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Littérature active: enseigner autrement dans les classes de français du collégial (seconde partie)

Littérature active: enseigner autrement dans les classes de français du collégial (seconde partie)

Récit de pratique
Enseignant de français et littérature, Étienne Bourdages s’est joint en 2012 à un projet multidisciplinaire de classe d’apprentissage actif. Dans la première partie de son article, publiée dans notre numéro précédent, il rendait compte de sa compréhension de la pédagogie inversée et « racontait » comment, à coup d’essais et d’erreurs, s’actualisent les principes de cette approche dans sa classe. Dans cette seconde partie, M. Bourdages s’intéresse à un aspect important que le renouvèlement de sa pratique enseignante vient bouleverser : la relation maitre-élève.

Au cours du semestre où je faisais mes premières armes sur YouTube[1], je me suis intéressé par la bande à l’apprentissage actif. J’ai constaté que les vidéos en ligne utilisées en pédagogie inversée ne mettent pas un terme à la relation élève-enseignant; au contraire, elles la stimulent, l’enrichissent et, puisqu’elles sont visionnées « en devoir », elles libèrent du temps passé en classe. Aussi, il me fallait imaginer des moyens originaux de profiter de ce temps en l’exploitant de manière efficace.

Dans ce type de pédagogie, la consigne est normative : l’élève se doit d’être actif – et, par émulation, l’enseignant n’aura pas le choix de l’être aussi – et d’être au centre de son apprentissage. Ce dernier se réalise généralement à l’occasion de travaux en équipe, en classe. Forcément, dans ces circonstances, notre rôle se trouve considérablement modifié. Exit la dynamique totalitaire où, comme le personnage de La Leçon d’Ionesco, le professeur imbu de son savant pouvoir impose sa loi à des élèves passifs sans considération pour leurs difficultés ou leurs maux de dents. En fait, une fois l’activité en marche et les élèves en action, l’enseignant devient rapidement un membre pivot, collaborateur « surnuméraire » se déplaçant d’une équipe à une autre pour faciliter la progression des idées, le dénouement des impasses…

La configuration du local, dans un tel contexte d’enseignement, change inévitablement. On y trouve de préférence des tables rondes, ce qui favorise les échanges en face à face. Elles sont entourées d’environ six chaises à roulettes qui facilitent les déplacements et amoindrissent considérablement le bruit. Le poste de l’enseignant est généralement situé au centre des tables. Tel un capitaine à la barre de son navire, il peut poser un regard à 360° sur les équipes de travail et, surtout, entretenir une proximité constante avec chacune, ce qui réduit son temps de réaction. C’est là, dirons-nous, le modèle de base. Idéalement, un tableau blanc jouxte chacune des tables. Les élèves y inscrivent leurs réponses, prennent des notes, exposent l’évolution de leur démarche. Dès lors, celle-ci devient « publique », accessible aux coéquipiers, mais également aux autres équipes. L’enseignant peut observer à quel rythme le travail s’effectue, voire intervenir immédiatement s’il constate qu’une des équipes fait fausse route. Dans un monde encore plus parfait, chaque ilot de travail est aussi équipé d’un ou de plusieurs ordinateurs connectés à un projecteur numérique. Le secrétaire d’équipe, dont la tâche est de colliger les notes dans un logiciel de traitement de texte, peut dès lors diffuser ce contenu à l’intention de ses coéquipiers et du reste du groupe – comme pourra également le faire l’élève qui effectue une recherche dans Wikipédia ou Antidote et souhaite montrer ses résultats à ceux qui n’ont pas un accès direct à son écran. La classe se trouve ainsi fractionnée en petites salles de réunion quasi autonomes. Une telle configuration induit la division du travail non seulement à l’intérieur des équipes, mais à l’intérieur du groupe aussi. L’enseignant pourra, par exemple, si un exercice comporte plusieurs parties, en distribuer une à chaque équipe. L’approche par problème permet d’exploiter cette dynamique et, du même coup, d’utiliser l’audacieux environnement de la classe d’apprentissage actif à son plein potentiel.

