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«Orthographe pour scientifiques»: une nouvelle ressource multimédia au CCDMD

Après avoir enseigné la littérature pendant plus de 15 ans au collégial, Ingrid Gagnon a soutenu des étudiantes et étudiants avec des troubles d’apprentissage. Elle est retournée sur les bancs d’école en orthopédagogie, est devenue conseillère en services adaptés, puis coordonnatrice de l’aide à la réussite au campus de Saint-Hyacinthe de l’Institut de technologie agroalimentaire. Elle travaille maintenant à élaborer un programme-cadre gouvernemental de francisation pour les personnes immigrantes ayant des compétences peu développées en littératie et en numératie au ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion.

« Rien de tranquillisant comme un zéro perpétuel en math ou en orthographe : en excluant l’éventualité d’un progrès, il supprime les inconvénients de l’effort. » Daniel Pennac

Vidéo au cœur de la ressource Orthographe pour scientifiques

Les erreurs d’orthographe sont communément encerclées et pénalisées, mais rarement expliquées. À la question Pourquoi « acclimater » prend deux « c » au lieu d’un?, par exemple, peu de professeures et professeurs sont en mesure d’offrir une réponse satisfaisante. De plus, les ouvrages destinés à améliorer la qualité de la langue des élèves au collégial ne contiennent que très peu d’explications théoriques ou d’exercices sur l’orthographe d’usage. Le Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD) fait exception avec son site Amélioration du français, qui contient des explications et des exercices sur la graphie des sons les plus problématiques. Néanmoins, les étudiantes et étudiants en sciences éprouvent des besoins différents sur ce plan de ceux du rédacteur ou de la rédactrice de textes courants ou d’une dissertation littéraire. Ils font face à des termes complexes, comme désoxyribonucléique, à des noms latins de végétaux ou de bactéries, comme Acer saccharum ou Lactobacilli, et à des graphies d’origine grecque qui peuvent faire sourciller même les champions de l’orthographe, comme c’est le cas avec saccharomyce. Nous présentons ici les objectifs du site Orthographe pour scientifiques, l’approche morphologique à la base de cette ressource, les composantes de la ressource et l’utilisation qu’on peut en faire.

Les objectifs

Bien que certains programmes collégiaux comprennent un cours sur la nomenclature du champ d’études et que des professeurs s’attardent sur l’étymologie de termes rencontrés en classe, l’enseignement de l’écriture des mots reste encore marginal au cégep. Aussi, le site Orthographe pour scientifiques vise à fournir aux étudiants et à leurs enseignants des stratégies et du matériel pour favoriser cet apprentissage. Nous espérons ainsi multiplier les occasions pour les enseignants et leur département de consacrer à l’orthographe des mots de la science le temps que son enseignement requiert.

Pourquoi? Parce que les élèves ne doivent pas bien orthographier les mots dans le seul but de ne pas perdre de points dans les écrits évalués ou de faire preuve de professionnalisme dans le cadre d’un stage. Ils doivent plutôt assimiler quelques notions de base sur la composition des mots (leur morphologie) pour mieux s’expliquer les nouveaux termes dont leurs cours sont remplis. Ainsi, au lieu de consacrer leur énergie cognitive à s’interroger sans cesse sur la graphie de tel ou tel mot, ou à gérer le stress que peut occasionner le sentiment d’incompétence, ils pourront mieux se concentrer sur le contenu.

C’est le travail avec un étudiant en horticulture qui est à l’origine d’Orthographe pour scientifiques. Dyslexique et dysorthographique, cet élève cherchait des solutions pour apprendre le nom latin des 400 végétaux au programme! Le développement de sa conscience morphologique – dont nous parlerons plus loin –, sans être une panacée, lui a fourni de nouvelles lunettes pour lire les mots et de nouvelles stratégies pour les écrire. En voyant les exercices conçus pour cet élève aux besoins particuliers, l’enseignant a trouvé bon d’en faire profiter toute la classe… qui a réclamé des exercices supplémentaires!

La ressource Orthographe pour scientifiques vise à outiller les professeures et professeurs qui enseignent de façon explicite l’orthographe ou la terminologie de leur champ d’études, ou encore, les intervenants qui soutiennent cet apprentissage. Inspirée de la conception universelle de l’apprentissage (CUA), elle traite de la morphologie des mots. Cette façon d’aborder l’orthographe lexicale est susceptible d’aider globalement les élèves à mieux écrire les mots, à mieux les comprendre et à mieux deviner le sens de nouveaux termes.

