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«Apprendre à bien écrire par les textes littéraires»: un compromis entre grammaire traditionnelle et nouvelle

«Apprendre à bien écrire par les textes littéraires»: un compromis entre grammaire traditionnelle et nouvelle

Point de vue


Le professeur d’une classe de mise à niveau en français habitué à enseigner des notions grammaticales qu’il avait lui-même étudiées, mémorisées et appliquées dans sa jeunesse, appréhendait grandement la rentrée 2002 : face à la nouvelle grammaire, il s’attendait à devoir manipuler, par d’obscures opérations syntaxiques évoquant la greffe ou l’élagage, des phrases ronceuses, coiffées d’arborescences bien ramifiées. Dans ces circonstances, il lui fallait trouver les instruments les plus simples pour débroussailler la démarche et son lexique. Pour certains — dont je suis –, le manuel Apprendre à bien écrire par les textes littéraires[1], que les auteures, Éléonore Antoniadès, Natalie Belzile et Hélène Richer, ont adapté à la terminologie en vigueur depuis quelques années dans les écoles secondaires, et son « complément pratique[2] », le cahier d’exercices, se seront imposés comme des guides rassurants permettant d’explorer la nouvelle grammaire sur des sentiers praticables.

Le manuel

Comme le titre de l’ouvrage le suggère, la littérature supporte ici la démarche de l’étudiant, qui aura l’occasion d’approfondir, durant les 45, 60 ou 90 heures de son cours de mise à niveau, ses compétences en grammaire, en compréhension de texte et en rédaction. Le manuel propose une sélection d’extraits d’oeuvres françaises et québécoises, suivie de questions de compréhension et d’au moins une proposition de rédaction, elle-même souvent accompagnée d’une application grammaticale. La plupart des textes analysés ont su capter l’intérêt des étudiants. Je pense en particulier à l’extrait de Comme un roman de Daniel Pennac, qui a suscité de belles discussions en classe sur la lecture et sur la perception négative d’eux-mêmes qu’entretiennent souvent les élèves en difficulté.

Dispersés au fil de l’ouvrage, des tableaux présentent de manière succincte les grandes règles de la rédaction, lesquelles sont ensuite illustrées par des modèles de paragraphes simples. Ces tableaux se sont révélés grandement utiles, et leur concision, loin d’être un défaut, s’est trouvée tout à fait adaptée aux besoins des étudiants de mise à niveau. Saluons au passage la présentation visuelle très vivante de ce manuel, qui, à l’instar de la terminologie grammaticale, s’est modernisée depuis la précédente édition.

Puis, à la suite des extraits, une série d’exercices permet à l’élève de réviser des notions grammaticales. Certaines sections, comportant une dizaine d’activités, font appel à de nombreuses compétences linguistiques, qui, bien qu’appartenant toutes au même module, étaient trop complexes ou disparates pour être abordées d’un seul élan par mes élèves du cours de 90 heures. C’est là qu’intervenait le cahier d’exercices.

Le cahier d’exercices

Au dire des auteures, le cahier devrait tenir lieu de complément au manuel. Mais en ce qui concerne la révision grammaticale, l’approche du cahier s’étant révélée plus conforme au rythme d’apprentissage des étudiants, nous ne nous sommes presque pas référés au manuel. Conçues à partir de phrases ou de courts extraits empruntés à de grands auteurs, les activités, réparties sur cinq modules, sont variées, stimulantes, graduées et font appel à l’esprit d’analyse de l’étudiant. Le premier module, qui porte sur les groupes et les classes de mots ainsi que sur leurs fonctions grammaticales, est particulièrement complet et formateur, bien que, par instants, la prose des Flaubert, Balzac et Proust, aussi admirable soit-elle, ait démoralisé mes étudiants — particulièrement les allophones –, qui n’y entendaient goutte, en dépit de leurs efforts et de mes explications acharnées. Le problème ? Ces extraits, au vocabulaire exigeant, comportaient des phrases transformées par l’enchâssement de nombreuses subordonnées alors que nous n’avions pas encore abordé cet aspect de la langue.

