! Il est important d’expliquer aux étudiants que le langage est un outil précis, et que les modifications de vocabulaire ou de structure de phrase peuvent aisément entrainer une modification du sens, ne serait-ce que dans les connotations. Or, les étudiants se penchent souvent trop peu sur les nuances des mots et leurs implications. La paraphrase est donc un terrain bien glissant qui les amène facilement à « reformuler pour reformuler » (modifiant le sens original) ou à trop peu reformuler (réalisant alors un plagiat). Il sera donc avantageux de leur recommander de se concentrer sur l’intention visée par cet exercice. L’information qu’ils doivent paraphraser doit-elle être appliquée dans un contexte particulier, ou alors mise en lien avec d’autres informations? Le cas échéant, l’intention d’écriture (ou de réécriture) doit transparaitre dans la paraphrase elle-même. Enfin, il faut insister sur le choix des mots, notamment en précisant aux élèves que les dictionnaires de synonymes fournissent des pistes qu’il convient ensuite d’approfondir avec des dictionnaires (le Petit Robert, par exemple), dans la mesure où il n’existe pas de synonymes parfaits et où le choix des mots pour la paraphrase révèlera les connotations et nuances de leur compréhension. On peut aussi leur suggérer, au lieu d’une simple modification de vocabulaire, de paraphraser en explicitant davantage le sens des termes et concepts utilisés que ne le fait le message original, en les définissant ou en réfléchissant à leurs implications. Toutes ces pistes suggérées feront de la simple reformulation d’une idée ou d’un texte lu un véritable exercice de compréhension, nécessitant une réflexion approfondie sur le sens des mots du texte.

Les notes personnelles de lecture, comme les notes sélectives, peuvent être rédigées directement dans le texte lu ou à part. Cependant, contrairement à ces dernières, dont la nature est déterminée avant le début de la lecture, elles exigeront un engagement dans le texte résultant d’une interaction dynamique et profonde avec celui-ci. Il s’agira, par exemple, de notes indiquant un besoin de clarification, dû non pas à l’ignorance d’un terme ou à une difficulté face à une structure de phrase complexe, mais à une incertitude sur les implications de ce qui est compris, ou encore, à l’identification d’une dissonance par rapport à des connaissances antérieures. Les notes personnelles amèneront à l’élaboration de prédictions sur la suite du texte, de questions ou d’hypothèses, ainsi qu’à l’établissement de liens (à l’intérieur du texte, mais aussi avec des connaissances extérieures à celui-ci). Les éléments identifiés dans la fiche d’approche de la lecture seront très utiles pour guider les réflexions de l’étudiant vers l’élaboration de notes personnelles pertinentes; toutefois, la lecture ne se réalisera pas ici dans l’optique de « chercher et trouver » une information définie, mais plutôt dans l’approche interactive avec le texte, l’étudiant restant attentif à ses mécanismes de pensée en cours de lecture et ouvert aux réflexions que celle-ci provoquera chez lui.

Des stratégies de lecture plus complexes : trois exemples

Les stratégies d’organisation et de transfert de l’information sont plus complexes dans leur mise en œuvre, mais contribuent par ailleurs – si elles sont bien réalisées – au développement d’apprentissages… plus complexes. Pour les enseignants intéressés à les explorer, en voici trois exemples. Ceci dit, il importe de comprendre que ces stratégies, comme nous l’évoquions plus tôt, nécessitent un accompagnement plus serré, que ce soit dans le cadre d’une activité d’apprentissage guidée par l’enseignant ou l’enseignante, ou d’un exercice à réaliser entre pairs.

La technique de regroupement requiert d’emblée la capacité de l’étudiant à analyser la teneur d’un texte de manière à en identifier les parties (sur le plan de la structure, possiblement, mais aussi des concepts et sous-éléments pertinents qu’il contient). Cette technique est souvent inutile dans le cadre de la lecture d’un manuel scolaire, où l’exercice est généralement déjà réalisé par l’éditeur dans un souci de clarté. Elle sera toutefois bénéfique pour la lecture de textes n’ayant pas été produits dans une intention didactique ou dont l’enchevêtrement des concepts et notions est complexe. En fait, plusieurs disciplines scolaires font déjà appel à cette capacité à regrouper les informations, notamment dans le cadre de cours exigeant la rédaction de textes argumentatifs basés sur des lectures. En littérature, par exemple, l’étudiant devra identifier des éléments littéraires (procédés d’écriture, symboles, figures, thématiques, etc.) et regrouper ceux-ci de façon cohérente selon de grandes idées directrices – voire selon des idées secondaires s’emboitant elles-mêmes dans des idées principales. Ce jeu de regroupements est également souvent utilisé en histoire, notamment lorsque les étudiants doivent mettre en relation plusieurs textes afin de corroborer diverses interprétations historiques ou montrer les nuances entre celles-ci. En philosophie, ce sont les modèles, thèses, arguments et exemples de divers philosophes et idéologies qui seront mis en perspective, puis rapprochés ou différenciés. Si cette technique est très utile pour amener les étudiants à un niveau d’apprentissage profond, elle ne peut servir que dans le cadre d’une intense analyse et prise en compte des caractéristiques de la lecture disciplinaire des textes concernés ainsi que de leur genre. La mise en pratique de cette stratégie se déroule généralement en deux étapes assez simples (non dans leur réalisation, mais dans le principe d’action) :

  1. identifier certains éléments du texte et les consigner;
  2. réunir les éléments semblables selon la tâche à réaliser.