L’approche morphologique

Au Québec, l’enseignement de l’orthographe s’effectue surtout en indiquant comment associer des phonèmes (sons) à des graphèmes (lettres ou groupes de lettres) ou découper les mots en syllabes, ou encore, en faisant observer la globalité du mot. Or, il existe d’autres pistes comme l’observation de la morphologie lexicale[1]. Cette branche de la linguistique consiste à repérer les unités de sens dans les mots. Par exemple, le mot morphologie contient deux morphèmes, c’est-à-dire deux unités de sens : morpho, qui signifie « forme », comme dans métamorphose, et logie, qui signifie « étude », comme dans biologie. Chez certains spécialistes de la langue, on nomme ces morphèmes étymons ou racines. Notre but n’étant pas de raconter l’histoire, mais de montrer la mécanique de création des termes scientifiques, ou le « chainage »[2] des morphèmes en tant que tel, nous avons choisi de nous en tenir à ce concept linguistique.

Pourquoi le découpage d’un mot en morphèmes plutôt qu’en syllabes peut-il aider les étudiants à mieux l’écrire? Parce qu’en procédant ainsi, ils ne réfléchissent plus en termes de sons et de graphies, mais en termes de sens et d’associations avec d’autres mots. Prenons, par exemple, le mot antiinflammatoire, qui contient plusieurs défis orthographiques : la confusion des graphies an et en, la juxtaposition très rare de deux i et la double consonne m. Si on découpe le mot en syllabes, on obtient : an ti in flam ma toi re. Cette analyse n’éclaire pas le choix de l’élève entre an ou en. Par contre, si on rend transparente la composition morphémique du mot – soit le découpage suivant : anti in flamm atoire –, l’élève pourra comprendre que ce terme commence par anti, qui signifie « contre », comme dans antisudorifique ou antidérapant. Même chose pour in : en prenant conscience qu’il s’agit du morphème qui signifie « contraire », comme dans indélébile ou infatigable, il peut écrire les deux i avec plus de confiance. Enfin, comme le mot contient le morphème flamm, l’élève pourra reprendre celui qui se trouve dans le mot flamme, qu’il connait.

Selon notre expérience en classe, la distinction entre les morphèmes a- (qui se trouve surtout en première position), lequel veut dire « qui est privé de », et ad-, qui signifie « rendre plus », a particulièrement intéressé les étudiants… et leurs professeurs. Les termes acclimatation, annexe et aggraver commencent par le morphème ad-, dont le d prend la forme de la consonne qui suit[3]. Les mots atemporel, apode et aseptiser, eux, commencent par le a- privatif. On évitera donc de doubler la consonne qui suit.

La ressource Orthographe pour scientifiques est donc basée sur l’approche morphologique, une voie qui nous semble tout à fait appropriée au collégial. Certains élèves sont déjà sensibles aux morphèmes, mais une présentation explicite de cette notion leur permet de nommer des impressions diffuses et leur fait gagner de l’assurance.

Les composantes de la ressource et leur utilisation

Le site offre une vidéo accompagnée d’un matériel complémentaire : des activités, deux listes de morphèmes et un outil pour construire des glossaires personnalisés.

La vidéo, intitulée Le morphème. Un outil pour assimiler les termes scientifiques, est d’une durée de 6 minutes. On y expose sommairement :

  • ce qu’est un morphème;
  • comment un morphème se greffe à d’autres morphèmes;
  • les avantages du découpage en morphèmes plutôt qu’en syllabes;
  • les causes historiques de la préséance du y et du ph sur le i et le f dans les termes scientifiques;
  • quelques éléments phonétiques pour enchainer les morphèmes très courants dé- et a-.

Cette vidéo peut être présentée dans une classe munie d’un ordinateur et d’un projecteur multimédia. Elle allie de façon ludique narration et démonstrations visuelles pour éveiller la conscience morphologique. Le rythme est parfois accéléré pour rendre l’exposé dynamique. Cependant, l’utilisatrice ou l’utilisateur peut opter pour la version sous-titrée et, bien sûr, en cours de visionnement, faire des arrêts et des aller-retour.

Les activités, classées par ordre croissant de difficulté, sont conçues de manière à aborder le morphème sous plusieurs angles. Elles sont imprimables (versions PDF) et également réalisables en ligne sous forme de quiz. Elles se présentent en trois séries (prévoir de 30 à 45 minutes pour la réalisation de chaque série).

  • La série 1 favorise la compréhension des concepts abordés dans la vidéo : la notion de morphème, la distinction entre les découpages syllabique et morphémique, le repérage de morphèmes en tenant compte de la graphie et du sens, la reconnaissance des morphèmes dé- et a-, ainsi que de ad- et in-, également sources d’erreurs fréquentes.
  • Les activités des séries 2 et 3 visent la consolidation des apprentissages. Dans la troisième, il s’agit pour les élèves d’écrire des mots sous la dictée (présentés sous forme d’enregistrements dans la version en ligne).

