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Un dictionnaire pour les apprenants de français, langue seconde

Un dictionnaire pour les apprenants de français, langue seconde

Ouvrage imprimé à connaître

 

L’automne dernier, les éditions Dictionnaires Le Robert et CLE International[1] publiaient le Dictionnaire du français, spécialement conçu pour les apprenants de français, langue seconde ou étrangère. La maison CLE International est bien connue par les utilisateurs de matériel didactique pour l’enseignement du français, langue seconde, et ce nouveau dictionnaire suscitait au départ notre enthousiasme. Voyons comment ce dictionnaire, qui s’ajouterait à d’autres largement utilisés en langue seconde bien que non conçus à l’intention de cette clientèle particulière, répond à nos attentes dans ce domaine.

Un dictionnaire attrayant visuellement

À première vue, le dictionnaire est attrayant. De belle facture, il est, de plus, facile à consulter, chaque entrée étant annoncée par des majuscules bleues. Les mots importants, ceux dont on ne peut se passer dans la vie quotidienne, sont signalés par une flèche bleue dans la marge. Plusieurs entrées sont aussi suivies d’encadrés donnant des faux amis des mots français dans 14 langues (allemand, anglais, danois, espagnol, grec, italien, japonais, néerlandais, norvégien, polonais, portugais, roumain, russe, suédois).

Bien sûr, pour faire une critique constructive de cet ouvrage, il faut plus qu’une impression suggestive sur le livre comme objet et la lecture de son avant-propos. Pour savoir si le contenu de cet ouvrage répond à nos attentes du point de vue de la didactique des langues secondes et en quoi il est différent des autres, nous l’avons analysé en définissant d’abord ces attentes, puis, d’après les critères établis, en comparant des entrées avec celles de deux ouvrages bien connus et très utilisés, Le petit Robert et le Multidictionnaire des difficultés de la langue française.

L’acquisition d’une langue après la puberté

Définir des critères d’analyse dans ce cas-ci, c’est établir le type d’information nécessaire à l’apprenant d’une langue seconde pour améliorer ses performances dans cette langue. Pour savoir quel est le type d’information qui l’aidera vraiment, il faut connaître le fonctionnement de ce qu’il tente d’accomplir, soit l’acquisition d’une langue alors qu’il n’est plus un enfant.

Dans les théories de l’acquisition des langues secondes[2], on postule que c’est une faculté de langage différente de celle de l’enfant qu’il reste à l’apprenant après la puberté, une faculté de langage dont une des parties n’est plus active. Biologiquement, le fait de postuler un changement dans la nature d’un organe après une certaine période de maturation ne pose aucun problème. Un être humain serait génétiquement programmé pour maîtriser une langue « de façon native » jusqu’au début de la puberté environ, comme il est génétiquement prédéterminé pour grandir jusqu’à la fin de celle-ci environ. C’est cette hypothèse qui expliquerait le fait que la plupart des adultes n’arrivent jamais à parler une langue étrangère comme on parle sa langue maternelle, même après des années d’efforts, alors que n’importe quel enfant (normal) arrive à parler sa langue, et même plusieurs langues, sans aucun effort conscient.

Ce postulat ne vient en rien nier le fait que des adultes soient capables d’apprendre une langue : ils ont réussi parce qu’ils ont développé des stratégies d’apprentissage. Si quelques-uns seulement semblent réussir à s’approcher du parler natif d’une langue, c’est que la capacité d’utilisation de ces stratégies cognitives varie d’un adulte à un autre ; ces stratégies n’ont évidemment pas été nécessaires à l’enfant[3] pour qu’il commence à parler.

Quelles sont ces stratégies ? Au moins deux processus permettraient à l’adulte d’arriver à une performance qui ressemble plus ou moins à celle des locuteurs natifs de cette langue : une capacité d’analyse déductive et une capacité de faire des analogies inductives. L’adulte a la capacité d’analyser des règles, ou d’autres informations explicites sur la langue qu’il veut apprendre, et de les utiliser en les appliquant à son discours. Il a aussi la capacité « d’enregistrer » le discours des locuteurs natifs et d’en comprendre les informations fournies implicitement, pour ensuite en reproduire un semblable par analogie.