J’ai grandement apprécié les activités d’autocorrection, présentes à la fin de chaque module et orientées en fonction des objectifs de celui-ci. Les étudiants y sont appelés à réviser de courts extraits de textes parsemés d’erreurs. Ces exercices ont astreint mes élèves à une correction rigoureuse et méthodique, et leur ont fait prendre conscience de l’importance de se relire avec sérieux. Un test d’évaluation des connaissances, qui, malgré sa forme à choix multiples, demeure assez corsé, clôt chacun des modules et permet de réviser l’ensemble des notions qui y ont été traitées.

Le cahier et le manuel abondent en exercices sur les accords, et nous n’avons jamais manqué de matériel, ni pour la récapitulation avant les examens ni pour faire travailler davantage certains étudiants plus motivés qui se présentaient durant les périodes de disponibilité. Le fait que les corrigés aient été distribués à part — et non pas inclus dans le cahier et le manuel, comme le font d’autres éditeurs — a permis de varier les méthodes de correction en fonction des besoins et des difficultés des élèves, et d’utiliser certaines sections à titre d’exercices sommatifs.

Des ouvrages de référence

Alors que les étudiants devaient faire l’acquisition du manuel et du cahier, fallait-il exiger, en plus, qu’ils se procurent une grammaire ? Les deux ouvrages obligatoires comportant des rappels grammaticaux assez complets, j’ai choisi de ne pas grever davantage leur budget. Pour rendre efficace la consultation des règles d’accord, je leur ai demandé, en début de session, d’identifier les notions qu’ils trouvaient compliquées par des onglets autocollants afin de faciliter le maniement du cahier au moment des dictées et des rédactions.

Malheureusement, les tableaux grammaticaux souffrent de quelques omissions, notamment du point de vue des pronoms relatifs, dont on aurait eu avantage à définir et illustrer les fonctions. Fait étonnant, les fonctions de compléments du nom, du pronom et de l’adjectif n’apparaissent pas au premier module alors qu’on tient pour acquis que ces notions sont assimilées au module II, lorsqu’on aborde les subordonnées.

Une démarche ancrée dans la grammaire traditionnelle

Mais ce qu’il manque essentiellement, ce sont des activités relatives à la grammaire du texte. Bien sûr, dans le manuel, on présente les principaux marqueurs de relation et des exercices donnent l’occasion à l’élève de les relever et de se pratiquer à les employer correctement. Des exercices de style — fort intéressants d’ailleurs — proposent d’enrichir le vocabulaire des étudiants, de repérer des constructions fautives courantes ou d’alléger certaines formulations plus lourdes. Cependant, non seulement les procédés de reprise et la maturation syntaxique ne sont pas théorisés dans les ouvrages, mais ils sont à peu près absents des exercices.

Ce qui s’est révélé dommage, aussi, c’est qu’une fois le module I complété, on perdait peu à peu de vue le modèle de base. Ce dernier devrait pourtant être au coeur de la nouvelle approche et permettre de réfléchir sur la structure de la phrase, transformée ou non, et sur l’accord des mots qui la composent.

L’étudiant apprend que le modèle de base de la phrase est constitué d’un GNs (groupe nominal sujet), d’un GV (groupe verbal) et facultativement d’un CP (complément de phrase). Ce modèle demeure présent lorsque la phrase est transformée par enchâssement, c’est-à-dire lorsqu’on y insère une subordonnée. Dans le module II, il aurait été pertinent que les exercices fassent prendre conscience que la subordonnée appartient à l’un des constituants de la phrase de base dans laquelle elle est enchâssée ; c’est ce que proposent, par exemple, Michèle Frémont, Frédérique Izaute et Huguette de Maisonneuve dans les Exercices pour un cours de mise à niveau « nouvelle grammaire[3] ».

 

Soit la phrase : Lorsque le professeur donne des explications, les étudiants qui sont sérieux souhaitent que leurs collègues se taisent.

Voici le découpage de la phrase matrice[4] en ses constituants, tel qu’il devrait être réalisé dans ces derniers exercices.

sujet (GNs)prédicat (GV)CP (facultatif)
Les étudiants qui sont sérieuxasouhaitent que leurs collègues se taisentblorsque le professeur donne des explicationsc.

 

En faisant ressortir la place qu’occupe la subordonnée dans un des constituants de la phrase matrice, il devient plus facile de la reconnaître : la relative (a) se comporte ici comme l’expansion du noyau d’un groupe nominal, à l’instar de tout autre complément du nom ; la seule subordonnée pouvant compléter un verbe, la complétive (b), est ici un complément direct et s’inscrit donc dans le GV ; enfin, la fonction de la dernière subordonnée comme complément de phrase (c) incite à l’identifier spontanément comme une circonstancielle.