La première étape est souvent escamotée : les étudiants n’ont pas tendance à chercher le plus d’éléments possible, mais un nombre déterminé – ce qui n’est pas idéal et risque de les bloquer à la seconde étape, voire de les forcer à « inventer » des regroupements « de nécessité ». La deuxième étape est plus ardue et met à l’épreuve la capacité des étudiants à établir des liens. Encore ici, ce sont généralement les caractéristiques de la littératie disciplinaire qui aideront à déterminer les types de liens pertinents. Outre cet élément d’analyse, une technique pouvant faciliter le regroupement consiste à permettre une manipulation concrète des éléments. Par exemple, les étudiants peuvent inscrire sur des papillons autocollants les idées ou éléments identifiés à la première étape, de façon à pouvoir, à la seconde, déplacer matériellement ceux-ci d’un regroupement vers un autre – un peu à la façon d’un casse-tête. Cette stratégie simplifie la gestion mentale des éléments à considérer, ce qui aide les étudiants éprouvant des difficultés à assimiler les implications de leurs regroupements et à les revoir, ceci à un coût d’effort minime (par rapport, par exemple, au fait d’écrire un plan, puis de devoir le réécrire en constatant que les regroupements ne fonctionnent pas).

Les cartes conceptuelles s’apparentent à la technique de regroupement, mais elles permettent davantage d’établir et d’exposer des liens de diverses natures. Elles représentent une stratégie que l’on dira de haut niveau : on doit avoir acquis suffisamment en profondeur les concepts du texte pour arriver à les mettre en relation. Généralement, le lecteur capable de schématiser aura non seulement compris le texte, mais aussi réussi à l’analyser et à en évaluer l’information. Ce n’est toutefois pas une stratégie avec laquelle tout le monde est à l’aise. Concevoir des cartes conceptuelles exige non seulement une compréhension approfondie du texte, mais également une capacité de visualisation qui, même si on peut la développer en proposant des modèles et en guidant les étudiants dans des activités destinées à les familiariser avec ce mode de traitement de l’information, ne vient pas naturellement à tous. Un soutien de l’enseignant ou des pairs peut s’avérer nécessaire afin d’aider les élèves moins familiers avec la matière ou avec cette stratégie à en tirer malgré tout profit. On peut, notamment, présenter aux étudiants des modèles de cartes conceptuelles impliquant différents types de relation (voir la figure 2). On peut aussi demander, selon l’objectif de l’activité d’apprentissage, d’établir des liens précis (cause/effet; définitions/applications/illustrations ou exemples; etc.). Encore une fois, le recours aux papillons autocollants peut s’avérer judicieux. Si les étudiants ont accès à des ordinateurs, plusieurs applications dont la visée est la création de cartes conceptuelles peuvent également s’avérer très utiles (CmapTools ou Mindmeister, par exemple). Il importe d’assurer une rétroaction sur ces réalisations : d’une part, parce qu’elles sont exigeantes pour les étudiants et qu’il convient d’accorder à leur travail l’attention qu’il mérite si l’on veut conserver leur motivation en la matière; d’autre part, parce que cette opération complexe peut très facilement mener à des erreurs d’appréciation susceptibles d’influer sur les apprentissages futurs. Cependant, une carte conceptuelle complète et bien réalisée est une preuve en soi de l’atteinte d’un niveau d’apprentissage profond.

Modèles de cartes conceptuelles proposés par Lauzon-Fibich (2014)
Figure 2
Modèles de cartes conceptuelles proposés par Lauzon-Fibich (2014)

Enfin, la technique de l’élaboration et de l’évaluation de questions auxquelles le texte répond consiste à combiner différentes stratégies de lecture afin de mettre à l’épreuve notre compréhension du texte. La première étape, identifiée par l’acronyme anglais SQ3R (Svinicki et McKeachie, 2013), renvoie elle-même à un enchainement d’étapes (Survey, Question, Read, Recite, Review) qu’on pourrait traduire ainsi :

  1. Survol (voir cette étape dans la fiche d’approche de la lecture)
  2. Élaboration de questions auxquelles le texte semble répondre
  3. Lecture
  4. Réponse aux questions formulées
  5. Révision des réponses en se référant au texte

