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Loin des yeux, près du CAF: une formule d’aide à distance au cégep de Matane

CAF novateurs

À l’hiver 2014, le cégep de Matane a décidé de créer un CAF virtuel afin d’offrir un service d’aide individualisée en français à tous ses élèves, y compris à ceux et celles suivant des cours en visioconférence. La volonté de la direction était claire : le soutien proposé à distance devait ressembler le plus possible à celui reçu par les étudiantes et les étudiants présents dans les locaux du CAF. Avec l’aide du conseiller pédagogique responsable des TIC, Mylène Desrosiers, conseillère au centre d’aide en français, s’est familiarisée avec les principes didactiques et les outils de la formation à distance (FAD) avant de mettre à l’essai un projet pilote. Depuis lors, ce service est bien implanté et son fonctionnement est devenu un modèle inspirant pour tout intervenant en FAD souhaitant miser sur un encadrement axé sur les besoins individuels. Mylène Desrosiers nous présente cette formule novatrice.

Le fonctionnement du CAF en présence

Au cégep de Matane, depuis 2010, des assistants et assistantes en français, relevant du personnel de soutien, accompagnent individuellement les élèves qui s’inscrivent au CAF. Les rencontres s’échelonnent sur 13 semaines, et la première et la dernière séances sont normalement consacrées à la passation des tests diagnostique et postdiagnostique. Le premier test permet de répertorier les principales erreurs de la personne suivie et d’établir un programme d’aide pour les prochaines rencontres. Quant au test final, il témoigne du cheminement de l’élève à la suite d’un accompagnement échelonné sur 11 périodes, à raison de 50 minutes par semaine. Les assistants planifient les rencontres en tenant compte des besoins spécifiques de chaque personne inscrite. Ce souci de s’adapter à la réalité des étudiants personnalise le service, ce qu’apprécie la majorité d’entre eux. Le nombre d’inscriptions par session varie de 50 à 100[1] étudiants et étudiantes. À titre de responsable du CAF, je travaille actuellement en collaboration avec une assistante en français qui rencontre individuellement 25 étudiants par semaine alors que j’en suis moi-même 20 en petits groupes ou en accompagnement semi-autonome. Jusqu’à l’hiver 2017, la plupart des étudiants inscrits obtenaient le service demandé et la totalité de ceux rencontrés recevait de l’aide d’une assistante selon la formule individualisée.

Une variété de formules

En plus de proposer un accompagnement individualisé (les interventions sont axées sur les besoins propres à chaque étudiant), nous avons ajouté quelques services à notre offre : l’accompagnement hebdomadaire en petits groupes de 2 à 4 étudiants (des notions linguistiques sont enseignées et appliquées dans des exercices); l’accompagnement dirigé chaque semaine (les étudiants travaillent sur leurs propres textes afin d’apprendre à repérer leurs principales lacunes et de développer des stratégies de révision qui leur conviennent); l’accompagnement autonome (des étudiants inscrits tardivement et auxquels nous ne pouvons offrir un service hebdomadaire faute de ressources reçoivent un ensemble d’exercices à réaliser à la maison et portant sur leurs lacunes; ces étudiants peuvent me consulter périodiquement afin d’obtenir de l’aide pour réaliser les exercices); des accompagnements en classe (des enseignants peuvent faire appel au CAF pour différents besoins en lien avec le français : animation d’un atelier portant sur Antidote, soutien à la correction pendant une activité d’apprentissage, aide à la réalisation d’exercices portant sur des notions linguistiques, etc.).

Un besoin à l’origine d’un nouveau service

Dans les années 2010, la direction du collège a pris conscience que certains de ses étudiants ne pouvaient pas bénéficier du service du CAF, considéré pourtant comme une mesure d’aide importante du Plan de la réussite du cégep de Matane (2011-2014). C’était notamment le cas des étudiants cheminant dans des programmes offerts en ligne. Chef de file de la formation à distance (FAD) au Québec, le cégep de Matane donne des cours virtuellement, à la formation continue, depuis 2002. À la formation régulière, c’est en 2013 que les programmes ont commencé à comporter des cours en téléenseignement. Ainsi, Techniques de tourisme est entièrement offert en présence et à distance. De son côté, Soins infirmiers contient différents cours théoriques donnés à distance à deux cohortes, évitant ainsi à des étudiants de Sainte-Anne-des-Monts, une ville située à près de 100 km de Matane, de se déplacer quotidiennement au cégep[2].

Ainsi, en 2014, plusieurs des étudiants et étudiantes de notre établissement évoluaient à l’extérieur de nos murs[3]. À l’époque, il s’agissait aussi de la réalité d’étudiants suivant des cours de formation générale donnés par le collège dans les locaux de Groupe Collegia[4], à Sainte-Anne-des-Monts. Parmi ces personnes en situation d’apprentissage à distance, certaines avaient des besoins en français écrit, et le collège a été soucieux d’y répondre par l’entremise d’une formule d’aide adaptée.