Choix des critères de comparaison et des entrées à comparer

Plusieurs approches ou méthodes didactiques[4] découlent d’une conception de la langue basée sur la théorie de la faculté de langage mentionnée ci-dessus. Selon les principes de ces méthodes ou approches, comme une partie de cette faculté de langage n’est plus active après la puberté, l’apprenant d’une langue a besoin de règles explicites sur les emplois des mots, d’énoncés explicatifs sur la façon d’exprimer des messages. Il a aussi besoin de grandes quantités d’exemples pour implicitement se construire des règles et de contre-exemples pour savoir quand ces règles ne s’appliquent plus.

Par ailleurs, les tenants de cette théorie postulent aussi que quelques connaissances sur une langue s’acquièrent encore de façon inconsciente après la puberté, grâce à la partie de la faculté de langage encore active. D’après les méthodes ou approches basées sur la théorie de la faculté de langage, il faut donc aussi que les structures expliquées ou illustrées servent d’abord et avant tout à communiquer un message, comme quand on apprend sa langue enfant, et que diverses formes linguistiques exprimant le même message soient présentées, comme dans la vie réelle. Le matériel doit être pertinent et applicable aux situations de la vie, et servir à faire un lien entre la classe et le monde.

Nous voici donc avec des critères d’analyse et de comparaison, afin de juger du contenu du nouveau dictionnaire et de voir en quoi il se démarque des autres. Pour ce qui est des entrées à étudier, cinq mots causant des problèmes de construction ont été choisis dans un corpus enregistré[5] d’apprenants adultes de français. Il y a un nom, confiance, un adjectif, difficile, un verbe, commencer, un adverbe, beaucoup, et une préposition, pour.

Des résultats moins convaincants que ceux espérés

Confiance

Parmi les trois dictionnaires comparés, Le petit Robert, le Multidictionnaire des difficultés de la langue française (le Multi dans la suite du texte) et le Dictionnaire du français, aucun ne donne de règle explicite sur l’emploi du mot. Par exemple, le Dictionnaire du français aurait pu mentionner explicitement quelque chose comme « AVOIR + confiance + EN + quelqu’un/quelque chose » et « FAIRE + confiance + À + quelqu’un/quelque chose ». Dans les trois dictionnaires, il y a par contre plusieurs exemples à partir desquels ces règles d’emploi implicites pourraient être induites par analogie. Aussi dans les trois dictionnaires, l’accent est mis sur le message : les sens du mot sont expliqués par des paraphrases et sont illustrés par différents exemples ; pour ce qui est des locutions et expressions contenant le mot, seul le Multi, en plus de les paraphraser comme les autres dictionnaires, les illustre par des exemples d’emploi. C’est dans le Dictionnaire du français que les exemples sont les plus pertinents, les mots étant simples et fréquents, et les plus applicables dans le monde extérieur par les apprenants.

Difficile

Seul Le petit Robert donne une règle explicite sur l’emploi du mot : « difficile + À + INFINITIF », incomplète de toutes façons, car il existe aussi « C’est difficile d’enseigner la langue ». Le Dictionnaire du français fait une tentative ratée d’explication d’emploi : « après le nom, parfois avant le nom », ce qui ne veut absolument rien dire. Le petit Robert et le Dictionnaire du français donnent plusieurs exemples à partir desquels les règles d’emploi implicites pourraient être induites par analogie. Dans les trois dictionnaires, l’accent est mis sur le message : les sens du mot sont expliqués par des paraphrases et sont illustrés par différents exemples ; pour ce qui est des locutions et expressions contenant le mot, seulement Le petit Robert et le Dictionnaire du français en donnent, et ils ne font que les paraphraser pour en expliquer le sens, sans les illustrer par des exemples. C’est encore dans le Dictionnaire du français que les exemples sont les plus pertinents et les plus applicables dans le monde extérieur par les apprenants.

Commencer

Seul Le petit Robert donne des règles explicites sur l’emploi (syntaxique) du mot, mais le Multi et le Dictionnaire du français font clairement un renvoi à un tableau de conjugaison et font une remarque orthographique sur le « ç » selon la forme. Dans les trois dictionnaires, il y a par contre plusieurs exemples à partir desquels des règles d’emploi implicites pourraient être induites par analogie. Dans les trois dictionnaires, comme pour les autres entrées, l’accent est mis sur le message : les sens du mot sont expliqués par des paraphrases et sont illustrés par différents exemples ; pour ce qui est des locutions et expressions contenant le mot, les trois ne font que les paraphraser pour en expliquer le sens, sans les illustrer par des exemples. C’est encore dans le Dictionnaire du français que les exemples sont les plus pertinents et les plus applicables dans le monde extérieur par les apprenants.