Cette technique, relativement simple, peut cependant se complexifier grandement (et devenir une extraordinaire stratégie d’apprentissage) si on la fait suivre d’une deuxième étape visant à regrouper des étudiants en équipes (trois ou quatre équipes) afin de leur demander de comparer les questions qu’ils ont élaborées individuellement, puis à sélectionner « les meilleures » (plus exactes selon le propos du texte, plus pertinentes pour la tâche à réaliser, etc.). Évidemment, après sélection du palmarès des questions, ils devront s’entendre sur les réponses à donner à celles-ci. En plus de fournir de potentielles questions à l’enseignant pour l’évaluation (ce qui renforce du même coup la pertinence de l’exercice aux yeux des étudiants), cette deuxième étape favorise une objectivation du texte par la multiplication des points de vue des pairs. L’exercice amène les élèves à analyser tout à la fois la structure du texte et son contenu, à clarifier le vocabulaire et ses implications, mais il génère également une double prise de distance par rapport à leur lecture. Celle-ci sera d’abord passée par un survol et des prédictions (de questions), puis par une lecture individuelle afin de répondre aux questions (fournissant ainsi un objectif de lecture clair), et enfin, par une relecture critique grâce à la comparaison avec la lecture d’autres élèves. Cet exercice amène des conflits cognitifs parfois déstabilisants, mais extrêmement riches sur le plan des apprentissages[1].

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Nous avons proposé dans cet article un outil, soit une fiche d’approche de la lecture, à fournir aux étudiants afin qu’ils puissent s’engager dans leur lecture et considérer celle-ci comme une tâche d’apprentissage nécessitant une analyse et une planification préalables. Nous avons par la suite explicité plusieurs stratégies de lecture en précisant les contextes où elles peuvent s’avérer pertinentes. La mise en œuvre de ces stratégies par les élèves implique, de leur part, la création de traces visibles de leurs processus mentaux au fil de la lecture (annotations, résumés, schématisation, journal ou portfolio de lecture, forums numériques, etc.). Ces traces, prises au regard de la fiche d’approche de la lecture et des pistes didactiques fournies dans le présent article, permettront non seulement d’identifier les processus de lecture problématiques chez les élèves, mais également de leur indiquer les voies pour y remédier. C’est pourquoi le dernier article à paraitre dans cette série tentera de clore la boucle en se penchant sur « l’après-lecture », notamment en présentant de quelle façon, à partir de ces « traces », il est possible d’évaluer la lecture de manière formative ou sommative.

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Références

BÉLEC, C. (2017a). Des cercles de lecture dans toutes les disciplines pour améliorer les compétences en lecture, présentation au 37e Colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale, Montréal, 8 juin 2017.

BÉLEC, C. (2017b). « Faut-il apprendre aux étudiants comment lire un texte? Récit d’une démarche de pratique réflexive chez des professeurs de plusieurs disciplines au sujet de la lecture », Pédagogie collégiale, vol. 30, no 2, p. 25-32.

BÉLEC, C. (2016). « L’alignement pédagogique des lectures », Correspondance, décembre 2016, [En ligne]. [http://correspo.ccdmd.qc.ca] (Consulté le 3 mai 2017).

BLASER, C., et P. ERPELDING-DUPUIS (2011). « Cours d’appropriation des écrits universitaires : de l’analyse des besoins à la mise en œuvre », Forumlecture suisse. Littératie dans la recherche et la pratique, [En ligne]. [www.forumlecture.ch/myUploadData/files/2011_1_Blaser.pdf] (Consulté le 3 janvier 2016).

CARTIER, S. (2001). « Lire pour apprendre à l’école », Québec français, no 123, p. 36-38.

CARTIER, S. (1997). Lire pour apprendre : description des stratégies utilisées par des étudiants en médecine dans un curriculum d’apprentissage par problèmes. Thèse (Ph. D.) inédite, Université de Montréal.

KONE, E. (2011). L’apprentissage par la lecture en formation à distance : Outils d’aide à l’autorégulation et à la construction de sens. Maitrise en formation à distance – profil sans mémoire, Télé-université, Montréal.

LAUZON-FIBICH, B. (2014). Soutenir les stratégies cognitives d’élèves en difficulté dans le cadre d’un projet de recherche portant sur l’histoire du théâtre. Travail présenté à Sylvie Cartier dans le cadre du cours PPA 6415 Soutien à l’apprentissage à l’école. Téléaccessible en tant que document de référence, [En ligne]. [www.apprendreparlalecture.education/wp-content/uploads/2015/07/Soutien-a-lAPL-strategies-dorgani-sation-par-BrigitteLauzon-Fibich.pdf] (Consulté le 9 juin 2017).

SVINICKI, M., et W. J. MCKEACHIE. McKeachie’s Teaching Tips, 14e éd., Belmont, Wadsworth, 2013.

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (UQAM). « Écrire et paraphraser », InfoSphère. [En ligne], [www.infosphere.uqam.ca/rediger-un-travail/ecrire-paraphraser] (Consulté le 9 juin 2017).

WADE, S.E., W. TRATHEN et G. SCHRAW (1990). « An analysis of spontaneous study strategies », Reading Research Quarterly, no 25, p. 147-166.

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