" />
2024 © Centre collégial de développement de matériel didactique
Maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes: l’avis du conseil supérieur de l’éducation

Maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes: l’avis du conseil supérieur de l’éducation

Tandis que je lisais le dernier avis du Conseil supérieur de l’éducation, Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes[1], deux envois courants et banals de la part d’organismes gouvernementaux ont retenu mon attention : examinés à l’aune de ce document sur les faibles compétences en lecture et en écriture d’un grand nombre de Québécois, ils m’ont frappée comme des communications incomplètes ou indigestes, menant sans doute, parfois, à des occasions ratées (aux conséquences graves).

La première de ces situations a été mon avis de renouvellement de permis de conduire. Les consignes y étaient présentées très clairement, sur une seule feuille recto verso (belle attention écologique). Mais, pour savoir où se présenter avec son formulaire rempli, nul autre choix que de consulter le site de la SAAQ. Ce qui suppose, bien sûr, d’avoir accès à Internet et de savoir l’utiliser. Un autre avis reçu par la poste, et qui m’a laissée encore plus perplexe, fut celui présentant les élections municipales. Bavard, confus, empli d’informations d’un niveau d’importance très varié mais toutes présentées en vrac, ce document m’a heurtée par son inefficacité et son caractère brouillon. Fourmillant d’adresses et de dates, toutes référant à des processus différents (et mal expliqués), il trouvait le moyen de renvoyer, en plus, à différents sites pour des compléments d’information, et réussissait en une quinzaine de pages à ne jamais dire clairement ce sur quoi portaient les élections. Ainsi, les concepts de maire, maire d’arrondissement, conseiller de la ville de mon district et conseiller d’arrondissement n’y étaient jamais expliqués (même si l’on disait, des pages 10 à 14, qu’il faudrait voter pour les élire!). On y donnait également les détails concernant les lieux et dates des commissions de révision (au rôle plutôt flou) en distinguant celles-ci, de manière complètement inutile, des commissions de révision prolongée. En somme, un dépliant abscons et sans pédagogie, qui n’aura vraiment rien fait pour donner à quiconque l’envie d’aller voter. Et en aura sans doute découragé plus d’un, surtout parmi ceux dont le niveau de compétences en littératie est le plus bas, et qui ont peine à lire un texte simple pour y repérer de l’information.

Des statistiques accablantes

À ce sujet, d’ailleurs, les statistiques sont telles, que le premier réflexe est de soupçonner qu’elles sont fausses. En effet, saviez-vous que 16 à 20 % des personnes de 16 à 65 ans au Québec peuvent tout juste lire un texte relativement court pour y repérer un élément d’information identique ou semblable à un élément donné dans une question portant sur ce texte? Et que 33 % des autres arrivent à peine à faire des déductions de faible niveau à partir d’un texte, ou de mettre en relation (opposer ou comparer) des éléments d’information qu’on y retrouve? En somme, pouvez-vous imaginer que la moitié des 16 à 65 ans se situent tout juste à un seuil acceptable de littératie[2]?

Ce sont pourtant les chiffres que l’on trouve dans la seconde enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes, conduite par l’OCDE et Statistique Canada et publiée en 2003[3]. Ces résultats datent ainsi de plus de 10 ans. Mais ils ont ressurgi dans l’actualité dernièrement, alors que le Conseil supérieur de l’éducation émettait, en septembre 2013, un avis sur les mesures à prendre pour y faire face. Nul ne sera surpris d’apprendre que le Conseil y appelle à un engagement de tous et pose cette question comme « une priorité nationale[4] ». Le milieu scolaire y est, bien entendu, interpellé au premier chef. Mais le Conseil supérieur pose sur ce problème un regard plus vaste. Il aborde ainsi le sujet du rapport à l’écrit, problématique chez plusieurs des personnes concernées, et la nécessité, qui appartient à toute la société, de créer un environnement stimulant et susceptible de rehausser le niveau de littératie de tous par la création de situations d’apprentissage informel.

Trois portraits types

Afin de dépasser le tournis que donnent ces chiffres, et finir par entrevoir la réalité qu’ils recouvrent, le Conseil présente trois situations génériques. En effet, on pourrait regrouper une très grande part des adultes présentant de trop faibles compétences en littératie sous trois catégories. La première regroupe ceux qui, à la sortie de l’école, possèdent un bagage insuffisant de compétences. Il existe en effet une corrélation très étroite entre la scolarité et le niveau de littératie, et les décrocheurs présentent souvent, malheureusement, de faibles compétences en cette matière.