Beaucoup

Les trois dictionnaires donnent des règles explicites sur l’emploi (syntaxique) du mot, et le Multi donne en plus des règles d’accord du verbe quand le sujet contient ce mot, ainsi qu’une note sur l’orthographe. Dans les trois dictionnaires, il y a aussi plusieurs exemples à partir desquels les règles d’emploi implicites pourraient être induites par analogie. Pour ce qui est du message, dans les trois dictionnaires les sens du mot, et des locutions ou expressions contenant le mot, sont expliqués ou paraphrasés, et sont illustrés par différents exemples. C’est encore dans le Dictionnaire du français que les exemples sont les plus pertinents et les plus applicables dans le monde extérieur par les apprenants.

Pour

Le Multi donne plusieurs règles explicites sur l’emploi (syntaxique) du mot et il donne aussi deux expressions fautives contenant ce mot, en indiquant qu’elles sont des calques de l’anglais. Dans les trois dictionnaires, il y a plusieurs exemples à partir desquels les règles d’emploi implicites pourraient être induites par analogie. Pour ce qui est du message, dans les trois dictionnaires les sens du mot, et des locutions ou expressions contenant le mot, sont expliqués ou paraphrasés, et la plupart sont illustrés par différents exemples ; le Dictionnaire du français se démarque en donnant aussi un faux ami, le mot portugais « por », qui veut dire « par ». C’est encore ici dans le Dictionnaire du français que les exemples sont les plus pertinents et les plus applicables dans le monde extérieur par les apprenants.

Quelques attentes encore à combler

Nous avions établi quatre critères pour analyser le nouveau dictionnaire et le comparer avec d’autres déjà très utilisés : la présence de règles explicites d’emploi des mots, de grandes quantités d’exemples afin de construire implicitement des règles d’emploi, des structures au service du message, ainsi que des exemples authentiques et applicables dans la vie hors de la classe. Comparativement aux deux autres dictionnaires, le nouveau Dictionnaire du français pour les apprenants adultes de français se démarque en quelques points, comme le choix de mots simples et fréquents pour donner de la pertinence aux exemples, et l’importance donnée au message. Sur ce dernier point, le problème du Petit Robert n’est pas le manque mais plutôt l’excès ! Par exemple, s’il se trouve de l’information pertinente pour l’apprenant de français dans l’entrée de « pour », qui compte deux colonnes entières de renseignements, elle est complètement perdue dans la masse et introuvable par l’apprenant.

En soi, le nouveau dictionnaire soumis à notre analyse nous laisse sur notre faim, surtout en ce qui a trait aux règles explicites d’emploi des mots et aux exemples et contre-exemples afin de construire implicitement des règles d’emploi. Dans une prochaine édition, il serait nécessaire d’améliorer ces aspects pour répondre vraiment aux besoins des apprenants en langue seconde, en osant imaginer, bien sûr, que ce message arrive jusqu’aux Grands de chez Le Robert et CLE International

* * *

  1. Josette Rey-Debove (sous la direction de…), Dictionnaire du français, référence, apprentissage, Paris, Dictionnaires Le Robert/CLE International, 1999, 1236 p. Retour
  2. Parmi les ouvrages sur le sujet, mentionnons Judith R. Strozer, Language Acquisition After Puberty, Washington (D.C.), Georgetown University Press, 1994, 281 p., dont nous avons déjà suggéré la lecture dans « Linguistiquement parlant, qui est véritablement allophone ? », Correspondance, vol. 5, no 2, p. 2-3. Retour
  3. Parmi les ouvrages sur le sujet, mentionnons Martin Atkinson, Children Syntax, an Introduction to Principles and Parameters Theory, Oxford, Blackwell Publishers, 1992, 325 p. Retour
  4. Voici une très belle synthèse pour faire le tour de la question au sujet des méthodes d’enseignement : Claude Germain, Évolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire, Paris, CLE International, 1993, 351 p. Retour
  5. Le corpus est l’enregistrement du discours libre de 32 adultes (de neuf langues différentes) apprenant le français et s’exprimant sur leur arrivée à Montréal. Il a été constitué pour mon mémoire de maîtrise, déposé en 1996 à l’Université de Montréal : Théorie de l’acquisition d’une langue seconde et enseignement des prépositions aux adultes. Retour

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