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Apprendre à écrire au cégep?

Apprendre à écrire au cégep?

« Je n’enseigne rien à mes élèves ; j’essaie seulement de créer des conditions dans lesquelles ils peuvent apprendre. » Einstein

Au cégep régional de Lanaudière à L’Assomption, une méthode pédagogique expérimentée à travers un projet de tutorat en français écrit a récolté des succès remarquables l’année dernière. Grâce à la collaboration de la technicienne au Centre d’aide en français écrit (CAFÉ), à un encadrement plus étroit des élèves inscrits au cours de Mise à niveau et à une cinquième heure ajoutée à l’horaire, les élèves qui recevaient l’aide d’un tuteur chaque semaine ont connu en moyenne une progression de 70 % et un taux de réussite de 90 %. Cette amélioration s’explique par l’approche pédagogique développée : un enseignement centré sur l’apprentissage, adapté à chacun, où la responsabilisation et l’autonomie des élèves sont constamment sollicitées.

Évaluation de la compétence à écrire et calcul du taux d’amélioration

Afin d’évaluer les progrès effectués à l’intérieur du cours de Mise à niveau, on a comparé la qualité du français écrit d’un texte rédigé au tout début de la session avec celle d’un texte rédigé au terme de la session. Le contexte et les conditions de réalisation des deux textes sont à peu près les mêmes : la rédaction se déroule uniquement en classe, les choix de sujets nécessitent la lecture et la compréhension de courtes nouvelles, la consultation des ouvrages linguistiques est permise (des grammaires et des dictionnaires sont mis à la disposition des élèves). Toutefois, le nombre de mots exigés et la durée de l’épreuve varient. Pour le test initial de classement, il s’agit de rédiger un texte de 150 à 200 mots en une heure et demie ; pour l’épreuve finale, il faut écrire un texte de 500 mots en trois heures et demie. Dans les deux cas, on assiste à une production de textes dont le résultat est déterminant pour la suite du cheminement scolaire. Au test de classement, les élèves souhaitent obtenir de bons résultats, car ils veulent être admis au premier cours de la séquence de français qui, lui, est assorti d’unités ; ils sont aussi très motivés à réussir l’épreuve finale, car ils doivent faire la preuve qu’ils ont acquis la compétence visée. Toute la production est encadrée et corrigée par la même enseignante. Quant au taux d’amélioration de la compétence linguistique, il est calculé en divisant la réduction du nombre de fautes sur 100 mots entre le premier et le dernier texte par le nombre de fautes sur 100 mots du premier texte.

Exemple :

Premier texte (x) : 18 fautes sur 100 mots Dernier texte (y) : 4 fautes sur 100 mots (xy) ÷ x = (18 – 4) ÷ 18 = 0,78 ou 78 %

Résultats ?

Tous les élèves du cours de Mise à niveau s’améliorent de façon remarquable ; ils ont acquis et intégré des connaissances qui leur permettent d’écrire un texte avec beaucoup moins de fautes que dans le passé. Les statistiques présentées au début de l’article illustrent les progrès des élèves encadrés par un tuteur. Ceux qui ne recevaient pas l’aide individuelle d’un tuteur, mais qui fréquentaient le CAFÉ chaque semaine, ont eux aussi connu des progrès significatifs : ils ont obtenu une amélioration de 58 % et un taux de réussite de 78 %.

Bref, le succès de cette pédagogie m’a convaincue de continuer dans cette voie et de prendre le temps de rencontrer David Arcand, un élève qui a effectué un parcours particulièrement impressionnant à travers le projet d’aide en français écrit : 90 % d’amélioration en trois mois !

Fondements pédagogiques du projet d’aide en français écrit

Différenciation
Mettre en place des conditions de réussite identiques, mais des moyens différents de les atteindre selon les particularités individuelles :

  • proposer des choix quant aux sujets de rédaction et aux types de textes ;
  • utiliser chaque évaluation dans une perspective de formation ;
  • autoriser des stratégies d’écriture différentes et l’utilisation d’outils variés (traitement de texte, etc.) ;
  • suggérer des choix de lecture diversifiés ;
  • offrir un encadrement supplémentaire et une aide personnalisée selon les besoins ;
  • permettre à chacun de travailler à son rythme et de reprendre un travail, le cas échéant.