Le fonctionnement du CAF à distance

La direction des études m’a proposé de développer un CAF à distance. Novice dans le monde de la FAD, j’ai appris à me servir d’outils technologiques permettant d’offrir un suivi individualisé à des étudiants et étudiantes désireux d’améliorer la qualité de leurs rédactions en français. Le mandat qu’on me confiait était clair : proposer des rencontres virtuelles basées sur le modèle de l’accompagnement individualisé offert en présence. Épaulée par René Bélanger, le conseiller pédagogique responsable des TIC, j’ai découvert des environnements d’apprentissage, testé des outils et rencontré des élèves grâce à la magie de la technologie. L’expertise développée en FAD au cégep de Matane nous a aidés à faire des choix rapidement. Ainsi, comme les étudiants à distance jonglaient déjà avec de nombreux outils technologiques en participant à leurs cours, nous avons convenu de ne pas en ajouter de nouveaux. Nous avons décidé de travailler avec Moodle, Via, Google Docs, PDF-XChange Viewer, qu’ils connaissaient déjà, et quelques ressources en ligne comme le site de l’Amélioration du français du CCDMD, un conjugueur et des dictionnaires accessibles gratuitement.

Tous ces outils créent un environnement où l’on peut accompagner adéquatement les étudiants dans leurs apprentissages. Plus spécifiquement, les assistants et moi pouvons :

  • discuter avec les élèves pour mieux connaitre leurs difficultés;
  • faire passer les tests diagnostique et postdiagnostique;
  • transmettre la matière en offrant un support visuel;
  • déposer des documents dans un espace en ligne;
  • permettre aux apprenants d’appliquer les notions apprises dans des exercices (fichiers numériques ou ressources en ligne), et ce, en les supervisant en temps réel;
  • amener les étudiants à rédiger et à suivre leur correction dans le but d’analyser leurs méthodes de travail, leurs connaissances et leurs réflexes;
  • corriger les exercices et les textes, etc.

Mis à part le recours au logiciel Zoom, dont nous nous servons maintenant au lieu de Via parce que son accès par deux utilisateurs distincts (en face à face) est gratuit, nous avons peu modifié nos outils technologiques depuis l’implantation du CAF à distance, en 2014. Avec le temps, nous constatons que nous avions fait dès le départ des choix judicieux. Les étudiants deviennent familiers très rapidement avec ces outils que nous tentons tout de même de réduire au strict minimum.

Quant au matériel informatique, il est également minimal. D’abord, nous travaillons à l’aide d’un portable à écran tactile muni d’un stylet. Ainsi, nous pouvons noter directement à l’écran (sur un fichier numérique ou sur un tableau blanc) des informations utiles pour l’étudiant rencontré. De plus, nous nous servons d’un écran supplémentaire pour exploiter la fonction du bureau étendu, ce qui facilite notre travail. Nous pouvons, par exemple, placer les images renvoyées par les caméras sur le deuxième écran, et les documents utilisés avec le tutoré, sur l’écran du portable.

À l’hiver 2014, Mylène Desrosiers en rencontre avec un étudiant à distance.

Aussi, pour faire vivre à l’étudiant suivi à distance une expérience de communication plus intéressante, nous nous servons d’une caméra HD. L’image de l’intervenante au CAF qui est renvoyée à l’étudiant est ainsi d’une qualité supérieure, et donne l’impression d’un contact plus direct et plus réel. Enfin, nous nous servons d’un numériseur pour transformer en fichiers numériques une partie du matériel didactique utilisé.

Les appréhensions avant les premiers pas

Évidemment, avant de rencontrer virtuellement les premiers étudiants, j’étais craintive. J’avais l’impression qu’il serait difficile de créer une ambiance conviviale, que la technologie serait une barrière à une relation d’aide basée sur la confiance, le respect et le partage. La relation que je bâtis personnellement avec les élèves ayant des difficultés en français est extrêmement importante. J’ai la conviction qu’ils doivent se sentir compris et avoir confiance pour mieux apprendre. Finalement, mes craintes se sont vite évanouies quand j’ai constaté l’aisance avec laquelle la majorité avait recours aux outils de communication virtuelle. Je réalisais même que la distance créée par la technologie en amenait certains à s’ouvrir plus rapidement et à adopter des attitudes propices à l’apprentissage. Je les sentais en effet plus organisés et plus impliqués dans leur réussite, car ils devaient eux-mêmes gérer différents aspects de leur formation.