Sur papier, cette organisation peut paraitre simple. Or, mes premières expériences n’ont pas été sans contrariétés. À l’époque, je commençais tout juste à tâter de la pédagogie inversée. Le changement de régime maitre-élèves était amorcé. Il suffisait de voir l’étonnement sur le visage de ces derniers, lorsqu’ils entraient dans une classe où les chaises et les tables avec tablette avaient été réunies en ilots, pour me convaincre qu’une petite révolution était en marche. Cependant, ma question au sujet de la pédagogie inversée resurgissait inévitablement : comment adapter cette approche, qui semble si bien se fondre aux disciplines scientifiques, au contenu des cours de français et littérature? Le changement m’enthousiasmait, mais j’étais sceptique quant à la flexibilité du modèle. J’ai alors eu l’occasion d’aller observer un des groupes d’une collègue du Département de biologie et biotechnologies[2]. Rapidement, j’ai constaté à quel point la classe était effectivement active! En équipes, les élèves se donnaient des rôles, ils discutaient de la matière, prenaient des notes, s’adressaient au reste du groupe. L’enseignante papillonnait d’une table à une autre, répondait aux questions spontanées, précisait certaines notions… Elle terminait ce jour-là une activité qui s’était déroulée sur deux cours de trois heures. Une planification réglée au quart de tour, comme j’en avais rarement réalisé une. J’ai été tout de suite séduit par cette organisation : des périodes tels des blocs LEGO de différentes couleurs, qui s’emboitent parfaitement. En plus, loin d’être contrainte, l’enseignante gagnait plutôt en liberté. Sa prestation, même si elle ne relevait pas totalement de l’improvisation, n’était pas figée dans un plan rigide et suivait plutôt les fluctuations des interrogations des équipes. L’enseignante ne faisait pas « cavalier seul », puisque la responsabilité du contenu reposait sur les épaules de toute la classe.

La semaine précédente, les élèves avaient d’abord écouté, en prenant des notes, une présentation magistrale, une amorce d’une trentaine de minutes exposant les grandes lignes du thème principal de la rencontre. Le groupe s’était ensuite divisé en équipes pour lire et analyser la mise en situation dramatique : une discussion fictive entre deux cégépiens au sujet de la maladie de la mère de l’un d’eux. Il fallait trouver les sous-thèmes soulevés par ce dialogue; par exemple, les symptômes de la maladie, les traitements possibles, etc. En devoir, et individuellement, chaque élève avait ensuite effectué une recherche d’informations sur cette maladie en se référant à une liste d’articles et de pages web sélectionnés par l’enseignante. Au retour en classe, au moment de ma visite, les équipes ont mis en commun, dans un premier temps, les résultats de leurs recherches. On pouvait facilement repérer les élèves qui n’avaient pas cherché : indifférents ou mal à l’aise, et toujours silencieux. Dans un deuxième temps, l’enseignante a assigné à chaque équipe un sous-thème ou concept particulier. Les équipes devaient alors se concentrer sur les caractéristiques de ce concept afin d’en faire le portrait le plus complet possible. Une heure s’était écoulée. Après une pause, les porte-paroles de chaque équipe ont présenté à tour de rôle leur portrait au reste du groupe. Les autres élèves ont alors eu l’occasion d’ajouter leur grain de sel, de compléter une définition, de demander une précision à l’enseignante. Les présentations terminées, il restait quelques minutes. Certains en ont profité pour étudier jusqu’au dernier instant; d’autres, pour prendre une deuxième pause. La dernière heure était consacrée à une évaluation, soit un examen portant sur les notions soulevées par la situation problème.

J’étais séduit, et nous n’étions même pas dans une classe d’apprentissage actif telle celle décrite plus haut! Il s’agissait d’un local ordinaire au mobilier bigarré qui, une fois rassemblé en ilots, prenait une allure un peu bancale. L’atmosphère aride de cette « clache chèsse » (prononciation déshydratée qui laisse entendre tout ce qu’elle m’inspire) venait pourtant de se métamorphoser sous mes yeux. Mon problème restait toutefois entier. Créer une mise en situation de ce genre pour un cours de français m’apparaissait un peu artificiel. Quel enjeu littéraire pourrait bien animer deux cégépiens lors d’une rencontre fortuite à la cafétéria? Autour de quel sujet tournerait cet échange fictif? Quelles sous-questions soulèverait-il? Comment rendre ce dialogue à la fois suffisamment crédible et romanesque pour éveiller l’intérêt des élèves et les motiver à s’engager dans la recherche et la réflexion? Avant de mettre à profit mes « talents » de dramaturge, je devais trouver des solutions à trois difficultés :

  1. Résoudre la contrainte temporelle. L’activité se déroulerait-elle, comme en biologie, sur deux cours successifs, et dans la même semaine? Je disposerais alors de quatre heures (deux cours de deux heures) au lieu de six. Il m’apparaissait beaucoup trop chronophage de l’échelonner sur trois cours. De plus, certains groupes n’avaient que 48 heures d’intervalle entre leurs deux rencontres tandis que je voyais un autre groupe les lundis et vendredis matins. Par souci d’équité, il fallait que tous les élèves aient droit à un laps de temps de recherche et de préparation équivalent. J’ai donc opté pour la séquence suivante : un cours de présentation et de prise en charge de la situation; un cours tampon portant sur un autre sujet; un troisième cours, une semaine après le premier, avec retour en équipes sur les questions, puis évaluation.
  2. Deuxième difficulté : je devais concevoir une évaluation (un examen de connaissances?) portant sur la matière étudiée la semaine précédente. Quel type de questions allais-je formuler de façon que les réponses données par les élèves « collent » minimalement à la compétence du cours?
  3. Une fois ces deux difficultés écartées, mon principal défi demeurait entier : imaginer une situation problème amenant les élèves à synthétiser dans leurs propres mots des concepts liés au champ littéraire. Peut-être pensais-je encore trop « à l’intérieur de la boite », comme on dit? Même si l’idée qu’un jour la matière de mon cours soit compartimentée comme des blocs LEGO me plaisait, je ne voulais pas, à ce moment, revoir toute la planification d’une session pour une seule activité. Mon objectif était d’exploiter le plus possible le matériel dont je disposais déjà.

