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Je l’ai sur le bout de la langue!

Je l’ai sur le bout de la langue!

Échos de recherche

 

Le projet de recherche dont il est ici question m’avait semblé particulièrement intéressant au moment où le bulletin Les Diplômés l’avait publié, soit à l’hiver 1997. À la recherche d’articles pertinents pour le présent numéro, il m’est revenu à l’esprit…

[…] Comment le cerveau se représente-t-il et organise-t-il les mots ? Comment emmagasine-t-il l’information permettant de construire un lexique mental et comment y donne-t-il accès ?

C’est pour tenter d’apporter des réponses à ces questions que Gonia Jarema, professeure au Département de linguistique et de traduction et chercheuse au centre de recherche du Centre hospitalier Côte-des-Neiges, a lancé un vaste projet multidisciplinaire portant sur l’architecture du lexique mental. « Nous voulons savoir sous quelle forme le cerveau enregistre les mots — en entier ou en décomposant les morphèmes –, quel type d’information est contenu dans ces « entrées » et comment s’organisent les liens permettant de construire un vocabulaire et un langage », explique-t-elle. […]

Le dictionnaire mental

Deux grandes théories, débattues depuis une vingtaine d’années, ont cours pour expliquer le processus mental de la formation du vocabulaire. La première voudrait que l’entrée de base du lexique soit le mot en entier. Selon cette hypothèse, chaque mot que nous connaissons et chacune de ses variantes (cheval, chevaux, chevalier, etc.) constitueraient autant d’unités indépendantes et complètes enregistrées par l’activité cérébrale à la manière d’un dictionnaire.

La seconde théorie soutient que ce serait plutôt le morphème qui constituerait la base du lexique mental. Notre cerveau construirait les mots à partir de la racine, à laquelle s’ajouteraient les préfixes et les suffixes (faire/re-faire ; aime/aim-ons) à la manière d’une grammaire. Cela permettrait une économie de rangement mais ferait appel à des processus de connexion plus complexes.

Le projet que dirige Gonia Jarema ne privilégie aucune des deux hypothèses, qui sont à la fois confirmées et infirmées par les recherches. « Nous voulons proposer une théorie expliquant l’ensemble du processus, au terme de la recherche », avance-t-elle avec prudence.

Les deux hypothèses n’épuisent d’ailleurs pas toutes les possibilités puisque « plusieurs types de lexiques peuvent exister et interagir, signale la chercheuse. Les mots peuvent aussi être emmagasinés selon leur sens, ou encore, selon leur forme graphique ou sonore. » C’est ce qui expliquerait que l’on peut avoir un mot « sur le bout de la langue » alors que seuls sa terminaison ou des mots de formes semblables nous viennent à l’esprit.

Une approche translinguistique

En plus de miser sur l’interdisciplinarité, le projet innove en faisant porter simultanément les travaux sur une douzaine de langues ayant des règles de construction lexicale et grammaticale différentes. Ces langues vont du français à l’hébreu en passant par le chinois, le persan et le finnois.

« La comparaison entre ces langues, espère la chercheuse, nous permettra de départager ce qui est universel dans le processus lexical et ce qui est propre à une langue donnée. »

Le protocole de recherche sera établi à partir de tests français et anglais que chaque collaborateur aura à adapter à sa langue. Dans chaque cas, les tests seront effectués auprès de trois catégories de personnes : des gens ayant toutes leurs facultés lexicales, des personnes aphasiques et des personnes génétiquement dysphasiques, c’est-à-dire souffrant de troubles innés du langage.

« Comme l’aphasie peut toucher toutes les composantes du langage, elle constitue une « fenêtre » sur le fonctionnement normal en nous fournissant des données externes pouvant éclairer la théorie », explique Gonia Jarema.

Le modèle psycholinguistique qui résultera de cette recherche aura également des retombées directes sur les interventions cliniques. En connaissant mieux le processus d’élaboration des mots et du langage, les cliniciens pourront diagnostiquer les troubles de façon plus précise et élaborer des programmes d’intervention orthophonique mieux ciblés.

Le projet prévoit par ailleurs la tenue de deux conférences internationales, l’une à Montréal et l’autre à Edmonton, afin de livrer les conclusions des travaux et de les comparer aux autres recherches actuelles sur le sujet. Ces deux villes deviendront, au terme de ces travaux, les hôtes d’un centre de recherche international sur le lexique mental.

Outre Mme Jarema, le projet est dirigé par Eva Kehayia, de l’Université McGill, et Gary Libben, de l’Université d’Alberta.

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