Lors de la réalisation de certaines activités, les élèves pourront consulter une liste d’environ 450 morphèmes illustrés à l’aide de termes sélectionnés dans des glossaires fournis par des professeures et professeurs de divers programmes collégiaux. Une version plus courte est également offerte; il s’agit d’une liste de 100 morphèmes accompagnés d’exemples de mots d’usage plus courant. Dans les deux listes, le sens des morphèmes est donné en un mot ou deux dans la plupart des cas. Enfin, un outil pour construire des glossaires personnalisés est mis à la disposition des utilisatrices et utilisateurs. Cet outil est construit sur le modèle des deux listes de morphèmes. L’enseignant élaguera la base de données pour ne conserver que les morphèmes pertinents dans son cours et l’enrichira des termes scientifiques de son propre domaine. Cela prendra d’une à trois heures, mais l’investissement en vaut la chandelle! Ce faisant, vous en profiterez pour savourer le souvenir de comment vous-même, jeune, avez surmonté vos défis orthographiques.

La ressource Orthographe pour scientifiques peut être utilisée :

  • par les étudiantes et étudiants, de façon libre et autonome;
  • par les enseignantes et enseignants, pour animer en classe une activité de sensibilisation;
  • par les intervenantes et intervenants des services d’aide adaptée auprès des élèves dyslexiques ou dysorthographiques[4];
  • par les tutrices et les tuteurs des centres d’aide, dans le contexte d’une aide individualisée.

À l’Institut de technologie agroalimentaire, campus de Saint-Hyacinthe, où nous avons travaillé pendant plus de 20 ans, le « matériel maison » dont est issu Orthographe pour scientifiques figure dans le parcours des élèves dirigés vers le centre d’aide en français. Ceux-ci y consacrent entre 50 et 100 minutes, selon leurs besoins.

Enfin, nous encourageons les professeurs et les intervenants à jeter des lunettes morphologiques sur les nouveaux termes scientifiques présentés aux élèves. Ainsi, on prendra soin d’amener les apprenants à repérer les morphèmes dans ces termes et à faire des liens avec des mots familiers.

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Orthographe pour scientifiques offre aux cégépiennes et cégépiens en sciences une stratégie – l’observation de la morphologie – afin de mieux comprendre les mots, de mieux les écrire et d’en deviner le sens lorsqu’il s’agit de termes nouveaux. La morphologie consiste à étudier la forme des mots, plus précisément les unités de sens. Cette branche de la linguistique ne se limite pas à ce que nous en présentons dans notre ressource, mais notre objectif était de résumer des notions, de les vulgariser et de fournir des exercices pertinents aux étudiants, aux professeurs et à toutes les autres personnes qui soutiennent les élèves dans leur réussite.

Nous voulions pallier le manque de ressources en enseignement de l’orthographe pour de jeunes adultes en sciences qui cherchent des réponses à des questions trop souvent reléguées aux coulisses du savoir.

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Références

BERTHIAUME, Rachel, Martine BOISVERT, Daniel DAIGLE et Pascale THÉBERGE (2017). La morphologie pour mieux lire et écrire. 55 activités pour découvrir les règles de formation des mots, Montréal, Chenelière.

DAIGLE, Daniel, et Ingrid GAGNON (2014). « La morphologie dérivationnelle comme levier de réussite pour un jeune adulte dyslexique et dysorthographique », Correspondance, vol. 19, no 2.

HUOT, Hélène (2012). La morphologie. Forme et sens des mots du français, Paris, Armand Colin.

  1. Des enseignants du primaire sensibilisés aux bienfaits de la multiplication des approches apprennent aux élèves à repérer les « petits mots » dans les « grands mots ». Des élèves du primaire sont ainsi invités à repérer l’unité de sens « carte » dans cartographier et à déduire le sens de ce verbe. Ils apprennent également à observer les préfixes et les suffixes, comme c’est le cas dans le manuel Rafale (de Brassard, Caron, Lamontagne et Marchesseault, paru en 2014 chez Chenelière Éducation). Les enseignants qui recourent à l’approche morphologique sont de plus en plus nombreux. [Retour]
  2. Nous employons le mot « chainage » en référence à l’analogie entre les morphèmes et les maillons d’une chaine, une image qu’exploite la vidéo de la ressource. [Retour]
  3. Le repérage du morphème ad– ne peut malheureusement pas éliminer toutes les erreurs. Par exemple, le verbe aplatir s’écrit comme s’il était composé du privatif a-. Certaines irrégularités de l’orthographe demeurent, mais elles sont trop rares pour qu’on se prive de la stratégie morphologique. [Retour]
  4. Les origines d’Orthographe pour scientifiques sont rapportées dans DAIGLE, Daniel et Ingrid GAGNON (2014), « La morphologie dérivationnelle comme levier de réussite pour un jeune adulte dyslexique et dysorthographique », Correspondance, vol. 19, no 2. [Retour]

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