J’ai également eu peur que la technologie joue contre moi. Travailler à distance avec des personnes qui avaient besoin de recevoir un service impliquait de marcher sur une corde raide. À quel moment la technologie cesserait-elle de fonctionner? Évidemment, j’ai connu quelques ratés. Certaines rencontres ont dû être reportées, mais ce genre de situations n’arrive que très rarement. Avec le temps, les intervenantes au CAF et moi avons développé une expertise nous permettant de régler nous-mêmes certains problèmes techniques. De plus, le Service des technologies de l’information du cégep est très bien outillé pour faire face à différentes situations nécessitant des connaissances techniques plus pointues.

Dès les débuts du CAF à distance, j’ai aussi été étonnée de constater que les élèves bénéficiant du service appréciaient autant la formule. Conscients des efforts déployés par le centre pour répondre à leurs besoins, ils se montraient et se montrent toujours très reconnaissants. Ils sont même enclins à repousser eux-mêmes les limites que la technologie pourrait leur imposer au sein de la relation d’aide. Par exemple, un étudiant qu’une assistante souhaite faire rédiger sur papier pour reproduire au mieux le contexte dans lequel il est évalué propose de lui-même de prendre en photo son texte pour en créer un fichier numérique qu’il dépose ensuite dans Moodle. De leur côté, les assistances du CAF que je supervise se montrent normalement assez ouvertes à utiliser les outils de la FAD. Aucune des trois qui ont été formées n’avait d’expérience en visiotutorat[5]. Comme moi, elles ont été réticentes au début, mais elles ont toutes été agréablement surprises de constater que la qualité du service offert peut être la même en contexte virtuel.

Une formule inspirante

Ce type d’accompagnement a même inspiré Valérie Plourde, l’une des assistantes régulières en français, qui a mis à profit son expérience du CAF à distance pour élaborer son projet de maitrise en enseignement collégial[6]. Grâce à sa recherche, elle souhaite comparer l’engagement cognitif d’étudiants fréquentant le CAF à distance avec celui des étudiants le fréquentant en présence.

De même, le collège envisage aussi la possibilité de tirer profit du CAF à distance lors de l’embauche d’assistants. Situé en région, notre établissement peine parfois à trouver des personnes qualifiées et disponibles pour travailler avec les étudiants ayant des lacunes en français. En ouvrant éventuellement la porte au télétravail, le cégep élargit ses horizons et s’offre la possibilité de recruter ailleurs au Québec. Cette manière d’organiser le travail inverserait donc la formule dans plusieurs cas : nos étudiants en présence seraient alors accompagnés par un assistant ou une assistante en français travaillant à distance.

Enfin, le modèle du CAF à distance élaboré en 2014 pourrait très bien être adapté à d’autres situations qui nécessitent un accompagnement individualisé. La formation continue et la formation régulière poursuivent l’élargissement de leur offre de formation en ligne. Afin de bien les accueillir et de mieux les outiller, le cégep prévoit offrir à ses étudiants à distance un encadrement continu axé sur leurs besoins. Cet accompagnement individualisé pourra notamment les amener à développer plus facilement un sentiment d’appartenance envers le cégep de Matane, éloigné physiquement d’eux. De surcroit, ils acquerront des compétences technologiques utiles et des stratégies d’apprentissage diversifiées. L’encadrement offert par les aides pédagogiques individuelles, les conseillers pédagogiques, les services adaptés, les services psychosociaux, les services de prêts et bourses, etc., pourra très bien être adapté à la réalité de ces étudiants grâce aux outils utilisés au CAF.

* * *

  1. À titre informatif, le cégep de Matane accueille en moyenne 700 étudiants par année. [Retour]
  2. Dans le cas du programme Techniques de tourisme, le téléenseignement implique une salle de classe dans laquelle des étudiants se trouvent liés, en visioconférence, à d’autres étudiants connectés à partir d’un appareil personnel; pour ce qui est de Soins infirmiers, le téléenseignement suppose plutôt que deux salles de classe, dans des établissements différents, soient liées entre elles grâce à la visioconférence. [Retour]
  3. Il s’agissait de 11 étudiants au régulier et de 197 étudiants inscrits à la formation continue dans des AEC (formations créditées). [Retour]
  4. Groupe Collegia est le consortium des services en formation continue du cégep de la Gaspésie et des Îles, du cégep de Matane et du cégep de Rivière-du-Loup. [Retour]
  5. Nous construisons ce terme selon le modèle de l’expression visioconférence (qui implique l’utilisation d’un logiciel produisant une conférence) afin de rendre compte de notre réalité au CAF du cégep de Matane. [Retour]
  6. Valérie Plourde prévoit déposer son essai intitulé L’engagement cognitif d’étudiantes et d’étudiants du collégial au centre d’aide en français à distance à l’Université de Sherbrooke au cours de l’année 2019. [Retour]

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