Structuration
Permettre la construction personnelle des connaissances sur la base des savoirs antérieurs :

  • partir des connaissances de l’élève et le faire progresser ;
  • analyser le raisonnement de l’élève afin de comprendre sa démarche d’écriture ;
  • utiliser les erreurs comme des occasions d’apprendre plutôt que de pénaliser ;
  • proposer un cahier d’exercices prescrits selon les principales difficultés relevées ;
  • faire repérer et expliquer les erreurs.

Progression
Favoriser une démarche d’apprentissage basée sur l’autonomie et la responsabilisation :

  • produire un dossier d’apprentissage (portfolio) qui comporte tous les éléments de la démarche ;
  • remplir, chaque semaine, un tableau qui illustre la progression de l’apprentissage ;
  • faire un suivi du dossier d’apprentissage.

Entrevue avec David Arcand

David Arcand a entrepris des études collégiales au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption à l’automne 2005. À cause de ses difficultés en français écrit, il a été classé dans le cours de Mise à niveau. Au début de la session, il faisait une faute à tous les sept mots (soit 14,3 fautes sur 100 mots). Il a connu une progression fulgurante et a terminé avec une faute à tous les 71 mots à l’intérieur de ses deux derniers textes (soit 1,4 faute sur 100 mots). Par la suite, à l’hiver 2006, David a obtenu d’excellents résultats dans son cours de français 101. Cela lui a valu d’être invité à travailler comme tuteur au CAFÉ à la session suivante. Comment expliquer de tels progrès ? C’est ce que l’entrevue qui suit tente entre autres de cerner.

Comment cela se passait-il durant tes études secondaires ?

J’obtenais des résultats supérieurs à 80 % dans toutes les matières, sauf en français. Grâce à la combinaison de mes notes en oral et en lecture, j’arrivais tout de même à obtenir la note de passage dans ce cours. J’étais toutefois conscient de mes lacunes en français écrit. De plus, je ne lisais et n’écrivais presque jamais.

Quelle perception avais-tu de toi-même à ce moment-là ?

J’avais une assez bonne perception de moi – sauf pour ce qui est du français… D’ailleurs, mes tentatives d’entrer en Techniques policières par la suite ont été vaines justement à cause de mes résultats très médiocres dans cette matière. C’est à ce moment que j’ai décidé d’abandonner mes études et d’aller travailler pour une période de trois ans.

Comment as-tu réagi lorsque tu as appris que tu étais classé dans le cours de Mise à niveau ?

J’étais d’accord et je m’y attendais puisque lors de mon entrée à l’institut Teccart (programme que j’ai abandonné), on m’avait déjà imposé ce cours.

À quoi attribues-tu les progrès si remarquables que tu as faits à l’intérieur de ce cours ?

Je crois que c’est une combinaison d’éléments favorables qui expliquent mes progrès en français. J’étais motivé à régler mon problème et prêt à fournir les efforts nécessaires. Mon amélioration s’est particulièrement fait sentir à partir de la sixième semaine de la session, c’est-à-dire au moment où j’ai commencé à bénéficier de l’aide d’un tuteur. J’admets qu’écrire un texte chaque semaine, y repérer les fautes à l’aide de codes, corriger chacune d’elles et expliquer toutes ces corrections sur des fiches sont des tâches si complexes qu’on a réellement besoin d’aide pour s’en sortir. Mes premiers progrès en français m’ont tellement encouragé qu’il m’arrivait de retourner au CAFÉ pour demander à la technicienne de me proposer des exercices supplémentaires. Bref, en faisant les exercices appropriés, en écrivant souvent et en analysant mes erreurs, j’ai commencé à comprendre les règles. Si je connaissais la plupart d’entre elles, je n’avais jamais suffisamment écrit pour les intégrer. J’ai écrit plus durant ma première session au cégep que durant mes cinq ans d’études au secondaire.

