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Ce qui se cache sous les mots

Ce qui se cache sous les mots

Michèle Péloquin est professeure de français au collégial et chargée de cours en études littéraires à l’université. Ex-secrétaire de rédaction de la revue Voix et images, elle est correctrice-réviseure à la pige.
Si « ce qui n’est pas nommé n’existe pas », ce qui est nommé n’est pas toujours bien connu. Qu’à cela ne tienne : l’auteure propose de conter aux élèves l’histoire des mots français, peu importe la discipline, peu importe le programme. Ici et là dans le présent numéro, tout comme l’auteure les dissémine ici et là dans ses cours, quelques capsules étymologiques invitent au voyage.

Pour illustrer le sens propre du mot « snob » (qui admire et imite sans discernement les manières, les goûts, les modes en usage dans les milieux dits distingués, Le Petit Robert), un professeur raconta un jour, à la classe dont je faisais partie, l’histoire suivante. Aux beaux jours de la monarchie, en France, on donnait de grands festins auxquels était conviée la noblesse. Étaient aussi invitées à l’occasion des connaissances de la cour (grands seigneurs ou pique-assiettes !) qui, elles, cependant, ne possédaient pas de titre de noblesse. Ainsi, sur la table dressée, on apercevait devant chaque couvert un petit carton indiquant le nom de l’hôte et son titre ; sur celui des amis de la cour figurait le patronyme de l’invité, suivi de l’abréviation S.NOB. pour « sans noblesse ». On peut aisément supposer que ces S.NOB. admiraient et imitaient sans discernement les manières, les goûts et les modes en usage à la cour. On se gardera donc d’utiliser ce mot pour qualifier une personne qui serait hautaine ou condescendante, ou simplement distinguée.

Bien que tout à fait plausible, cette petite anecdote sur l’origine du mot « snob » ne se trouve dans aucun des ouvrages que j’ai par la suite consultés lorsque, devenue enseignante, j’ai voulu à mon tour la partager avec mes élèves ; les dictionnaires étymologiques indiquent plutôt qu’il s’agit d’un mot d’argot employé par les étudiants de l’Université de Cambridge et qui signifiait homme de basse condition, et désignait les étrangers à l’Université. L’origine de « snob » serait-elle multiple, comme cela est le cas pour bien d’autres mots dont on ignore la source précise ? Quoi qu’il en soit (j’avoue ne pas être une spécialiste), l’anecdote fait image, et cette image risque de se fixer dans la mémoire.

Je raconte souvent de telles histoires à mes élèves pour insister sur le sens, l’orthographe ou le genre d’un mot. J’espère de cette façon pouvoir renforcer ou élargir leur vocabulaire. Mais je le fais d’abord pour le plaisir : celui de dévoiler les êtres humains, les événements ou les réalités qui ont donné lieu aux mots, les ont façonnés, celui de retracer leur parcours à travers les siècles. Celui, enfin, de susciter l’intérêt et la curiosité pour la langue, attitudes qui parfois font cruellement défaut à nos élèves. En effet, il me semble que, pour une grande majorité d’entre eux, le français se résume à une fréquence, à une somme de règles obscures et donc à une possibilité d’échec. En établissant des ponts entre les mots et les réalités, la langue cesse pour eux d’être abstraite, elle redevient vivante… et fascinante ! On se rappellera donc que les marchands d’ail des Halles de Paris, vers la fin du XIXe siècle, portaient un tricot particulier que l’on a nommé, par contraction, « chandail », et que les habitants de la Laconie (région de la Grèce) étaient réputés pour s’exprimer de façon très concise, d’où l’adjectif « laconique ». Par ailleurs, on n’oubliera pas la majuscule à « Javel » dans eau de Javel, cette solution ayant été baptisée du nom du village qui la fabriquait, et on écrira « bretzel » avec un b (et non pretzel, qui est anglais), un b comme dans bracchium (« bras ») d’où le mot allemand Brezel tire son origine, et la pâtisserie, sa forme en huit tels des bras entrelacés.

Chaque fois que je livre à une classe une de ces capsules étymologiques, comme je me plais à les nommer, le cours prend, pour quelques minutes, des allures de récréation : on s’étonne, on s’enthousiasme. J’ignore, par contre, leur efficacité pédagogique. Sont-elles trop anecdotiques, rapides, superficielles, à la manière de ces vidéoclips dont font grande consommation nos élèves ? Chose certaine, elles captent l’attention et donnent envie de fouiller le dictionnaire à l’affût de quelque découverte. Ce sont quelques-unes de ces minicapsules, destinées aux élèves, que vous retrouverez à l’intérieur de ce présent numéro de Correspondance. Pour le plaisir !

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BIBLIOGRAPHIE

Albert DAUZAT, Jean DUBOIS et Henri MITTERAND, Nouveau dictionnaire étymologique et historique, Paris, Larousse, 1971.

Gérard DAGENAIS, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Boucherville, Les éditions françaises, 1984.

Henriette WALTER, L’aventure des mots français venus d’ailleurs, Paris, Robert Laffont, 1997.

Marina YAGUELLO, Le sexe des mots, Paris, Belfond, coll. « Point-Virgule », 1989.

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