La deuxième catégorie, elle, regroupe ceux qui, pour diverses raisons, n’ont plus les compétences (qu’ils ont peut-être déjà eues) pour faire face à un milieu du travail dont les exigences se sont fortement modifiées dans les dernières années. En effet, « le niveau de compétence requis pour la participation active à la vie sociale et économique s’est élevé considérablement, ce qui fait que des personnes se trouvent à présent en situation de déficit de compétence[5] ». L’utilisation grandissante de la technologie, notamment, dans maints milieux de travail, exige des compétences accrues en lecture, calcul et écriture, ainsi que des connaissances de base dans le maniement de certains outils informatiques. Ces changements ont des effets positifs : les tâches routinières ont ainsi, selon une étude américaine, beaucoup diminué depuis les années 60. Ils entraînent aussi, cependant, la mise à l’écart d’un certain nombre de personnes peu outillées pour faire à face à ce genre de défis.

Finalement, le troisième groupe qui se retrouve derrière cette statistique est constitué des allophones qui, à cause de leur maîtrise insuffisante de la langue de la société d’accueil, sous-performent en lecture et en écriture. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les immigrants dont la langue maternelle est le français ont obtenu un score moyen légèrement supérieur à celui des Canadiens locuteurs natifs du français.

On s’en doute bien, il existe un lien étroit entre de faibles compétences en littératie et la pauvreté. Il n’est cependant pas facile de savoir lequel de ces phénomènes mène à l’autre. D’un côté, les situations de pauvreté peuvent entraîner bien des difficultés (problèmes de santé, besoins financiers, manque d’accès à des milieux stimulants) qui entravent les projets de formation ou mettent en péril le maintien des compétences. D’un autre côté, de faibles compétences en littératie rendent difficile l’accès à des emplois gratifiants et bien rémunérés, et compliquent la recherche d’information, notamment auprès des instances gouvernementales ou du système de santé, entraînant des conséquences parfois graves. Il ressort de tout cela que le développement et le maintien des compétences en littératie sont des enjeux primaires de solidarité sociale, qui doivent être déployés pour contrer l’exclusion.

Le défi de maintenir un environnement stimulant sur le plan de la littératie

Ainsi, les adultes qui correspondent à l’un ou l’autre de ces trois profils éprouvent des difficultés importantes à s’insérer dans la vie active et à y performer. Mais, plus grave encore, leurs compétences risquent, avec le temps, de diminuer davantage. C’est d’ailleurs vrai pour tout le monde, quelles que soient les habiletés en lecture, écriture ou mathématique : « Une fois l’école terminée et le diplôme obtenu, les habitudes de lecture fléchissent et, par conséquent, les habiletés s’estompent[6]. » Les compétences en littératie ne peuvent donc être tenues pour définitives; le temps passant, chez plusieurs, elles tendent à se dégrader. Ce déclin n’est cependant pas inévitable. Le Conseil supérieur plaide ainsi « en faveur d’un environnement les sollicitant[7] ».

Et comment le mettre en place, cet environnement stimulant? Ce n’est pas si sorcier. Le Conseil cite ainsi en exemple plusieurs initiatives, très variées, qui permettent de rejoindre des adultes a priori peu intéressés par la lecture et l’écriture. Mentionnons notamment « l’heure du conte », activité courante dans plusieurs bibliothèques et services de garde, où les enfants apprennent à apprécier les livres et peuvent partager avec leurs parents, même faibles lecteurs, un moment agréable qui pourrait modifier leur rapport à la lecture. Les activités autour de la bande dessinée, également, ont l’heur de plaire à un grand nombre, parce que ces albums ne constituent pas des ouvrages trop intimidants. Les ateliers liés à la généalogie, les publications locales portant sur des quartiers ou des villages, et les activités culturelles à propos de diverses cultures sont également des initiatives pouvant attirer un public large, qui inclut des personnes dont les compétences en littératie sont réduites ou des immigrants dont la francisation est encore lacunaire.

Des initiatives inspirées

D’autres initiatives soulignées par le Conseil ont plutôt pour but de pallier les difficultés de lecture et d’écriture de la population, afin d’éviter de les exclure de certains processus citoyens. À cet égard, il est intéressant d’apprendre que le Plan d’action gouvernemental d’amélioration des services aux citoyens (2002-2003) établissait l’importance de « promouvoir l’utilisation d’un langage clair, simple et concis dans les relations avec les citoyens[8] ». Afin d’aider le gouvernement dans cette tâche, un groupe de recherche a même été créé, rattaché au Centre interdisciplinaire de recherches sur les activités langagières de l’Université Laval. Le Barreau du Québec a également publié un ouvrage de référence gratuit en matière de simplification et de clarification, qui s’adresse aux avocats. Si elles sont louables, ces initiatives n’ont manifestement pas encore réussi à empêcher le charabia bureaucratique de polluer une immense majorité des publications gouvernementales et paragouvernementales.