Or, dans les tableaux grammaticaux du module II d’Apprendre à bien écrire par les textes littéraires, bien qu’on ait pris la peine de nommer les fonctions possibles des différentes subordonnées, on demande, dans les exercices, de séparer les phrases syntaxiques[5] par des tirets et d’identifier les subordonnées, sans faire valoir leur appartenance à l’un des constituants du modèle de base :

Lorsque le professeur donne des explications en classe, / les étudiants / qui sont sérieux / souhaitent / que leurs collègues se taisent.

Voilà qui confondra l’étudiant au moment d’accorder ses verbes et de repérer d’éventuelles erreurs de syntaxe et de ponctuation dans ses propres textes. Il semble que la relative, loin d’être une partie du GNs de la matrice, vienne en fait couper celle-ci en son milieu, isolant, d’une part, une section du groupe nominal sujet et, d’autre part, le groupe verbal, lui-même amputé de son complément direct. Il aurait fallu, à ce moment-là, retourner à l’ancienne méthode pour différencier la principale de la subordonnée ; mais comme je souhaitais que mes élèves, formés à repérer le modèle de base, considèrent la phrase matrice comme un tout, j’ai plutôt choisi d’adapter les consignes du cahier aux modèles d’analyse proposés dans le Vade-Mecum de la nouvelle grammaire[6] et dans la Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui[7].

C’est qu’après avoir travaillé énergiquement à reconnaître les groupes et les classes de mots et à en déterminer les fonctions dans le module I, les étudiants auraient pu appliquer leurs nouvelles connaissances dans les exercices des modules subséquents, même lorsqu’ils portent sur les accords. En outre, les compétences acquises en début de parcours deviennent un atout indéniable quand vient le temps de traiter la concordance des temps, la maturation syntaxique et les transformations de type et de forme, et bien que des exercices de notre méthode survolent certaines de ces notions, il aurait été pertinent qu’on les aborde de front.

Conclusion

Et voilà que je reproche à la méthode ce qui d’emblée m’avait séduite en début d’année ! Car j’avais d’abord opté pour les ouvrages de Mmes Antoniadès, Belzile et Richer parce qu’ils promettaient une « transition entre l’approche traditionnelle et la nouvelle grammaire […] de façon à ce que les professeurs et les élèves puissent se retrouver facilement dans les différentes notions théoriques ». Mais ayant ensuite entrevu les bénéfices du passage à la nouvelle grammaire, j’ai regretté de n’avoir pu y plonger davantage ! Pourtant, ces deux outils, qui placent le texte littéraire au coeur de l’apprentissage de l’élève, sont, je le rappelle, stimulants, attrayants, efficaces.

En réalité, les petites déceptions exprimées ici procèdent d’une conversion inattendue de ma part à la nouvelle grammaire : une fois dissipées les premières inquiétudes, l’envie d’explorer le terrain hors du sentier bien tracé s’est manifestée, et il se trouve que c’est là qu’ont eu lieu les découvertes les plus fructueuses.

  1. ANTONIADÈS, Éléonore, Natalie BELZILE et Hélène RICHER. Apprendre à bien écrire par les textes littéraires, 2e édition, Montréal, CEC, 2002. Retour
  2. ANTONIADÈS, Éléonore, Natalie BELZILE et Hélène RICHER. Apprendre à bien écrire par les textes littéraires, 2e édition. Cahier de grammaire et d’exercices, Montréal, CEC, 2002. Retour
  3. FRÉMONT, Michèle, Frédérique IZAUTE et Huguette MAISONNEUVE. Exercices pour un cours de mise à niveau « nouvelle grammaire », Montréal, CCDMD, 2001. Retour
  4. La phrase matrice est une phrase dans laquelle une subordonnée a été insérée. Retour
  5. Les « phrases syntaxiques » sont l’équivalent de ce que l’on appelait les « propositions » en grammaire traditionnelle. Retour
  6. MAISONNEUVE, Huguette. Vade-mecum de la nouvelle grammaire (version 1), Montréal, CCDMD, 2002. Retour
  7. CHARTRAND, Suzanne-G., Denis AUBIN, Raymond BLAIN et Claude SIMARD. Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, Boucherville, Les Publications Graficor, 1999. Retour

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