Finalement, pour ma première expérimentation, j’ai choisi de ne pas trop me compliquer l’existence! J’ai d’abord conservé le test de lecture et de connaissances précédant la première dissertation comme terrain de pratique. Ce test portait sur la matière vue depuis le début de la session (le conte traditionnel, le terroir et l’antiterroir) et sur le corpus à l’étude (La Chasse-galerie d’Honoré Beaugrand, des extraits de Vieilles choses, vieilles gens de Georges Bouchard et de La Scouine d’Albert Laberge). Auparavant, de manière un peu passive, j’aurais rappelé à mes élèves qu’un examen approchait et qu’ils devaient revoir les notions abordées depuis le début de la session pour espérer le réussir. Je leur ai plutôt soumis un dialogue très librement inspiré d’une anecdote véridique :

1918, chez un imprimeur montréalais, Auguste Comte – pas le positiviste français, mais un autre – discute de la publication dans son journal La Semaine d’un texte intitulé « Les foins », écrit par un jeune auteur à la plume incisive. L’imprimeur appréhende un scandale, les foudres de l’Église! Comte n’en fait pourtant qu’à sa tête.

Dans mon monde merveilleux de l’apprentissage actif, les élèves, avec enthousiasme, prenaient connaissance du court dialogue, l’analysaient pour en identifier les thèmes (folklore national, idéologie de conservation, modernité littéraire, etc.) et déduisaient ainsi la matière à cibler en prévision de l’examen de la semaine suivante. Dans les faits, l’activité s’est déroulée un peu moins facilement. J’ai dû m’assoir avec les équipes, relire la mise en situation avec elles… Ma question générale était, effectivement, un peu bidon – « Pour quelles raisons le roman La Scouine fait-il scandale? » – et un peu trop précise par rapport à la quantité de matière à étudier. Je pense également que, peu habitués à ce genre d’approche favorisant l’autonomie, les élèves se sont sentis légèrement dépourvus. Nous avons tout de même délimité les grands axes de la discussion entre Comte et son imprimeur afin de formuler des catégories de sous-questions : conte traditionnel, terroir, sources d’inspiration de Laberge, contexte social, etc. Les élèves ont eu ensuite une semaine pour rédiger individuellement, dans leur vocabulaire propre, une réponse pour chacune de ces catégories-questions. Au fond, ils démêlaient leurs notes de cours en s’inspirant d’une structure imposée. On ne pouvait plus vraiment qualifier cette séquence d’approche par problème, mais nous étions toujours, je crois, en mode apprentissage actif. Au retour, en équipes, ils avaient une vingtaine de minutes pour synthétiser leurs réponses, chaque équipe travaillant sur une catégorie particulière. Puis, comme dans le cours de biologie, les porte-paroles présentaient à la classe les résultats des discussions. C’était l’occasion, pour les autres, de compléter leur propre synthèse, mais aussi d’ajouter, à l’intention de tous, des informations manquantes, ou encore, de demander à la classe des précisions de dernière minute. J’avais l’occasion, de mon côté, de corriger des affirmations erronées ou de souligner certains aspects qui me paraissaient négligés.

Bilan

L’approche a fait son chemin. Aujourd’hui, j’ai délaissé la situation problème fictive, qui, bien qu’amusante pour moi, s’est avérée peu concrète aux yeux des élèves. Il reste que ce que j’appelle maintenant « activité préparatoire à l’examen » obtient beaucoup de succès. Une semaine avant le contrôle, je me contente de remettre les sous-questions aux élèves. Ils ont alors sept jours pour y répondre. Dans l’heure qui précède l’évaluation, ils se regroupent, puis présentent leurs réponses à la classe, comme dans le scénario évoqué plus haut. Après une pause, la deuxième partie du cours est consacrée à l’évaluation. Par hasard, au détour d’une lecture, j’ai appris que, sans le savoir, je leur proposais ainsi quelque chose s’apparentant à « l’évaluation par contrat de confiance[3] » mise au point par le Français André Antibi dans le but de contrer la fameuse « constante macabre » qu’il a lui-même décrite : il ne s’agit pas de donner les questions du contrôle avant de le faire passer, comme se l’imaginent d’abord certains élèves, mais plutôt d’amener ces derniers à mieux saisir son contenu.