Le Conseil présente également des interventions mises en place par des organismes particulièrement inspirés. L’une de celles-ci, aussi poétique qu’efficace, permet de faciliter la vie de personnes parmi les plus démunies en lecture et en écriture : il s’agit d’un écrivain public, au service des résidents d’un complexe d’habitations à loyer modique, à Montréal[9]. Il aide les gens dans leurs communications courantes (formulaires, lettres et autres documents à produire ou à déchiffrer). Ce service d’écrivain public sert également de moyen de dépistage et de promotion des formations en alphabétisation et en francisation. Un autre organisme a eu l’idée, dans un quartier défavorisé de Trois-Rivières, de permettre à des parents peu scolarisés de se mettre à niveau, en français et en mathématiques, afin d’offrir du soutien à leurs enfants qui débutent au primaire[10].

Les lacunes de l’offre de formation

Le Conseil s’attarde aussi bien sûr à l’offre de formation destinée aux adultes. Francisation, formation menant à des diplômes professionnels ou techniques : les programmes sont nombreux, les possibilités sont grandes, plusieurs lacunes font encore que les faibles compétences en littératie peuvent perdurer. Par exemple, dans de nombreux parcours scolaires fréquentés par les adultes qui retournent aux études, les cours de base en lecture et en écriture ne sont pas au programme. De tels cours ne se retrouvent notamment pas dans les grilles de cours d’une attestation d’études collégiales. Quant à l’accès aux programmes de francisation, il est défini en termes de durée et non de niveau à atteindre; ainsi, une personne ayant neuf ans ou plus de scolarité a droit à trois sessions de onze semaines en francisation, quel que soit son niveau de compétence en français au terme de celles-ci. L’avis du Conseil supérieur plaide donc notamment pour le financement d’activités de mise à niveau et la mise en place de mesures d’aide à la réussite destinées aux adultes qui retournent aux études, ainsi que pour l’amélioration de l’offre de formation en francisation.

Le Conseil interpelle également le milieu du travail, peu enclin à offrir de la formation de base et à s’assurer du maintien des compétences des employés en place. En effet, une étude menée en 2002 par Léger Marketing auprès de décideurs d’entreprises a montré que, selon ceux-ci, « la formation doit relever de la responsabilité de l’État, peu admettant leur engagement à titre de citoyens corporatifs[11] ». Les organisations syndicales sont également appelées, par le Conseil, à être proactives pour susciter l’intérêt des employeurs à déployer des efforts afin de maintenir et de développer les compétences en littératie des employés. L’appel à un tel engagement de ces acteurs citoyens, s’il peut surprendre et ne correspond guère aux mœurs québécoises en matière de perfectionnement et de formation continue, a sans doute été inspiré au Conseil supérieur par l’exemple suédois, qu’il documente dans son avis. En Suède, en effet, une solide tradition de formation continue est installée. Les syndicats et les municipalités encouragent ainsi, par exemple, la formation de cercles d’études au travail ou dans la communauté, dans lesquels des personnes se regroupent pour échanger sur des sujets qui les intéressent (histoire, langues, arts, tourisme, etc.). Tous les Suédois ont également droit à des congés sans solde pour retourner aux études.

Hélas, la réalité québécoise est encore loin de ressembler à cela! Il importe de réagir et de commencer à mettre en place des mesures pour remédier au faible niveau de compétence en littératie des adultes québécois. À l’heure des technologies de l’information, alors que presque tout est à portée de clic, il faut faire en sorte qu’une importante part de la société ne soit plus mise à l’écart et exclue de la vie citoyenne. La solidarité sociale la plus primaire nous dicte de le faire.

* * *

  1. Conseil supérieur de l’éducation, Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes. Avis à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, et au ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Québec, septembre 2013. [Retour]
  2. La littératie désigne « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités » (Legendre, 2005, cité dans Conseil supérieur de l’éducation, 2013, p. 3). [Retour]
  3. La première de ces études, l’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (EIAA), a été réalisée en 1994. Une troisième étude, intitulée Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), a été réalisée en 2011-2012; les résultats préliminaires ont été diffusés en octobre 2013. L’enquête sur la littératie et les compétences des adultes (ELCA), dont il est question dans l’avis du Conseil supérieur de l’éducation, date quant à elle de 2003. [Retour]
  4. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATIONn, 2013, p. 137. [Retour]
  5. BÉLANGER, DANIAU et MEILLEUR, 2010, cité dans CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, 2013, p. 15. [Retour]
  6. MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS, 1998, cité dans CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, 2013, p. 33. [Retour]
  7. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, 2013, p. 33. [Retour]
  8. GROUPE RÉDIGER, 2002, p. 8, cité dans CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, 2013, p. 85. [Retour]
  9. Il s’agit d’un service mis en place par le Collège Frontière, aux Habitations Jeanne-Mance, à Montréal. [Retour]
  10. C’est une initiative du Centre d’organisation mauricien de services et d’éducation populaire (COMSEP), et un projet conduit en partenariat par plusieurs organisations de Trois-Rivières. [Retour]
  11. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, 2013, p. 125. [Retour]

Télécharger l'article au format PDF

UN TEXTE DE