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«Lettre à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial»

«Lettre à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial»

Test de lecture

Il est difficile de se faire une opinion sur cette Lettre à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial[1] de Louis Cornellier, qui n’est en fait pas qu’une lettre, mais aussi le recueil de quelques réponses à cette lettre[2], publié dans un sobre petit livre de 124 pages. Oui, il est difficile de se faire une opinion, tant l’on s’en fait plusieurs, car d’un constat de Cornellier – que je partage d’ailleurs – découlent maintes suggestions, maintes pistes de solution qui montrent combien il y a plus, dans la littérature et dans la philosophie, que des mines foisonnantes de sujets de dissertation sagement formatés.

Cornellier, dans la lettre qui donne son titre au livre, commence en formulant toutes les réserves d’usage avant d’entreprendre une telle discussion. Ainsi, il évoque les causes sociales, politiques, voire professionnelles, des difficultés que rencontrent les professeurs de philo et de français forcés d’enseigner des matières aucunement valorisées dans le Québec actuel, encadrés par des devis et des impératifs qui dénaturent parfois le sens de leur enseignement, devant des classes bondées et dans une tâche sans cesse plus lourde. Mais il poursuit néanmoins en établissant le constat suivant, qui doit nous pousser à remettre en question nos pratiques : « Nous ne parvenons plus, pas assez souvent en tout cas, à imposer, par nos prestations en classe, la grandeur de nos matières, et ce, pour toutes sortes de raisons[3]. »

Comment remédier à cet état de choses ? La réponse semble d’abord surtout se trouver, pour lui, dans le corpus enseigné. Cornellier prêche ainsi pour l’enseignement d’« œuvres (ou [d’]extraits d’œuvres) accessibles, au moins à un premier degré de lecture, à des jeunes Québécois de 18-20 ans prêts à faire un effort[4]. » Deux choses frappent d’emblée : cet adjectif (prêts) montre bien que Cornellier laisse à l’élève une responsabilité dans son apprentissage, et ce complément (à faire un effort) lui permet de se dissocier d’autres discours qui prônent une pédagogie du vécu, du ressenti, souvent mise en opposition (à tort ou à raison) avec la pédagogie du travail, de l’acquisition.

Cornellier poursuit en précisant ce qu’il désigne par « œuvres accessibles » ; ce sont surtout « des œuvres actuelles ou qui proviennent du passé récent (20e siècle[5]). » Ainsi, il rompt avec ce qu’il appelle la « pédagogie de l’admiration[6] », selon laquelle on enseigne les classiques parce qu’ils sont canoniques (et, ainsi, un peu inaccessibles dans leur grandeur parfaite) et que la transmission de ce canon nous importe. Au contraire, expose-t-il dans sa missive à ses collègues, il faut convaincre les élèves de l’importance de l’apport de la littérature et de la philosophie dans leur vie, afin qu’ils poursuivent cette quête de sens après leurs études et qu’ils développent, de façon autonome, leur curiosité pour ces matières.

C’est cette démarche, cet engagement des élèves dans la découverte et l’appropriation de la littérature et de la philosophie qu’il faudrait, ajoute-t-il, évaluer, et non simplement leurs capacités à rédiger une dissertation dans les règles de l’art : « Les travaux et examens […] continueraient bien sûr d’exister et d’être évalués avec sérieux, mais ils ne feraient plus, enfin, foi de tout. La bonne foi, l’engagement et l’effort […] vaudraient aussi, ce qui, j’en ai la conviction, contribuerait à transformer pour le mieux l’esprit qui règne dans nos classes[7]. »

Finalement, Cornellier joint à sa lettre un post-scriptum où il ajoute encore au débat. Il y propose de donner préséance à la littérature québécoise dans les cours de lettres du collégial et, plus largement, de formuler pour tous les élèves du secondaire et du collégial une liste de lectures obligatoires tirées du corpus québécois. Cet exercice servirait, selon lui, à définir et à souder une identité québécoise commune.

La missive de Cornellier, on le voit, est riche en propositions et en idées, et ne manque ni d’idéalisme, ni de clarté, ni même de pragmatisme. Certaines suggestions sont d’ailleurs si concrètes – les titres de livres qu’il juge difficiles ou accessibles, ou des romans québécois à imposer à tous – que l’on ne peut s’empêcher d’y voir une stratégie de polémiste pour lancer le débat, ou alors une naïveté certaine ! Mais ce qui est débattu ici est si vaste et si foisonnant, que le propos se perd un peu (parfois beaucoup) dans les textes des auteurs qui lui répliquent. Car de quoi est-on, au juste, invité à débattre ? Des corpus ? Des places respectives qu’occupent les littératures québécoise et française dans la culture québécoise ? Des modalités d’évaluation au collégial ? De la pertinence de l’approche dite par compétences ? De la finalité de l’enseignement de la littérature et de la philosophie ? De la mission, de la vocation du professeur ?

En somme, le principal mérite de cet ouvrage est de nous donner à repenser nos pratiques, à réaffirmer nos croyances et à poser de nouveau les questions qui nous traversent. Mais les réponses qu’il donne sont encore parfois bien incomplètes. Et surtout, en centrant le débat sur les corpus, elles évacuent beaucoup trop aisément leurs modalités de transmission. Car il me semble que ce n’est pas l’origine (française, québécoise ou autre) d’une œuvre, ni son année de publication, qui la rendra accessible ou à tout le moins intéressante aux yeux d’un élève du collégial. Cet intérêt ne pourra être créé que par le professeur qui la lui présentera avec pertinence, pédagogie, ouverture et passion. Or ce souci pédagogique est, étrangement, bien peu évoqué dans la lettre de Cornellier et dans les réponses de ses collègues.

* * *

  1. CORNELLIER, Louis, Lettre à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial, Montréal, éditions Nota bene, 2006, 124 p. Retour
  2. Ont répliqué à Cornellier dans cet ouvrage : Marc Chabot, Michel Morin, Jean Pierre Girard et Monique LaRue. Retour
  3. CORNELLIER, Louis, Lettre à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial, p. 9. Retour
  4. Ibid., p. 16. Retour
  5. Ibid., p. 18. Retour
  6. CORNELLIER, Louis, « Littérature et philosophie au collégial – Les conditions du vrai débat », dans Le Devoir, 19 février 2007. Retour
  7. CORNELLIER, Louis, Lettre à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial, p. 26. Retour

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