Je ne pourrais dire si les résultats de mes évaluations sont supérieurs à ce qu’ils étaient avant. Je n’ai ni compilé de statistiques ni comparé avec un groupe témoin, et, d’une session à l’autre, je modifie encore des questions d’examen, les ajustements sont constants… Chose certaine, les élèves ne semblent plus éprouver le sentiment d’être piégés par les tests. Leurs commentaires tendent à suggérer que ces activités préparatoires les amènent plutôt à gagner en confiance. Ils trouvent rassurant de pouvoir partager leurs connaissances et leur compréhension de la matière avec leurs coéquipiers avant les examens. Ceux-ci leur paraissent d’ailleurs moins difficiles, la rétention d’informations se faisant plus efficacement. Ils apprécient entendre plusieurs versions de la même réponse : ils explorent ainsi des pistes différentes, un autre vocabulaire, etc. Le retour en classe leur donne par ailleurs l’occasion de mieux comprendre la matière, de marquer un arrêt, de faire le bilan des acquis. Aucun commentaire négatif. En fait, je crois avoir créé une dépendance!

De mon point de vue, le principal avantage relève évidemment du changement de dynamique entre les élèves et moi. Pendant le travail de révision et de partage en équipe, mes interventions sont beaucoup plus ciblées, puisque je m’adresse à de petits groupes. Je fais du « micromagistral ». Je suis l’équipier volant, la référence. Les réflexes en alerte, à l’affut des mains levées, je bondis! Dans ce contexte, la timidité des élèves s’estompe et ils me posent des questions qu’ils n’auraient probablement pas osé formuler devant toute la classe. Cette nouvelle dynamique, d’une certaine façon, a été induite par l’architecture de la classe d’apprentissage actif dans laquelle je me suis installé avec mes groupes au début de l’automne dernier. En notant leurs réponses sur leur tableau blanc, ils exposent leur processus de synthèse, ce qui me permet de les suivre à la trace et d’intervenir aussitôt qu’ils font une erreur. Au final, lorsque les porte-paroles s’adressent au groupe, leurs présentations orales s’appuient sur un support visuel. De plus, le travail étant divisé, le groupe parvient à réviser efficacement toute la matière de l’examen. On se surprend presque à louanger le taylorisme…

Depuis, je me suis rendu à l’évidence : des situations problèmes, j’en avais quelques-unes en banque, à savoir mes questions de dissertation. Pourquoi m’échiner à créer des dialogues qui laissent mes étudiants plus indifférents qu’autre chose alors que j’ai déjà plusieurs hypothèses encourageant l’analyse littéraire à portée de main? Je les incite à se voir comme une équipe de laborantins penchés au-dessus d’une grenouille inanimée, à la différence que l’objet organique qu’ils dissèquent est un texte littéraire. Pour mettre au jour ses secrets, ils n’utiliseront ni scalpel ni microscope, mais un crayon et un dictionnaire. Il suffit ensuite de fomenter une « compétition internationale du plan de dissertation » en donnant la même question à deux équipes différentes pour titiller l’esprit de compétition. Les élèves que je rencontre individuellement à mon bureau me disent tous grandement profiter de l’expérience et de l’apport de leurs camarades.

Les premiers cours dans la classe d’apprentissage actif sont éprouvants, voire épuisants. Les questions fusent des quatre coins, on est constamment aux aguets. L’apprentissage est vraiment actif, certes : pendant que les élèves échangent, assis, c’est l’enseignant qui se déplace d’une équipe à une autre! Une excellente façon de perdre du poids! Mais on s’adapte à ce nouveau rythme, le plaisir croît avec l’usage. Après plusieurs cours d’affilée, le retour dans la classe traditionnelle donne un choc; d’un coup, tous ces yeux tournés vers soi qui semblent attendre une performance… Mais les vieux réflexes reviennent vite! Le magistral peut être si réconfortant. En fait, je me rends compte que la meilleure architecture serait flexible ou transformable, permettant de passer d’une stratégie pédagogique à une autre sans changer de local.

  1. NDLR Étienne Bourdages a récupéré ses diaporamas PowerPoint portant sur la méthodologie de la dissertation pour en faire des documents vidéos que ses élèves visionnent de façon autonome sur sa page YouTube : www.youtube.com/channel/UCEAfdz2dQt_7kIL_DU_F_vg [Retour]
  2. Je remercie Édith Gruslin de m’avoir si gentiment accueilli. [Retour]
  3. Pour plus de détails, voir : http://mclcm.free.fr/documents/060124_EPCC.pdf [Retour]

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