Quel facteur a été le plus déterminant dans ta réussite ?

L’accompagnement individualisé que me proposait mon tuteur a été le facteur le plus déterminant. Pour la première fois, quelqu’un s’attardait à comprendre de quelle manière je m’y prenais pour écrire et me proposait les correctifs appropriés. Raisonner à haute voix lorsque je révisais mes phrases, repérer et analyser mes erreurs, tout cela sous la supervision d’un tuteur attentif en qui j’avais confiance, m’a permis de diminuer considérablement le nombre de mes erreurs – et même de commencer à aimer le français, ce qui n’est pas peu dire !

De quelle manière s’est produit cet apprentissage de la langue ? Qu’est-ce qui t’est apparu soudainement plus simple, plus clair ?

Quand mon tuteur m’a expliqué comment éviter les fautes d’homophones « ce/se », je me suis mis à observer ces mots à travers chacune des phrases que j’écrivais. Il m’a ensuite amené à comprendre mes autres erreurs d’homophones. Cela m’a permis de m’améliorer rapidement. Le fait de réduire le nombre de fautes dans mes textes me motivait constamment. C’est à l’aide d’un tableau de progression où toutes les fautes de chaque texte sont compilées et classées en catégories que je pouvais mieux voir quel type d’erreurs était le plus urgent à régler. J’ai appris à faire une relecture méthodique de mes textes avant de les remettre. À chaque lecture, je me donne un but précis. Avant, je regardais mes phrases sans me poser de questions et je les trouvais correctes. Maintenant, je vérifie d’abord les verbes et les participes passés, ensuite la ponctuation et la structure des phrases et, finalement, l’orthographe de certains mots et les homophones. Je lis donc mes textes au moins trois fois. Même si je maintiens une moyenne d’une faute à tous les 70 mots dans tous mes textes, mon objectif est de ne faire qu’une faute à tous les 90 mots d’ici la fin de mon cégep.

Comment vis-tu la relation d’aide avec les deux élèves que tu supervises au CAFÉ chaque semaine ? Y-a-t-il des moyens qui te semblent plus efficaces ?

Cela se passe bien même si je constate que le degré de motivation varie d’une personne à une autre. Comme je crois beaucoup à la pratique de l’écriture pour faire acquérir les notions de grammaire, je demande à mes élèves d’écrire un texte chaque semaine et je mets à mon tour les codes dans la marge pour indiquer les erreurs à corriger. L’analyse, la correction et l’explication de leurs propres fautes sont les moyens qui me semblent les plus efficaces pour faire progresser mes élèves en français. De plus, développer le goût de la lecture est un autre atout. Dans mon cas, c’est aussi à partir de ma première session au cégep que j’ai commencé à lire beaucoup.

Si tu avais un bilan à tracer, quel serait-il ?

Je suis très fier de l’amélioration de mon français. Je suis aussi plus conscient des possibilités que j’ai et de mes limites. Sans une volonté personnelle de changement, l’apprentissage n’aurait pas été aussi remarquable. Si j’avais un conseil à transmettre à un élève qui veut s’améliorer, je lui dirais de le faire d’abord et avant tout pour soi. En ce qui me concerne, je me suis découvert une véritable passion pour le français et ce, au grand étonnement de ma mère !

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Je suis revenue chez moi enchantée de cet entretien et bien décidée à continuer à développer des projets de relation d’aide. Depuis le début de ma carrière, en 1979, j’ai toujours cru en la capacité d’apprendre des jeunes et à l’importance de mettre en place des conditions qui leur permettent de le faire. À cet égard, si David se révèle une véritable source d’inspiration, tous les autres qui ont connu des progrès significatifs à l’intérieur de mes cours sont là pour me rappeler mon rôle et continuer à me le faire aimer.

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